Alfredo Vignale
Alfredo Vignale Copyright. Ce site est gratuit et sans publicité. Je n'en retire aucun bénéfice financier. C'est le fruit d'une démarche totalement désintéressée. Si vous êtes détenteur d'un copyright non mentionné, je vous invite à me contacter. Ce fait est involontaire. Le document en question sera immédiatement retiré. Merci donc pour votre indulgence, pour ce qui n'est qu'un travail amateur. Alfredo Vignale n'était pas un styliste au sens strict du terme, car il n'était pas très doué au crayon et au pinceau. Mais il savait dessiner ou esquisser des formes, aidé par un sens juste des proportions. On pouvait le considérer comme un grand sculpteur, qui au lieu d'utiliser l'argile, savait travailler les métaux pour leur donner les formes voulues. C'était surtout un meneur d'hommes, connaissant parfaitement tous les métiers de la carrosserie automobile. Il s'est tout au long des années 50 et 60 adressé à des stylistes professionnels, qu'il s'agisse de Giovanni Michelotti avec qui il a formé un binôme longtemps indissociable, puis plus tard d'Alfredo Zanellato et surtout de Virginio Vairo. A l'instar des Battista, Sergio et Andréa Pininfarina, de par la renommée de son nom, il mérite amplement son portrait dans ce dossier. Nous n'évoquerons que quelques-unes de ses réalisations, d'autres dossiers sur ce site revenant amplement sur les voitures sorties de ses ateliers, qu'il s'agisse des sujets consacrés aux salons de Turin et de Genève, ou de la page qui s'intéresse à l'oeuvre de Giovanni Michelotti. 1913 Alfredo Giorgio Giovanni Vignale voit le jour le 15 juin 1913 à Grugliasco dans la banlieue ouest de Turin. Son père Francesco est peintre et décorateur, et s'est installé dans la région avec sa femme Maria, dans le but de trouver du travail. Au début de la Première Guerre mondiale, Francesco Vignale est enrôlé dans l'armée et combat sur le front austro-hongrois. A la fin des hostilités, il retourne à Turin et recherche de nouveau du travail dans sa profession. Finalement, il propose ses services comme peintre automobile. Bien qu’il ne soit pas qualifié dans ce domaine, il y trouve un emploi stable. 1924 Quatrième enfant d’une fratrie de sept, Alfredo Vignale commence à travailler en 1924 dès ses onze ans à l’Officina Ferrero e Morandi, une entreprise turinoise qui fabrique des carrosseries automobiles. Il y entre en apprentissage. Dans les années 1920, quitter le milieu scolaire aussi jeune est assez courant. Il se révèle être un apprenti prometteur, et il décide de suivre des cours du soir pour parfaire son éducation. Ce parcours de trois ans lui fournit de bonnes connaissances techniques. Il apprend aussi à dessiner des esquisses. Alfredo Vignale est doué et résistant aux difficultés du métier. Il affronte le froid des ateliers sans difficulté, et ce ne sont pas les vibrations engendrées par les coups de marteau qui le déstabilisent. 1930 En 1930, Giovanni-Battista Farina (1893/1966), également appelé Gian-Battista, puis Pinin Farina, quitte l'entreprise dirigée par son frère aîné Giovanni (1884/1957), les Stabilimenti Farina (1906/1953). Il fonde sa propre entreprise, la carrozzeria Pinin Farina. A cette époque, Alfredo Vignale, qui n'a que 17 ans, a déjà une belle expérience comme batteur de tôles. Ses capacités à modeler l'aluminium à l'aide d'une enclume, d'un maillet et de marteaux de différents types, en créant des formes concaves et convexes, sont vite remarquées. Comme Ferrero e Morandi travaille pour le compte de Pinin Farina, le jeune Vignale décide de s'intéresser aux activités de cette entreprise. Il est vite remarqué. Impressionné par les compétences de Vignale, Gian-Battista Farina, de vingt ans son aîné, lui demande discrètement s’il souhaite travailler pour lui. C’est une rare opportunité qui s'offre à Alfredo Vignale. Il donne sa démission de chez Ferrero e Morandi, et commence à travailler dans l’usine de Pinin Farina. Il a un contrat de travailleur indépendant, et n'est donc pas salarié. Mais quand pour bénéficier des avantages réservés aux salariés, il demande à être recruté en tant que tel, cela lui est refusé. Menaçant de démissionner, Gian-Battista Farina, conscient du rare talent de son ouvrier, accepte ses conditions. 1935 En 1935, Alfredo Vignale est appelé sous les drapeaux. Le Duce Benito Mussolini s'intéresse plus aux conquêtes coloniales qu'aux talents professionnels de sa jeunesse. Alfredo, d'esprit rebelle, supporte mal la discipline militaire, et ne partage en rien les idéaux fascistes. Il se contente donc de faire simplement son devoir d'Italien. Il se retrouve affecté au corps médical de l’hôpital militaire de Rome. Il y reste pendant les 18 mois de son service. On ne sait pas comment il s'est retrouvé là, mais il s'y ennuie fermement et est vraiment malheureux. Mais pour Alfredo Vignale, cela reste une affectation heureuse, car beaucoup de ses compatriotes ont pris la direction de l’Afrique, où leur service s'effectue dans des conditions autrement plus difficiles. 1937 Une fois libéré, Vignale regagne Turin en espérant que son poste chez Pinin Farina soit toujours disponible. Mais déjà à l'époque, les rares talents en carrosserie sont recherchés. Vignale est contacté par Giovanni Farina qui lui propose un poste plus lucratif dans son usine. Cela lui permet de rejoindre son père Francesco et ses frères Eusebio et Guglielmo, qui sont employés aux Stabilimenti Farina dans les ateliers de peinture.
Les Stabilimenti Giovanni Farina. Copyright La capacité d'Alfredo Vignale à façonner la tôle d'aluminium se consolide au fil du temps. Juste avant son 25ème anniversaire, il se voit offrir la direction du département de carrosserie des Stabilimenti Farina, qui compte à l'époque près d'un millier d'employés. Il supervise la création des prototypes et met en oeuvre certaines des méthodes qu'il a apprise chez Pinin Farina. Alfredo Vignale possède un charisme naturel. C'est un meneur d'hommes. Malgré ses talents et son dévouement au travail, le jeune homme ne trouve pas encore la meilleure manière de s'exprimer complètement. Pendant la guerre. La Seconde Guerre mondiale met un coup de frein à ses ambitions. Il reste au service de Giovanni Farina. Son souhait le plus cher est pourtant de franchir le pas et de créer sa propre entreprise. Pendant son temps libre, Alfredo Vignale fabrique de petits objets en métal martelé, comme des garde-boue de vélo, des pots en aluminium ... Lorsque cette activité prend de l'essor, il se rend compte qu'il n'a pas assez de temps pour répondre à toutes les commandes. Guglielmo, l'un de ses frères, a de l'expérience en matière de martelage et de peinture, et il accepte de l'aider. Alfredo Vignale officialise cette collaboration en créant sa première société, la VLFRA, pour Vignale Fratelli (les frères Vignale). Il est désormais clair qu'Alfredo Vignale tente de réunir suffisamment d'argent pour se lancer un jour dans la production automobile. L'occasion va se présenter avec Cisitalia. 1946, Cisitalia En 1946, Piero Dusio, le propriétaire fondateur de Cisitalia, contacte Giovanni Farina, et lui demande des devis pour fabriquer des prototypes. Le contremaître du département de martelage des Stabilimenti Farina discute avec Dusio des besoins. Le contrat est proposé à Alfredo Vignale en toute discrétion, avec l'appui d'Attilio Farina, le fils de Giovanni. Vignale comprend vite qu'il peut gagner de l'argent de manière autonome. Cela le conduit à quitter son employeur pour créer sa propre affaire. C'est chose faite le 26 octobre 1946. Le modeste atelier s'étend sur environ mille mètres carrés, via Cigliano à Turin. La Cisitalia 202 CMM Berlinetta Aerodinamica dessinée par Giovanni Savonuzzi est la première voiture complète habillée par Alberto Vignale en 1946, totalement en aluminium, dans le cadre d'un travail de sous-traitance pour les Stabilimenti Farina. Copyright Piero Dusio a l'ambition avec ses Cisitalia de jouer un rôle majeur dans le sport automobile. Le premier prototype est livré fin 1946. Piero Dusio est très satisfait du travail d'Alfredo Vignale. Le paiement de cette première commande permet au jeune carrossier de se lancer. Trois autres prototypes de Cisitalia seront fabriqués par ses soins. Mais les commandes suivantes seront confiées à Pinin Farina. Cisitalia 202 B habillée par Vignale, Salon de Turin 1950. Copyright 1946, Angelo Balma Alfredo Vignale et ses frères Guglielmo et Giuseppe sont installés dans les locaux d'une scierie appartenant à Angelo Balma. Outre la commande de Cisitalia, leurs premiers travaux sont très alimentaires. Ils poursuivent la fabrication de garde-boue et de casseroles. Ce n'est guère original, mais cela permet de faire rentrer de l'argent frais. Parallèlement, Alfredo Vignale part à la recherche de contrats plus importants et plus intéressants. Il aimerait renouveler l'expérience Cisitalia avec d'autres constructeurs. Cependant, à ce stade de sa carrière, il ne peut pas compter sur de juteux contrats de manière autonome, car il manque encore de notoriété. 