Henri Théodore Pigozzi
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Il reprend en main la modeste entreprise familiale de transport hippomobile, une tâche qui se révèle être un véritable calvaire pour lui, souffrant de rhume des foins. C'est durant cette période, par profonde admiration pour Henry Ford, qu'il décide d'ajouter le prénom d'Enrico à son état civil. Ces années, bien que parsemées d'épreuves, lui serviront de véritable école, façonnant sa force de caractère et aiguisant son sens inné de la débrouillardise. Teodoro Pigozzi est mobilisé à la fin de la guerre de 1914/1918. En 1917, il sert aux côtés des forces alliées, où il travaille comme ouvrier ajusteur dans le domaine de l'aviation. Cette expérience lui offre une précieuse opportunité de se familiariser avec les principes de la mécanique. Ses débuts professionnels Après la guerre, Teodoro Pigozzi se lance dans la vente de motocyclettes Harley-Davidson et Indian dans la région du Piémont. Ces engins sont des surplus issus de l'armée américaine. Il perçoit rapidement que l'ère de la traction animale touche à sa fin, ce qui le pousse à céder l'entreprise familiale. Pour autant, il ne dispose pas encore des ressources nécessaires pour acquérir l'une des premières automobiles. L'Italie regorge d'une main d'oeuvre abondante et qualifiée. Ce qui lui manque par contre, c'est du charbon. A partir de 1920, Teodoro Pigozzi travaille pour une société qui se consacre à l'importation en Italie de charbon en provenance de la Sarre. Le traité de Versailles a attribué en 1919 ce bassin minier à la France pour compenser les dommages de guerre. Premier contact avec Fiat Comme il est quasi inévitable pour un passionné d'automobile à Turin, Teodoro Pigozzi croise en 1922 le chemin de Fiat. C'est dans un café, alors qu'il joue au billard, qu'il fait la connaissance de Carlo Cannone, un important négociant en ferraille. Rapidement, Cannone est frappé par l'intelligence et la vivacité d'esprit de Teodoro Pigozzi, et les deux hommes nouent une solide amitié. Peu de temps après, Cannone introduit Teodoro Pigozzi à Giovanni Agnelli (1866/1945), président et cofondateur de Fiat en 1899. Reconnaissant le sérieux de Teodoro Pigozzi, Agnelli lui propose deux opportunités d'emploi : la première concerne l'étude des possibilités d'implantation de Fiat en Australie, et la seconde, plus urgente, le besoin d'une personne capable de s'établir durablement en France pour y récupérer de la ferraille, matière première essentielle au bon fonctionnement des usines Fiat. Toutefois, toujours en charge de sa famille, H.T. n'a d'autre choix que de décliner ces propositions. La conquête des métaux En 1924, après le décès de sa mère, Teodoro Pigozzi reconsidère la proposition de Giovanni Agnelli. Il décide alors de s'installer à Paris pour y fonder la Société de Récupération de Métaux (SRM). Cette entreprise a pour mission de collecter des métaux en France, lesquels constituent un complément précieux pour la production d'acier dans les complexes sidérurgiques italiens, particulièrement ceux qui fournissent Fiat. Son entreprise et son logement personnel sont situés rue Blanche à Paris. Le travail de Pigozzi consiste à acquérir la ferraille provenant de la démolition de matériel militaire obsolète, notamment les navires de guerre, et à l'expédier en Italie. Dans l'Hexagone, l'approvisionnement en métaux est alors facile, car la France souhaite tourner la page de la guerre. Enrico Teodoro Pigozzi gère cette affaire avec une grande efficacité. Giovanni Agnelli a d'autres ambitions pour ce jeune homme, qui connaît désormais un peu mieux la France. Création de la SAFAF La transition stratégique de Fiat en France Depuis 1907, Ernest Loste, ancien champion cycliste, est l'importateur exclusif de Fiat en France. Son réseau est bien établi, comprenant trois succursales (Marseille, Nice, Strasbourg), un magasin sur la prestigieuse avenue des Champs-Élysées (au numéro 115), ainsi qu'un vaste réseau d'agents. Les affaires de Loste sont si prospères que la maison mère italienne commence à juger inacceptable qu'une entité française aussi petite gère la distribution de ses produits sur un marché aussi crucial. Cela tombe bien, Ernest Loste souhaite justement se retirer progressivement de ses activités de distributeur. Il co-fondera d'ailleurs l'Argus de l'Automobile en 1927, qu'il dirigera jusqu'en 1941 avant de céder sa place à son fils, Jacques Loste, qui y restera jusqu'en 2001. La famille Agnelli choisit alors Teodoro Pigozzi pour prendre en charge les intérêts de Fiat en France et pour y réorganiser la distribution de ses automobiles. Teodoro Pigozzi entreprend un tour de France pour rencontrer tous les agents de la marque. A l'issue de ce périple, il présente à Agnelli un projet détaillé de réorganisation du réseau de vente et d'après-vente, qui est rapidement validé Faisant preuve de son respect pour les hommes, une de ses qualités reconnues, Enrico Teodoro Pigozzi conserve de nombreux employés d'Ernest Loste au sein de sa nouvelle structure. C'est en août 1926 qu'est officiellement constituée la SAFAF (Société Anonyme Française des Automobiles Fiat). Ses attributions sont larges : " la fabrication, le montage, le garage, l'entretien, la réparation, l'achat, la location et la vente de voitures automobiles, de moteurs et de pièces détachées Fiat de quelque type que ce soit ".
H.T. Pigozzi, directeur général de la SAFAF, en 1926 - Copyright Mariage et francisation pour Teodoro Pigozzi En 1927, Teodoro Pigozzi épouse Marie-louise Cannone, l'une des trois filles de Carlo Cannone, le négociant en ferraille rencontré en 1922. Il profite de cet évènement pour franciser son prénom, et pour se faire appeler Henri Théodore, signant dès lors H.T. Pigozzi. En mars 1927, la société SAFAF conserve son acronyme, mais sa signification change. Elle devient désormais la Société Anonyme Française pour la vente des Automobiles Fiat. Les activités de fabrication et de montage sont exclues de ses statuts. On estime qu'envisager ces activités en France est peu réaliste car la gamme de Fiat est trop diversifiée. Sur le marché, cela conduirait à ne produire que de trop petites quantités pour chaque modèle. L'optimisme malgré la crise La fin des années 1920 et le début des années 1930 marquent un tournant difficile pour l'économie mondiale. La crise financière de 1929 frappe de plein fouet, et l'industrie automobile en ressent les effets. Aux Etats-Unis, la production de voitures chute drastiquement, passant de 5 620 000 unités en 1929 à seulement 3 500 000 en 1930. L'Europe n'est pas épargnée, connaissant également une baisse de production, bien que moins prononcée. Pourtant, malgré ce contexte morose, H.T. Pigozzi affiche son optimisme. Lors du banquet annuel de la SAFAF, organisé pendant le Salon de Paris en 1931, il prend la parole. Sa vision est claire : l'avenir de l'automobile réside dans la démocratisation des petites voitures. Il saisit cette occasion pour annoncer l'arrivée imminente d'une nouvelle petite Fiat. La Fiat 6 CV NB : le nom de SIMCA associé à celui de Fiat est utilisé sur la documentation publicitaire des 6 CV et 11 CV à partir de 1935. Avant cette date, ne figurait que celui de Fiat. En avril 1932, Fiat dévoile la Fiat 508 Ballila au Salon de Milan. Ballila est le nom d'une formation fasciste paramilitaire endoctrinant la jeunesse italienne du gouvernement Mussolini. Cette nouvelle voiture de 6 CV connaît un succès immédiat. Elle est économique, bien conçue, nerveuse, agréable à l'œil et sûre, notamment grâce à ses freins hydrauliques, parmi les premiers montés en série au monde. H.T. Pigozzi discerne rapidement le potentiel d'un tel véhicule né pour le marché français. Un jeune ingénieur, Dante Giacosa, promis à un grand avenir chez Fiat, a participé à son élaboration. L'objectif de H.T. Pigozzi est de commercialiser la 508 Ballila en France. Cependant, face au chômage, le gouvernement français met en place un protectionnisme accru, faisant grimper les tarifs douaniers à des niveaux inédits. Dans ces conditions, la SAFAF (Société Anonyme Française pour la fabrication en France des Automobiles Fiat) ne peut vendre la 508 Ballila importée de manière rentable.
Extrait de brochure publicitaire Fiat 6 CV - Copyright Heureusement, la législation française est plus clémente pour les véhicules importés en pièces détachées. Cette particularité conduit à un changement stratégique pour la SAFAF, qui adopte pleinement la fabrication dans sa dénomination : " Société Anonyme Française pour la fabrication en France des Automobiles Fiat ". Pigozzi doit alors convaincre la direction réticente de Fiat d'approuver ce modèle de production décentralisée et d'obtenir les plans nécessaires pour ses fournisseurs français soigneusement sélectionnés. La notion de montage français est d'une importance capitale, tant pour le public que pour le gouvernement. Pigozzi réussit à faire en sorte que les voitures produites à Suresnes soient reconnues comme des Fiat françaises. La production est alors répartie entre plusieurs entreprises françaises : les établissements Chaize à Paris préparent les moteurs, Renondin & Losson à Suresnes s'occupent des boîtes de vitesse et des engrenages, les ponts arrière proviennent de Saint-Étienne, et les carrosseries de chez Manessius à Levallois. Si certains éléments sont encore importés d'Italie, l'objectif est d'augmenter progressivement la proportion de composants français pour pouvoir annoncer des Fiat 100 % françaises.
Extrait de brochure publicitaire Fiat 6 CV - Copyright Tous les éléments sont assemblés au 34 Quai Gallieni à Suresnes, dans deux hangars, sur une petite ligne d'assemblage d'à peine plus de 30 mètres de long. Le personnel est composé d'ouvriers italiens qualifiés, parfois issus de Fiat, secondés par des compagnons français chevronnés. La plupart de ces derniers ont été recrutés après avoir travaillé pour d'anciennes marques de renom disparues lors de la crise du début des années 30. Cette équipe diverse forme une véritable communauté œuvrant dans le même intérêt. Les cadences sont encore modérées, et la qualité est une priorité absolue. Les ouvriers ont le sentiment de se situer légèrement au-dessus de la grande série. H.T. Pigozzi met ainsi en place les prémices de ce qui deviendra l'esprit SIMCA, une approche innovante de la conception automobile et de la promotion de la qualité. La première Fiat assemblée en France sort des ateliers de Suresnes en septembre 1932. Le lancement commercial de la 508 Ballila, appelée Fiat 6 CV en France, a lieu lors du Salon de Paris 1932. L'accueil réservé à ce modèle est très favorable et le site de Suresnes tourne à plein régime.
Extrait de brochure publicitaire Fiat 6 CV - Copyright Cependant, les limites d'une telle organisation se font rapidement sentir. H.T. Pigozzi comprend qu'il a besoin d'une véritable usine de construction automobile, plutôt qu'un simple atelier d'assemblage. Il réfléchit déjà à une nouvelle implantation en région parisienne, là où la main-d'œuvre qualifiée est disponible. La Fiat 11 CV Dès 1932, lors du banquet annuel de la SAFAF, H.T. Pigozzi, dirigeant visionnaire, laissait entendre qu'au-delà de la populaire Fiat 6 CV, il y a de la place pour une automobile plus prestigieuse. Il reste discret face aux questions de la presse. En 1933, au Salon de Milan, Fiat lève le voile sur la 11 CV type 518 Ardita (hardie). Cette voiture de luxe, conçue pour une diffusion plus confidentielle, est rapidement homologuée en France par le service des Mines sous la désignation Fiat 518. Exposée au Salon de Paris en octobre 1933, l'Ardita suscite l'admiration générale. Cependant, des droits de douane de plus de 50 % la rendent malheureusement hors de prix pour le marché français.
Extrait de brochure publicitaire SIMCA Fiat 11 CV - Copyright Fermement convaincu des qualités de la Fiat 11 CV, H.T. Pigozzi ne reste pas inactif face aux barrières douanières. Il voit en cette voiture un véritable porte-drapeau, capable de concurrencer les grandes marques françaises lors des nombreux concours d'élégance automobile estivaux. Ces événements, largement médiatisés, offrent une publicité inestimable pour s'imposer sur le marché. Malgré les contraintes d'espace à Suresnes, des solutions sont trouvées pour y installer une nouvelle ligne d'assemblage dédiée à la 11 CV. L'objectif est clair : produire une voiture qui, à terme, sera 100 % française. H.T. Pigozzi dévoile la 11 CV en 1934 lors des concours d'élégance, où elle connaît un succès retentissant. Sa carrosserie, œuvre du carrossier français Kelsch, souligne déjà l'intégration locale. Les livraisons de la Fiat 11 CV débutent au Salon de Paris.
