Donnet-Zedel, marque française aux origines suisses


Copyright. Ce site est gratuit et sans publicité. Je n'en retire aucun bénéfice financier. C'est le fruit d'une démarche totalement désintéressée. Si vous êtes détenteur d'un copyright non mentionné, je vous invite à me contacter. Ce fait est involontaire. Le document en question sera immédiatement retiré. Merci donc pour votre indulgence, pour ce qui n'est qu'un travail amateur.


Donnet-Zedel est une marque automobile franco-suisse créée en 1923, à partir de la marque suisse Zedel, elle-même créée en 1902. En 1927, la firme décide de s'installer à Nanterre. Elle parvient alors à se hisser au cinquième rang des constructeurs français, derrière Citroën, Renault, Peugeot et Mathis. Sévèrement touché par la crise économique du début des années 30, le constructeur cesse de produire des voitures en 1934. Son usine de Nanterre est rachetée par Simca-Fiat. 


Zürcher et Luthie, avant l'automobile


Hermann Lüthi, coutelier de formation, reprend en 1885 une affaire de coutellerie à Neuchâtel, la maison Jacot. Passionné de bicyclettes, il diversifie ses activités, et ouvre en 1889 son propre magasin de cycles, où sont représentées plusieurs marques anglaises, allemandes, françaises et américaines. En 1897, Ernest Zürcher, cycliste reconnu, s'installe en tant qu'entrepreneur de construction mécanique en tous genres, à Neuchâtel. Les produits qu'il commercialise sont disponibles chez Hermann Lüthi. On peut dater de cette époque les premières relations professionnelles entre ces deux hommes.

En 1898, Zürcher et Lüthi se rendent au premier Salon de l'automobile qui se tient en France au Jardin des Tuileries. Ils découvrent là les plus récentes inventions en matière automobile, et établissent quelques contacts. Désormais, ils n'ont plus qu'une ambition, celle de fonder leur propre marque automobile. Mais entre cette ambition et les dures réalités financières, ils s'en tiennent pour l'instant à la création d'une usine de fabrication de moteurs.

Le 22 décembre 1899, le mécanicien Ernest Zürcher et le marchand de bicyclettes Hermann Lüthi présentent à quelques personnes intéressées un vélo équipé d'un moteur auxiliaire système " Lüthi & Zürcher ". Le 13 janvier 1900, les deux hommes déposent un brevet pour une " bicyclette à moteur perfectionné ". Leur moteur auxiliaire est un succès au niveau international. La petite usine de Saint-Aubin près de Neuchâtel tourne à plein régime pour répondre à la demande.

En 1901, Zürcher et Lüthi fondent à Saint-Aubin la " Zürcher, Lüthi & Cie ". Dès 1902, Hermann Lüthi, qui est minoritaire dans le capital, se retire pour poursuivre sa propre voie. La société est dissoute. Zürcher poursuit ses activités sous le nom de " Fabrique de moteurs et de machines, ancienne maison Zürcher, Lüthi & Cie ". En mai 1902, les marques Zedel et ZL sont enregistrées, par réunion des initiales de Zürcher et Lüthi.

Publicité pour un vélo équipé du système breveté par Zürcher, Lüthi & Cie

Hermann Lüthi retrouve son affaire de coutellerie, et liquide son stock de bicyclettes. Il fait l'acquisition auprès de l'ingénieur zurichois Rudolf Egg, pionnier de l'automobile, d'un brevet pour la production de bougies d'allumage. Ses fabrications connaissent un grand succès sous le nom de " Bougie Lüthi ", notamment à Paris, centre névralgique de l'automobile à cette époque. Les bougies Lüthi sont distribuées dans toute l'Europe, mais aussi à New York ou à Sydney. Mais Rudolf Egg perfectionne son invention, rendant obsolète la première version distribuée par Lüthi, et décide cette fois de garder le brevet pour lui-même.