1946, Fiat Topolino Les voitures sont rares dans les années d’après-guerre. Alfredo Vignale fait de son mieux pour en trouver une qui soit peu coûteuse, qu'il pourrait refaire et utiliser à des fins promotionnelles. Un concessionnaire Moto Guzzi local possède une vieille Fiat Topolino, dont il cherche à se débarrasser. Elle est stockée à l’arrière de ses locaux. Vignale entend parler de cette voiture, et demande au concessionnaire s'il serait disposé à la céder gratuitement. L'affaire est conclue, à charge pour Vignale de l'enlever. Une fois de retour via Cigliano, les frères Vignale, accompagnés de Balma, se réunissent pour examiner cette acquisition. La carrosserie est en très mauvais état, mais cela a peu d’importance, car elle va de toute façon être retirée pour faire place à un nouvel ensemble. Les travaux sur la voiture conduisent à la construction d'un petit coupé sportif, peint en rouge vif, avec un toit couleur ivoire et un intérieur en cuir. La voiture est utilisée dès lors qu'il s'agit d'aller prospecter de nouveaux clients. Il faut exposer à tous le savoir faire de la carrozzeria Vignale. Alfredo Vignale montre sa réalisation à Battista Farina, qui en récompense de ce travail magistralement réalisé, lui offre un jeu complet de pneus neufs, Puis il fait déposer la voiture dans un prestigieux showroom de la via Saluzzo. C'est là que la première voiture carrossée par Vignale sera vue par des acheteurs fortunés. L'espoir est évidemment de susciter des commandes. La voiture attire effectivement l'attention. Quelques journalistes automobiles la remarquent, et rédigent des papiers plutôt flatteurs à son sujet. L'un d'entre eux travaille pour le célèbre magazine automobile britannique Autocar. Mais son texte comporte une erreur. Le journaliste attribue la voiture à Pinin Farina. Cette confusion va jouer en faveur d'Alfredo Vignale. En effet, l’association avec une carrozzeria aussi renommée suscite beaucoup plus d’intérêt que si le seul nom de Vignale avait été mentionné. Le malentendu sera corrigé dans un numéro ultérieur d’Autocar. Mais l’erreur a assuré à Vignale une certaine promotion. Il fait désormais partie des maisons sérieuses qu'il faut suivre. La petite Fiat attire aussi l'attention d'un concessionnaire automobile de Venise, qui en fait l'acquisition. Peu de temps après, Vignale est recontacté par ce concessionnaire. Celui-ci est tellement enthousiaste par cette première création qu'il demande à Vignale de lui en fabriquer six autres. C'est le début de ce qui va devenir une longue association entre Vignale et le constructeur Fiat. Mieux encore, ce sont bientôt d'autres concessionnaires Fiat qui le sollicitent, puis Fiat directement. 1947, concours d'élégance de Turin Vignale fait une entrée remarquée dans l'univers des carrosseries spéciales en 1947. Ces " fuoriserie " (hors série) pour des personnes particulièrement aisées, sur base Ferrari, Maserati, Fiat ou Lancia, deviennent une de ses spécialités. Il présente au concours d’élégance de Turin un cabriolet Fiat 1100. La carrozzeria Vignale remporte le deuxième prix, un véritable exploit pour une entreprise encore largement méconnue. Cet évènement réunit les plus grands noms de la carrosserie italienne, mais Vignale est si peu connu que dans la liste des lauréats, son nom est orthographié en " Vignali ". Fiat 1100 Cabriolet par Vignale, concours d'élégance, Turin 1947. Copyright 1948, via Cigliano Alfredo Vignale, qui ne manque pas d'audace, sollicite ses anciens employeurs, Giovanni Farina et Battista Farina, qui lui proposent de fabriquer certains composants. Son courage est récompensé. Avec un flux constant d'affaires, il a besoin de plus de place. Il demande à Angelo Balma s’il accepterait de lui louer un espace supplémentaire. Le perspicace Balma perçoit bien le fort potentiel de Vignale. C'est un jeune espoir qu'il faut encourager. Il accepte la demande, à la condition d'intégrer l'entreprise. Un accord équitable est conclu entre les deux parties. Le 28 octobre 1948, la Carrozzeria Alfredo Vignale & C. est constituée au 29/31 de la Via Cigliano. La société à responsabilité limitée a pour directeur général Alfredo Vignale, assisté de ses deux frères, Guglielmo et Giuseppe. Angelo Balma est administrateur.
Angelo Balma, Alfredo Vignale et son frère Giuseppe. Copyright 1948, Packard Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les constructeurs automobiles américains envient le savoir-faire européen, autant que les constructeurs européens rêvent du marché américain. De nombreux liens se tissent entre les deux continents, notamment au sein de la General Motors et de Chrysler. Packard n'est pas en reste. La prestigieuse entreprise cherche à se repositionner, et a besoin d'un produit original pour captiver l'attention du public, et élargir son marché. Proposer une voiture d'inspiration européenne pourrait s'avérer une solution intéressante. Celle-ci pourrait être vendue des deux côtés de l'Atlantique. Un châssis Packard One-Twenty de 1939 est expédié en Italie chez Vignale. La réputation naissante du carrossier a déjà traversé les océans. Packard attend évidemment de Vignale un dessin exaltant. Le carrossier se met au travail. Le résultat est remarquable. Bien que le châssis soit déjà vieux d'une décennie, la carrosserie qui l'habille est en avance sur son temps, et sa réalisation est on ne peut plus soignée. L'inspiration est évidemment européenne. La Packard One Twenty remporte de nombreux prix lors des concours d'élégance qui fleurissent ici et là.
Packard One Twenty, par Vignale, 1948. Copyright 1949, Giovanni Michelotti Ayant travaillé pour Giovanni Farina, puis pour Allemano, un jeune designer, Giovanni Michelotti (1921/1980), a bien l’ambition de s’établir à son compte. C'est chose faite en 1949. Avant de démissionner, il a pris le temps d'établir des contacts avec tous ceux qui, dans le domaine de la carrosserie automobile, pourraient lui confier des missions afin de se constituer un premier portefeuille de clients. Sa première visite est pour Alfredo Vignale. Ils ont travaillé ensemble pendant dix ans aux Stabilimenti Farina, et ont conservé d'excellentes relations, même si Michelotti est de huit ans son cadet. Vignale s'engage à fournir à Michelotti suffisamment de travail pour l'occuper. Michelotti quitte donc Allemano. Vignale tient sa promesse, confiant au jeune designer plusieurs missions afin que sa nouvelle activité soit profitable. D'ailleurs, Michelotti travaille quasi exclusivement pour Vignale. Mais ce dernier à clairement indiqué à son styliste qu'il ne doit pas être son unique client. Il est hors de question que Michelotti refuse des travaux proposés par d'autres carrossiers, même concurrents. La première chose à laquelle Michelotti doit s’habituer avec Vignale, c’était sa façon unique de travailler. Contrairement aux autres carrossiers italiens, les carrosseries de Vignale sont sculptées directement sur leur cadre. Cela permet de se passer d'une étape fastidieuse, la construction d'une forme en bois sur laquelle la plupart des carrosseries de production limitée sont construites. La méthode de Vignale pour supprimer cette étape exige des compétences exceptionnelles dans la mise en forme des panneaux. Ainsi, il devient évident qu’une carrosserie Vignale ne peut pas être absolument identique des deux côtés. Mais comme Vignale l’a toujours précisé avec malice, on ne voit jamais les deux côtés d’une voiture en même temps. Cette façon de travailler a un impact pour le styliste. Michelotti et Vignale discutent d’un dessin potentiel. Michelotti se retire ensuite dans son atelier, où il réalise une aquarelle du projet. Une fois la voiture acceptée par Vignale, Michelotti retourne à son atelier et réalise un dessin grandeur nature, techniquement parfait, que les employés de Vignale utilisent pour construire la carrosserie. La méthode peut paraître empirique, mais cela fonctionne. C'est ainsi qu'est né le plus prolifique duo entre un carrossier et un designer jamais vu dans l'histoire de l'automobile. Comme convenu, Michelotti répond à d'autres demandes, qu'elles émanent d'Allemano, Balbo, Boano, Ghia, Moretti, Osi, Scioneri ou Viotti.