Extrait de brochure publicitaire SIMCA Fiat 11 CV, 1936 - Copyright SIMCA Nanterre De Donnet à Simca Les tensions politiques entre la France et l'Italie sont vives. Mussolini rencontre Hitler une première fois en 1934, puis signe un protocole secret en 1936 pour coordonner leurs politiques étrangères. La visite officielle de Mussolini en Allemagne en 1937 marque un tournant dans leur rapprochement. Dans ce climat tendu, on imagine que toute demande d'installation d'une usine automobile italienne en France serait refusée. Pourtant, les dirigeants de Fiat, en la personne de H.T. Pigozzi et de ses collaborateurs, ont un défi à relever : ils veulent quitter les ateliers d'assemblage trop petits de Suresnes pour produire des Fiat en France, dans une nouvelle usine, tout en présentant l'opération comme une initiative 100 % française. Léon Constantin, conseiller juridique de la famille Agnelli et de Fiat, propose de créer une nouvelle structure. Il contacte ses relations d'affaires et suggère à huit personnalités influentes et respectées de prendre des parts dans une société dont il imagine le nom : la SIMCA, pour Société Industrielle de Mécanique et Carrosserie Automobile. Ces contacts sont majoritairement des hommes d'affaires influents, membres de divers conseils d'administration, et qui se connaissent pour la plupart. La SIMCA voit officiellement le jour le 2 novembre 1934. L'administration est loin de se douter que derrière ces figures respectables se cache une filiale du géant italien Fiat. Cependant, dans le secteur automobile, personne n'est dupe. SIMCA est créée, il reste maintenant à trouver une usine. Des recherches ont déjà été menées du temps de la SAFAF. La question de construire une usine neuve ou d'en racheter une existante s'est posée longtemps. Cependant, il n'est pas question d'acquérir une usine désuète des années 1900, comme celles abandonnées récemment par les petites firmes du début du siècle qui n'ont pas su suivre les avancées technologiques.
Affiche SIMCA Fiat de Guy Sabran - Copyright C'est H.T. Pigozzi et ses collaborateurs, sous la bannière de SIMCA, qui reprennent le dossier. Après avoir vainement cherché un terrain adapté en région parisienne, ils saisissent une rare opportunité de racheter une affaire existante qui correspond parfaitement à leurs attentes. Le 20 décembre 1934, le constructeur automobile Donnet, accablé par des difficultés financières insurmontables, est déclaré en faillite et cesse toute production. Son usine de Nanterre, construite récemment en 1927, répond aux critères de modernité souhaités par Fiat et H.T. Pigozzi. Roger Fighiéra, conseiller d'État au Ministère de l'Industrie et du Commerce, et également responsable de la commission des échanges franco-italiens, met en relation Jérôme Donnet et H.T. Pigozzi. Début 1934, sentant la faillite approcher, Donnet s'est ouvert de ses problèmes à Fighiéra, qui comprend immédiatement tout le bénéfice que H.T. Pigozzi – les deux hommes se connaissent bien – pourrait tirer de l'usine de Nanterre. La transaction initiale entre Donnet et H.T. Pigozzi prend la forme d'un contrat de location du site de Nanterre. Cela permet de gagner du temps pour finaliser les négociations d'achat et transférer tous les moyens de production de Suresnes vers Nanterre. L'envol de Nanterre Début 1935, H.T. Pigozzi est nommé Chevalier de la Légion d'honneur. Cette distinction lui est attribuée pour son rôle passé en tant que directeur général de la SAFAF, et lui est remise par Frédéric Manaut, ancien ministre et administrateur du journal l'Auto. SIMCA devient propriétaire du site de Nanterre le 29 mai 1935. L'acquisition inclut 1 300 machines-outils, dont la plupart sont obsolètes et bien différentes des équipements modernes de Fiat en Italie. Au printemps, les premières SIMCA-Fiat 6 CV sortent des chaînes de Nanterre. Les effectifs ont grossi grâce à l'arrivée de nombreux ouvriers de chez Citroën, suite au rééquilibrage du personnel opéré par Michelin, repreneur de Citroën, fin 1934. Le 28 juin 1935 se tient une assemblée générale cruciale, où six hommes clés se voient confier la destinée de SIMCA pour les années à venir. Parmi eux figurent André Dubonnet (des célèbres apéritifs), Roger Fighiéra, trois directeurs de banque (précieux pour les financements), et bien sûr, H.T. Pigozzi. Roger Fighiéra est nommé président de SIMCA, et H.T. Pigozzi directeur général. La SAFAF est officiellement dissoute le 1er juillet 1935.
Simca vient de remplacer Donnet à Nanterre - Copyright Au Salon de Paris en octobre 1935, le public retrouve les 6 CV et 11 CV présentées sous un panonceau Fiat. Le nom de SIMCA apparaît pour la première fois sur l'écusson de ces deux modèles, bien que discrètement, car il s'agit alors essentiellement de voitures Fiat. La presse ne mentionne même pas le nom de SIMCA, qui n'est encore qu'un sigle. Qui pourrait imaginer qu'il deviendrait un jour le deuxième constructeur français ? Aux plus curieux, les vendeurs expliquent que la SAFAF a simplement acquis une nouvelle usine, dont c'est le nom. Lors du banquet annuel des agents, durant le Salon, H.T. Pigozzi, avec son éloquence habituelle, annonce la sortie imminente d'une nouvelle voiture économique destinée à un vaste public. Il promet qu'elle " révolutionnera le marché " par sa présentation, son prix et sa technique. H.T. Pigozzi insiste également sur les moyens conséquents dont dispose SIMCA pour ses projets et évoque les trente années d'expérience de l'entreprise. En se tournant vers Ernest Loste, il fait clairement référence aux trente années de présence de Fiat en France, rassurant ainsi l'assemblée sur la continuité de cette présence. H.T. Pigozzi a de quoi se réjouir de cette réussite rapide : il dispose de la main-d'œuvre souhaitée, d'une usine moderne, d'un produit séduisant et d'un réseau de distribution dévoué. La SIMCA Cinq Le 30 mars 1936, la presse spécialisée découvre la SIMCA Cinq à Nanterre. Ce lancement devance de deux semaines celui de la Fiat 500 Topolino, sa cousine italienne. SIMCA en profite pour marquer un double coup : non seulement présenter sa nouvelle voiture, mais aussi dévoiler son usine de Nanterre, fraîchement modernisée et remise en service. C'est à ce moment que le nom de SIMCA sort de l'ombre, s'affichant clairement sur les façades des anciens concessionnaires SAFAF, une véritable affirmation de la marque. H.T. Pigozzi tient ce discours à ses invités : " L'usine Simca s'élève, vous le voyez, au dessus de Nanterre ; moderne par sa construction, elle l'est encore plus par son outillage et son organisation industrielle. Ici, bientôt 3 000 personnes seront employées et disposeront des machines-outils les plus performantes et les plus récentes qui soient. Des techniciens de l'organisation ont consacré des milliers d'heures à rationaliser et à faciliter le travail des ateliers dans lesquels tout a été mis en œuvre pour obtenir d'abord la qualité. Un contrôle régulier s'applique à toutes les phases de la fabrication des voitures et ce contrôle incessant, Messieurs, est la meilleure garantie d'une qualité constante. "
La Simca 5 et l'usine de Nanterre, illustration de Geo Ham - Copyright La SIMCA Cinq, bien que compacte, offre une habitabilité surprenante pour deux personnes. Mais c'est surtout son niveau de finition et d'équipement qui impressionne. S'imposer sur le marché des petites voitures est un défi, les marges y étant évidemment plus faibles. Pourtant, l'arrivée de la Cinq ne menace en rien les Fiat 6 et 11 CV, qui poursuivent leur carrière avec succès. H.T. Pigozzi a souhaité proposer une version de base à moins de 10 000 francs. Il s'agit d'un prix d'attaque, car ce modèle est très dépouillé dans son équipement, sans même de roue de secours. En pratique, la plupart des voitures vendues sont des versions mieux équipées, donc plus chères. Le public, lui, adopte très vite ce nouveau modèle. Même les chansonniers de Montmartre, lassés de toujours se moquer de la petite Rosengart, trouvent avec la Cinq un nouveau sujet de plaisanterie. L'objectif de Pigozzi, son leitmotiv depuis des années, est de produire 100 voitures par jour, un seuil qui reste encore à atteindre.
Brochure SIMCA Cinq (09/1937). Le nom de Fiat est toujours présent sur le logo- C'est le premier chiffre de la cylindrée, 570 cm3, qui lui donne le nom de Simca Cinq (et non la puissance fiscale, car c'est une 3 CV) - Collection ALR. L'année 1936 est également marquée par d'importants mouvements sociaux en France. L'usine de Nanterre, malgré sa jeunesse, n'échappe pas aux grèves. Les anciens ouvriers de Citroën, forts de leur " savoir-faire " en matière de mobilisation, jouent un rôle clé. H.T. Pigozzi se retrouve isolé et dépité, face à cette usine neuve mais à l'arrêt. Il se voit même interdire l'accès à son bureau par de nouveaux embauchés. La production ne reprendra que progressivement en juin, juste avant la fermeture estivale qui marquera l'avènement des premiers congés payés de l'histoire. En octobre 1936, le stand SIMCA au Salon de Paris arbore enfin un panneau portant son nom. C'est un moment historique : le tout premier Salon où la jeune marque expose sous sa propre identité, pleinement reconnue. La SIMCA 8 L'écusson de radiateur évolue : désormais, seul le nom SIMCA y figure, accompagné d'une hirondelle. Ce nouveau symbole incarne l'économie de carburant reconnue des véhicules SIMCA, un atout majeur dans cette quête de moindre consommation où l'entreprise prouve son succès. Travailler à Nanterre reste une tâche ardue. H.T. Pigozzi attend de ses équipes le même niveau d'engagement qu'il investit personnellement dans l'entreprise, se montrant exemplaire au quotidien. En octobre 1937, alors que Renault présente la Juvaquatre et que Peugeot s'apprête à lancer sa 202 en mars 1938, H.T. Pigozzi est serein. Il sait qu'il détient la voiture idéale pour contrer ses rivaux. La SIMCA 8, version française de la Fiat 508 C Nuova Balilla, est dévoilée au Salon de Paris 1937, en même temps que la Juvaquatre.
Brochure Simca 8 du Salon de Paris 1937. La direction commerciale de Simca demande à son réseau de faire figurer le nom de Simca 8 en chiffres et non en lettres, car dans le cas présent, le 8 symbolise officiellement non pas la cylindrée (1090 cm3), mais le millésime du nouveau modèle. Mais la presse écrite n'arrêtera pas de se mélanger les pinceaux, écrivant parfois Simca 5 et Simca Huit - Collection ALR. Le traditionnel banquet de fin d'année réunit 1 200 convives, un rassemblement d'importance regroupant concessionnaires, agents, journalistes et personnalités. Comme à son habitude, H.T. Pigozzi prend la parole. Il annonce des ventes en progression de 50 % pour l'exercice clos le 30 septembre 1937, et exprime une grande confiance dans le succès commercial de la Simca 8, dont la mise sur le marché est prévue pour le début de l'année 1938. Dernier Salon d'avant-guerre Le Salon de Paris de 1938 est la dernière exposition parisienne avant le début de la guerre. Le stand de Simca communique sur la combinaison de l'économie et de l'élégance dans la production en grande série. L'usine de Nanterre se concentre alors sur la fabrication de deux modèles : la Simca Cinq et la Simca 8. Au cours de l'année, 14 194 exemplaires de la Cinq et 6 739 exemplaires de la 8 sont produits. L'entrée en guerre Avant la guerre, H.T. Pigozzi, par son talent et sa détermination, a réussi à hisser sa marque au rang des grands constructeurs automobiles français, aux côtés de Citroën, Renault et Peugeot. C'était un objectif que Donnet n'a jamais pu atteindre. Cependant, cette réussite est rapidement remise en question avec la déclaration de guerre du Royaume-Uni et de la France contre l'Allemagne, le 3 septembre 1939, suite à l'invasion de la Pologne. SIMCA sous l'occupation Un dilemme pour H.T. Pigozzi Le 10 juin 1940, alors que la France est déjà en grande difficulté face à l'offensive allemande, l'Italie de Benito Mussolini déclare la guerre aux côtés de l'Allemagne. Mussolini espère ainsi s'assurer des gains territoriaux faciles et profiter de la victoire allemande imminente (l'armistice sera signée le 22 juin). Pour H.T. Pigozzi, fondateur de SIMCA et d'origine italienne, c'est un coup dur : sa patrie de naissance poignarde sa patrie d'adoption dans le dos. Pour protéger son entreprise, il informe les forces d'occupation de sa nationalité italienne et des liens étroits de SIMCA avec Fiat.
La circulation dans Paris pendant l'occupation allemande, 1940 - © : L'Illustration (www.lillustration.com) Il se trouve que le commissaire allemand de l'usine SIMCA de Nanterre est Hans Renken, un des directeurs de la Deutsche Fiat AG. Grâce à ces connexions, H.T. Pigozzi réussit à éviter de mettre toutes les ressources de son usine au service de l'effort de guerre du IIIe Reich, contrairement à Renault, Citroën ou Peugeot. L'usine de Nanterre peut ainsi continuer un temps à produire des SIMCA Cinq et SIMCA 8, avec environ 5 515 unités en 1940, 7 094 en 1941, 2 849 en 1942, et quelques centaines en 1943 et 1944. La majorité de ces voitures sont destinées à l'armée allemande ou à l'administration de Vichy. Les autres ressources disponibles sont tout de même mises sous contrainte pour fabriquer des patins de chenilles de chars et divers pièces mécaniques destinées au matériel allemand utilisé sur le front de l'Est. La GFA pour unir l'Industrie automobile Créée en 1941 durant l'occupation allemande, la Générale Française Automobile (GFA) est un regroupement d'industriels français de l'automobile. Son but principal est de rationaliser et d'organiser la production dans un contexte de grave pénurie des matières premières, et sous le contrôle de l'occupant. Présidée par le baron Charles Petiet, la GFA vise à unir les forces des constructeurs pour optimiser les approvisionnements et éviter une concurrence contre-productive. Dans une certaine mesure, il s'agit aussi de résister à l'affaiblissement de l'industrie française. Delahaye, Delage, Unic, Bernard et Laffly font partie de ce groupement. H.T. Pigozzi accepte la proposition du baron Petiet d'intégrer son entreprise à la GFA. Le basculement de l'Italie L'Italie bascule du côté des Alliés en septembre 1943, un tournant majeur causé par plusieurs facteurs. Les défaites militaires répétées, notamment en Afrique du Nord et sur le front russe, l'épuisement du pays face aux bombardements alliés intensifs, et surtout le débarquement anglo-américain en Sicile en juillet 1943, ont mis en lumière l'incapacité du régime fasciste de Mussolini à défendre le territoire. Mussolini est arrêté le 25 juillet 1943. Le nouveau gouvernement italien signe un armistice avec les Alliés le 3 septembre 1943, puis déclare la guerre à l'Allemagne le 13 octobre 1943. A Nanterre, ce changement de camp modifie la situation. L'usine est désormais dédiée à la maintenance des véhicules militaires allemands et à la fabrication de diverses pièces mécaniques pour l'occupant, notamment des composants pour les moto-chenilles NSU Kettenkraftrad. Il est à noter que NSU avait vendu son usine de Heilbronn à Fiat en 1929, permettant à Fiat de produire ses propres modèles en Allemagne sous la marque NSU-Fiat. Une forme de résistance passive semble s'installer à Nanterre, et, fait étonnant, l'usine échappe aux bombardements alliés.