Rudolf Egg est avant tout un constructeur automobile. Ce phaéton Egg deux places de 1906 se singularise par son radiateur " nid d'abeilles " de forme circulaire qui lui assure un cachet particulier. Copyright

Le distributeur parisien August Vogel, détenteur de la marque " Bougie Lüthi ", vend désormais les nouvelles bougies de Rudolf Egg sous la marque Bougie Lüthi. C'est un comble pour Hermann Lüthi qui ne touche pas un centime sur la distribution de ce produit portant son nom. Cela l'incite à étudier un nouveau modèle encore plus perfectionné, pour lequel il dépose un brevet en 1904.

Dans la presse spécialisée, on découvre ainsi des publicités pour les bougies Lüthi de Paris, celles de Rudolf Egg, et d'autres pour les bougies Lüthi de Neuchâtel, celles d'Hermann Lüthi. Au terme d'un jugement entre les deux parties, Hermann Lüthi est le perdant. A partir de 1907, les ventes des bougies françaises déclinent, tandis que celles d'Hermann Lüthi fabriquées sous les marques Presta, EDCO ou Lüthi Liberta, conquièrent toute l'Europe, sur terre, en mer et dans les airs. Au début de la guerre, la production cesse. Hermann Lüthi décède en 1918 à l'âge de 53 ans.

Hermann Lüthi ayant quitté l'affaire de fabrication de moteurs, celle-ci poursuit tout de même ses activités avec Ernest Zürcher sous la marque Zedel. Le gouvernement français décide d'appliquer une politique de protectionnisme en augmentant les droits de douane pour " taxer les produits étrangers qui menacent l'industrie nationale ". Afin d’échapper à ceux-ci, Zedel, dont la clientèle est surtout implantée dans l'Hexagone, s’installe en 1904 à Pontarlier, ville française distante d'une cinquantaine de kilomètres de Neuchâtel. Il s'agit d'abord d'un minuscule atelier construit à la va-vite, où quelques mécaniciens assemblent des moteurs de motocyclettes, qui peuvent donc prétendre être fabriqués en France, même si la main d'oeuvre est en grande partie d'origine suisse.


Les automobiles Zedel de Samuel Graf


Samuel Graf est un des plus importants fournisseurs de Zedel. En 1906, l'entreprise qui a grandi un peu trop vite éprouve quelques difficultés à régler à temps ses fournisseurs. Samuel Graf prend part au capital de Zedel, et en devient majoritaire. Ernest Zürcher n'est plus le décideur. Fin 1907, il quitte l'usine de Pontarlier, et retourne en Suisse à Saint-Aubin, où il poursuit la construction de motocyclettes et d'automobiles, maintenant à l'effigie de ZL. Désormais, entre l'usine suisse de Saint-Aubin et l'usine française de Pontarlier, la rupture est complète. La fabrication de moteurs de motocyclettes se poursuit à Pontarlier. En parallèle, on y étudie une automobile.

La fabrication de la première voiture Zedel démarre en 1907. Il s'agit de la Type B, une deux places, animée par un robuste 4 cylindres 7/8 CV. Elle est construite à 98 exemplaires durant cette seule année 1907. Afin de grimper les sommets du Jura sans trop de peine, la Zedel est équipée d'une boîte de vitesses à quatre rapports. On ne sait pas très bien qui de Zürcher ou de Graf est le plus légitime à revendiquer la paternité de cette première automobile. Ce n'est pas qu'une question de prestige. Il s'agit aussi de déterminer qui possède les droits d'exploitation sur la marque. La justice tranche en faveur de Samuel Graf, la seule à pouvoir utiliser la marque Zedel, qui devient donc 100 % française.