Alfredo Vignale (1913/1969) et Giovanni Michelotti (1921/1980), près d'une Appia Convertible, 1957. Copyright Ferrari En 1950, la carrozzeria Vignale expose pour la première fois en dehors de ses frontières, au Salon de Genève. Cette présence coïncide avec une autre étape importante dans la carrière de Vignale. Enzo Ferrari, qui travaille avec Touring depuis ses débuts, prend contact avec Vignale. La rencontre entre les deux hommes va donner lieu à un flux régulier de carrosseries réalisées par Vignale, à partir de dessins de Michelotti. Enzo Ferrari semble avoir trouvé en Vignale l'homme capable d'interpréter au mieux ses idées. C'est Ferrari qui permettra réellement à Vignale de s'affirmer et d'acquérir une notoriété internationale. Ferrari 212 Inter, 1951. Copyright Entre 1950 et 1954, Vignale habille plus de 150 Ferrari, différentes les unes des autres au moins par certains détails. La majorité des carrosseries sont construites sur des châssis neufs tout juste livrés par l'usine de Maranello. D'autres sont réalisées sur des châssis habillés à l'origine par d'autres carrossiers. Ces voitures le plus souvent accidentées sont reconstruites. De toutes les Ferrari sorties des ateliers Vignale, environ la moitié sont des voitures de tourisme, les autres étant destinées à la course. Ferrari 212 Export, 1951. Copyright Ferrari 225 Export, 1952. Copyright Ferrari ne manque pas de claironner que son carrossier préféré est Vignale. Pourtant, sans bien en connaître les tenants, les relations amicales et d'affaires qui unissent les deux hommes vont s'arrêter. Enzo Ferrari n'a pas toujours été adroit dans ses contacts avec ses interlocuteurs, et Vignale ne sera ni le premier ni le dernier à se brouiller avec Ferrari. Dans la seconde moitié des années 1950, les seules Ferrari carrossées par Vignale sont des commandes privées. Heureusement, Vignale a désormais les moyens de vivre sans les commandes de Maranello. Ferrari 340 Mexico Berlinetta, 1952. Copyright 1950/55, Fiat, Alfa Romeo, Lancia, Riley et les autres ... Les années 1950 marquent un tournant décisif pour la carrozzeria Vignale. Sous l'impulsion créative de Giovanni Michelotti, le studio italien connaît une croissance exponentielle, se positionnant comme l'un des acteurs majeurs de la personnalisation automobile. Au début de la décennie, Vignale sort de son atelier en moyenne une voiture par jour. Cette productivité exceptionnelle s'explique par la présence d'une équipe expérimentée, de carrosseries au dessin simplifié et épuré, faciles à produire, grâce au talent de Michelotti. La demande est très soutenue. Les Salons de Genève et de Turin, deux événements majeurs du calendrier automobile, sont les vitrines idéales pour Vignale. C'est là que le carrossier italien présente ses dernières réalisations, suscitant l'admiration des passionnés et des professionnels. En exposant ses créations aux côtés des plus grandes marques, sa notoriété ne cesse de croître. Les salons sont aussi l'occasion de nouer des contacts avec de potentiels clients, qu'il s'agisse de particuliers fortunés ou de constructeurs automobiles souhaitant confier la réalisation de prototypes ou de petites séries. Nous évoquons ici quelques-unes de ces créations. Les énumérer toutes tiendrait de la mission impossible dans le cadre de ce dossier. Les lignes et les courbes de la Fiat 1400 Orchidea de 1950 témoignent de la maîtrise de Michelotti dans l'expression d'un luxe discret. Disponible en versions berline et cabriolet, l’Orchidea s’adresse à une clientèle exigeante. Son triomphe au concours d’élégance de Venise confirme la réputation d’excellence du binôme Vignale/Michelotti nouvellement créé. Fiat 1400 Orchidea Vignale. Copyright Cette Riley RMB est commandée par un client à la recherche d’un véhicule unique. Présentée pour la première fois au concours d'élégance de Rome en 1951, la Riley RMB Vignale y remporte le prix de sa catégorie. La voiture est ensuite exposée au Salon de Turin en 1952. Le même dessin de carrosserie sera adapté à un châssis de Lancia Aurelia B50 Coupé. Riley RMB Vignale. Copyright L'intérêt de Vignale pour les marchés étrangers s'exprime de manière évidente. Briggs Cunningham visite les ateliers Vignale juste avant les 24 Heures du Mans 1952. Le concessionnaire Ferrari de New York, Luigi Chinetti, lui a suggéré de s'adresser au carrossier turinois. Cette visite est un succès. Cunningham passe commande de 23 carrosseries destinées aux voitures qu’il construit à West Palm Beach, en Floride. Cunningham C-3 Continental Coupe. Copyright Vignale expose à Turin en 1953 ce coupé Fiat 1100 Coupé signé Michelotti, auteur d'une ligne élégante, avec un toit bas et des pointes arrondies prononcées à chacune des quatre extrémités. Le capot court jusqu'à la calandre de forme assez verticale, tandis que les phares sont placés très bas dans des ouvertures oblongues en tunnel. Le pare-chocs avant est en deux parties, et protège bien mal la calandre.
Fiat 1100 Coupé Vignale. Copyright Cette voiture Volvo PV444 Elisabeth I de 1953 est destinée à la famille royale de Belgique. Ce sont les plus belles années pour Alfredo Vignale, qui est devenu en peu de temps l'égal des Zagato, Bertone ou Pinin Farina. C'est sans conteste un des représentants majeurs de l'école de la carrosserie italienne d'après-guerre. 1953, c'est aussi l'année de la disparition des Stabilimenti Farina, ancien employeur d'Alfredo Vignale. Volvo PV444 Elisabeth I Vignale. Copyright L’Alfa Romeo 1900 Sprint Vignale de 1953 présente une personnalité qui la distingue des autres interprétations construites par d'autres carrossiers sur le même châssis 1900 Sprint. Ce coupé présente des lignes épurées et des détails raffinés. L’avant est audacieux, avec sa calandre proéminente.
Alfa Romeo 1900 Sprint Vignale. Copyright Un châssis Aston Martin DB2/4 arrive chez Vignale en septembre 1954. Le carrossier crée une nouvelle carrosserie fastback en aluminium, façonnée à la main, avec un grand hayon arrière vitré en plexiglas, un pare-brise enveloppant et un intérieur habillé de cuir fauve, une architecture de tableau de bord couleur carrosserie et des détails chromés. La voiture est livrée à son propriétaire aristocratique, le roi Baudouin, le 10 mars 1955. Aston Martin DB2/4 Vignale. Source : https://aston.co.uk Au Salon de Turin 1955, le stand Vignale attire un nombre extraordinaire de visiteurs venus admirer la carrosserie rouge et noire provocante du " Démon Rouge ", un coupé aux lignes délibérément à contre-courant, construit sur un châssis de Fiat 8V. C'est une commande personnelle du médecin de Giovanni Vignale. Ce prototype étonne avec son toit en porte-à-faux sur la lunette arrière. Deux autres exemplaires seront construits, mais avec des formes assagies.