Moto chenilles Kettenkraftrad NSU - Copyright Au début des années 1950, la plupart des documents relatifs à la période de l'occupation chez SIMCA auraient été retirés des archives et détruits. Pour ceux qui avaient traversé ces années sombres, évoquer cette période était douloureux. Ils préféraient mettre en avant les initiatives sociales de l'entreprise durant cette époque, telles que l'envoi de colis aux prisonniers et aux ouvriers du STO, ou encore l'aménagement d'un stade pour les employés près de l'usine. Le redémarrage Le prototype AFG Soupçonnés de collaboration, H.T. Pigozzi et Roger Fighiéra s'éloignent des affaires et de l'usine de Nanterre. En l'absence de H.T. Pigozzi, un ancien officier de marine, Chardenot, assure l'intérim au poste de directeur général de SIMCA. En octobre 1944, Jean Albert Grégoire est nommé directeur général technique, avec les pleins pouvoirs sur les études, la fabrication et le commerce. J.A. Grégoire est alors le promoteur d'une automobile de sa conception, l'AFG (Aluminium Français Grégoire), réalisée avec la participation de la société Aluminium Français à partir de 1942. La nationalisation menace SIMCA. Mais l'entreprise étant membre de la GFA, et H.T. Pigozzi entretenant de bonnes relations avec le baron Petiet, président de la GFA, ce dernier utilise ses contacts au ministère de la Production Industrielle pour éviter à l'usine de Nanterre le sort de celle de Renault à Billancourt. En contrepartie, SIMCA s'engage à produire la petite AFG.
J.A. Grégoire - Photo Jean-Pierre L'innovation majeure de l'AFG réside dans sa structure en aluminium moulé, visant à réduire considérablement son poids pour améliorer ses performances et les économies de carburant. Ce prototype intègre également des principes chers à Grégoire, comme la traction avant. L'objectif de l'ingénieur est de prouver la faisabilité d'une voiture légère, robuste et économique grâce à l'usage intensif de l'aluminium. La production de l'AFG par un constructeur français s'inscrit d'ailleurs dans le cadre du plan quinquennal, dit plan Pons. Il se trouve que J.A. Grégoire et Paul Marie Pons sont d'excellents amis ! Un prototype de l'AFG est gracieusement confié aux grands constructeurs français pour un mois. André Lefebvre chez Citroën montre curiosité et intérêt, mais l'usine de Javel finalise alors la mise au point de la 2 CV. Chez Renault, on ne croit pas à la traction avant. Grégoire aura la surprise de constater qu'à la présentation de la 203 en 1948, son pont arrière est coulé en alliage léger, manifestement inspiré de l'AFG mise entre les mains du constructeur de Sochaux. Reste à contacter H.T. Pigozzi, mais l'homme est injoignable. Son directeur administratif, Chardon, répond à Grégoire que H.T. Pigozzi ne s'occupe plus de SIMCA que de très loin. A Nanterre, on accepte toutefois d'essayer la voiture, en précisant qu'il y a peu d'espoir à attendre, la technique des SIMCA venant de chez Fiat. Chardon suggère surtout à J.A. Grégoire de confier le prototype au baron Petiet, président de la GFA, dont SIMCA fait partie. J.A. Grégoire réplique que le baron Petiet a déjà essayé le prototype et, très satisfait, lui a suggéré de le présenter à H.T. Pigozzi ... Dans les faits, H.T. Pigozzi ne veut surtout pas de cette 4 CV que l'on souhaite lui imposer. Sortant finalement de l'ombre, il effectue un important travail de persuasion auprès du baron Petiet et des autorités politiques.
Prototype AFG - Source : D. Stanimirovitch Les lecteurs souhaitant prendre connaissance de la version de J.A. Grégoire concernant les années d'occupation chez SIMCA peuvent se procurer le livre " 50 ans d'Automobiles " écrit par l'intéressé et paru en 1974 chez Flammarion. Le chapitre consacré à H.T. Pigozzi est particulièrement à charge. J.A. Grégoire a visiblement peu d'estime pour l'industriel, et il s'exprime sans grande précaution. Il reste relativement modéré au sujet de la personnalité de H.T. Pigozzi : " Balzacien. Pouvait-on qualifier autrement Henri Théodore Pigozzi ? L'ambition et la soif de conquête d'un condottiere, le sens des affaires et la munificence des marchands florentins de la grande époque, la puissance de dissimulation et l'habileté sans barrières d'une Machiavel, facettes apparentes d'une personnalité que personne n'arriva jamais à connaître à fond ". De l'ombre à la lumière Le 2 juin 1945, le ministre de la Production Industrielle, Robert Lacoste, informe le président Fighiéra que le gouvernement ne s'oppose plus au retour de H.T. Pigozzi à la direction générale de SIMCA. Après la Libération, l'Armée américaine confie aux principaux constructeurs français des travaux de maintenance sur des chars, camions et automobiles. SIMCA est notamment chargé du reconditionnement de moteurs de Jeep. En juillet 1945, 20 000 moteurs ont déjà été traités à Nanterre. Le hasard veut que le 75 000ème moteur reconstruit par les usines françaises participant à l'opération se trouve justement chez SIMCA. L'usine est donc choisie pour organiser une cérémonie célébrant cette fructueuse coopération avec l'industrie nationale. L'événement est orchestré par le Major Général Henry B. Sayler, un officier américain de premier plan ayant servi sous le commandement du Général Eisenhower. A cette occasion, H.T. Pigozzi, qui vient rappelons le de reprendre la direction générale de SIMCA déclare : " Nous sommes très fiers, chez SIMCA, d'avoir pu contribuer à l'immense effort accompli par les officiers, les soldats et les ouvriers de votre grand peuple pour sauver la civilisation. " La situation est paradoxale : accusé de collaboration il y a peu, H.T. Pigozzi reçoit un véritable " brevet de contribution " à l'effort de guerre des Alliés. Naturellement, H.T. Pigozzi médiatise cette cérémonie le plus largement possible et ne manquera pas de la rappeler à ses interlocuteurs lorsqu'il sollicitera une aide importante du Plan Marshall pour la modernisation du site de Nanterre.
Sur la première vue, l'usine à l'époque de Donnet (1929). Sur la seconde, l'usine à l'époque de Simca. Même si l'angle de prise des photos n'est pas le même, on observe le déploiement des installations sur les anciens terrains restés vierges à l'époque de Donnet. Copyright Pigozzi face à Grégoire H.T. Pigozzi, avec son sens aigu des affaires industrielles, prend toute la mesure de l'aventure hasardeuse que représente la production de la voiture AFG de J.A. Grégoire. Il doit impérativement se débarrasser de ce projet encombrant et de son promoteur. Bien que H.T. Pigozzi reconnaisse à Grégoire ses talents de concepteur, il regrette que celui-ci n'ait jamais pris en compte les questions d'industrialisation ou de coûts. La concrétisation de son projet exigerait un investissement conséquent et des délais incompatibles avec l'urgence de faire tourner l'usine de Nanterre. En revanche, H.T. Pigozzi est prêt à relancer immédiatement la production des SIMCA Cinq et 8, car son outil industriel est intact. Il le démontre à l'autorité de tutelle et, grâce à son insistance, obtient gain de cause. La production des SIMCA Cinq et 8 redémarre dans le courant de 1946. L'essentiel de cette production est destiné à l'exportation, comme c'est le cas pour tous les constructeurs automobiles. L'Etat a en effet besoin de devises fortes, notamment le dollar, pour financer le rééquipement de la France en machines-outils et acheter des matières premières, le franc français étant fortement affaibli après la guerre. De guerre lasse, J.A. Grégoire quitte SIMCA le 1er février 1947. Il s'en va alors promouvoir ses idées chez Hotchkiss.
Publicité Simca Cinq, Simca 8, 1947 - Collection ALR La SIMCA Six Lors du Salon de Paris en 1947, la SIMCA Cinq est remplacée par la SIMCA Six, qui bénéficie d'un rajeunissement notable. Sa calandre, plus large que haute, s'inspire alors de la mode américaine, et son coffre gagne en volume. Deux ans plus tard, la SIMCA 8 reçoit un nouveau moteur de 1,2 litre et quelques retouches esthétiques. Ces évolutions montrent que SIMCA commence à prendre ses distances avec Fiat, le calendrier de ses nouveautés ne correspondant plus à celui de la marque italienne.
Brochure Simca Six - Collection ALR H.T. Pigozzi et Pinin Farina Après la guerre, l'art de la carrosserie connaît une véritable renaissance en Italie. C'est dans ce contexte que H.T. Pigozzi, désireux de dynamiser l'image de sa marque SIMCA, a l'idée de confier en 1948 un châssis de SIMCA 8 à Pinin Farina. Le carrossier italien propose alors à H.T. Pigozzi un design d'une grande élégance, inspiré des Ferrari de l'époque, qui le séduit instantanément. Enthousiasmé par ce modèle, le dirigeant de Nanterre décide de le produire en petite série. Il acquiert la licence auprès de Pinin Farina et en confie la fabrication à la société Facel-Metalon, basée à Dreux.
H.T. Pigozzi aurait déclaré au sujet de la SIMCA 8 Sport " je vais les vendre à toutes les jolies femmes de Paris "- Collection ALR A cette période, SIMCA est en pleine expansion, porté par un besoin mondial de motorisation croissant. H.T. Pigozzi anticipe l'importance grandissante des marchés d'exportation. Il observe notamment la stratégie des constructeurs britanniques qui, depuis la fin de la guerre, privilégient l'exportation vers l'Europe, les Etats-Unis et le Commonwealth, quitte à sacrifier leur marché intérieur. Leurs nouveaux modèles sont d'ailleurs de plus en plus adaptés à une clientèle internationale, s'inspirant parfois ouvertement des tendances américaines. H.T. Pigozzi adopte une politique similaire, mais avec une nuance notable : pour lui, l'exportation doit aller de pair avec un renforcement de la position de SIMCA sur le marché français.
La brochure publicitaire de 1948 souligne encore l'appartenance de SIMCA GFA - Collection ALR SIMCA prépare l'avenirEn 1949, juste avant le Salon de Paris en octobre, H.T. Pigozzi tient une conférence de presse pour dévoiler la toute dernière évolution de la Simca 8, la version 1200. Le moteur de 1090 cm3 est remplacé par un plus puissant 1200 cm3. La carrosserie bénéficie d'un rajeunissement significatif avec un nouveau capot, une calandre bombée inédite, et l'ajout d'une malle arrière de forme arrondie. Le président de SIMCA déclare : " Vu l'état actuel de nos routes, il nous a semblé sage de limiter la vitesse de notre nouvelle SIMCA 8 1200 à 115 km/h mais la souplesse et l'accélération de son nouveau moteur sont telles qu'après chaque ralentissement, elle reprend son allure presque instantanément ; elle est donc encore plus brillante que l'ancienne SIMCA 8." Dans le même temps, H.T. Pigozzi se projette déjà vers la SIMCA du futur. Son objectif est de concevoir une voiture offrant un ensemble de qualités habituellement réservées à des modèles plus grands, tout en maintenant un prix de vente maîtrisé. Cette future SIMCA devra être silencieuse, spacieuse, dotée d'un vrai coffre et d'un équipement complet. Malgré sa compacité, elle arborera des lignes modernes, en phase avec les tendances développées aux Etats-Unis. H.T. Pigozzi estime que Fiat, avec sa 1400, a visé un peu trop haut. Le dirigeant de Nanterre mobilise ses équipes, des ouvriers aux ingénieurs, autour de cet objectif commun, conscient que le temps presse. A la fin de l'année 1949, l'entrepreneur H.T. Pigozzi est promu au grade d'officier de la Légion d'honneur, une nouvelle reconnaissance de son travail. Nanterre se transformeL'année 1950 marque une transformation majeure pour l'usine de Nanterre. Les dernières survivances de 1934/35 sont complètement effacées. Les quelques espaces non couverts sont aménagés pour gagner en surface utile. La priorité absolue est donnée à la fluidification des flux de production, notamment pour l'approvisionnement des postes de travail. Ces efforts permettent de gagner 24 000 m2 de surface utile. Par ailleurs, les subsides du plan Marshall contribuent grandement à la modernisation des moyens de production. Les SIMCA Gordini (1934/1951) En 1934, Amédée Gordini fait sensation en développant un roadster Fiat qui lui permet de battre des marques renommées comme MG, Amilcar et Salmson au Bol d'Or. Ce succès, qu'il doit uniquement à son travail et à celui de son jeune fils Aldo, propulse le nom de Gordini sur la scène sportive. L'année suivante, en 1935, il collectionne les victoires de catégorie au Monte Carlo, à Spa, au Bol d'Or et à Reims. Au Grand Prix de Provence, malgré l'absence de ses mécaniciens et avec son fils comme seul soutien, Gordini, pilote et constructeur, remporte la course. Le public est particulièrement touché par les exploits de cette petite entreprise qui rivalise avec les plus grands. Impressionné par la publicité gratuite générée par les exploits de Gordini, H.T. Pigozzi lui propose un contrat. Gordini devient ainsi le préparateur attitré de SIMCA en compétition. Il transforme alors les petites voitures franco-italiennes en véritables machines de course. Dans cette association, Gordini prend en charge tous les frais de préparation, mais ses efforts sont récompensés par d'importantes primes en cas de victoire. De plus, il bénéficie gracieusement des précieux conseils techniques des ingénieurs de Fiat. Au fil des victoires, Amédée Gordini s'impose comme une personnalité respectée, et la course lui offre l'opportunité de voyager à travers le monde. Il impressionne de plus en plus les acteurs du sport automobile, y compris Mercedes, Auto Union ou Alfa Romeo, qui sont stupéfaits de voir les petites SIMCA battre des voitures de cylindrée trois fois supérieure. Cependant, la Seconde Guerre mondiale met un terme à cette première période faste de l'histoire de SIMCA et de Gordini. Gordini retrouve Théodore Pigozzi en 1946. Avec l'aide de SIMCA, il conçoit une nouvelle monoplace de 1100 cm3 avec laquelle il remporte de nombreuses autres courses. Désormais, Gordini a accès au bureau d'études de SIMCA à Nanterre, ce qui lui permet de faire fabriquer des pièces prototypes ou d'usiner des blocs moteurs pour ses véhicules de compétition. Deux ingénieurs SIMCA sont également présents dans son atelier du Boulevard Victor. Ses relations avec Dante Giacosa, devenu l'ingénieur le plus renommé de Fiat, lui permettent de développer dans les meilleures conditions possibles le potentiel du moteur SIMCA 8.