Entre 1908 et 1914, la production de Zedel se diversifie. Ces automobiles robustes et fiables sont plutôt destinées à une clientèle aisée de notables, médecins et industriels. Après le Type B, la chronologie des modèles est la suivante jusqu'en 1919. Source : https://zedel.ch

Année de production Type Puissance Production
1908 C 10/12 CV 130
  D 14/16 CV 35
1909 CA 10/12 CV 130
  CB 10/12 CV 110
  DA 14/18 CV 60
1910 CC 10/12 50
  E 12/15 100
  DB 15/20 50 environ
  CG 12 50
1911 CF 12 150
  DBS 15/20 50 environ
1912/13 CI 12 200
1912/14 H 18/24 40
1914 et 1919 CE 11/15 100 et 50 environ

Zedel exporte ses voitures en Grande-Bretagne, en Italie et ... en Suisse, ce qui forcément agace Ernest Zücher. La Première Guerre mondiale met un coup d'arrêt à la construction automobile de Zedel, comme pour l’ensemble des constructeurs français. Quelques rares voitures sont encore assemblées, avec des ouvriers suisses, à partir du stock de pièces encore disponibles. Très vite, l'entreprise est réquisitionnée pour produire des obus. Certains citoyens suisses hautement qualifiés quittent l'usine française, au grand dam des dirigeants de l'affaire.

La paix revenue, Samuel Graf ne peut que constater les dégâts. Son outil de production est désorganisé. Les chaînes d'approvisionnement ont perdu de leur efficacité. Alors il remet en fabrication une gamme restreinte de modèles d'avant-guerre. Mais il n'a plus l'énergie nécessaire pour relancer la machine. Il semble attentif à toute offre de reprise ...

Phaeton 3 places 10/12 HP, 1908/1909. Copyright


Jérôme Donnet, le personnage


Joseph Albert Jérôme Donnet est né le 10 février 1885 en Suisse. Ses parents d'origine paysanne l'incitent à intégrer vers 1900 l'école hôtelière de Lausanne. Il a à peine 20 ans quand on lui confie la direction d'un hôtel au Danemark. C'est là qu'il fait la connaissance de sa future épouse, une Danoise, Anna Elisabeth Hensen, avec qui il se marie à Copenhague le 17 mai 1907. Il trouve un nouvel emploi, et prend en charge l'agence commerciale de Renault pour les pays nordiques. Ainsi, il séjourne alternativement à Copenhague et à Paris.

Le brillant jeune homme rencontre en 1911 Henri Lévèque, qui le convainc de se lancer dans la fabrication aéronautique. Le premier engin à voir le jour est en 1912 un hydravion de marque Donnet-Lévèque, dessiné par l'ingénieur français François_Denhaut. C'est un biplan deux places de 9,50 mètres d’envergure, propulsé par un moteur rotatif Gnôme Oméga de 50 ch, produit en région parisienne à Bezons. Hélas, les ventes ne sont pas à la hauteur des espérances. Donnet quitte cette société en 1913.

Une trentaine d'exemplaires du Donnet-Lévèque sont produits, mais seule près de la moitié sont vendus. Quelques exemplaires participent à la guerre 14-18, fabriqués en 1913 par la société FBA à Vernon, qui a racheté les brevets. Copyright

A la déclaration de la guerre, Jérôme Donnet, qui est de nationalité suisse, n'est pas concerné par la mobilisation. En juillet 1915, il reprend la construction d'hydravions à vocation militaire dans une usine située dans l'Ile de la Jatte, près de Paris. François Denhaut, son directeur technique, est lui mobilisé au sein de l'usine dans l'intérêt de la nation. Il conçoit les appareils Donnet-Denhaut à moteur Clerget, Salmson, Lorraine ou Hispano, la plupart destinés aux premiers bombardements de l'histoire aéronautique. Accessoirement, comme André Citroën, Jérôme Donnet se familiarise avec la production en série. Et comme l'industriel de Javel, il doit rapidement réfléchir à une reconversion pour la période d'après-guerre, vers des activités plus civiles.