Vignale Démon Rouge. Copyright Vignale produira une petite série de ce coupé Fiat 600 " Rendez-vous " en 1955. La configuration moteur arrière de la Fiat 600 offre à Michelotti une liberté créative inédite, qu'il exploite pour concevoir de nouvelles formes, notamment au niveau de la face avant. Fiat 600 " Rendez-vous " Vignale. Copyright Parallèlement aux " fuoriserie ", le public peut opter pour des " elaborate ", des Fiat de série qui conservent la carrosserie d'origine. Esthétiquement, ces voitures sont enrichies par des équipements plus riches, du chrome à profusion, et parfois une peinture deux tons. Le plus souvent, les moteurs sont préparés. Vignale est contraint de sous-traiter une partie de ces productions, afin de répondre à la forte demande, ce qui réduit d'autant ses marges. 1957, Standard D'année en année, la Standard Motor Company s'essouffle sur un marché extrêmement concurrentiel. Les récentes Ford Zephyr, Vauxhall Velox, Humber Hawk ou Singer Gazelle empiètent sur le territoire de la Vanguard. A Coventry, on décide de faire appel à Vignale et Michelotti pour offrir un lifting à l'auto. Le résultat est présenté au Salon de Londres en octobre 1958. Standard Vanguard Vignale Saloon. Copyright 1957, Lancia Appia En 1957, Vignale remporte un contrat majeur avec Lancia pour la production de l'Appia Cabriolet. Ce succès, inattendu, met rapidement en lumière les limites de ses installations. Pour faire face à cette croissance soudaine, Vignale est contraint de louer un entrepôt supplémentaire, solution temporaire qui ne résout pas à long terme le problème de l'étroitesse de ses ateliers. A l'instar de ses concurrents Pinin Farina et Bertone, installés à Grugliasco, Vignale devra envisager un déménagement pour assurer son développement. De 1957 à 1962, 1 584 cabriolets Appia sont construits en deux séries : les premières voitures sont des deux places, tandis que les suivantes sont des 2+2.
Lancia Appia Convertible, 1959/1963. C'est un cabriolet d'une élégance incontestable, qui attire surtout une clientèle féminine. CopyrightVignale produit de 1959 à 1961 le coupé Appia Lusso à 477 exemplaires. C'est relativement peu si on compare ce nombre aux 1 087 coupés Pinin Farina ou aux 721 Sport Zagato. Son prix élevé freine sa diffusion, 1,8 million de lires, à opposer au 1,275 million de la berline quatre portes, et au 1,75 million du coupé Pinin Farina, plus original par son style. Son positionnement est quelque peu bancal sur le marché. La Lusso est présentée comme une berline deux portes, pas comme un coupé ou un coach. Les derniers exemplaires seront écoulés avec de forts rabais. La Lancia Appia Lusso de Vignale est typique de la fin des années 50, avec des ailes rectilignes et un habitacle très lumineux. La voiture est officiellement inscrite au catalogue Lancia. Copyright 1958, Triumph Italia En 1957, Salvatore Ruffino crée une société pour distribuer les automobiles Standard Triumph en Italie. Mais ses ambitions vont bien au-delà de ces importations. Il souhaite en plus commercialiser sa propre interprétation de la Triumph TR3, sous la forme d'un coupé. Deux carrossiers sont contactés. Zagato ne parvient pas à convaincre Ruffino. C'est l'offre combinée de Vignale et de Michelotti qui est retenue. Un accord est trouvé avec Standard Triumph qui accepte de fournir l'importateur italien en châssis et en composants mécaniques. Le projet vise une production de 1 000 exemplaires chez le carrossier Vignale, répartis sur 1960 et 1961. Un premier prototype de l'Italia 2000 est exposé au Salon de Turin en 1958.
Italia 2000, Salon de Turin 1958. Copyright La voiture remporte un vif succès de curiosité. Après quelques modifications de détail, la production est lancée. La carrosserie en aluminium du prototype est remplacée par de l'acier. Mais chez Triumph, on est plus préoccupé par le lancement à venir de la TR4 que par les livraisons à Vignale. Les promesses ne sont pas tenues. C'est vrai que l'Italia est susceptible de rentrer en concurrence directe avec la TR 4, elle aussi d'inspiration italienne, puisque également dessinée par Michelotti. Le désengagement de Triumph ne permet pas à Ruffino d'exporter en quantités importantes son Italia 2000 aux Etats-Unis, le marché certainement le plus apte à absorber une large part de la production. 297 châssis auraient été livrés et carrossés chez Vignale.
Triumph Italia. Copyright 1960, Maserati 3500 GT Cabriolet Les premières livraisons de Maserati 3500 GT ont commencé en 1957. Ce type d'automobile sportive et prestigieuse répond à une demande forte de l'économie italienne, en plein boom. La clientèle se retrouve parmi les industriels, les acteurs de cinéma, les aristocrates et autres play-boys, les pilotes de course ... Les acheteurs américains se sont vite manifestés en réclamant, une version découvrable. Touring fait deux propositions, mais c'est celle de Vignale qui est retenue. La production démarre en 1960 après le Salon de Genève. Le dessin de la carrosserie est signé Michelotti. La Maserati 3500 GT Cabriolet est produite jusqu'en 1964.
Maserati 3500 GT Cabriolet, 1960. Copyright 1961, 177 strada del Portone à Grugliasco C'est finalement en août 1961 que Vignale prend possession de sa nouvelle usine, située 177 strada del Portone, à Grugliasco, dans la proche banlieue de Turin, là où se trouvent déjà Pinin Farina et Bertone. Ce changement marque de manière évidente le passage d'une activité demeurée relativement artisanale à une production semi-industrielle. Vignale devient un constructeur automobile à part entière. La surface des ateliers a plus que triplé. Ce type d'expansion à grande échelle n'est pas sans risque financier, mais pour l'instant, il y a suffisamment de travail pour voir l'avenir avec sérénité. Pour autant, Vignale poursuit la fabrication de modèles uniques pour quelques clients privilégiés. L'usine Vignale de Grugliasco, mise en service en 1961, près des usines Fiat Mirafiori. Copyright L'usine emploie 150 personnes, et dispose de lignes de production pour l'assemblage et la finition. Alfredo Vignale fait travailler dans la région plusieurs sous-traitants. Il s'agit de ses fournisseurs d'accastillage, de selleries, d'accessoires, de chromes et de pièces embouties. La plupart d'entre eux sont des amis de longue date. D'ailleurs, Vignale fonde avec eux le " Gruppo Vignale ". Certes, Vignale s'adapte à l'évolution de la profession. Mais Fiat, Lancia et Alfa Romeo commencent aussi à développer une gamme de coupés et de cabriolets très séduisants, à des tarifs bien moins élevés que ceux des carrossiers, même s'ils sont moins exclusifs et si leurs mécaniques sont moins aiguisées. L'entrée de la nouvelle usine. Copyright 1961, Vignale Kelly Passionné de design automobile, Gordon Kelly, alors employé chez Brooks Stevens, conçoit la GT de ses rêves. Après avoir réalisé une maquette à l'échelle 1:8 et acquis une Chevrolet Corvette, il se rend en Italie, à Turin, pour trouver un carrossier capable de donner vie à son projet. Malgré la barrière de la langue, il convainc Alfredo Vignale de relever ce défi. La Corvette est transportée par avion en Italie. Vignale, en sous-traitant une partie des travaux à Simona & Basano, parvient à créer une voiture unique, fidèle au dessin de Gordon Kelly. Présentée au Salon de Paris 1961, la Kelly suscite l'enthousiasme de la presse spécialisée. Elle fait l'objet d'articles élogieux dans de prestigieux magazines comme Car and Driver et Road & Track. Restée entre les mains de son créateur jusqu'à son décès en 1995, elle sera alors acquise par un collectionneur, avec tous les documents d'époque ayant permis sa construction.