Une rare photo de Pigozzi et Gordini réunis. Théodore Pigozzi (à gauche) et Amédée Gordini (à droite) encadrent le pilote Cayla, vainqueur du Bol d'Or 1947. Source AAT d'octobre 1947. Copyright En 1951, les moteurs SIMCA, poussés dans leurs derniers retranchements, ne supportent plus les puissances atteintes, notamment en raison de l'utilisation de compresseurs. Conscient de cette impasse, Gordini sollicite à nouveau H.T. Pigozzi dans l'espoir d'obtenir un soutien supplémentaire. Cependant, l'utilisation de cylindrées importantes n'est plus en adéquation avec les productions de SIMCA. H.T. Pigozzi choisit de ne pas donner suite, ne voyant plus l'intérêt de soutenir son compatriote italien. Le temps des SIMCA 8 de compétition est révolu. Malgré ce revers, Gordini se surpasse et parvient à développer un tout nouveau moteur. Désormais indépendant de SIMCA, cela lui permet de poursuivre son aventure. SIMCA, plus qu'une marque, un groupe industriel SIMCA, sous l'impulsion de H.T. Pigozzi, ne se limite pas à son usine de Nanterre. Visionnaire, l'industriel entreprend depuis quelques années une stratégie de diversification et de consolidation de ses sources d'approvisionnement. Concentrons nous sur quatre des nombreuses entreprises rachetées par H.T. Pigozzi. Georges Richard, après son départ de Richard Brasier, fonde la " société anonyme des automobiles Unic " à Puteaux en 1905. Son ambition est de créer des véhicules " uniques " adaptés à des usages spécifiques. En 1922, Unic lance son premier camion de 3 tonnes, marquant un tournant vers les véhicules utilitaires et industriels, la même année que le décès de Georges Richard. Dès 1933, Unic devient le premier constructeur français à offrir une gamme complète de véhicules industriels, allant de 3 à 15 tonnes. Cette spécialisation s'affirme en 1938, lorsque l'entreprise abandonne définitivement la production de voitures de tourisme pour se concentrer sur les utilitaires. Durant la Seconde Guerre mondiale, Unic s'associe à d'autres constructeurs, dont SIMCA, au sein du GFA. En 1952, H.T. Pigozzi rachète Unic. Pour SIMCA, alors en pleine expansion, cette acquisition stratégique permet d'intégrer une branche dédiée aux véhicules industriels. Sous la direction de SIMCA, la production de camions Unic connaît une croissance fulgurante, et propulse la marque au rang de deuxième fabricant français du secteur, juste derrière Berliet. L'expansion continue : en 1956, Unic renforce sa position en acquérant la division française du constructeur suisse Saurer, intégrant ainsi leurs productions de camions. Quatre ans plus tard, en 1960, Unic élargit encore son offre en important et distribuant les camions italiens OM. Cependant, l'aventure d'Unic sous pavillon français prend fin un an après la disparition de H.T. Pigozzi, lorsque l'entreprise est rachetée par Fiat Véhicules Industriels.
Camion Unic, 1955 - Copyright Dans les années 1930, la Manufacture d'Armes de Paris (MAP), fondée en 1915, opère une reconversion, délaissant progressivement l'armement pour se spécialiser dans la fabrication de pièces mécaniques et, de manière notable, de tracteurs agricoles. Cependant, cette transition n'empêche pas l'entreprise de faire faillite en 1950. En 1951, H.T. Pigozzi, rachète cette activité de machinisme agricole. Puis il fonde en 1953 la marque Someca (SOciété de MECAnique de la Seine), avec pour ambition de produire des tracteurs conçus par Fiat, et assurer la fabrication de pièces détachées pour les tracteurs MAP encore en service. Le DA 50 est le premier modèle à sortir des usines Someca, mais c'est le SOM 40, lancé en 1957, qui connaîtra un succès retentissant en France. L'histoire de Someca évolue encore en 1973 lorsque la production des tracteurs est rapatriée en Italie, chez Fiat. Bien que la marque Someca ne soit plus commercialisée en tant que telle aujourd'hui, elle reste une composante historique intégrée au sein de CNH Industrial, descendant direct des activités agricoles de Fiat.
Le Someca SOM. 40 est produit de 1957 à 1964 - Copyright La société Dervaux trouve ses racines au début du XIXe siècle, avec la création d'une première usine par Ferdinand Dervaux vers 1828. Son activité est alors celle d'une forge artisanale. Sous l'impulsion d'Ernest Dervaux (1844/1917), fils de Ferdinand, l'entreprise prend son essor et se spécialise dans la boulonnerie. En 1889, Dervaux fournit les 2,5 millions de rivets nécessaires à la construction de la Tour Eiffel. Après 1945, Dervaux doit reconstruire ses installations, endommagées durant la guerre. L'entreprise redémarre sa production. Dans les années 1950, le marché de la boulonnerie devient de plus en plus concurrentiel. En 1954, Dervaux entre dans le groupe Simca, et transforme son nom en SIDFA. Les forges de Dervaux sont alors principalement utilisées pour la production de pièces destinées à l'automobile, s'intégrant ainsi pleinement dans l'activité de SIMCA
Usine Dervaux, Vieux-Condé - Source : https://www.chavcr.com A la fin du XIXe siècle, Emile Puzenat, met au point une herse en zigzag qui révolutionne l'outillage agricole. Son invention est récompensée par plusieurs prix. Puis il améliore et invente de nombreux produits : râteaux à cheval, charrues, faneuses ... En 1900, Emile Puzenat fait construire une vaste usine à Bourbon-Lancy. Après la Première guerre mondiale, dans le contexte de reconstruction de l’économie agricole, l’entreprise prend son essor. En 1924, elle emploie 1 000 ouvriers. En 1954, SIMCA, par l'intermédiaire de sa branche de machines agricoles Someca, rachète Puzenat. Dans les années 1960, l'usine fabrique des tracteurs Someca.
Publicité Sevita / C. Puzenat, production SIMCA - Copyright L'Aronde L'Aronde, symbole d'indépendance Le 31 mai 1951, H.T. Pigozzi convie la presse spécialisée et généraliste pour dévoiler la toute nouvelle SIMCA. La voiture, avec sa carrosserie entièrement ponton, séduit unanimement. Les essayeurs sont particulièrement impressionnés par son silence de marche, une qualité alors inédite pour un véhicule de cette catégorie de prix. C'est à cette occasion que H.T. Pigozzi révèle le nom complet de ce nouveau modèle : SIMCA 9 Aronde, Aronde signifiant " hirondelle " en vieux français. A travers ce choix et le design novateur de la voiture, l'industriel affiche clairement sa volonté de s'émanciper de l'influence de Fiat. Pour la première fois, l'Aronde ne partage plus un seul embouti avec un modèle du géant italien.
Simca Aronde 1951 - Collection ALR H.T. Pigozzi déclare lors de cette rencontre avec la presse : " Nous avons décidé de construire une nouvelle Simca à la fin de 1948. Or en 1948, comme d'ailleurs en 1949 et en 1950, la clientèle faisait à nos voitures le meilleur accueil, nos carnets de commandes étaient pleins et nos délais de livraison étaient forts longs, comme ils le sont encore aujourd'hui. Nous aurions donc été en droit de nous endormir sur nos lauriers en espérant que la clientèle française se contenterait encore longtemps de nos modèles qui sont égaux ou supérieurs à ceux de nos concurrents. Mais connaissant le temps qu'il faut pour créer et pour produire une nouvelle voiture, nous nous devions de prévoir l'avenir et de prendre les dispositions nécessaires pour que nous ne soyons pas pris de court lorsque viendrait l'époque de la grande concurrence. S'il est toujours vrai que " diriger c'est prévoir ", il est des moments où il faut prévoir et décider en même temps. Nos missions aux Etats-Unis ont déterminé les machines-outils les plus modernes qu'il était possible de trouver actuellement sur le marché. Parallèlement, d'autres missions envoyées en Grande-Bretagne ont trouvé des fournisseurs capables d'exécuter les outillages de carrosserie que nous ne pouvions pas faire dans nos usines, ni ailleurs en France."
En avril 1952, l'Aronde fait la une de L'Automobile - Source : L'Automobile, n° 72 Dans son discours, H.T. Pigozzi évite toute référence à Fiat, qui est pourtant toujours la maison mère de SIMCA. Il ne mentionne pas plus que des ingénieurs turinois ont été dépêchés à Nanterre pour mettre en place les chaînes de production de l'Aronde. La SIMCA 9 Aronde (le " 9 " sera rapidement oublié) marque une rupture significative dans l'automobile française d'après-guerre. C'est la première création de grande série à intégrer entièrement les ailes et le coffre arrière. A la même époque, la Renault Frégate, tout juste lancée, conserve des ailes arrière distinctes. Le style de la Peugeot 203 apparue en 1948 s'inspire des Chrysler d'avant-guerre, tandis que la Traction Avant de Citroën, à l'avant garde lors de son lancement en 1934, avoue son âge, sauf auprès de certains inconditionnels. La production de l'Aronde démarre modestement, avec seulement 20 voitures par jour. Cependant, grâce à une organisation parfaitement maîtrisée, la transition entre la SIMCA 8 et la SIMCA 9 Aronde s'opère en douceur. Très vite, l'Aronde fait oublier les modèles précédents. Au cours du dernier trimestre 1951, l'usine de Nanterre produit quotidiennement 340 Aronde. L'Aronde est bien sûr présentée au Salon de Paris en octobre 1951. Pour l'instant, elle n'est disponible qu'en version berline quatre portes. Le stand SIMCA est accueillant et met en valeur une gamme de couleurs éclatantes.
H.T. Pigozzi montre la nouvelle SIMCA 9 Aronde à des ministres - Source : AAT, novembre 1951 H.T. Pigozzi prend du grade Le 19 juin 1952, H.T. Pigozzi est nommé lors d'une assemblée générale vice président directeur général de SIMCA, la dernière marche vers la fonction suprême de PDG. Fin 1952, le conseil d'administration de SIMCA dresse un bilan impressionnant des sept années écoulées depuis la fin de la guerre. La croissance a été phénoménale, mais l'heure est à la prudence. Si la vente de voitures a été aisée jusqu'alors, grâce à une demande excédant l'offre, cette dynamique est sur le point de s'inverser. Pour autant, la SIMCA Aronde, lancée moins d'un an auparavant, connaît un succès fulgurant, captant déjà 20 % du marché français à elle seule. L'entreprise transforme 66 800 tonnes de matière en 1952, contre seulement 12 980 tonnes en 1938, témoignant d'une progression exceptionnelle de la productivité de l'usine de Nanterre. Cette efficacité permet de proposer l'Aronde à une prix accessible, sa fabrication nécessitant environ un tiers de temps de travail en moins que pour une SIMCA 8. Dans le budget de nombreux ménages, acquérir une automobile devient enfin envisageable. Sur le plan privé, c'est en novembre 1952 que naissent Caroline et Jean, ses deux premiers enfants. Ils seront rejoints par une soeur en 1957.