Entre 1915 et 1918, ce sont environ cinq appareils qui sortent quotidiennement de l'usine Donnet-Denhaut. Jérôme Donnet retire de cette activité de confortables bénéficies, qui vont faire sa fortune. Copyright

L'association entre Jérôme Donnet et François Denhaut cesse en 1919. Donnet s'intéresse depuis quelque temps à l'industrie automobile. A la veille de la guerre, il a déjà pris des contacts avec le constructeur Vinot & Deguingand. Il est convenu qu'en cas de décès de Lucien Vinot, qui intervient effectivement le 26 mars 1915, et qui n'a pas d'héritier pour lui succéder, Jérôme Donnet reprenne le contrôle de la marque Vinot & Deguingand.

Il laisse celle-ci vivre au ralenti jusqu'en 1926 sous la direction d'Albert Deguingand, ce dernier ayant approuvé au préalable le projet de Donnet, qui envisage à terme la construction d'une usine géante sur les terrains de Nanterre appartenant à Vinot & Deguingand depuis 1919. Donnet poursuit son plan immobilier en rachetant d'autres parcelles voisines à Nanterre, ce qui lui permet en 1924 de posséder 47 600 m2 de terrain dans cette ville. Nous y reviendrons.


Jérôme Donnet prend la main


Après la Grande Guerre, la construction automobile en plein développement est pour de nombreux industriels de l'aviation l'activité qui semble la plus adaptée à l'outil industriel dont ils disposent. Voisin, Farman, Hispano-Suiza ou Maybach s’orientent vers ce secteur. Jérôme Donnet, qui a déjà travaillé pour Renault, en connaît les principaux rouages. En octobre 1923, il prend contact avec Samuel Graf chez Zedel, usine sise à Pontarlier désormais totalement française. Moyennant un apport conséquent au capital, l'affaire prend le nom de Donnet-Zedel. L'arrivée de Donnet et son apport en capital permettent de relancer cette entreprise quelque peu somnolente.

Jérôme Donnet remplace Samuel Graf, heureux de passer la main, à la direction de l'affaire. Il reprend à Pontarlier la production des anciens modèles Zedel sous la marque Donnet-Zedel. En 1920, sort le premier modèle réellement nouveau, le Type P de 3 176 cm3, destiné à une clientèle très aisée. En 1921, apparaît la C15 (18 CV), une 4 cylindres que Donnet destine à une production en grande série. L’ultime évolution de la C15 aboutit, en 1922, à la populaire et robuste C16, une 11 CV qui survit jusqu’en 1929, et même 1933 dans sa version utilitaire.

Donnet-Zedel Torpédo Sport 1924. Les voitures Donnet-Zedel sont aptes à assurer un service honnête. Elles sont bien dessinées, d'aspect extrêmement classique, mais modernes. Copyright

L'usine de Pontarlier bénéficie d'une bonne réputation. C'est un modèle d'organisation méthodique, d'ordre, de propreté et de clarté. Le siège social est installé au 57 rue de Villiers, à Neuilly. La marque dispose d'un magasin de vente Avenue des Champs-élysées à Paris, et de quelques succursales de vente, notamment à Lyon, Bordeaux et Alger. 


La 7 CV produite en région parisienne


Jérôme Donnet croit en la démocratisation de l’automobile. Pour cela, il peut s'inspirer des réalisations d'André Citroën. Un modèle de 7 CV est mis en chantier en 1922. Il s’agit du Type G à moteur 1 098 cm3, commercialisé en 1924. Cette nouvelle voiture marque un tournant pour la marque, car elle est produite non pas à Pontarlier, mais en région parisienne. Les châssis sont fabriqués dans l'ancienne usine d'hydravions de Donnet sur l'île de la Jatte. Les moteurs sortent d'une deuxième usine à Gennevilliers. Une troisième enfin, installée à Neuilly, produit les carrosseries.

A l'étroit à Pontarlier, Jérôme Donnet s'oriente vers la région parisienne pour produire sa 7 CV, qui il l'espère donnera une nouvelle dimension à sa marque automobile.