Vignale Kelly. Copyright 1962, Maserati Sebring En 1962, Maserati produit une dizaine de voitures par semaine. Le constructeur est en confiance. Il présente au Salon de Genève un nouveau coupé pour répondre à ceux qui trouvent que la Maserati 3500 GT de Touring commence à dater un peu. Réalisé sur le châssis court du cabriolet 3500 GT, Michelotti et Vignale sont à la manoeuvre. Les points marquants de la Sebring sont la présence de quatre projecteurs, d'une calandre rectangulaire ornée du fameux trident, de deux prises d'air disposées derrière les passages de roues avant et de montants centraux qui sont inclinés selon l'angle des montants avant. Les surfaces vitrées sont généreuses, et l'arrière est sobrement dessiné. 444 Sebring, toutes revêtues de la même carrosserie Vignale, seront produites jusqu'en 1966.
Maserati 3500 GTi/Sebring, 1962. Copyright 1962, Lancia Flavia Au Salon de Genève 1962 est présentée une nouvelle version de la Lancia Flavia, la Convertible. Comme c'est l'usage, les lignes sont dues à Michelotti, et la carrosserie est produite chez Vignale. C'est la dernière création originale de Michelotti pour Vignale. Lors de son lancement, il s'agit d'une des rares décapotables à quatre places du marché. La Flavia cabriolet s'adresse à une clientèle choisie, en particulier aux dames élégantes ! Sa production de 1 601 exemplaires va s'échelonner jusqu'en 1967.
Lancia Flavia Convertible, 1962/67. Copyright 1962, Alfredo Zanellato L'un des premiers prototypes construits en 1962 dans l'usine de Grugliasco est la " 1000 Record Sperimentale ", basée sur une Fiat 600 D. Son design n'est pas de Michelotti, mais d'Alfredo Zanellato Vignale, neveu d'Alfredo Vignale. La voiture est présentée une première fois au Salon de Turin, puis dans une version revisitée à Genève en 1963, qui se distingue par ses roues avant et arrière carénées. Alfredo Zanellato Vignale est ingénieur de formation et designer de profession. Il est l'auteur d'une importante biographie sur son oncle. Son éclectisme l'a amené à explorer de nombreux domaines de connaissances, dont la musique, le théâtre et l'écriture, mais sa passion pour l'art figuratif a été le fil conducteur tout au long de son existence, qui a toujours alterné avec son métier de designer dans tous les domaines, de l'automobile aux bateaux, des objets d’ameublement aux brevets industriels, avec quelques incursions dans le domaine de l’architecture. Ses œuvres les plus importantes sur l'automobile ne sont pas de simples illustrations, mais de véritables peintures enrichies de décors et de personnages. (Source : https://simonemascolo.wixsite.com)
Fiat 600 D "1000 Record Sperimentale ". Copyright 1963, Virginio Vairo Présentée au Salon de Turin en 1963, la Fiat 1500 Sportiva Vignale porte la signature de Virginio Vairo, nouveau responsable du style de Vignale depuis le début de l'année. Recruté chez Pininfarina où il exerçait comme dessinateur technique, Vairo démontre un solide sens des proportions et un talent certain pour l'équilibre des volumes. Si son travail est techniquement irréprochable, il manque toutefois une part de flamboyance qui caractérisait les créations de son prédécesseur, Giovanni Michelotti.
Fiat 1500 Sportiva, Turin 1963. Copyright Giovanni Michelotti a en effet décidé de cesser sa collaboration avec Vignale. Il a pour objectif de s'installer à son propre compte. Le style et le caractère final d'une voiture sont grandement déterminés par l'interprétation personnelle du carrossier. En cela, Vignale est le maître incontesté, tout comme Michelotti est le maître de la créativité et de l'imagination. Cette séparation qui satisfait les aspirations légitimes de Michelotti va au final se révéler négative pour les deux parties. Avec le programme d'expansion en vue, il est naturel que Vignale souhaite disposer d'une équipe de design en interne. Avec son neveu Alfredo Zanellato en 1962, et maintenant avec Virginio Vairo, il est évident que Vignale doit pouvoir travailler en toute autonomie. On ne connaît pas les causes réelles de la séparation avec Michelotti. Cependant, étant donné que depuis le début de leur collaboration, Vignale a été très explicite sur le fait que Michelotti devait accepter d'autres travaux que les siens, il semble probable que les deux hommes aient discuté de la question. Années 60, les séries de Grugliasco Dans les années 60, Vignale est devenu un constructeur à part entière. Il édite ses propres brochures publicitaires. Le public français peut découvrir ses réalisations auprès de son distributeur exclusif pour l'Hexagone, General Automobile Monégasque (GAM), nommé en 1966, et installé comme son nom l'indique à Monaco. Durant ces années, la structure de la gamme va s'appuyer sur plusieurs modèles Fiat. La 500 donnera naissance à la Gamine, d'allure rétro, la 600 attend d'être remplacée par la 850, qui sera proposée d'emblée au Salon de Turin 1964 avec trois carrosseries, un coupé 2+2, un coach 4 places et un cabriolet, la 1500 sera disponible sous forme de deux coupés d'allure différente, l'un habitable, l'autre plus sportif, la 124 Eveline sera un coupé aux lignes plus tranchées, et enfin la 125 Samantha fera ses yeux doux aux clients. Le début de cette nouvelle décennie est marqué par le tournant de l'industrialisation. Pininfarina et Bertone ont été les premiers à comprendre cette nécessité. L'artisanat ne suffit plus à faire vivre les ateliers de carrosserie. Les " fuoriserie " et les " elaborate " produites en séries limitées ne peuvent subsister que si les ateliers produisent en parallèle des modèles en plus grand nombre, et de manière industrielle.
Alfredo Vignale, 1964. Source : Moteurs N° 45. Copyright 1960, Fiat 600 Dès 1956, Vignale dévoile au concours d'élégance de Sanremo un prototype de coupé basé sur la Fiat 600, caractérisé par un toit en plexiglas ouvrant en deux parties. Ce modèle, rapidement simplifié, est produit en petite série sous le nom de Sabina. En parallèle, Vignale propose La Chérie, un coach spacieux disponible en version 2+2 ou 4 places (La Chérie Grand Luce), étendant ainsi sa gamme de carrosseries sur base Fiat.
Fiat Coupé 600 D Vignale. Copyright Fin 1960, Vignale revisite sa gamme en s'appuyant sur la Fiat 600 D, plus puissante que sa devancière. Giovanni Michelotti crée pour l'occasion un élégant coupé et un roadster aux lignes inspirées de ses réalisations pour BMW. Ces modèles remportent un vif succès, tant en Italie que sur les marchés étrangers, notamment en Allemagne où ils sont produits sous licence par Fiat Neckar et commercialisés sous les noms de Jagst 770 Riviera Coupé et Spyder.
Fiat Spider 600 D Vignale. Copyright 1962, Fiat 1300/1500 Berlinetta Vignale propose des carrosseries sur mesure pour les nouvelles Fiat 1300/1500 lancées en 1961. Deux créations radicalement différentes sont exposées au Salon de Turin 1961, un coupé quatre places aux lignes anguleuses, et la Glenn, une étude stylistique audacieuse aux accents aéronautiques. Après avoir subi de légères modifications qui la rendent moins extrême, notamment l'adoption d'un roll-bar en forme de T, quelques exemplaires de la Glenn sont commercialisés. Revenons au coupé 1300/1500. Michelotti se remet au travail, et expose une nouvelle version au Salon de Genève 1962, qui est immédiatement commercialisée. Elle va évoluer par touches successives durant la décennie, et restera un modèle phare au catalogue de Vignale sous le nom de 1300/1500 Berlinetta.
Vignale 1300/1500 Berlinetta. Copyright 1964, Fiat 850 La sortie de la Fiat 850, qui remplace la 600, inspire les carrossiers présents au Salon de Turin 1964. Vignale propose une gamme complète comprenant un coupé, un cabriolet et un coach, des modèles qui seront assez largement exportés. Michelotti a défini le style de ces trois carrosseries, disponibles en version normale ou avec la finition Lusso Export. Ces trois dérivés seront produit jusqu'à la fermeture de l'usine.