Remplaçant la Simca 8 Sport, la Simca 9 Sport fait son apparition au printemps 1952. Elle hérite de la structure monocoque de l'Aronde, lui conférant une base moderne. Esthétiquement, elle se distingue par une nouvelle calandre à deux barres chromées intégrant les clignotants, des ailes arrière plus galbées, et des passages de roues arrière rectangulaires. Dès l'année suivante, en 1953, elle subira une refonte, ses formes arrondies laissant place à des lignes plus tendues et épurées - Collection ALR H.T. Pigozzi, un homme d'ambition H.T Pigozzi a manifestement remporté son pari en dotant SIMCA d'une usine moderne à Nanterre et en assurant le succès commercial de l'Aronde. Cependant, pour survivre et prospérer dans un secteur économique en profonde mutation, où de nombreux concurrents établis disparaissent, il est impératif de voir plus grand. C'est une question de survie : " grandir ou mourir ". Il est donc crucial de porter la production au-delà des seuils critiques, en optimisant au maximum l'usine de Nanterre, la faisant tourner à plein régime sans pour autant compromettre le cadre de travail ni la sécurité des employés. SIMCA se démarque comme une marque jeune et dynamique, loin du conservatisme de Renault à Billancourt ou pire encore de celui de Peugeot à Sochaux. L'entreprise diversifie audacieusement ses carrosseries, proposant une gamme étendue allant des utilitaires aux voitures de sport, en passant par les berlines quatre portes et les élégants coupés. Toujours à l'affût des dernières tendances stylistiques américaines, H.T. Pigozzi oriente son bureau d'études vers la conception d'une carrosserie à deux portes offrant une visibilité latérale exceptionnelle, une sorte de " voiture panoramique ". Il recommande de s'inspirer de la mode américain des " hard top ", de faux cabriolets conservant un pavillon dur en acier, mais sans montant de porte, une innovation que SIMCA concrétisera dès 1954 avec la bien nommée Grand Large. La marque de Nanterre mène une politique commerciale agressive, ses prix d'appel stupéfient la concurrence. Elle propose des offres alléchantes et une gamme de produits misant sur un luxe parfois clinquant, mais toujours abordable, qui s'oppose par exemple à l'austérité provinciale des Peugeot. Afin de lisser l'activité de ses usines, SIMCA introduit des " prix d'hiver ", une initiative qu'elle réitérera en 1954, forçant ainsi ses rivaux à s'adapter.
H.T. Pigozzi au milieu des Simca Aronde en octobre 1953. Toute sa vie, ce sera un gros travailleur, arrivant parmi les premiers et partant le dernier du travail. A la manière d'une André Citroën (mort en juillet 1935), il connaît chaque recoin de ses usines, et peut expliquer à ses visiteurs la raison d'être de tel ou tel outillage - Copyright Le site de Nanterre, qui s'étend sur 20 hectares avec 16,5 hectares d'ateliers, montre déjà des signes de saturation. Son parc de machines-outils, en moyenne trois fois plus récent que celui des autres constructeurs nationaux, et ses quelque 10 000 employés, dont 8 000 ouvriers de production, ne suffisent plus à soutenir les ambitions grandissantes de H.T. Pigozzi. Conformément aux directives gouvernementales de décentralisation déjà suivies par Renault installé à Flins en 1952, et par Citroën qui ouvre une usine à Rennes en cette année 1953 pour la fabrication de roulements à billes et de pièces en caoutchouc, la direction de SIMCA cherche activement à implanter une seconde unité de production. L'objectif est de s'éloigner de la capitale et de sa proche banlieue. Deux options s'offrent au constructeur : acquérir un vaste terrain pour y bâtir du neuf ou racheter et transformer des bâtiments existants. Alors que SIMCA envisage l'acquisition de 60 hectares près d'Amiens pour une future grande usine, des discussions jusqu'alors informelles avec la FORD SAF de Poissy concernant d'éventuels échanges commencent à prendre une tournure plus précise.
Simca Aronde, 1955 - Source : https://en.wheelsage.org Simca Poissy Le coup de maître de H.T. Pigozzi En 1938, Ford s'implante à Poissy avec l'inauguration d'une usine flambant neuve. C'est une étape cruciale pour le constructeur, qui vise à étendre sa présence en Europe et à produire localement en France. L'objectif est de taille : fabriquer jusqu'à 150 véhicules par jour, marquant ainsi la fin de l'alliance avec Mathis qui avait donné naissance à Matford. Cependant, la Seconde Guerre mondiale interrompt l'activité et l'usine est touchée par les bombardements. Malgré tout, la production de voitures de tourisme redémarre dès 1946. La direction de Ford aux Etats-Unis commence à s'impatienter face aux nombreuses incertitudes du marché français. Des questions se posent sur le fonctionnement de l'usine de Poissy, dont la production globale diminue par rapport aux sites de Dagenham et de Cologne. L'instabilité politique en France, avec des changements de gouvernement incessants jugés incompréhensibles, voire dangereux, pèse lourdement. L'indépendance de décision de François Lehideux, le dirigeant de Poissy, est également une source d'agacement pour les Américains.
Ford Vedette de première génération, produite de 1948 à 1954 - Copyright A l'automne 1952, Francis C. Reith, né dans l'Iowa en 1914, est nommé vice-président directeur général de Ford SAF à Poissy. Sa mission, assisté d'une petite équipe d'experts, est de remettre de l'ordre dans la filiale française. Après une analyse approfondie de la situation, Francis C. Reith conclut que la Vedette en production n'est pas rentable. Il devient urgent de lancer la conception d'une nouvelle voiture, plus moderne et plus attrayante. La machinerie de Ford USA se met alors en branle pour étudier le modèle qui deviendra la Ford Vedette fin 1954. Francis C. Reith poursuit ses investigations à Poissy et en arrive à une conclusion claire : pour que Ford SAF soit rentable, il faut augmenter significativement la production. Ce n'est pas possible avec la future Vedette, dont le marché est limité. Il est donc nécessaire d'envisager également la conception d'une voiture plus petite, une 6 ou 7 CV, plus accessible et adaptée aux goûts français. Dans l'optique de réduire les coûts de production, Reith suggère même un rapprochement avec un constructeur français. Le hasard met Francis C. Reith sur le chemin de Léon de Rosen, directeur général adjoint de SIMCA. Les deux hommes sympathisent naturellement, échangeant sur leurs professions et la situation de leurs entreprises. Francis C. Reith sait que Ford s'apprête à lancer pour le millésime 1955 la nouvelle Vedette et ses dérivés. Cependant, il n'est pas encore question d'un projet de voiture de 7 CV, car cela nécessiterait des investissements considérables. De plus, ce segment est déjà bien occupé en France, notamment par la Peugeot 203 et surtout la Simca Aronde. Peu de temps après cette rencontre, Francis C. Reith est convoqué à Détroit. Contre toute attente, Henry Ford II lui ordonne de fermer l'usine de Poissy. Les résultats financiers sont mauvais, et les Américains craignent une prise de pouvoir par les communistes, voire une nationalisation. Francis C. Reith fait part de ses inquiétudes à Léon de Rosen. Ce dernier en discute avec H.T. Pigozzi, qui lui demande d'engager des discussions discrètes. Pour Simca qui cherche à sortir de Nanterre, c'est une occasion en or.
Ford, usine de Poissy - Copyright
Simca, usine de Poissy, 1958 - Copyright Les négociations traînent. Le 29 mai 1954, H.T. Pigozzi, soutenant Léon De Rosen, intervient directement et fermement auprès de Francis C. Reith. Il explique qu'en cas de rachat de l'usine de Poissy, SIMCA devra non seulement gérer un déficit de trésorerie, mais aussi financer le lancement de la future Vedette et assumer les risques techniques d'un modèle et d'un moteur qu'ils ne maîtrisent pas. Sans compter qu'il faudra écouler le stock d'anciens modèles de Vedette. Soucieux d'assurer le succès de cette possible acquisition, H.T. Pigozzi commande un audit détaillé de l'usine de Poissy pour en identifier les forces et les faiblesses. Son idée est de tirer parti du meilleur des méthodes américaines, quitte à négocier avec Ford pour maintenir une trentaine de responsables américains à Poissy le temps d'une transition en douceur. Les résultats de l'audit sont clairs : SIMCA excelle en matière industrielle, notamment grâce à son service des Méthodes et ses cadres formés à l'école italienne, très compétents. En revanche, les Américains démontrent un réel savoir-faire en gestion administrative et financière. SIMCA, d'ailleurs, sera l'un des premiers constructeurs français à s'intéresser à la mécanographie, l'ancêtre de l'informatique. H.T. Pigozzi, fin négociateur, travaille ses dossiers, et connaît parfaitement les points faibles de ses interlocuteurs. Il impose des délais de réponse à Ford, veillant en parallèle à ne pas froisser les sensibilités ni bloquer les discussions. Le site de Poissy répond idéalement aux besoins de SIMCA, et il n'est absolument pas question pour Pigozzi de laisser passer cette opportunité. Francis C. Reith en est d'ailleurs bien conscient. Les coups de bluff s'enchaînent, mais H.T. Pigozzi sait que les Américains veulent en finir. Léon De Rosen, au nom de SIMCA, fait alors une dernière proposition, c'est à prendre ou à laisser. En juillet 1954, l'opération est annoncée dans la presse. De toute évidence, cet accord est plus favorable à SIMCA qu'à Ford SAF. En plus d'acquérir une usine moderne, SIMCA s'offre d'énormes perspectives d'expansion pour de nouvelles usines, et un réseau de concessionnaires compétents. Cerise sur le gâteau, Ford SAF inclut dans l'offre de reprise une élégante berline à moteur V8, dont l'étude est déjà finalisée, et qui vient parfaitement compléter le haut de gamme de SIMCA. La Vedette 1955 est officiellement homologuée par les Mines en septembre 1954 sous la marque Ford, puis sous celle de Simca à partir des modèles produits à partir du 1er décembre. Au Salon de Paris 1954, en octobre, la voiture est toujours présentée sous les couleurs de Ford SAF.
Ford Vedette Versailles - Source : AAT, octobre 1954 En cette fin de juillet 1954, après une poignée de main scellant l'accord entre H.T. Pigozzi et Francis C. Reith, chaque partenaire retourne à ses préoccupations immédiates. Sans attendre, H.T. Pigozzi met en place de solides équipes dédiées aux " travaux neufs " et aux " méthodes de fabrication ". Sans interférer avec la production Ford, elles prennent contact avec l'usine de Poissy. En paiement de cet achat , Ford devient propriétaire de 15 % du capital de SIMCA, et Francis C. Reith intègre son conseil d'administration. Prudent, H.T. Pigozzi fait insérer une clause dans le contrat de fusion interdisant à Ford d'implanter toute nouvelle usine en France avant le 30 juin 1962. Jusqu'à l'assemblée générale du 8 novembre 1954, les documents officiels et les brochures mentionnent " SIMCA " ou " S.I.M.C.A " en majuscules. A cette date, il est décidé que ces initiales deviennent l'acronyme " Simca ". Lors de l'assemblée générale du 9 décembre 1954, Roger Fighiéra, âgé de 79 ans et affaibli par des problèmes de santé, présente sa démission. Il décédera en 1956. Le conseil d'administration nomme alors H.T. Pigozzi président-directeur général de Simca.
En décembre 1954, une publicité presse met en avant la Vedette et ses trois déclinaisons : la Trianon, la Versailles et la Régence. Il est intéressant de noter que ni le nom de Ford ni celui de Simca ne sont mentionnés. La Vedette est présentée comme une marque à part entière. Seule l'adresse du magasin d'exposition, située au 140 Avenue des Champs-Élysées, laisser suggérer un lien avec Simca - Collection ALR Simca, deuxième constructeur français Le magazine L'Action Automobile et Touristique dresse un portrait de deux industriels qui " ont compris la Révolution Automobile ", H.T. Pigozzi et Pierre Lefaucheux. Concernant H.T. Pigozzi, il mentionne (extrait): " Si nous voulons atteindre les origines d'Henry Théodore Pigozzi, chef d'airain du nouveau Groupe Simca Ford, c'est au Louvre qu'il nous faut aller, dans les salles de la Renaissance italienne. Car nous y retrouverions, dans les portraits des seigneurs et des condottieri du " Quattrocento ", ce profil de renard, adouci par la hauteur du front ; ce regard tout à la fois perçant et caressant ; cette bouche ironique et volontaire en même temps. M. Pigozzi a cinq cents ans de grandeur latine derrière lui. La Bruyère en eut fait son modèle pour l'Ambitieux. Il n'en est pas de plus parfait. Pigozzi est, en effet, le type même de ces hommes qu'un étrange sixième sens rend conscients de leur mesure alors qu'ils sont toujours recroquevillés, comme un insecte dans sa chrysalide, dans la peau d'un inconnu, globule anonyme dans la foule innombrable. Un instinct sûr leur dit de quoi ils sont capables ... " Le 15 octobre 1955, H.T. Pigozzi, partage ses réflexions profondes sur l'avenir de l'automobile lors de l'émission télévisée " L'automobile dans la vie moderne ". Son intervention est riche en analyses pertinentes et en prévisions audacieuses. S'inspirant du modèle américain, où l'automobile est déjà omniprésente, H.T. Pigozzi met en lumière l'évolution de son accessibilité en France. Il explique qu'en 1955, un ouvrier peut s'offrir une Aronde après seulement 2 000 heures de travail, une nette amélioration par rapport aux 3 994 heures nécessaires pour une Simca Huit en 1950.
La Simca Aronde de 1956 est cette année-là le modèle le plus vendu en France Concernant l'avenir de ses usines, Pigozzi prévoit un rôle toujours essentiel pour les ouvriers, mais avec une transformation significative de leurs tâches. Grâce à l'intégration des robots, il anticipe un travail moins physiquement exigeant et plus efficace. Il souligne l'impact économique considérable de l'industrie automobile en France, expliquant qu'un constructeur génère de l'activité pour dix fois plus de personnes qu'il n'en emploie directement. Pour conclure, Pigozzi indique qu'en 1955, une voiture française est exportée toutes les 3 minutes et 45 secondes, avec Simca en tête de ces exportations, preuve de la puissance de l'industrie française sur la scène internationale. Grâce au succès retentissant de l'Aronde et à l'acquisition stratégique de l'usine de Poissy, Simca a rapidement gravi les échelons pour se positionner comme le deuxième constructeur automobile français, juste derrière la Régie Nationale des Usines Renault. Cette ascension marque une consécration personnelle pour H.T. Pigozzi. Trente ans auparavant, il débutait en récupérant des métaux pour Fiat. Le voilà désormais PDG du deuxième constructeur automobile français. Le potentiel de l'usine de Poissy est d'ailleurs manifeste, comme en témoignent les chiffres de vente de la Simca Vedette. Grâce à une politique commerciale agressive, 44 788 exemplaires sont commercialisés en 1956, un bond spectaculaire comparé aux 21 000 Ford Vedette écoulées en 1951.