La rationalisation de la production n’est pas très optimale, mais Jérôme Donnet pense déjà à regrouper toutes ses fabrications dans une seule usine, dotée des équipements les plus modernes. Celle-ci serait construite sur les terrains qu'il possède désormais à Nanterre.

Depuis 1925, la politique commerciale de Donnet se veut plus moderne et plus dynamique. Un service compétition est créé, dirigé par l'ingénieur Etienne Lepicard. Des torpédos d'allure très sportive sont présentés au Salon de Paris 1925 et à celui de Madrid en 1926, mais ils ne connaissent pas une brillante carrière commerciale, leur moteur manquant de puissance au regard des châssis trop lourds. Malgré cela, le réseau d'agents se développe, et Jérôme Donnet stimule les ventes à l'exportation.

Donnet-Zedel Type G, 1925 - Source : https://www.motorsdb.com

Pour affirmer ses ambitions, Jérôme Donnet rebaptise en mai 1926 toutes les Donnet-Zedel en Donnet tout simplement. Le nom de Zedel qui appartient aux origines suisses de la marque passe aux oubliettes. En 1927, un journal d’entreprise est même lancé, et l’utilisation de la publicité se développe, notamment avec le fameux slogan " La marque qui monte, la voiture qui grimpe ". 

La marque qui monte, la voiture qui grimpe. Copyright


Donnet à Nanterre (1927)


Le succès de la 7 CV se confirme, et fait de Donnet le cinquième constructeur automobile français en 1927, après Renault, Citroën, Peugeot et Mathis, mais devant Chenard & Walcker. Face au succès croissant de ce modèle, et comme anticipé par Jérôme Donnet, l’entreprise va s'agrandir. Elle va regrouper l'ensemble de ses productions à Nanterre sur les terres de Vinot & Deguingand, cette vieille firme fondée en 1898, qui est effectivement déclarée en faillite en 1927.

Les outillages laissés sur place sont totalement obsolètes, et bradés au prix de la ferraille. Une grande usine ultramoderne, destinée à recevoir des chaînes de montage sur cinq niveaux, est donc construite sur ces terrains. Jérôme Donnet s’inspire pour ses plans de la grande usine Citroën du Quai de Javel.

Jérôme Donnet voit grand pour ses futures 4 et 6 cylindres. Il entend bien dépasser cette modeste position de cinquième constructeur français. L'usine Zedel de Pontarlier, devenue désuète, et dont les machines ont été progressivement transférées à Nanterre, cesse toute activité en 1929, ce qui provoque du même coup la suppression de près d'un millier d'emplois dans le Jura. Quelques employés quittent leur région natale pour rejoindre Nanterre.

Photo datée d'avril 1928, un jeune homme semble venir prendre possession de sa voiture à l'usine Donnet de Nanterre. Copyright

La marque Donnet connaît ses plus belles années. Le catalogue diffusé au Salon de Paris 1927 compte une 4 cylindres 7 CV type G2 de 1,1 litre vendue 19 800 francs en torpédo deux places, une 4 cylindres 11 CV type CI 6 de 2,1 litres vendue 31 500 francs en torpédo quatre places, une 6 cylindres 8 CV type G4 de 1,8 litre vendue 25 000 francs en torpédo 4 places, et une 6 cylindres 12 CV type K de 2,5 litres vendue 39 900 francs en torpédo 7 places. Donnet a fait appel à un grand ingénieur motoriste, Maurice Sainturat, qui a déjà démontré son savoir-faire chez Hotchkiss et Delage. Le même Sainturat dessinera quelques années plus tard les moteurs de la Citroën Traction.