Fiat 850 coupé, cabriolet et coach. Copyright
Fiat 850 cabriolet Vignale. Copyright 1964, Fiat 1300 Coupé Après la séparation avec Michelotti, le manque de succès des voitures sortant de Grugliasco va contribuer au lent déclin de la marque. Bien que les Vignale soient des voitures bien conçues, elles ne parviennent plus à susciter l'engouement d'un nombre suffisant de clients prêts à payer un supplément important pour un modèle exclusif. La concurrence est rude face aux modèles que Fiat propose à son catalogue à des tarifs compétitifs, produits en série par Bertone ou Pininfarina. La 1500 Sportiva est retouchée pour une mise en production régulière. C'est désormais une 1300, avec un nouveau dessin de pavillon, qui permet d'améliorer son habitabilité.
Vignale 1300 Coupé. Copyright 1966, Fiat 124 Eveline Les Fiat 124 et 125 sont les dernières voitures, avec la 500 Gamine, sur lesquelles Virginio Vairo et Alfredo Vignale ont créé des carrosseries spéciales, produites en série en un nombre relativement important d'exemplaires.
Fiat 124 Eveline. Copyright Fiat vient de dévoiler la 124. Vignale s'attelle sans attendre à la création d'une version spéciale. En travaillant sans relâche, le prototype est prêt en deux mois pour être exposé au Salon de Turin en novembre 1966. Le coupé Fiat 124 par Vignale, bientôt appelée Eveline, dispose de quatre places confortables, et se présente comme une alternative intéressante, et en tout cas moins courante sur les routes, à la Fiat 124 Sport Coupé qui sera disponible à partir de 1967.
Fiat 124 Eveline. Copyright Alfredo Vignale est francophile. Plusieurs de ses créations portent des noms français, Alfa Romeo 1900 La Flèche, Fiat 600 La Chérie, Rendez-vous et Bijou, Fiat 850 Gamine, Fiat 1100/1300 Mignon et Elite, Fiat 8 V Démon Rouge, etc ... Alors on n'est pas surpris par l'utilisation d'un prénom à consonance française lorsqu'il s'agit de dénommer une nouvelle Vignale. 1967, Fiat 125 Samantha La 125 Samantha est dévoilée un an plus tard au Salon de Turin 1967. Elle affiche un caractère plus sportif avec un 1 600 cm3 à double arbre à cames. C'est un agréable coupé au profil fastback, avec des phares inclinables en forme de lentille, qui font penser à ceux de la Lamborghini Miura présentée un an plus tôt. On retrouve certains éléments empruntés à la Fiat 125, comme les feux arrière et les enjoliveurs. La voiture est assemblée au rythme de deux exemplaires par jour. Cela permet de compenser en partie la réduction des activités pour le compte de Maserati. Mais à deux fois le prix d'une Fiat 125 de série, la Samantha est difficile à vendre. Une centaine d'exemplaires auraient été produits. Les Eveline et Samantha resteront disponibles au catalogue jusqu'à la fermeture de l'usine Fiat Samantha. Copyright 1967, Fiat 500 Gamine Fin 1967, Vignale dévoile au Salon de Paris la Gamine, un spider façon rétro sur la base de la Fiat 500, dont les lignes rappellent - dans un format réduit - la Fiat 508 S Balilla Spider Mille Miglia de 1933. Alfredo Vignale qui voit son affaire se dérober sous ses pieds, doit innover et prendre des risques. Il pense qu'une clientèle jeune aimerait disposer d'une petite voiture dont le style évoquerait le temps passé, tout en offrant les caractéristiques d'une voiture contemporaine. En faisant ainsi, il s'inscrit dans une mouvance née avec l'Excalibur en 1964, qui s'est développée avec l'Alfa Romeo Gran Sport Quattroruote de Zagato en 1965, et plus récemment (1967) avec la modeste Siata Spring. Fiat 500 Gamine, 1967/1971. Copyright Hélas, la Gamine sur laquelle repose les derniers espoirs d'Alfredo Vignale s'essouffle vite commercialement. Le public italien habitué à un certain luxe de la part de Vignale n'adhère pas à cet objet trop basique et peu pratique, plus proche d'un jouet pour adulte que d'une véritable automobile. Le seul marché où la Gamine connaît un succès durable, c'est celui de la Côte d'Azur, en France, grâce au dynamique importateur GAM de Monaco. Celui-ci réussira d'ailleurs à faire de la Gamine la " pace car " sur le Grand Prix de F1 de Monaco en 1969 ! Années 60, Vignale et les grandes marques Fin 1967, Vignale produit deux 125 Samantha par jour, six 124 Eveline, huit 850 et dix 500 Gamine. Outre les modèles qui sortent de sa nouvelle usine, Alfredo Vignale répond encore à différentes commandes émanant de grands constructeurs, qu'il s'agisse de Maserati, AMC, Jensen, Tatra ... Ce sont encore six à sept Maserati Quattroporte et Mexico par semaine qui passent dans les ateliers, sans compter la présérie des Jensen Interceptor ... Cela correspond à une activité quotidienne d'environ 25 voitures. Ce n'est pas suffisant pour assurer la rentabilité de l'affaire. Il se creuse de manière alarmante un écart entre d'une part l'euphorie des salons, l'image flatteuse que renvoie la carrosserie italienne au monde entier et le nombre de pages que la presse consacre à ces voitures de rêve, et d'autre part les réalités économiques du secteur. Le nombre de carrossiers est en baisse constante, et plusieurs nom prestigieux ou moins connus disparaissent en silence. Touring sera de ceux-là. Quasiment tous les carrossiers encore installés travaillent en dessous de leur potentiel industriel. La démocratisation de l'automobile a été permise par une baisse des coûts de production, liée à une industrialisation à marche forcée. Face aux grands constructeurs qui parviennent à fournir des produits de plus en plus qualitatifs, les carrossiers composent encore avec des coûts de personnel élevés. La plupart sont fondamentalement restés des artisans qui ne visent pas autre chose qu'une production limitée, pour une clientèle privilégiée, et donc rare. D'autres difficultés se font de plus en plus prégnantes. Les carrossiers investissent peu en recherche et en développement. Ils vivent encore dans les années 1950. Leurs fournisseurs qui eux innovent pour ne pas se faire dépasser préfèrent travailler pour les grands constructeurs qui absorbent de plus gros volumes. Pour une entreprise comme Vignale, maintenir un réseau de vente en propre devient intenable de par la baisse des volumes. Autre source de difficultés, les conditions d'achat et de paiement des châssis deviennent de moins en moins avantageuses pour les carrossiers. Fiat, Lancia et Alfa Romeo n'ont plus besoin d'eux pour se développer. Enfin, de grandes maisons comme Fiat s'intéressent désormais aux marchés de niche. Celui-ci propose désormais ses propres dérivés coupé et spyder de la 850, qui sont produits en grande série. Cela tarit naturellement la demande du public auprès des carrossiers indépendants. Un modèle aussi marginal que la Gamine ne peut pas faire vivre Vignale. L'âge d'or des Cisitalia, Ferrari, Lancia, Maserati, Aston Martin et autres marques de prestige est bien révolu.
Alfredo Vignale. Source : https://www.fiat-850.nl 1965, Maserati Mexico La Maserati Mexico qui ne porte pas encore officiellement ce nom fait ses débuts au Salon de Turin 1965, sous la forme d'un prototype dénommé Coupé 5 litres 2+2. Virginio Vairo et Alfredo Vignale sont à la manoeuvre. M. Barroso habite Mexico. Il est le propriétaire d'une Maserati 5000 GT Allemano ayant appartenu au président du Mexique. A la suite d'un accident, la voiture a été rapatriée en Italie pour une remise en état. Quand M. Barroso a aperçu le prototype Vignale chez Maserati, il a demandé si sa carrosserie pouvait être montée sur le châssis de sa 5000 GT. Ce qui fut fait. Il devenait le propriétaire d'une nouvelle Maserati, du moins d'apparence. Le fait que la carrosserie ait été montée sur l'ancien châssis de la 5000 GT lui a permis d'échapper aux droits de douane lors de son retour au Mexique ...