Publicité presse, 1956, qui met en avant les deux modèles phares de Simca, l'Aronde et la Vedette - Copyright Pour doper la production à l'usine de Poissy, H.T. Pigozzi opte résolument pour une stratégie s'appuyant sur un vaste réseau de fournisseurs externes. Il délaisse la politique d'intégration verticale, au sujet de laquelle il émet des doutes (coût, efficacité ...). Pour H.T. Pigozzi, le constructeur automobile n'est rien d'autre que le maillon final d'une longue chaîne de compétences. Le président de Simca s'est toujours attaché à dynamiser ses fournisseurs, répartis à travers la France, en les impliquant activement dans la croissance de la marque.
H.T. Pigozzi cultive l'image du show-biz et du spectacle. Martine Carol et Michèle Morgan roulent en Chambord. Les Ariane sont les voitures fétiches des miss France. Brigitte Bardot fait la promotion du cabriolet Week-end en 1956. Danielle Delorme, Annie Girardot, Annie Cordy, Petula Clark, Luis Mariano, Dario Moreno, Fernand Reynaud, Jean Nohain et Anne-Marie Peyson ont leur Simca - Copyright La Simca Ariane H.T. Pigozzi, grâce à ses excellentes relations dans les cabinets ministériels, est informé très tôt d'un projet de vignette automobile. Cette nouvelle taxe, qui sera instituée par le Parlement le 27 juin 1956, doit être calculée en fonction de la puissance fiscale des véhicules. Son objectif principal est de renflouer les caisses de l'Etat et de financer les retraites.
Ariane, 6 vraies places. L'Ariane, voiture sobre, rationnelle, mais aussi, voiture élégante. Ariane, la joie de rouler - Collection ALR Conscient de l'impact financier que cette vignette aura sur les modèles Vedette de 13 CV, H.T. Pigozzi demande à sa direction technique d'étudier la possibilité d'installer le moteur 7 CV de l'Aronde dans une carrosserie de Trianon, le modèle d'entrée de gamme de la Vedette. Cette initiative fortuite coïncide avec un autre événement majeur : la crise de Suez de juillet 1956. Cet évènement perturbe l'approvisionnement en pétrole et provoque une augmentation significative du prix des carburants, rendant d'autant plus pertinente la recherche de véhicules plus économiques. On imagine aisément la réaction des techniciens face à la demande de leur patron : transformer une 13 CV en une 7 CV ! Pourtant, lors de la présentation de la Simca Ariane 7 CV en mars 1957, H.T. Pigozzi insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une voiture de circonstance, conçue à la hâte pour répondre à la crise. Il la présente au contraire comme un projet mûrement réfléchi, visant à satisfaire les attentes de nombreuses familles françaises. Ces dernières recherchent alors un véhicule offrant à la fois le confort et l'habitabilité d'une grande voiture, combinés à l'économie d'une motorisation de cylindrée moyenne. La réalité semble cependant se situer à la croisée de ces deux événements, car l'Ariane a été conçue en seulement neuf mois.
Simca Ariane, 1958 - Collection ALR Au début, le réseau de concessionnaires Simca craint que le moteur de l'Aronde ne soit pas assez puissant pour la carrosserie plus lourde de la Vedette. Le réseau Ford, de son côté, n'apprécie guère l'idée de remplacer un moteur V8 souple et silencieux, pour lequel la gamme Vedette a été pensée, par un petit 1300 cm3. Malgré ces réticences initiales, l'Ariane trouve immédiatement son public. Ceux qui étaient critiques sont rapidement amenés à revoir leur jugement. La voiture voulue par H.T. Pigozzi dépasse commercialement toutes les espérances placées en elle. 100 000 km en Aronde Après six années de production, convaincu de l'impact promotionnel des records d'endurance, H.T. Pigozzi souhaite démontrer à tous la fiabilité exceptionnelle de l'Aronde. Le 9 avril 1957, une Aronde s'élance sur l'autodrome de Linas Montlhéry. Huit pilotes vont se relayer. Après 41 200 tours, le 17 mai 1957, elle atteint le seuil des 100 000 km parcourus en seulement 38 jours, à une impressionnante moyenne de 113,1 km/h. H.T. Pigozzi présent le 17 mai auprès des pilotes, pour célébrer ce record inoubliable. Les services commerciaux de Simca exploitent pleinement cet événement pour mettre en lumière les qualités de l'Aronde et la confiance de son constructeur. Fort de ce succès retentissant, Simca lance une version " Montlhéry " de l'Aronde au Salon de Paris en 1958.
La Simca Aronde des records au Palais de Chaillot lors de la soirée des concessionnaires en octobre 1957 - Copyright L'obsolescence programmée H.T. Pigozzi, le dirigeant de Simca, est un fervent adepte des cycles de renouvellement des produits, une stratégie qu'il admire chez les constructeurs automobiles américains. A ses yeux, une mise à jour partielle des modèles doit intervenir tous les deux ans, et un remaniement plus profond tous les quatre ans. C'est dans cette optique que, dès la reprise de l'usine de Poissy en 1954, Pigozzi planifie l'évolution de la gamme Vedette pour 1958. En effet, fin 1957, la Vedette subit d'importantes modifications esthétiques et techniques. Son style " américain " est accentué, avec des ailerons arrière plus prononcés et une nouvelle calandre. Le moteur V8 est également légèrement amélioré, atteignant désormais 84 chevaux. Cette approche, inspirée par les principes de l'obsolescence programmée, vise à encourager les consommateurs à changer de voiture plus fréquemment. Cependant, cette pratique n'est pas sans critiques en France, où certains acheteurs reprochent à Simca de voir leur voiture se déprécier trop rapidement sur le marché de l'occasion. On n'est pas en Amérique ici Monsieur !
Simca, usine de Poissy, vers 1957 - Collection ALR Nouvelle Vedette En 1958, la Vedette connaît une évolution esthétique. Les modèles Beaulieu et Chambord arborent une carrosserie modernisée. Quant au modèle d'entrée de gamme, l'ancien Trianon, il est rebaptisé Ariane 8 tout en conservant sa ligne d'origine. Parallèlement, l'ancienne Ariane à moteur 4 cylindres devient l'Ariane 4.
Simca Chambord - Collection ALR H.T. Pigozzi vise la Présidence Simca, en tant que deuxième constructeur français, souhaite entrer dans la cour des grands en proposant une automobile de prestige " à la française ", capable d'empiéter sur les plates-bandes de Citroën et d'autres marques de prestige. Il conçoit donc à partir de la Chambord, version la plus luxueuse de la gamme Vedette, une automobile susceptible de séduire les ministères, consulats et ambassades, mais aussi les chefs d'entreprise. Au Salon de Paris en octobre 1957, Simca dévoile la Présidence, à l'équipement généreux et à la finition exceptionnelle. Extérieurement, outre divers aménagements cosmétiques, le signe extérieur le plus distinctif de cette Présidence est la roue de secours installée sur le coffre, façon " Continental kit ". Environ 800 exemplaires sont produits en France jusqu'en 1961. D'autres seront encore assemblés au Brésil sous licence jusqu'au milieu des années 1960.
Simca Présidence - Collection ALR En 1955, l'atelier de carrosserie Franay crée une limousine Citroën 15/6 pour la Présidence de la République. L'année suivante, en 1956, Henri Chapron conçoit un landaulet, bien que basé sur la même Citroën 15/6, son apparence est radicalement différente. Ces deux véhicules sont commandés durant la présidence de René Coty. De son côté, H.T. Pigozzi, un véritable expert en communication, souhaite ardemment devenir le fournisseur privilégié du parc automobile de l'Élysée. Une telle opportunité ne peut qu'améliorer l'image de marque de Simca. L'idée de fournir des voitures présidentielles prend forme lors de la visite de René Coty au Salon de l'automobile en octobre 1958. C'est à ce moment que H.T. Pigozzi suggère personnellement l'idée au Président de la République. Peu après, Simca obtient effectivement une commande de l'Élysée pour deux voitures d'apparat : des décapotables basées sur des Chambord allongées.
Les deux Simca présidentielles sont fabriquées dans les ateliers Simca, mais la la peinture et l'habillage intérieur sont réalisés chez Chapron - Copyright Les deux voitures prennent vie dans les ateliers de commandes spéciales de Simca, situés à Sartrouville. Puis elles reçoivent leur laque profonde et une sellerie en cuir naturel, de couleur fauve, chez Chapron. Lors de la séance photo organisée au Bois de Boulogne, une fois le travail achevé, les équipes de Simca remarquent la présence de l'écusson " Carrosserie Henri Chapron " sur l'aile avant. Ce détail irrite fortement H.T. Pigozzi, qui considère qu'il s'agit d'une usurpation d'identité. Il ordonne immédiatement le retrait de la signature du carrossier de Levallois. Cette commande est arrivée juste avant que René Coty ne passe le relais à Charles de Gaulle, qui sera le premier à utiliser ces deux Simca présidentielles.
Le Général de Gaulle en voyage officiel à bord de la Simca 4 PR 75 - Source : https://www.reddit.com Le plan Ramadier Dès 1954, H.T. Pigozzi perçoit une mutation profonde du paysage économique mondial. Il anticipe qu'exporter ne sera plus une option, mais une nécessité absolue pour survivre et grandir. La manne financière américaine du plan Marchal s'est refermée en 1952, et la France se voit contrainte de rééquilibrer au plus vite sa balance commerciale. En pleine guerre d'Algérie, particulièrement coûteuse pour les finances publiques, Paul Ramadier, alors ministre des Finances, exige des constructeurs automobiles qu'ils intensifient leurs exportations. Il leur impose une contrainte majeure : sur toute augmentation de production entre le 1er avril 1957 et le 30 mars 1958, deux voitures sur trois doivent être exportées. En contrepartie de cet effort significatif, l'Etat leur garantit une paix fiscale. Alors que Simca et Renault, s'étant concertés en amont, acceptent cette nouvelle donne sans broncher, Citroën et Peugeot sont pris au dépourvu. Simca, avec sa vision stratégique, fait le choix audacieux de miser sur un marché à la fois facile d'accès, sans contingentement ni taxation à l'importation, et d'une taille considérable : les Etats-Unis.
H.T Pigozzi au Salon de Paris 1957, en présence du ministre du commerce et de l'économie - Copyright L'Aronde P60 La Simca Aronde P60 marque un tournant pour la marque, étant la première Aronde à sortir des chaînes de l'usine de Poissy. Le P de son nom a une double signification : il fait référence à Poissy, son nouveau lieu de fabrication, et à la personnalisation. En effet, l'usine de Poissy est désormais équipée d'un système électronique de pointe, permettant à chaque voiture d'être fabriquée selon les souhaits de l'acheteur, avec un choix impressionnant de 17 combinaisons de couleurs. Quant au 60, il indique que ce nouveau modèle était initialement prévu pour 1960. Cependant, grâce à l'engagement des équipes Simca (...), la P60 est commercialisée dès septembre 1958, avec une longueur d'avance sur son temps. Pour l'anecdote, certains plaisantins interprètent le P comme Pigozzi et le 60 comme l'âge du capitaine en 1958. Le lancement de la P60 est accompagné d'une campagne publicitaire particulièrement efficace. Son succès est tel que H.T. Pigozzi reçoit même l'Oscar de la Publicité lors d'une cérémonie le 12 février 1959.
Brochure Simca Aronde P60 - Collection ALR Le Grand Poissy Après la prise de contrôle de l'usine de Poissy par Simca, le site connaît une expansion spectaculaire, doublant sa surface d'ateliers. On parle désormais du " Grand Poissy ". Lors de l'inauguration de cette usine modernisée et agrandie, H.T. Pigozzi, a orchestré un événement médiatique majeur le 17 octobre 1958. L'ampleur de cette manifestation témoigne de l'importance que Simca accorde à cette nouvelle implantation. Pas moins de trois ministres, trois préfets, et une foule d'ambassadeurs, de généraux et de personnalités de divers horizons ont été invités. Grâce à un soutien massif de la presse régionale et nationale, des radios et même de la télévision, Simca Poissy fait la une de l'actualité. Cet événement met non seulement en lumière les capacités de production de l'usine, mais renforce aussi l'image de Simca en tant qu'acteur industriel majeur en France. Exporter H.T. Pigozzi a bâti au fil du temps un solide état-major, au sein duquel des envoyés commerciaux dédiés maintiennent des contacts réguliers avec les gouvernements étrangers. Leur mission : transformer ces pays en clients de Simca. L'Europe de l'Est, les nations d'Asie et les pays d'Amérique du Sud sont ainsi régulièrement prospectés. L'enthousiasme communicatif de Pigozzi pousse ses équipes à vendre des Aronde et des Vedette dans des régions inattendues, notamment en Afrique. Sur ce continent, l'Ariane, une voiture réputée pour sa robustesse et sa garde au sol généreuse, séduit un large public. En parallèle, H.T. Pigozzi lance plusieurs partenariats stratégiques. Ces accords permettent à Simca d'exporter ses véhicules en CKD (Completely Knocked Down). Grâce à ce vaste réseau d'usines de montage, des voitures Simca seront assemblées et finalisées à l'étranger, notamment à Nyköping (Suède), Rotterdam (Pays-Bas), Dublin (Irlande), Kew (près de Londres, Royaume-Uni), Adélaïde (Australie), La Havane (Cuba), Mexico (Mexique), Caracas (Venezuela), Le Cap (Afrique du Sud), Montevideo (Uruguay), et Buenos Aires (Argentine). Simca do Brasil En 1958, Simca franchit un cap majeur dans son internationalisation en créant Simca do Brasil. Grâce à ses excellentes relations avec Fiat, H.T. Pigozzi embarque le constructeur italien dans cette aventure, concrétisée par une coentreprise. L'assemblage local des premières Simca Chambord débute dès mars 1959. Cependant, l'implantation de Simca au Brésil est une entreprise complexe et semée d'embûches. Dès ses débuts, Simca do Brasil fait face à de graves problèmes de qualité des véhicules produits localement, ce qui nuit à la réputation de la marque sur ce marché. Les exigences strictes du gouvernement brésilien en matière de localisation de la production et les procédures douanières excessivement compliquées rendent difficile l'approvisionnement en pièces. L'instabilité économique et politique du Brésil ajoute également une couche de complexité à ces opérations.