Donnet C16. C'est en 1927/28 qu'a eu lieu la plus importante production annuelle de véhicules Donnet, celle-ci dépassant les 75 voitures par jour. Cette production place alors Donnet au cinquième rang des constructeurs français, au coude-à-coude avec Mathis et Chenard & Walker, tout en étant largement distancé par Renault, Citroën et Peugeot. Copyright


Une croissance trop rapide (1930)


Propriétaire à Nanterre de la plus récente des usines automobiles françaises, Jérôme Donnet a encore le vent en poupe lorsqu'il aborde le Salon d'octobre 1931. Sur son stand du Grand Palais, il annonce un élargissement de sa gamme aux deux extrémités. En tant que modèle économique, il propose une voiturette populaire 4 CV étudiée par l'ingénieur Marcel_Violet, animée par un moteur deux temps à deux cylindres en ligne de 740 cm3, d'un empattement de 2,27 mètres, vendu 11 500 francs.

Pour son haut de gamme, Donnet n'hésite pas à sortir des sentiers battus en révélant la fabrication prochaine d'une traction avant 11 CV, dont le projet lui a été soumis par l'ingénieur Jean-Albert Grégoire, l'homme des voitures de sport Tracta, mais tout en conservant un maximum d'éléments mécaniques Donnet. Le moteur est donc le 6 cylindres de 2 litres déjà monté dans la Donnet 11 CV à transmission classique. La traction avant Donnet a un empattement de 3 mètres. Le prix annoncé en octobre 1931 reste raisonnable pour un modèle techniquement aussi moderne : 38 900 francs.

En dehors de ces deux nouveautés, figurent toujours au programme une 4 cylindres 7 CV de 1,3 litres (25 900 francs), et deux 6 cylindres de 2 et 2,5 litres, vendues respectivement 29 950 et 38 900 francs. Ces voitures, qui assurent le quotidien de l'entreprise, reposent encore sur de vieux châssis.

Le site Donnet de Nanterre aura été utilisé par son constructeur de 1928 à 1934.

Hélas, alors que l’usine de Nanterre commence à produire à plein régime, la crise économique mondiale déclenchée en octobre 1929 à Wall Street provoque en France courant 1932 un effondrement du marché automobile. Cette crise plonge Donnet dans de graves difficultés financières. La dette gonfle, les voitures se vendent mal. La clientèle est frileuse. Les stocks augmentent, alors que jamais les capacités de production n'ont été aussi élevées.

En raison de ses cadences de production limitées, Donnet n'a pas les moyens de perfectionner et de suréquiper ses modèles comme le font Peugeot, Renault ou Citroën à partir de 1931. Plutôt que de renforcer l'entreprise, la 4 CV et la 11 CV sont des échecs commerciaux. Elles ne font que fragiliser un peu plus les finances d'une entreprise déjà mal en point. Et les vieux modèles n'attirent plus grand monde. Un plan de sauvetage est lancé. Les frais de publicité sont réduits, le service course est supprimé, mais ces économies ne suffisent pas. L'usine est réellement surdimensionnée. En 1932, le constructeur effectue des coupes sombres dans ses effectifs. En fait, tout espoir de sauver la marque semble désormais bien illusoire.

A défaut de nouveauté, on se contente de replâtrages hâtifs. Les modèles existants sont rebaptisés Donnette (4 CV), Donnarex (7 CV), Donnastar (8 CV), Donnaquatre (11 CV), Donnasix (11 CV) et Donnasuper (13 CV), un peu à la manière des Renault, mais ils ne se vendent pas plus. Seules les carrosseries fermées sont maintenues au catalogue. Mais c'est trop tard. Le 20 décembre 1934, plongé dans d’insurmontables difficultés financières, Donnet est déclaré en faillite et cesse sa production. La firme automobile Donnet-Zedel, devenue plus simplement Donnet, rejoint les centaines de firmes défuntes que compte déjà l'industrie automobile à cette époque.