Maserati Mexico. Copyright L'accueil du Coupé 5 litres 2+2 au Salon de Turin ayant été positif, Maserati décide de lancer la production avec le V8 de 4,7 litres qui équipe la Mistral, et non pas avec le 4,9 litres de la 5000 GT. Le coupé de Turin était une 2+2. Virginio Vairo reprend son étude pour en faire une quasi quatre places. La Mexico est finalement présentée sous sa désignation définitive au Salon de Paris 1966. Ce sont 481 exemplaires qui seront produits, au prix de quelques évolutions. Un autre modèle occupe les ateliers Vignale pendant ces années là. La Maserati Quattroporte a été dessinée par Pietro Frua, qui a assemblé à partir de 1963 les premiers exemplaires. Mais la production en série a été lancée chez Maggiora à Turin, la peinture et l'aménagement intérieur étant confiés à Vignale. 1966, AMX AMX1 L'Amérique se souvient encore de Vignale, le carrossier qui dans les années 1950 a habillé quelques Cadillac, mais qui est aussi l'auteur des Cunningham les plus élégantes, qui n'avaient alors pas grand-chose à envier aux Ferrari côté style. C'est ainsi qu'AMC, le quatrième constructeur américain, s'adresse à Vignale pour la réalisation de son prototype AMX 1. L'AMC AMX 1 (American Motors EXperimental) est présentée en 1966. Cette automobile compte quatre places assises, dont deux " d'urgence ", installées dans le coffre, selon une formule très populaire en Amérique dans les années 1920 et 1930. Les deux passagers supplémentaires ont leur visage protégé par un pare-brise qui fait surtout office de lunette arrière quand le coffre est fermé. Vignale a réussi l'exploit de terminer la voiture en seulement 78 jours, ce qui a permis à AMC de l'exposer au Salon de New York. La version définitive sera commercialisée en janvier 1968. Identifier de manière exacte la paternité de son dessin entre le studio AMC dirigé par Richard Teague et celui de Vignale reste un exercice périlleux, chacun ayant sans aucun doute apporté sa contribution. Hélas, la demande pour cette automobile (trop ?) singulière restera inférieure à ce qu'AMC espérait, avec une production cumulée qui n'a pas dépassé les 19 134 exemplaires jusqu'en 1970. AMX AMX1. Copyright Le 27 décembre 1966, l'irrésistible ascension d'Alfredo Vignale est enfin reconnue à son juste titre. Le président de la République lui remet les insignes de la Croix de Commandeur du Mérite de la République italienne. Il accepte ces honneurs, mais n'affichera jamais cette croix en public. Ses préoccupations du moment sont ailleurs. Son entreprise est en danger. Il doit fournir du travail à ses presque 200 salariés. 1966/67, Jensen En 1966, Vignale et Touring proposent l'un et l'autre au constructeur britannique Jensen un projet pour remplacer l'ancienne CV8, équipée d'un V8 Chrysler. A partir d'un châssis à l'empattement légèrement raccourci livré par l'usine à Vignale en octobre 1966, le carrossier présente sur son stand du Salon de Genève en mars 1967 un coupé deux places, joliment proportionné, attrayant et agressif à la fois, baptisé Nova. L'avant est doté de phares escamotables dissimulés sous des grilles. La voiture est verte, avec un toit noir. L'habitacle combine le noir et le beige.
Jensen Nova, Salon de Genève, mars 1967. Copyright Mais c'est le projet de Touring qui est retenue pour une production en série, qui va donner naissance à l'Interceptor. Hélas, Touring se débat à ce moment-là dans des difficultés financières, et il est dans l'incapacité de mener à terme la réalisation de la nouvelle carrosserie. C'est donc Alfredo Vignale qui finalise le prototype de son confrère, avant d'entreprendre la production en petite série des carrosseries. Les premières carrosseries livrées en Angleterre ne brillent guère par leur qualité de fabrication, au point de conduire Jensen à rompre le contrat. Les outillages sont rapatriés en toute hâte à l'usine de West Bromwich, qui va désormais assurer toutes les étapes de construction de la voiture. Jensen Interceptor. Copyright De retour chez Vignale, le prototype de Genève est démonté. La voiture est peinte en blanc cassé, et l'intérieur est habillé de cuir rouge. La lunette arrière est complètement redessinée. Des protections de seuil en acier inoxydable sont installées. C'est donc une toute nouvelle version de la Nova que le public découvre au Salon de Turin en avril 1967. Jensen Nova, Salon de Turin, avril 1967. Copyright 1968, Tatra Depuis les années 30, la marque tchèque Tatra doit son excellence au génie de Hans Ledwinka qui a été le premier à associer le " tout à l'arrière " avec un aérodynamisme de pointe. Mais si la Tatraplan de 1948 visait un public plus large que celui des administrations, il n'en est plus de même avec la T603 qui lui a succédé en 1955. Le grand frère soviétique n'a que faire de cette situation. Il préfère voir Tatra se consacrer à la production de poids lourds, son autre domaine de prédilection. Les défauts de conception de la T603 sont pourtant nombreux, et son esthétique est désormais hors d'âge. Milan Garcia, le chef du bureau technique de Tatra, va devoir, s'il veut renouveler ce modèle, composer avec les moyens du bord. Il réunit les meilleurs ingénieurs à sa disposition, et reprend les différentes études menées les dernières années. Plusieurs propositions émanent de ces travaux, mais aucune ne donne vraiment satisfaction, ni à Milan Garcia, ni à l'état-major de Tatra. L'ingénieur obtient l'autorisation de consulter à l'étranger, et c'est naturellement vers l'Italie qu'il se tourne. Tatra 613 Coupé, prototype Vignale, 1969. Copyright Après avoir écarté Michelotti et Bertone, Tatra passe commande d'une berline de grand luxe à Vignale. Nous sommes en janvier 1968. Alfredo Vignale et une partie de son équipe font le déplacement à Koprivnice pour s'imprégner de l'héritage de la marque. Quelques semaines plus tard, Milan Garcia et deux de ses collaborateurs viennent à Grugliasco examiner la proposition de Vignale. C'est une nouvelle déception. Alfredo Vignale écoute sereinement les critiques, et suggère à ses invités de profiter du week-end pour visiter la ville, avant de revenir le lundi. En deux jours, la voiture est totalement repensée, les équipes se relayant pour façonner une nouvelle maquette, qui cette fois correspond aux attentes de Milan Garcia. Malgré un contexte politique trouble qui se traduit par l'invasion du pays par les troupes du pacte de Varsovie le 21 août, mettant fin au fameux Printemps de Prague, Tatra est autorisé à poursuivre sa collaboration avec Vignale. Trois prototypes sont livrés en 1969. Tatra 613 Berline, prototype Vignale, 1969. Copyright Le style de la T613 est inédit avec ses arêtes vives et sa custode inclinée formant un creux que l'on retrouvera sur la Jaguar XJ-S en 1975 ... Vignale a fait l'impasse sur la traditionnelle fausse calandre qui permet de faire croire à la présence d'un moteur, au profit d'une face entièrement tôlée, avec des doubles phares aux deux extrémités. Les portes arrière tombent à la verticale sur le bas de caisse, sans la moindre interférence avec les passages de roue, ce qui contribue à une accessibilité exceptionnelle. Le pavillon surélevé nuit un peu à l'harmonie, mais l'ensemble dégage malgré tout une certaine élégance. La T613 résistera à la chute du bloc soviétique. Au prix d'efforts immenses pour la maintenir à niveau, la dernière T700, ultime évolution de la 613, sera produite en 1998. Tatra 613 Berline, prototype Vignale, 1969. Copyright 1968, Maserati Indy En 1966, Giorgetto Giugiaro signe les lignes de la Maserati Ghibli chez Ghia. Deux ans plus tard, en 1968, Vignale, sous la direction du style de Virginio Vairo, présente en avant-première au Salon de Turin un coupé 2+2 basé sur une plateforme raccourcie de Quattroporte. Ce modèle, destiné à remplacer la Sebring, est officiellement dévoilé sous le nom de Maserati Indy au Salon de Genève 1969. Maserati Indy, 1969/1973. Copyright Avec sa lunette arrière inclinée formant un hayon, l'Indy vise à capter une partie de la séduction visuelle de la Ghibli, tout en proposant une configuration plus pratique de type 2+2. Sa silhouette est moins spectaculaire, plus haute de 13 cm et plus imposante. L'Indy se révèle un bon choix sur le plan commercial pour Maserati, car il s'en vendra 1 136 exemplaires sur six ans, contre 1 149 coupé Ghibli sur huit ans. Ce modèle contribue à renforcer le partenariat entre Maserati et Vignale, un duo qui, à l'instar de Ferrari et Pininfarina ou de Lamborghini et Bertone, a marqué l'histoire de l'automobile italienne. Maserati Indy, 1969/1973. Copyright 1968, Matra Vignale expose au Salon de Genève 1968 un nouveau coupé basé sur l'un des premiers châssis de la Matra 530 (le n° 21). Il affiche une ligne bien plus italienne, que l'on pourrait qualifier de classique, que le modèle de série franchement atypique. Présentée en jaune en mars 1968, on retrouve la Matra 530 de Vignale à Turin en fin d'année en blanc et rouge. Le directeur commercial de Matra est séduit par cette proposition. Il pense en effet que la silhouette de la 530 nuit à sa carrière. Mais Philippe Guédon, s'y oppose, car il perçoit dans l'intervention d'un carrossier italien une atteinte à l'image de Matra. Cela restera une pièce unique, conservée de nos jours au musée Matra de Romorantin.
