Tatra
La marque tchèque Tatra passée dans la postérité pour ses carrosseries aérodynamiques a déjà une longue histoire derrière elle lorsqu'elle présente la berline T77 en 1934. En effet, la première voiture de ce constructeur, dénommée Präsident, date de 1897. Elle est née sous la marque Nesseldorf, nom de la bourgade qui accueillait l'usine. A l'issue du démantèlement de l'empire austro-hongrois et de l'indépendance de la Tchécoslovaquie proclamée en octobre 1918, Nesseldorf est officiellement rebaptisée Tatra en 1920, du nom des plus hautes montagnes du pays. Avant d'évoquer plus en détail l'histoire des automobiles Tatra, il convient de préciser que l'activité majeure de ce constructeur a toujours été la production de poids lourds, la fabrication des voitures de tourisme étant par vocation plus limitée et sans ambition commerciale ou exportatrice majeure. Un homme peu connu en France, mais célèbre en Europe Centrale, aura durant la première moitié du siècle une influence majeure sur les productions de Tatra. Son nom : Hans Ledwinka. Recruté en 1897 à l'âge de 19 ans, il est nommé directeur du département automobile de Nesseldorf en décembre 1905. Hans Ledwinka, après des allers et retours chez d'autres constructeurs, décide de rester définitivement chez Tatra à partir de 1921. Cet ingénieur a un parcours assez similaire à celui de Ferdinand Porsche. Tous les deux sont autrichiens d'origine. L'un fera carrière en Allemagne, l'autre en Tchécoslovaquie. Ils partagent quelques idées fortes sur l'automobile, comme l'implantation idéale du moteur à l'arrière et le refroidissement par air. Ce sont ces conceptions techniques avant-gardistes qui font la réputation de Tatra. Après que la Tchécoslovaquie soit annexée par l'Allemagne en 1938, certains accusent Porche, le père de la Volkswagen, d'avoir plagié les travaux d'Hans Ledwinka pour concevoir sa voiture du peuple. Mais les chemins de la vérité sont difficiles à établir dans l'écheveau embrouillé des influences. L'autre caractéristique majeure des productions Tatra est pendant près de quarante ans la recherche de formes aérodynamiques optimales. C'est à partir de la fin des années 20 que les ingénieurs de Tatra s'intéressent aux travaux de l'ingénieur hongrois Paul Jaray, jusqu'à acquérir plusieurs de ses brevets. L'étude de l'aérodynamique n'est encore qu'une science pratiquée par une poignée d'illuminés. Le dessin des automobiles n'a pas encore totalement pris ses distances par rapport à celui des engins hippomobiles. L'objectif poursuivi par Ledwinka est de proposer des automobiles suffisamment innovantes sur le plan technique et esthétique qui permettent de se démarquer des autres constructeurs. Chez Tatra, on ne s'embarrasse d'aucun tabou. Mais dans ce non-conformisme qui frise la provocation, voir la laideur aux yeux de certains, il n'y a aucune gratuité, tout est rationnellement justifié.
La Tatra T77 sur les nouvelles autoroutes allemandes ? Lors de la présentation de la T77 au Salon de Berlin, le 5 mars en 1934, les visiteurs n'en croient pas leurs yeux. Jusqu'alors, aucun constructeur n'a osé imaginer vendre une voiture aussi futuriste, aussi énigmatique, aux lignes aussi profilées. Chrysler avec son Airflow rejoint ce mouvement avant-gardiste la même année, mais conserve les marchepieds, appendices dont se passe la Tatra. Cet épisode est malheureux commercialement pour le constructeur américain. Tatra qui n'a pas les mêmes contraintes de rentabilité persiste. La T77 fait l'impasse sur le long capot pointu traditionnel et sur la haute calandre chromée. La ligne arrière qui s'étire à l'infini ajoute encore à l'audace de cette sculpture. Les surfaces vitrées latérales apparaissent pour l'époque généreusement dimensionnées. Cette impression de luminosité est accentuée par l'étonnante finesse des encadrements de vitres. Les accessoires décoratifs sont réduits à leur plus simple expression, qu'il s'agisse des poignées de porte, du pare-chocs avant ou de l'agencement de la planche de bord.