Simca do Brasil - Copyright Ces mésaventures brésiliennes exaspèrent H.T. Pigozzi, qui ne supporte plus le terrain sans cesse mouvant dans lequel il se débat avec ses équipes. A bout de nerfs, il leur demande de poursuivre les travaux sans lui. Malgré tout, à force de patience et d'adaptation, Simca parvient à établir une production régulière dans ce pays. La gamme des Simca brésiliennes finit même par avoir fière allure. L'entreprise prospère sous les couleurs de Simca, jusqu'à son absorption définitive par Chrysler en 1967.
Simca do Brasil - Copyright La donne change pour Fiat La signature du Traité de Rome, le 25 mars 1957, et l'entrée en vigueur de la Communauté Économique Européenne (CEE) le 1er janvier 1958, marquent un tournant majeur. Les tarifs douaniers entre les six pays membres fondateurs, dont la France et l'Italie, sont progressivement abaissés. Pour Fiat, l'intérêt de maintenir une participation significative au capital de Simca, sa filiale française, commence alors à s'estomper. Historiquement, Fiat avait créé Simca en 1934 précisément pour contourner les barrières douanières très élevées et les quotas d'importation qui protégeaient le marché automobile français. Avec l'abaissement significatif, voire la suppression progressive, de ces droits de douane au sein de la CEE, le paysage change radicalement. Il devient désormais beaucoup plus simple et économiquement avantageux pour le géant italien d'exporter et de vendre directement ses véhicules en France, sans passer par l'intermédiaire d'une filiale. Cette nouvelle donne économique et réglementaire contribuera grandement au désengagement progressif de Fiat dans le capital de Simca. Taxi G7 Le 12 décembre 1958, H.T. Pigozzi prend une participation majoritaire dans la société de taxi G7. Les Panhard Dyna, en fin de vie, et les quelques Renault Vivaquatre encore en circulation sont alors remplacées par des Ariane 4. En fait, H.T. Pigozzi ne vend pas ces Ariane 4 à la G7, il reçoit en échange une part du capital de la société. Les Simca Ariane noires et rouges, qui circulent dans les rues de la capitale, offrent ainsi une publicité gratuite au constructeur de Poissy. Reprise de Talbot Le 31 décembre 1958, H.T. Pigozzi acquiert Talbot, dont les installations se trouvent au 33 quai du Général Gallieni à Suresnes (la SAFAF étant au 34 du même quai). Dans les années 1930, à ses débuts, H.T. Pigozzi admirait les succès sportifs de ce constructeur, alors à son apogée et repris par Anthony Lago à partir de 1934. Cependant, dans les années 1950, à l'image de ses concurrents Delahaye, Delage, Hotchkiss, Salmson et Bugatti, Talbot ne parvient plus à rivaliser avec l'afflux de voitures sportives étrangères, qu'elles soient allemandes, italiennes ou anglaises, car ces dernières sont plus modernes dans leur conception et plus abordables. Antony Lago entretient de bonnes relations avec H.T. Pigozzi, les deux hommes partageant des origines italiennes. En effet, Antony Lago est né en 1893 à Venise. H.T. Pigozzi perçoit un double avantage à cette acquisition. D'une part, il met la main sur un nom prestigieux qui pourrait, à terme, être associé à une Simca de prestige. D'autre part, il récupère des locaux vacants à Suresnes. Les dernières Talbot, dont la production n'est pas encore achevée, moins de dix exemplaires, sont équipées du V8 Simca poussé à 94 ch SAE. Cette opération ne rapporte rien à Simca, bien au contraire. Mais H.T. Pigozzi agit ainsi par respect pour Anthony Lago, moralement affecté par cette débâcle. Une autre source, moins glorieuse, suggère que les moteurs Simca auraient été livrés à Talbot en échange d'une créance, celle-ci étant compensée quelques mois plus tard par la vente de l'entreprise. Simcaville La fusion des équipes de Ford et Simca à Poissy se déroule harmonieusement, et les préjugés concernant les uns et les autres s'effacent progressivement. H.T. Pigozzi réussit à rassembler les employés, issus de Matford, Ford et Simca, autour de valeurs fondamentales, notamment la qualité du travail fourni. Il instaure un climat social serein, un esprit d'entreprise que toute nouvelle recrue peut percevoir. Les services sociaux de Simca déploient tous leurs efforts pour l'intégration des travailleurs immigrés et de leurs familles. L'acquisition de l'usine Ford SAF de Poissy par Simca en 1954 marque un tournant décisif pour la ville, la transformant en un pôle industriel majeur. Sous l'impulsion de H.T. Pigozzi, Simca joue un rôle prépondérant dans l'aménagement urbain de Poissy, notamment pour loger sa main-d'œuvre grandissante. L'expansion rapide de l'usine entraîne un afflux considérable d'ouvriers. Pour répondre à ce besoin pressant de logements, H.T. Pigozzi initie la construction de vastes cités ouvrières, principalement dans les quartiers de Beauregard et de La Coudraie, mais aussi à Vernouillet. On estime que pas moins de 2 000 logements ont été construits à Beauregard et La Coudraie pour le personnel de Simca.
Quartier de Beauregard, Poissy - Copyright Cela a valu à ces cités le nom de Simcaville. Les premières livraisons d'appartements, dotés d'un confort moderne pour l'époque, débutent en 1957. Au-delà des habitations, Simca finance et participe à la création d'infrastructures collectives essentielles pour accompagner cette croissance démographique. Hôpitaux, terrains de sport, écoles et autres équipements voient le jour. Le quartier de Beauregard, en grande partie conçu par l'architecte Gustave Stoskopf, est un exemple de cette démarche. En hommage à H.T Pigozzi, une rue porte son nom dans le quartier de La Coudraie.
Quartier de Beauregard, Poissy - Copyright Epoque Chrysler L'alliance stratégique General Motors possède Opel et Vauxhall en Europe, tandis que Ford est solidement implanté à Cologne et Dagenham. Pour rester compétitif, Chrysler recherche activement un partenaire européen capable de l'introduire dans la CEE. Pour Chrysler, l'enjeu est de prendre pied dans l'un des six pays du Marché commun pour profiter du potentiel de cette nouvelle communauté économique, qui est promise à un grand avenir. Parallèlement, l'une des ambitions de Simca est d'exporter ses véhicules vers le marché américain. Par ailleurs, les usines Chrysler implantées partout dans le monde pourraient produire à la fois de grosses Chrysler et de petites Simca. Les dirigeants américains sont impressionnés par la croissance rapide de Simca, par la qualité de ses produits, et par ses implantations industrielles à Nanterre et surtout à Poissy.
Brochure Simca USA, mai 1959 - Collection ALR Dans un climat propice à la collaboration, Lester Lum Colbert et H.T. Pigozzi, présidents des deux sociétés, étudient activement un rapprochement avec leurs équipes. En juillet 1958, Simca rachète les 15 % d'actions que Ford détient depuis 1954, et les revend aussitôt à Chrysler. Ford poursuit la rationalisation de ses implantations européennes et recentre ses activités en se débarrassant de ses participations minoritaires. Dès septembre 1958, la participation de Chrysler atteint 25 %, grâce à la reprise de 10 % d'actions détenues par un groupe financier suisse, derrière lequel se trouve la holding Agnelli, c'est-à-dire Fiat.
Lester Lum Colbert, en couverture du Time, 29 janvier 1951 - Copyright En août 1958, H.T. Pigozzi annonce un accord majeur pour 1959 : Simca accède enfin au marché nord-américain. Ce partenariat met à sa disposition 9 000 garages Chrysler, avec un objectif ambitieux de 60 000 ventes de Simca. Jusqu'alors, Simca avait réussi à diffuser 11 989 voitures aux Etats-Unis en 1957 et 24 476 en 1958 par ses propres moyens, l'Aronde correspondant particulièrement bien aux attentes du marché. Malheureusement, comme tous les constructeurs européens, Simca est touchée par le retournement du marché américain en 1959, qui favorise de nouveaux modèles compacts produits par les trois grands constructeurs américains.
La Simca Elysée aux Etats-Unis, 1960 - Copyright Le cas Bacalan Début 1958, Simca finalise la conception de sa nouvelle P60, un modèle résolument moderne avec son toit plat et sa lunette arrière dotée d'une visière, dont le lancement est prévu pour le Salon de Paris en octobre. Durant le développement, la direction produit commande discrètement une présérie de 700 P60 " économiques ". Ces voitures noires arborent un toit bombé sans visière arrière et des pare-chocs d'une esthétique controversée avec leurs crosses relevées. A la découverte de cette production non autorisée, H.T. Pigozzi entre dans une colère mémorable. Les 700 Aronde sont alors transférées et stockées dans un entrepôt du quartier de Bacalan à Bordeaux, d'où leur surnom officieux de " Simca Bacalan ". H.T. Pigozzi qui considère ces voitures comme des rebuts ne veut pas les voir circuler en France, et ne veut surtout pas avoir à justifier leur existence auprès des médias. La direction commerciale trouve une solution inattendue en 1959 : un accord avec plusieurs pays du bloc de l'Est, derrière le " Rideau de Fer ". La RDA, la Hongrie et la Tchécoslovaquie deviennent les principaux débouchés. Ces " Simca Bacalan ", trouvent preneurs auprès des compagnies de taxis, mais aussi de professionnels aisés comme des médecins, vétérinaires ou ingénieurs. Cependant, comme Simca n'a jamais officiellement communiqué sur cette affaire, les détails précis de leur distribution et de leur utilisation restent sujets à caution et relèvent en grande partie de la rumeur et du témoignage. La " Simca Bacalan " demeure une curiosité historique, symbole d'un épisode tendu dans les coulisses du constructeur français. Simca parmi les puissants En octobre 1959, H.T. Pigozzi accueille sur son stand le Général de Gaulle. L'exposition Simca ne comporte pas moins de quatre stands, Aronde, Ariane, Vedette et même Talbot, grand nom en survie grâce à Simca. H.T. Pigozzi se montre à la fois enjoué et précis. Il connaît parfaitement ses automobiles, et n'a besoin de personne pour l'assister. Le Général connaît les Simca, pour se déplacer régulièrement à bord des Simca du parc présidentiel. En marge du Salon, au ministère de l'industrie et du commerce, le ministre a convoqué les grands responsables de l'industrie française de l'automobile, à l'occasion de la remise de la Légion d'honneur au président de Chrysler, Lester Lum Colbert. Sont présent H.T Pigozzi, Pierre Bercot, Paul Panhard, Jean-Pierre Peugeot et Pierre Dreyfus. Le ministre Jeanneney ne manque pas de faire remarquer que ces cinq hommes font vivre plus de 1,2 million de personnes. Simca produit 235 000 voitures en 1959, loin derrière Renault (461 000), mais devant Citroën (213 000) et Peugeot (155 000). H.T. Pigozzi peut être fier de son oeuvre. En un quart de siècle, il a fait passer son entreprise d'un simple fabricant sous licence à une firme offrant un gamme très variée.