Matra 530 Vignale. Copyright Les problèmes financiers de Vignale ne sont pas encore connus quand Alfredo Vignale est honoré d'une autre reconnaissance, le " Mercurio d'Oro ", remise par le ministère de l'Industrie et du Commerce de l'époque, pour sa contribution au développement économique national. C'est Giuseppe, le frère d'Alfredo, qui reçoit ce prix pour son frère, qui n'aime pas de type d'apparition en public. 1968, le break de chasse Ferrari En 1965, une Ferrari 330 GT 2+2 est produite et exportée aux États-Unis à destination de l'importateur américain, la Luigi Chinetti Motors, dans le Connecticut. Quelques années plus tard, elle se retrouve entre les mains de Luigi Chinetti Jr., surnommé "Coco". L'artiste Bob Peak, désireux d'acquérir un break de chasse Ferrari, s'est heurté à un refus net de Maranello. Il contacte alors Chinetti pour concrétiser ce projet. Ensemble, ils font appel à Alfredo Vignale, qui accepte de transformer la 330 GT en un break unique, à condition de pouvoir l'exposer au Salon de Turin 1968. Le résultat est un véhicule radicalement transformé, sans aucun élément de la carrosserie d'origine. Les phares sont dissimulés derrière des grilles, et un imposant arceau divise le toit. Pour Vignale, au bord du gouffre financier, cette voiture résonne comme un chant du cygne, comme l'a été la Lamborghini Flying Star pour Touring en 1966. Ce type de carrosserie marginale ne présente en effet aucun potentiel commercial. Qui plus est, la 330 GT qui lui sert de base vient d'être retirée du catalogue Ferrari en 1968.
Ferrari 330 GT par Vignale au Salon de Turin 1968. Copyright A Turin en 1968, la future Maserati Indy, le break Ferrari 330 GT et la Matra 530 sont exposés. Le reste du stand est complété par les automobiles vendues sous la marque Vignale. Le stand est plus petit que les années précédentes. Il flotte malheureusement chez Vignale comme un parfum de fin de règne ... A l'usine, à défaut de produire des automobiles en nombre suffisant, on installe des toits surélevés sur des fourgons Fiat 238. 1969, une fin tragique. Sur le Salon de Genève 1969, Vignale n'expose plus que la Maserati Indy. Au printemps, Giuseppe Vignale, après 22 ans de collaboration avec son frère, quitte l'entreprise. Il n'est plus d'accord avec les décisions d'Angelo Balma, notamment concernant la baisse excessive des prix de vente. Il le trouve aussi trop arrogant avec les grands constructeurs sur les conditions de fourniture des châssis. Pour ne rien arranger, le plus gros distributeur de la marque, GAM à Monaco, fait faillite, laissant à Vignale de nombreux impayés. Alfredo Vignale, qui n'a pas d'héritier, prend contact avec Allessandro De Tomaso. Il connaît les ambitions de cet homme d'affaires argentin, qui détient déjà une participation majoritaire dans Ghia. Les négociations sont menées durant l'été et l'automne 1969. Alfredo Vignale a encore l'énergie pour réaliser un ultime prototype pour le Salon de Turin en novembre. Il ne veut pas perdre la face, lui qui a imposé à ses concurrents à se confronter, pendant près de deux décennies, à son courage et à sa maîtrise du métier. Ce prototype est un coupé Fiat 850, dont les lignes s'inspirent de la Lamborghini Miura, dans des proportions évidemment très différentes. Le résultat est assez maladroit. Un accord est signé avec De Tomaso, qui devient le propriétaire de 90 % des actions de Vignale en échange de la prise en charge des dettes de l'entreprise. Alfredo Vignale et Angelo Balma possèdent toujours 5 % des actions chacun. La carrozzeria Vignale est incorporée dans la carrozzeria Ghia. Alfredo Vignale garde la présidence de la société, mais devient un salarié de De Tomaso. Malgré tout, l'homme vit très mal cette situation. Il est usé physiquement et psychologiquement. Il se sent abandonné par ses anciens amis, ceux des heures de gloire. Alfredo décède dans un accident au volant de sa voiture, au matin du 16 novembre 1969, à seulement 56 ans. Il s'est probablement endormi au volant, a quitté la route et s’est fracassé contre un lampadaire. Après sa mort, personne dans la famille n'a ni l'envie ni les compétences pour participer à la direction de l'entreprise. Giovanni Balma abandonne lui aussi la partie. De Tomaso rachète les 10 % des actions qui ne sont pas encore en sa possession. Une seule chose l'intéresse, c'est la capacité industrielle de l'usine, moderne et bien organisée, qui pourra servir ses projets.
La ligne de production de la De Tomaso Pantera à Grugliasco. Source : https://pantera.infopop.cc 1970, Vignale sans Vignale La dernière apparition publique de la marque Vignale a lieu au Salon de Turin en novembre 1970. Le carrossier y expose un projet de petite citadine, la City Car. Le thème est alors très à la mode dans les bureaux d'études. Mais chez Vignale, il ne s'agit que d'un modèle statique. La carrozzeria réalise ses dernières commandes, notamment un prototype pour Monica, avant de disparaître en tant que telle. Alessandro de Tomaso s'empresse de réaménager les ateliers pour y assembler la nouvelle De Tomaso Pantera. Entre temps, l'acquisition de Ghia par Ford entraîne automatiquement le rachat de Vignale, qui en fait déjà partie. Pendant une décennie au moins, le nom de Vignale disparaît totalement, jusqu'à ce qu'il fasse son retour au Salon de Turin en 1984. Sur le stand Ghia trône un concept car dénommé TSX-4 Vignale (Touring Sports Extra 4-Wheel-Drive). Il s'agit d'un break haut de gamme, doté d'équipements futuristes. Par chance, le nom de Vignale reste accolé à un produit de luxe. D'autres prototypes porteront encore le nom de Vignale : la Mustang Vignale en 1985, la TSX-6 modulable en 1986, et un cabriolet en 1987.
Ford TSX-4 Vignale. Copyright Cette dernière création baptisée Lincoln Vignale ne manque pas d'intérêt. Elle se distingue par ses lignes épurées. Dessiné à Détroit, le prototype a été assemblé chez Ghia. Cette automobile aurait pu constituer une réponse valable à la Cadillac Allante conçue chez Pininfarina, et produite en partie des deux côtés de l'Atlantique grâce à la mise en place d'un pont aérien. Mais de manière inattendue, le projet est abandonné. La marque Vignale est de nouveau rangée dans un placard. Six années passent, quand le public découvre au Salon de Genève 1993 un projet pour une nouvelle Aston Martin Lagonda, réalisé chez Ghia sur un châssis de Lincoln Town Car, qui porte le nom de ... Vignale. Ses lignes détonnent, mélange de modernité et de style rétro. On évoque alors une production en petite série, mais l'idée est ici aussi très vite abandonnée. Les amoureux de l'automobile peuvent à juste titre s'agacer de constater cet amalgame insensé de nom prestigieux pour une seule voiture. A partir de 2004, on voit l'écusson Vignale réapparaître sur une Ford Focus Cabriolet, puis en 2013 sur une Ford Mondeo, en tant que finition de haut de gamme. Mais combien des propriétaires de ces Focus et Mondeo ont un jour entendu parler d'Alfredo Vignale ? Aston Martin Lagonda Vignale, 1993. Copyright |