Tatra T77 Par contre, vers l'arrière, la visibilité est pratiquement nulle à travers les ouïes d'aération du capot moteur, mais à l'époque, la faible densité du trafic fait que l'on se soucie relativement peu de ce qui se passe derrière soi ... d'autant que la Tatra joue plus souvent le rôle de doubleuse que de doublée. Tatra est incontestablement un précurseur dans la généralisation des formes ponton, qui s'imposent définitivement dans les années 50 grâce au relais des constructeurs américains. La T77 mesure 5,20 mètres de long et pèse près de 1700 kg. Grâce à son profil en goutte d'eau, les seulement 60 ch emmènent la Tatra jusqu'à 145 km/h ... à condition de prendre son temps pour les atteindre. Le moteur arrière, une première pour Tatra, est un V8 2 958 cm3 refroidi par air.
Tatra T77 La T77 évolue en T77A en fin d'année 1935. Cette seconde version est sensiblement plus nerveuse. La cylindrée est portée à 3 380 cm3 et la puissance à 75 ch. Elle est plus longue que la T77 de 20 centimètres. Dans les faits, l'augmentation de puissance est neutralisée par la prise de poids, environ 100 kg. Quatre prise d'air sont aménagées pour refroidir ce gros moteur qui dégage beaucoup de chaleur. Un aileron central arrière est installé, qui va devenir une tradition chez Tatra et un signe distinctif de la marque. Il sert surtout à compenser la dilatation du capot, plus qu'à accroître l'aérodynamisme ou la tenue de route. L'absence de tunnel de transmission permet de libérer de la place pour six personnes. Un total de 255 Tatra T77 et T77A sont produites de 1934 à 1936, parallèlement aux petites Tatra bicylindres de plus large diffusion. Très chère et gourmande, la Tatra étonne plus qu'elle ne convainc l'éventuel acquéreur. Aucune voiture n'est vendue en France. Sans le savoir, les techniciens et ingénieurs du constructeur tchèque ont dessiné l'ébauche des Tatra jusqu'à la fin du siècle. Ils viennent surtout de faire rentrer la marque dans le cercle restreint des constructeurs anticonformistes, dans lequel on retrouve des noms aussi prestigieux que Citroën, Panhard, Voisin ....
Tatra T77 En novembre 1937, Hans Ledwindka persiste et signe, en présentant deux nouvelles voitures aérodynamiques, les T87 et T97. Plus compacte que la T77 avec 4,74 mètres, la T87 est aussi plus légère d'environ 20 % et mieux profilée, ceci sans perdre en habitabilité. Elle répond ainsi aux critiques émises au sujet du modèle antérieur, souvent jugé lourd et encombrant. Le nouveau V8 2 968 cm3 dispose de 75 ch. L'équipement progresse, avec l'adoption d'un toit ouvrant, d'un verrouillage de la direction pour éviter les vols, de sièges couchette, etc ...
Tatra T87 Le dessin de la T87 se caractérise par un phare central, des ailes arrière complètement fondues dans la caisse et de nouveau une imposante dérive longitudinale. La présence d'une vitre de custode apporte plus de luminosité à l'habitacle, et l'adoption d'un pare-brise en trois parties supprime les angles morts, à l'instar de la Panhard Panoramique de 1934. Admirateur des Tatra, Hitler destine quelques berlines T87 aux officiers de la Wehrmacht.
Tatra T87 En 1945, une production plus régulière de la T87 reprend dans le cadre d'un plan étatique provisoire qui favorise les exportations. La T87 d'après-guerre dispose de 79 ch et atteint 160 km/h, grâce à un allègement jusqu'à 1500 kg. La T87 connaît un succès d'estime sur certains marchés d'exportation, en Europe, en Australie, en Afrique et en Amérique du Sud. 3 023 exemplaires sont produits jusqu'en 1949. L'importateur Jacques Poch en aurait écoulé six en France.
Tatra T87 La seconde voiture dénommée T97 est comme une T87 en réduction, longue de seulement 4,20 mètres, à la finition simplifiée, et dotée d'un plus modeste quatre cylindres de 1 760 cm3 de 40 ch. Elle pèse environ 1100 kg, mais peut tout de même atteindre 130 km/h grâce à son profilage.