Guide remis aux visiteurs de Poissy, vers 1963 - Collection ALR Simca Industries H.T. Pigozzi travaille avec ses proches collaborateurs sur deux priorités stratégiques : consolider les approvisionnements en amont et simplifier et centraliser la gestion des usines extérieures par une harmonisation des processus. Dans cet esprit de rationalisation, le groupe Simca, devenu tentaculaire suite à de nombreuses acquisitions, est restructuré début 1960. Cette réorganisation majeure donne naissance à deux entités distinctes : Simca Automobile, en charge de la production et de la commercialisation des véhicules depuis l'usine de Poissy, et Simca Industries, responsable depuis Nanterre de toutes les opérations d'approvisionnement de Poissy (incluant forges, fonderies, boulonneries, visseries) ainsi que de la gestion des marques Unic et Someca. Simca industries comprend aussi des participations dans différentes sociétés financières, qui offrent notamment des service de vente à crédit. H.T. Pigozzi assume personnellement la double casquette de PDG de ces deux nouvelles structures. Création d'un comité produit Désormais, un comité produit est en place chez Simca. Sa mission est de définir les spécifications des futurs véhicules et de coordonner les différents stade de leur mise en oeuvre. Ce comité, qui rassemble toutes les forces vives de l'entreprise, opère sous l'autorité directe de H.T. Pigozzi. Les décisions et orientations prises y sont d'une importance capitale, car elles engagent l'avenir de la société. Il revient aux collaborateurs de H.T. Pigozzi de le convaincre de la pertinence de leurs propositions, comme ce fut le cas pour le célèbre moteur Rush. Le principe du moteur Simca Rush repose sur une architecture conventionnelle de moteur à combustion interne (4 cylindres, essence, soupapes en tête), mais sa grande innovation réside dans son vilebrequin à 5 paliers. Cette caractéristique lui confère une robustesse accrue, un fonctionnement plus souple et de meilleures performances par rapport à son prédécesseur
Simca à moteur Rusch, 1960 - Collection ALR Après le Salon de l'automobile de Paris en 1959, où Simca expose ses modèles Aronde, Ariane, Vedette et Talbot sur des stands séparés, des discussions commencent au sein du cercle rapproché de H.T. Pigozzi concernant une séparation structurelle plus importante. L'idée est d'imiter General Motors, qui gère avec succès des marques distinctes comme Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et Cadillac. H.T. Pigozzi est initialement séduit par ce concept. Cependant, les opinions divergent considérablement en raison de l'image de marque déjà forte de Simca. Finalement, H.T. Pigozzi et son conseil optent pour une approche plus prudente, abandonnant la vision d'un General Motors à la française ". La Simca 1000 Le développement et le lancement de la Simca 1000 sont indissociablement liés à la vision et à la détermination de H.T Pigozzi. Ayant en mémoire l'échec commercial de la Simca Six face à la Renault 4 CV, et le succès éclatant de la Renault Dauphine apparue en 1956, H.T. Pigozzi nourrit le désir de prendre sa revanche sur la Régie. Il est convaincu qu'il y a un marché porteur pour les petites automobiles, comme le démontrent par ailleurs les succès de la Fiat 600 (1955) et de la Volkswagen Coccinelle (1945). Informé que Renault prépare activement la succession de la Dauphine, H.T. Pigozzi est galvanisé. D'autres projets sont en cours de développement. NSU s'apprête à lancer sa Prinz. Citroën prépare une 2 CV plus étoffée (l'Ami 6) et Renault finit la mise au point d'une petite traction avant (la R4). C'est sans compter sur la révolutionnaire Mini commercialisée en 1959. Dès l'hiver 1957/1958, les premières études pour un nouveau modèle compact débutent. Grâce à ses excellentes relations avec Fiat, Pigozzi met la main sur les plans d'un projet abandonné par le constructeur italien, celui d'une future Fiat 1000 à quatre portes, au profit de la Fiat 850. Ce projet sert de base. Pour le style, Pigozzi sollicite personnellement le designer turinois Mario Revelli di Beaumont, connu pour sa discrétion et son talent. Les choix techniques sont finalisés lors d'une réunion au sommet le 30 septembre 1959, en présence des plus hautes autorités techniques de Fiat et de H.T. Pigozzi. Au fil de multiples adaptations pour le marché français, le projet Fiat 1000 devient la Simca 1000 en traversant les Alpes. Toujours soucieux du détail et stimulé par les rumeurs concernant le style de la future remplaçante de la Dauphine (la R8), Pigozzi, bien que satisfait du travail de Mario Revelli di Beaumont, fait appel à un autre styliste de renom, Mario Boano, pour d'éventuelles retouches. Boano propose plusieurs suggestions, dont certaines sont retenues, peaufinant ainsi l'esthétique de la voiture. La concurrence étant à son comble, Renault réagit en faisant également appel à Philippe Charbonneaux pour la R8. La Simca 1000 est officiellement présentée au public au Salon de Paris 1961.
Simca 1000 - Source : https://en.wheelsage.org Malgré l'ampleur de ses responsabilités, H.T. Pigozzi reste très impliqué et passionné par les produits. Il voue une affection particulière à la Simca 1000. Ses interlocuteurs sont surpris de voir cet homme de grande taille et d'un tel rang se faufiler à l'intérieur d'une si petite voiture. D'ailleurs son chauffeur est d'un aussi grand gabarie que lui. Des sièges surbaissés permettent aux deux hommes d'afficher une attitude digne à bord de la 1000. Marie-Louise Cannone, dite Louisette, l'épouse de H.T. Pigozzi, souhaite sa propre Simca 1000 personnalisée. Le service style crée pour elle un modèle unique, avec une peinture métallisée gris clair rehaussée d'une fine baguette extérieure et un intérieur en simili cuir blanc. La voiture est si réussie que H.T. Pigozzi demande à ses équipes de l'intégrer à la gamme future, donnant ainsi naissance à la Simca 1000 GL, un modèle plus luxueux qui répond effectivement aux attentes du public. Chrysler monte en puissance Depuis un certain temps, Simca fait face à des difficultés financières. Les investissements colossaux pour la construction de l'usine de Poissy et le développement de la Simca 1000, dont les ventes ne répondent pas aux attentes, pèsent lourdement sur sa trésorerie. La sortie prévue des futurs modèles 1300/1500 s'annonce périlleuse dans ce contexte. Face à cette situation, H.T. Pigozzi, le président de Simca, intensifie ses contacts avec les dirigeants de Chrysler et multiplie les voyages aux États-Unis. En France, il travaille ce dossier crucial avec son ami et conseiller juridique, Léon Constantin. Après deux années de négociations menées dans la plus grande discrétion avec les représentants de la famille Agnelli et la direction de Chrysler, l'annonce officielle tombe en décembre 1962 : Chrysler augmente sa participation dans Simca Automobiles pour atteindre 63 % du capital. Ce mouvement s'inscrit dans la même stratégie d'implantation européenne que Ford et General Motors ont initié bien avant la guerre. Cette alliance est présentée comme bénéfique pour les deux parties, sans vainqueur ni vaincu, une volonté partagée par Simca et Chrysler. D'ailleurs, Simca n'hésite pas à exploiter le thème " Simca, associé de Chrysler " dans ses publicités, marquant le début d'une nouvelle ère. Au cours des semestres suivants, le taux de participation de Chrysler continuera de croître jusqu'à une propriété totale. La nouvelle, apprise par la presse, suscite l'inquiétude parmi les concessionnaires de Simca. H.T. Pigozzi leur adresse alors une lettre d'information pour les rassurer. Il s'efforce de les convaincre que cette alliance est une consécration pour le constructeur français, qui passe désormais du statut de " grand " à celui de " géant ". Il précise également qu'il peut désormais continuer à travailler au renforcement et au développement de la marque Simca avec une sérénité accrue, son départ n'étant pas à l'ordre du jour malgré le remplacement de l'actionnaire majoritaire italien par un américain. Parallèlement à cette prise de participation, le contrat de distribution des modèles Fiat par Simca est rompu en décembre 1962. Cette décision confirme la prise de distance entre les deux firmes, pourtant historiquement liées, Fiat s'apprêtant désormais à déployer son propre réseau en France via Fiat France. Début janvier 1963, lors de la traditionnelle réception des vœux au palais de l'Élysée, le Général de Gaulle adresse à H.T. Pigozzi un " Bonjour, Mister Pigozzi " glacial. Cette salutation provoque un silence gêné dans l'assistance. Chacun comprend immédiatement l'allusion du Général aux négociations en cours pour l'augmentation de la participation de Chrysler au capital de Simca. De Gaulle, qui a ses canaux d'information, voit d'un mauvais œil cette mainmise d'un géant étranger, et américain de surcroît, sur une entreprise française d'importance. Dans un contexte où il mène une politique ferme de réduction de l'influence américaine en France, incluant notamment le retrait des bases US de l'Hexagone, le Général est agacé que cette transaction ait pu se concrétiser sans que l'État français ait eu l'opportunité de réagir. Merci M. Pigozzi Au Salon de Genève de 1963, H.T. Pigozzi présente les nouvelles Simca 1300/1500, des modèles destinés à remplacer à la fois l'Aronde et l'Ariane. Il sait probablement qu'il s'agit de sa dernière apparition publique en tant que PDG de Simca. Ses craintes se confirment. Les dirigeants de Chrysler sont déterminés à éradiquer toute influence italienne résiduelle chez Simca. En effet, en arrivant à Poissy, ils réalisent que l'usine ne peut pas fonctionner sans l'approvisionnement en pièces et composants provenant de Simca Industries. Hors, cette entité distincte que H.T. Pigozzi dirige vend ses produits à Chrysler au prix fort. Cette situation engendre un fort ressentiment chez Chrysler. Ils ont l'impression de s'être fait berner.
Le 6 février 1963, H.T. Pigozzi présente en maquette la nouvelle Simca 1300 - Copyright Pourtant, le départ de H.T. Pigozzi ne faisait pas partie des intentions initiales de Chrysler. Le conseil d'administration le nomme président d'honneur de Simca, une décision qui prend effet le 31 mai 1963. Cela équivaut à lui retirer la direction opérationnelle de ce qui est l'œuvre de sa vie. A Poissy, les Américains cherchent l'apaisement. Il n'est pas question d'y installer un dirigeant américain. La direction de Simca Automobiles est confiée à Georges Héreil, une personnalité appréciée des milieux industriels. Ancien président de Sud-Aviation de 1957 à 1962 et " père " de la Caravelle, il a également contribué au redressement de l'affaire de Gabriel Voisin au début des années 1930. Georges Héreil connaît bien les Américains, comme tout dirigeant de l'aéronautique. La passation de pouvoir a lieu le 31 mai 1963. Ce jour-là, H.T. Pigozzi ne laisse transparaître aucune émotion particulière et souhaite bonne chance à son successeur. Cependant, son entourage perçoit qu'il est profondément affecté. L'homme est fatigué. Il doute déjà depuis quelque temps de sa capacité à gérer simultanément Simca Automobiles et Simca Industries. Une certaine lassitude s'est installée. A 65 ans, il a déjà 50 ans d'intense activité professionnelle derrière lui. Au Salon de l'Automobile en octobre 1964, Georges Pompidou, Premier ministre, visite l'exposition des véhicules industriels. H.T. Pigozzi est présent sur le stand de Simca Industries, et lui présente la gamme des camions Unic. Sa disparition H.T. Pigozzi avait choisi de rester discret sur sa santé, malgré ses propres inquiétudes. Il est terrassé par une crise cardiaque à son domicile le 18 novembre 1964, à l'âge de 66 ans. Sa disparition marque la fin d'une époque, et l'occasion pour tous de mesurer l'ampleur de l'œuvre accomplie par ce capitaine d'industrie. Ses obsèques, célébrées à Neuilly le 21 novembre, rassemblent de nombreuses personnalités du monde de l'automobile, de la finance et de la politique, ainsi qu'une foule de collaborateurs et d'anonymes venus lui rendre un dernier hommage. Son ami et conseillé Léon Constantin lui rend un hommage émouvant. " Il était de ces hommes pour qui une tâche ne se conçoit qu'en y consacrant sa vie ". Umberto Agnelli, président de Fiat, déclare pour sa part " Henri Pigozzi a définitivement marqué de son empreinte ce siècle industriel, plus attaché aux réalités qu'à la vanité des formules, mêmes les mieux venues ", et d'ajouter " Sans jamais oublier son Piémont, pour lequel il gardait la fidélité de ses tendresses d'enfant, il aima passionnément la France, sa terre et ses hommes. S'il fut un grand français honoré de la confiance du gouvernement, c'est que, tout au long de sa vie, il se dévoua, sans faillir un seul moment et parfois, malgré la rigueur de temps, au service d'un pays où il avait trouvé sa raison d'être et atteint son plein épanouissement ". C'est Georges Héreil, son successeur à la tête de Simca, qui en dresse le portrait le plus complet : " Certes, le grand praticien de affaires qu'il était, le magicien, l'homme de génie, le grand industriel pragmatique, attentif au concret, ne se payait pas de mots ; il n'était pas bavard et se méfiait des déclarations de principe que les réalités, il le savait bien, se chargent trop souvent de démentir. C'était donc dans son comportement quotidien et non pas par des propos théoriques qu'il exprimait sa philosophie personnelle et sa conception du chef d'entreprise, sa conception du patron ... Il a vécu pour l'avenir, il a construit de l'avenir à chaque minute de son existence. Il a construit de l'avenir pour lui-même mais, surtout, pour les dizaines de milliers de personne auxquelles il apportait, comme il l'a dit lui-même un jour, des raisons de vivre et des raisons d'aimer la vie ... Le président Pigozzi a été un créateur, un fondateur, un bâtisseur, un animateur au sens le plus précis du mot : celui qui donne une âme." EpilogueH.T. Pigozzi était un industriel audacieux, reconnu pour son sens aigu des affaires, son pragmatisme et sa vision stratégique. Il anticipait les besoins du marché et prenait des décisions cruciales pour le développement de son entreprise. Sa réussite reposait sur l'exploitation judicieuse de licences, le développement de modèles adaptés aux attentes des consommateurs et une gestion efficace de la production. A titre privé, Henri Théodore Pigozzi était le père de Jean Pigozzi, photographe et collectionneur d'art contemporain, et de Caroline Pigozzi, journaliste et écrivaine. Après le départ de H.T. Pigozzi, le 1er janvier 1965, un jeune membre de la famille Agnelli prend la tête de Simca Industries. Ce dernier est déjà président de Fiat France, une entité créée un an plus tôt pour établir un réseau commercial indépendant. En juin 1966, Fiat France et Simca Industries fusionnent. Ainsi, l'empire industriel que H.T. Pigozzi a bâti à partir de la SAFAF retourne pour sa partie non vendue à la société Fiat. Cette opération concerne notamment les marques Unic et Someca. Les autres entreprises de Simca Industries, jugées indispensables au bon fonctionnement de Simca Automobiles, ont déjà été revendues à Chrysler un peu plus tôt, donnant l'impression à Chrysler d'avoir acquis Simca deux fois. Finalement, en 1978, la marque Simca est reprise par le groupe PSA Peugeot Citroën, marquant la fin de son existence en tant que marque automobile distincte. Sources
Simca Poissy, par Simca, 1959 Remerciements
Merci à Jean-Michel Prillieux pour sa relecture
attentive.
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