Talbot, de Charles Chetwynd-Talbot à la Samba


De Clément-Talbot à Talbot en passant par Talbot-Darracq et Talbot-Lago, cette marque française de voitures de luxe a connu une histoire compliquée avant de disparaître en 1959, de renaître en 1979 et de disparaître à nouveau en 1987.  


En 1903, Adolphe Clément, de la marque Clément-Bayard, et Charles Chetwynd-Talbot, président du " British automobile commercial syndicate " et comte de Shrewsbury and Talbot, fondent Clément-Talbot pour assembler en Angleterre les automobiles Clément-Bayard françaises. En 1919, la firme Clément-Talbot est rachetée par la filiale anglaise de la marque française Darracq pour former la marque Clément-Talbot-Darracq puis, après avoir racheté Sunbeam, STD Motors (Sunbeam-Talbot-Darracq). En France, les voitures Darracq deviennent des Talbot-Darracq à partir de 1920 et leur destin va se séparer complètement de celui de la filiale britannique. Dès 1921, la marque française s'engage avec succès en compétition.

Au sortir de la guerre, la société britannique A. Darracq and Co Ltd, grâce à ses contrats pour l'industrie de la défense, se trouve dans une situation financière confortable. En 1919, elle se porte acquéreur de la la firme Clément Talbot de Londres. Ce rachat donne naissance au groupe Talbot Darracq.

En 1922, Talbot-Darracq devient Talbot, qui propose des voitures haut de gamme héritées des Darracq sans soupapes, une quatre cylindres 15 CV et une huit cylindres 24 CV, ainsi qu’une 10 CV plus populaire équipée d'une boîte de vitesses à quatre rapports proposée dès 1926. Au Salon de Paris 1925, un moteur six cylindres apparaît qui remplacera le bloc à quatre cylindres en 1927. Cette année-là, la marque abandonne provisoirement la compétition. Sur les voitures particulières, les roues avant deviennent indépendantes au Salon de Paris 1932, dispositif généralisé en 1933.

Début 1934, l'ingénieur italien admirateur des voitures britanniques Anthony Lago reprend à son compte la firme alors en difficulté avec la volonté de la moderniser. Ainsi, sortent des voitures sportives alliant le style britannique et l'innovation française sous la marque Talbot-Lago. La marque revient aussi avec un certain succès à la compétition. Jusqu'en 1939, au sein d’une vaste gamme combinant moteurs et carrosseries, le modèle le plus sportif est la Baby. Les autres modèles s’appellent alors Minor, Major et Master en fonction de la longueur de leur châssis et non de la cylindrée de leur moteur. Les mêmes moteurs sont en effet proposés sur différents châssis.

Anthony Lago, ingénieur de nationalité italienne, sous-directeur en Angleterre de Sunbeam-Talbot-Darracq (STD), vient au secours de Talbot en 1934. Son nom et sa forte personnalité vont désormais être étroitement liés à Talbot.

La calandre en fer à cheval entourée d’une épaisse couche de chrome est une caractéristique de la marque et la boîte de vitesses présélective Wilson est en option sur la plupart des Talbot-Lago. A partir de 1936, le modèle d'exception est la T150 C dans ses variantes Lago Spécial et Lago SS, pour Super Sport. Celles-ci reçoivent des carrosseries extravagantes comme la fameuse berlinette " Goutte d'eau " de Figoni et Falaschi.

Talbot au Salon de Paris 1936. Après l’arrivée d’Anthony Lago, les carrosseries Talbot sont plus aérodynamiques (calandre inclinée, arrière fuyant).


1946 : Talbot-Lago Record T26


Curieusement, la marque Talbot-Lago est oubliée dans le Plan Pons qui veut réglementer l’industrie automobile française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Anthony Lago doit batailler avec les pouvoirs publics pour y inclure sa marque, en tant que fabricant de voitures d’exception destinées en priorité à l’exportation. Rappelons que le Plan Pons encourage le développement des marques populaires, comme Renault, Citroën, Peugeot et Simca, mais ne veut en aucun cas aider les marques de voitures de luxe, comme Talbot, ce qui rend leur avenir problématique.

En 1946, Talbot-Lago dévoile néanmoins sa nouvelle voiture haut de gamme, la Record T26 (26 CV) à moteur six cylindres de 4,5 litres à deux arbres à cames développant 170 ch, qui lui permet d’atteindre une vitesse maximale de 170 km/h, performance rare à l’époque. Ce modèle de 5,05 mètres de long qui est disponible en berline, coach et cabriolet, dérive des haut de gamme de la marque commercialisés juste avant la guerre. Sa carrosserie usine est dessinée avec élégance, dans un style proche de celui des Talbot d’avant-guerre. Elle est bien équilibrée et ses lignes nerveuses correspondent exactement au caractère sportif du modèle, son long capot et sa calandre avancée dégageant une incontestable impression de puissance. Elle souffre cependant d’une fabrication désuète, faisant appel à la méthode mixte utilisant une armature en bois recouverte de panneaux tôlés. Cette méthode s’explique par la production en petite série de l’usine Talbot de Suresnes. La conduite intérieure Lago-Record est tarifée 636 000 francs en 1946, le coach 613 000 francs et le cabriolet 654 000 francs.