Tatra T97 En octobre 1938, les vicissitudes de l'histoire conduisent l'usine Tatra sous contrôle allemand. L'avenir de Tatra, tout comme celui de la Tchécoslovaquie, semble bien compromis. La T97, susceptible de concurrencer certaines productions allemandes, en particulier la future Volkswagen, est retirée du production après que 510 exemplaires aient vu le jour. Dans ce contexte trouble, Hans Ledwinka parvient tout de même à convaincre les Allemands de préserver l'activité de production automobile. C'est ainsi que l'assemblage des T87 se poursuit à petite cadence durant la guerre, parallèlement aux fabrications d'engins utilitaires. En 1945, les troupes russes chassent les Allemands de Tchécoslovaquie, et Hans Ledwinka est emprisonné par les Soviétiques. Il a alors 66 ans. Sa peine court jusqu'en 1951. Il lui est reproché des faits de collaboration avec l'occupant nazi, une accusation qui n'a d'ailleurs jamais été clairement établie. A sa libération, il s'expatrie à Vienne puis à Munich, où il meurt en 1967 sans avoir jamais remis les pieds en Tchécoslovaquie.
Tatra Tatraplan Au sortir de la guerre, l'usine entreprend de réaliser un nouveau modèle plus proche dans l'esprit de la berline T97, mieux en phase avec les attentes du marché. Suivant une suite numérique bien établie, la nouvelle T107, connue plus tard sous le nom de Tatraplan ou T600, est présentée au Salon de Prague en octobre 1947. Sa production ne débute qu'à la fin de 1948. La désignation de Tatraplan fait référence au plan économique initié par le nouveau pouvoir communiste en place depuis cette année-là. Sa carrosserie intégralement ponton en fait l'une des voitures les plus modernes de la fin des années 40.
Tatra Tatraplan Sous l'influence soviétique, l'industrie automobile est totalement nationalisée. Les dirigeants de Tatra parviennent une seconde fois à persuader le nouveau pouvoir politique qu'il ne faut pas abandonner la fabrication automobile. Les planificateurs n'ont en effet d'yeux que pour la production de poids lourds. Mais en cas d'abandon de la production automobile, il n'y aura plus de luxueuses limousines pour véhiculer les ministres. De plus, les exportations automobiles peuvent encore apporter quelques devises au pays.
Tatra Tatraplan La Tatraplan est la première Tatra dont la conception n'a pas été supervisée par Hans Ledwinka. Son 4 cylindres à plat de 1 952 cm3 développe 52 ch. Ses formes fluides lui permettent d'atteindre 130 km/h, malgré son poids de 1 300 kg. Le pare-brise en trois parties est abandonné au profit de deux vitres reliées par un joint étanche central. Le constructeur tchèque manifeste quelques velléités exportatrices. Plus de la moitié des Tatraplan quittent le pays, soit vers d'autres états du bloc communiste - les autorités chinoises en achètent 200 exemplaires - soit vers d'autres pays européens. La Tatraplan est véritablement considérée comme une voiture de connaisseurs. Il ne semble cependant pas y avoir eu d'amateurs suffisamment motivés en France, période où chez nous l'acquisition d'une voiture étrangère relève encore d'un parcours du combattant.
Tatra Tatraplan
Projet de 1954 pour la Tatra T603 La T603, sorte de mélange de Panhard Dyna Z et d'Hudson Hornet, succède à la Tatraplan. Bien que présentée en 1956, sa production limitée à environ un millier d'unités par an, ne débute qu'en 1958 dans une nouvelle usine à quelques kilomètres du siège historique.
La chaîne de la Tatra 603 en 1959 Très aérodynamique, la carrosserie de la T603 se caractérise par sa partie avant arrondie équipée de trois phares sous globe. Agrémentée d'une vitre arrière panoramique en deux parties et d'ailerons symboliques, la nouvelle Tatra V8 offre une silhouette insolite et plutôt massive. Son groupe moteur entraîne ses 1 400 kg à près de 165 km/h. On peut s'étonner que les autorités communistes laissent autant de liberté à Tatra pour concevoir ce type d'automobiles. Il s'agit vraiment de voitures d'ingénieurs, qui privilégient l'audace technique et l'originalité esthétique, au dépens de la rationalité des besoins du marché.