L'usine Donnet passe dans les mains de Simca (1934)


La " Société Anonyme Française des Automobiles Fiat " (Safaf) est créée en 1926 à Paris par Fiat. Ernest Loste, importateur de la marque depuis 1907, en assure la présidence. Un jeune Italien de 28 ans, Henri-Théodore Pigozzi, est nommé directeur. Grâce à la Safaf, les ventes de Fiat progressent en France. Mais le début des années 30 marque un terme aux années de pleine croissance. Le protectionnisme s'instaure aux frontières par le biais de taxes dissuasives. Fiat arrête ses exportations vers l'Hexagone. Pour garder sa place sur notre marché et contourner les taxes, le constructeur turinois fait évoluer la Safaf en société de fabrication. Des sous-traitants sont sélectionnés pour produire en France des pièces de la nouvelle Fiat Balilla. Les premières Fiat assemblées en France sortent en septembre 1932 des ateliers Manessius, une ancienne maison de carrosserie réputée, sise à Levallois. Le succès est au rendez-vous, et Fiat déploie différentes carrosseries autour de la 6 CV Ballila.

Simca vient de remplacer Donnet à Nanterre. Les voitures à caisse carrée stationnées devant l'usine peuvent nous laisser penser que cette carte postale date d'avant-guerre.

Devant un tel engouement, la Safaf se sent rapidement à l'étroit. H.T. Pigozzi réfléchit à la possibilité de déménager dans une véritable usine en région parisienne, où seraient regroupés la fabrication et le montage de tous les éléments des voitures. Faut-il construire une usine ou en racheter une existante ? Les dirigeants de la Safaf optent pour la seconde solution après avoir cherché en vain un terrain disponible répondant à leurs besoins. Pour autant, il n'est pas question d'acquérir une relique issue des années 1900, comme celles que viennent d'abandonner de petites firmes nées au début du siècle, et qui n'ont pas su suivre la marche du progrès. L'usine Donnet, récente de construction, répond aux besoins de H.T. Pigozzi.

Sur la première vue, l'usine à l'époque de Donnet (1929). Sur la seconde, l'usine à l'époque de Simca. Même si l'angle de prise des photos n'est pas le même, on observe le déploiement des installations sur les anciens terrains restés vierges à l'époque de Donnet. Copyright

Pour ne pas rencontrer d'ennuis avec l'administration française qui pourrait y voir une intrusion étrangère, Fiat décide de fonder une nouvelle société anonyme, avec des actionnaires français. C'est ainsi que naît la " Société Industrielle de Mécanique et Carrosserie Automobile ", la Simca, le 2 novembre 1934. Le 29 mai 1935, Simca devient le propriétaire de l'usine Donnet. La Safaf est dissoute le 1er juillet 1935. De Nanterre sortiront en série les Simca 5 (1936), Simca 8 (1938), Simca 6 (1947) et Simca 9 Aronde (1951). 

En lançant la Simca-Fiat 11 CV en 1935, H.T. Pigozzi espère récupérer une partir de la clientèle Donnet. Le résultat sera décevant et la Simca-Fiat 11 CV fera une carrière discrète. Il faudra attendre le lancement des Simca 5 en 1936 et Simca 8 en 1938 pour qu’enfin Simca connaisse véritablement le succès.


Epilogue 


En 1935, l’entreprise de matériel électrique Contin-Souza tente de récupérer une partie des impayés de Donnet en commercialisant jusqu’en 1936 sous la marque Donnet-Contin le stock des invendus produits en 1934, mais sans grand succès. Ainsi se termine l’histoire de Donnet.

En 1954, Simca rachète la gigantesque usine Ford de Poissy, et dès lors transfère progressivement toute sa production de Nanterre vers Poissy. L’usine de Nanterre est de plus en plus délaissée. Simca la cède en 1961 à Citroën qui y fabrique des moteurs pour ses différents modèles, ainsi que de la petite tôlerie pour la 2 CV et plus tard pour la Dyane. Si l’usine de Nanterre pouvait fabriquer jusqu’à 100 000 voitures annuellement, l’usine de Poissy est d’une tout autre échelle, car on y produira dans les années 70 jusqu'à 500 000 voitures par an.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
Reproduction interdite, merci.

Retour au sommaire de Marques disparues - Retour au sommaire du site