La Talbot Lago T26 désigne la nouvelle série d'automobiles imaginée pendant la guerre et animée par un puissant 6 cylindres de 26 cv. Le constructeur devance ses concurrents en proposant au sortir du conflit un modèle inédit et performant.

En 1947, les Talbot-Lago sont légèrement modifiées, avec des phares situées plus bas et des pare-chocs plus épais. Une nouvelle carrosserie est dévoilée, la Lago Grand-Sport à châssis raccourci (moins 47,5 cm) qui est disponible uniquement en châssis nu. Ce nouveau modèle dispose du moteur de 4 482 cm3 de la Lago-Record poussé à 190 ch, ce qui lui permet une vitesse maximale de 200 km/h grâce un poids réduit de 400 kg. Son prix astronomique de 1 850 000 francs en 1948 condamnera toutefois ce modèle à des ventes confidentielles. Au total, la production de la marque Talbot-Lago stagne à 225 unités en 1949, contre 233 en 1948 et 155 en 1947. Anthony Lago décide alors d’élargir sa gamme avec la Lago-Baby.


1949 : Talbot-Lago Baby T15


Au Salon de Paris 1949, la firme de Suresnes lance son nouveau modèle " d’entrée de gamme ", la Baby T15 de 15 CV, dotée d’un moteur quatre cylindres de 2 690 cm3 développant 120 ch qui permet une vitesse maximale de 140 km/h. Ce modèle de 4,85 mètres de long, soit 20 cm de moins que la Lago-Record, est tarifé 1 198 000 francs. La Lago-Baby arbore une carrosserie au style très proche de celui de la Lago-Record. Grâce à ce nouveau modèle, la production de Talbot-Lago remonte à 433 unités en 1950, mais cette quantité demeure insuffisante pour rentabiliser l’entreprise. La firme de Suresnes doit alors faire face alors à de graves difficultés financières qui inquiètent la clientèle et plombent les ventes, qui s’effondrent à 80 unités en 1951. Maigre consolation, Vincent Auriol, président de la République, commande une Lago-Record à quatre portes décapotable pour servir de voiture officielle.

Source : https://newsdanciennes.com. La Talbot-Lago Baby devient le modèle " d’entrée de gamme " de la marque à la fin des années 40.


 1951 : nouvelles Talbot-Lago Baby 15 CV et Record 26 CV


En mars 1951, la firme de Suresnes lance les versions redessinées des Lago-Baby 15 CV et Lago-Record 26 CV. Les nouveaux modèles - ils font toujours 5,05 mètres de long - adoptent le style ponton, mais le résultat est peu convaincant car les lignes sont épaisses et lourdes, et n’ont plus rien à voir avec le style fin, racé et sportif des précédents modèles. L’intention est pourtant louable : il s’agit de moderniser la silhouette des modèles dont les origines remontent à 1942, la Lago-Record de 1946 reprenant en effet un dessin finalisé quatre ans plus tôt. Mais le succès des nouveaux modèles n'est  pas au rendez-vous. Les ventes de la marque ne dépassent pas 34 unités en 1952 et 17 en 1953. Talbot aurait pu disparaître à ce moment-là, mais Anthony Lago espère encore relancer son affaire en effectuant un changement radical, le même que celui effectué par Delahaye en 1951 et par Salmson en 1953, c’est-à-dire abandonner le marché des berlines et des limousines pour se concentrer sur celui des coupés de sport et de grand tourisme.

Les nouvelles Talbot apparaissent en juin 1951. Le plan de relance prévoit d'atteindre un rythme annuel de 1 000 voitures, réparti entre 700 Baby et 300 Record. Hélas, elles ne parviennent pas à séduire la clientèle traditionnelle de la marque, décontenancée par ces voitures aux lignes épaisses.


 1953 : Talbot-Lago Grand Sport


Alors que les Talbot-Lago Baby et Record disparaissent en 1953, au moment même où la firme allemande Opel reprend à son compte le nom Rekord, qui va nommer ses modèles de gamme moyenne jusqu’au milieu des années 80, Anthony Lago lance au Salon de Paris 1953 un tout nouveau coupé Grand Sport doté du moteur 4,5 litres de la Lago-Record dont la puissance est portée à 210 ch, ce qui lui permet d’atteindre la vitesse maximale de 195 km/h. C’est à ce moment la plus rapide des voitures françaises. Les lignes de ce très joli coupé quatre places de 4,85 mètres de long, qui présente un style racé, sont signées Carlo Delaisse, l’un des plus talentueux designers de l’époque. On lui doit notamment la Delahaye 235, la Hotchkiss Monceau ou la Salmson 2300 GT.

Baroud d'honneur pour Talbot, la Grand Sport ne rencontre pas le succès malgré l'élégance de son dessin réalisé par le styliste Carlo Delaisse.