Tatra T603 Les Tatra transportent essentiellement les apparatchiks du parti, les sbires de la sécurité d'état, les dirigeants des combinats industriels et les hauts fonctionnaires des ministères et des ambassades, là où dans d'autres pays du bloc communiste, on se contente des limousines russes de marque Tchaïka ou Zil sans grande originalité. On peut penser dans le cas de Tatra que le pouvoir retire un certain bénéfice d'image, une certaine fierté à être transporté dans des automobiles à forte personnalité conçues sur place. Peu de particuliers ont le privilège de s'offrir une T603, si ce n'est en seconde main. Début 1963, la calandre à trois phares est remplacée par une forme plus classique à quatre phares. Une succession d'améliorations techniques et esthétiques marquent la carrière de la T603 jusqu'à son retrait du marché au cours de l'été 1975. Au final, toutes versions confondues, ce sont 20 422 exemplaires qui sont fabriqués. La T603 est régulièrement exposée lors des grands shows européens, mais peu d'exemplaires sont effectivement vendus en Europe de l'Ouest.
Tatra T603 Bien que ne subissant pas la même pression que les constructeurs de l'Ouest pour renouveler leur unique modèle, les ingénieurs de Tatra ne restent pas les deux pieds dans le même sabot. Un nouveau modèle est à l'étude durant les années 60, et il se matérialise en 1970 sous la forme d'une grande berline T613, dessinée par le carrossier italien Vignale. Sa production effective débute fin 1973. Pour la première fois depuis fort longtemps, une Tatra ose s'habiller de lignes anguleuses, plus en phase avec les critères esthétiques des années 70 Le nouveau V8 de 3,5 litres développe 165 ch. La vitesse de pointe est annoncée pour 190 km/h. Sur le plan technique, Tatra s'en tient à ses solutions traditionnelles, avec un refroidissement par air et une implantation arrière du moteur. Ce dernier aspect détonne franchement à une époque où la traction avant s'est naturellement imposée sur quasiment l'ensemble du paysage automobile, à l'exception de quelques irréductibles, parmi lesquels on compte l'autre constructeur tchèque Skoda, et ... Porsche !
Tatra T613 Au milieu des années 70, la production des Tatra est à son paroxysme, alors qu'en 1974 et 1975, la T603 et la T613 cohabitent quelques mois sur les chaînes de montage. Tatra sort de son usine 3 045 voitures en 1974, réparties équitablement entre les deux modèles. A partir de 1975, la production de la T613 décroît régulièrement, pour passer sous le seuil des 1 000 unités en 1978, puis se stabilise aux environs de 200 voitures au milieu des années 80, avant de connaître un dernier sursaut avec entre 400 et 600 voitures de 1986 à 1991. Comme ses prédécesseurs, la T613 est régulièrement exposée sur les salons internationaux, sans pour autant être exportée de manière régulière. Le processus de démocratisation instauré en Tchécoslovaquie après la chute du Mur de Berlin modifie la donne. Le constructeur est désormais ouvertement confronté à la concurrence des marques étrangères. Pour survivre dans ce milieu, il tente avec plus ou moins de bonheur de réactualiser sa T613, avec l'adoption d'un pot catalytique en 1991, d'un ordinateur de bord en 1993 ...
Tatra 613, 1991/93
En 1993, la Tatra 613 fut transformée en véritable bureau mobile En 1993, Tatra qui produit des toujours des poids lourds et des automobiles est racheté par un groupe américain. Les deux activités sont séparées. Le département automobile n'est absolument pas entraîné pour faire face à une quelconque concurrence. Il ne dispose pas du moindre réseau commercial digne de ce nom. Ses moyens financiers sont ridicules face à ceux des mastodontes allemands comme Mercedes, Volkswagen ou BMW. L'image de qualité et d'originalité des Tatra n'est plus connue que par quelques inconditionnels, voir par des nostalgiques de l'ancien régime. C'est dans ce contexte incertain que Tatra présente la T700 à Prague en 1996. Mais il ne s'agit hélas que d'un ultime replâtrage qui ne convainc pas grand monde. L'usine est exsangue financièrement, et est contrainte de se reconvertir vers des productions plus " alimentaires ", en l'occurrence un petit utilitaire léger connu sous le nom de Beta. La T700 parvient tout de même à séduire une soixantaine de nostalgiques. Le rideau s'abaisse définitivement au début de l'année 1998. La Tatra a survécu un peu plus de cinq ans à la disparition de la Tchécoslovaquie, pays remplacé le 1er janvier 1993 par deux nouveaux états, la République Tchèque et la Slovaquie.
Tatra T700 Voir aussi : http://leroux.andre.free.fr/jmptatra.htm |