C’est la première fois qu’une calandre basse et large équipe une Talbot carrossée par l’usine. La forme des ailes arrière accentue le caractère sportif de l’engin, avec une amorce de très légers ailerons arrondis sur les côtés du coffre. La lunette arrière est panoramique. La carrosserie est sans conteste une grande réussite, mais le prix de cette voiture de grande classe est de 2 775 000 francs en 1953, contre 2 000 000 francs pour une Jaguar XK 120 aux performances voisines. En raison de ce tarif prohibitif, la Talbot-Lago Grand Sport 4,5 litres ne trouve au total qu’une vingtaine de clients et est supprimée du catalogue dès 1955. Du coup, la production de la marque de Suresnes ne dépasse pas les 18 unités en 1954.


1955 : Talbot-Lago coupé 2,5 litres


Opération de la dernière chance pour la marque Talbot, Anthony Lago lance au printemps 1955 une version réduite au pantographe du coupé Grand Sport 4,5 litres dotée d’un quatre cylindres de 2,5 litres développant 120 ch, qui permet une vitesse maximale de 180 km/h, grâce notamment à un poids diminué de 600 kg. Le nouveau modèle est une deux places, et ne mesure plus que 4,20 mètres de long. Il conserve la silhouette de l’ancienne Grand Sport. Son prix est fixé à 2 150 000 francs, soit une baisse significative par rapport à l’ancien gros coupé de la marque, mais c’est un prix qui reste peu compétitif par rapport à la Jaguar XK 140 dévoilée en 1954.

Version réduite de la Grand Sport, la Talbot 2,5 litres coupé lancée en 1955 finira sa carrière avec un moteur de Simca Chambord.

C’est la raison pour laquelle le modèle est très peu diffusé. Seulement 15 unités en 1955, 9 en 1956, 7 en 1957, 3 en 1958 et 1 en 1959. En 1957, la voiture abandonne son moteur Talbot pour un V8 BMW de 2,5 litres développant 125 ch. A cette occasion, la Grand Sport adopte le volant à gauche, une première chez Talbot. En effet, toutes les marques françaises de luxe ont conservé jusque-là le volant à droite. La version équipée du moteur BMW n’a pas plus de succès que celle équipée du moteur Talbot, et Anthony Lago doit se résoudre la mort dans l'âme à vendre sa marque à Simca fin 1958. Le coupé Talbot reçoit alors le moteur de la Simca Chambord, un V8 d’origine Ford de 2,3 litres développant 95 ch, qui n'est produit qu’à un seul exemplaire. La marque Talbot disparaît en 1959. Anthony Lago décède un an plus tard.

En décembre 1958, Henri Pigozzi s'empare de ce qu'il reste de Talbot. D'une part il met la main sur l'usine de Suresnes dans laquelle il va développer la gamme des poids lourds Unic, d'autre part il s'offre un blason prestigieux qu'il espère faire réapparaître sur une Simca de haut de gamme. Dans l'immédiat, le nom de Talbot ressurgit au Salon de Paris 1959 sur un prototype dessiné par Virgil Exner junior.


1979 : renaissance de Talbot


Vingt ans après sa disparition, la marque Talbot est ressuscitée par le groupe PSA pour renommer les anciens modèles de Chrysler Europe, comme les Simca 1100, Horizon, 1510, 1610 en France et les Sunbeam, Avenger et Alpine en Angleterre. Mais ce qui pouvait sembler une bonne idée au départ - Talbot est de par son passé à la fois une marque française et une marque britannique - s’avérera très vite une catastrophe, car comment pouvait-on accepter d’apposer un logo au passé prestigieux sur des véhicules populaires, parfois démodés, et vendus auparavant sous d’autres marques.


Durant l'été 1979, des pages de publicités sont insérées dans la presse généraliste et spécialisée pour annoncer le changement de marque, et tenter d'en expliquer la logique.

Si le groupe PSA avait supprimé d’un coup tous les modèles de l’ancienne gamme Chrysler Europe et créé une marque de luxe baptisée Talbot, avec de tout nouveaux modèles, le succès aurait peut-être été au rendez-vous. Audi a ainsi mis une trentaine d’années pour se hisser au niveau de BMW et Mercedes. Au lieu de cela, PSA a agi en simple comptable, en poursuivant la vente des anciens modèles sous la marque Talbot. Ainsi par exemple la Chrysler 180 a été rebaptisée Talbot 1610. Cette stratégie à l’économie n’a pas marché. Les nouveaux modèles Talbot Samba, Solara, Tagora lancés en 1980 et 1981 ne sont pas parvenus à relancer la marque, qui disparaît à nouveau en 1987.

En octobre 1981, Talbot présente la Samba, celle qui va devenir son dernier succès commercial. Il en a fallu du talent pour concevoir une voiture populaire et appréciée en aussi peu de temps, sur la base de la vieillissante Peugeot 104. L'équipe marketing de Talbot s'est aussi montrée efficace pour faire prendre la sauce. Mais cela n'a pas été suffisant. 

Texte : Jean-Michel Prillieux
Reproduction interdite, merci.

Voir aussi : http://leroux.andre.free.fr/alrtalbot.htm

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