Salmson, aéronautique et automobile


Salmson a été l'un des grands constructeurs aéronautiques français de l'Entre-deux-guerres aux côtés d'Hispano-Suiza, Voisin, Renault ou Lorraine-Dietrich. Il s’est diversifié dans l’automobile à partir de 1919. Emile Salmson, mort en 1917, ne sut jamais que des automobiles seraient produites sous son nom. En 1957, Salmson quittait ce domaine pour entrer dans la légende des marques françaises de luxe, comme Bugatti, Delage, Delahaye, Farman, Hispano Suiza, Hotchkiss, Panhard-Levassor, Talbot ou Voisin.


Emile Salmson (1859-1917) fonde à Billancourt en 1913 la Société des Moteurs Salmson (SMS). Elle produit des moteurs d'avion à partir de 1909, puis des avions complets à partir de 1915. Pendant la guerre, 3 200 biplans sont fabriqués pour l’Armée française, tant pour la reconnaissance aérienne que pour les premiers bombardements. Le constructeur dispose de deux sites, l'un de 50 000 m2 à Billancourt, l'autre de 20 000 m2 à Villeurbanne. A la mort d'Emile Salmson, Jean Heinrich entré chez Salmson en 1899, directeur de l'usine de Villeurbanne, prend la direction de l'entreprise.

Avec la construction aéronautique, la Société des moteurs Salmson (SMS) prend son essor durant la Première Guerre mondiale. Elle devra renoncer à ses activités aéronautiques dans les années 50.

A partir de 1919, la question de la reconversion se pose à Salmson comme à beaucoup d'autres industriels de l'armement. Après avoir envisagé la fabrication de métiers à tisser ou de machines à écrire, le constructeur, qui emploie déjà plus de 6 000 salariés - Renault en compte 11 000 à la même époque - se lance dans la fabrication automobile. Quelques autres activités sont menées par ailleurs : machines à bois, robinetterie et bien sûr toujours l'aviation.

Le Salmson Moineau SM1 utilisé pendant la guerre a été conçu par l'ingénieur René Moineau et construit par Salmson à 155 exemplaires.

La production des Salmson peut se résumer à trois périodes successives. La première va de 1919 à 1929 avec les cyclecars et voiturettes. Elle reste marquée par de nombreuses victoires en compétition, qui permettent à la marque de se faire un nom et une belle réputation. Dès 1921, les Salmson sont munies d'un moteur à deux ACT, principe qu'elles conservent jusqu'en 1957. La deuxième période court de 1929 à 1953. D'une production essentiellement sportive, Salmson prend un virage assez radical en se consacrant à la fabrication de voitures plus bourgeoises, depuis les différentes évolutions de la S4 jusqu'à la Randonnée, ceci en cultivant une technologie et une qualité au-dessus de la moyenne. Enfin la troisième période de 1953 à 1957 se matérialise par la commercialisation du coupés 2300 S. Elle consacré le retour de Salmson en compétition, mais ne permet pas à la marque de se redresser.


1919 : les débuts de la société Salmson dans l’automobile


Afin de se lancer dans l'aventure automobile en limitant la prise de risque, Salmson commence par produire des cyclecars sous licence. André Lombard, représentant à Londres du constructeur Grégoire (1902/1924), fait l'acquisition de la licence des cyclecars GN (H.R. Godfrey & Archie Frazer Nash) avant de la proposer à Salmson pour trois ans. La Salmson GN, une 1 086 cm3, est lancée au Salon de Paris 1919. Une réelle qualité de fabrication associée à une fiscalité avantageuse est à l'origine du succès commercial de ce cyclecar, soutenu par une vigoureuse participation aux courses d'endurance.

Au temps de cyclecars ...

Une loi de finances du 30 juillet 1920 définit clairement ce qu'est un cyclecar. Il offre une ou deux places et pèse moins de 350 kg. Sa cylindrée ne peut excéder 1 100 cm3. Destiné à démocratiser l'usage de l'automobile, l'avantage fiscal lié aux cyclecars est supprimé en 1925. En effet, nombre d'acheteurs font établir deux factures aux constructeurs. L'une pour la voiture nue sans les accessoires (roue de secours, éclairage ...), l'autre pour les dits accessoires et les éventuelles options. En additionnant les deux, un cyclecar devient une voiturette. Mais l'avantage fiscal est acquis. Une certaine confusion savamment entretenue règne chez les constructeurs, certains n'hésitant pas pour attirer les clients à qualifier leurs voiturettes de cyclecars ...

L'ingénieur Emile Petit au volant d'un prototype en 1921

Au Salon de Paris 1921, Salmson lance une nouvelle gamme de cyclecars et voiturettes sous la désignation AL, pour André Lombard. Les clients peuvent choisir dans une large variété de carrosseries, les plus lourdes de type voiturette peuvent même être équipées en utilitaire léger. Le moteur 1 086 cm3 - comme sur la GN - a été conçu par l'ingénieur Emile Petit, directeur depuis 1919 de la Société Rhône-et-Seine. Petit devient dans les années 20 responsable de la compétition chez Salmson. Il est l'un des premiers à comprendre que sur le créneau des petites cylindrées, la recherche de puissance nécessite un régime de rotation élevé. Les pièces en mouvement doivent donc être légères, bien contrôlées dans leur débattement, et aussi peu nombreuses que possible.

Avec l'AL, Salmson se lance immédiatement dans la compétition, ce qui procure à la marque une réputation de voitures sportives.

L'AL puis la VAL - une version plus performante proposée à partir d'avril 1923 - sont à la base du développement d'une gamme complète de cyclecars et voiturettes jusqu'en 1928. Ce sont environ 10 000 exemplaires qui sont fabriqués. L'AL est la première à porter la croix de Saint André sur la calandre, qui va devenir pour une décennie l'emblème de la marque. Elle fait référence au prénom d'André Lombard, un brin mégalomane ?

Après avoir été pilote de chasse et instructeur pendant la guerre, Robert Benoist devient au début des années 20 pilote automobile chez Salmson. On le voit ici lors du GP des cyclecars au Mans en septembre 1922, où il remporte la victoire. Notez la croix de Saint André sur la calandre. Source : https://patrimoineautomobile.com

Parallèlement à la gamme des cyclecars et voiturettes, la SMS lance fin 1922 sa première " vraie " voiture, la 10 HP type D. Elle est munie d'un quatre cylindres à double ACT porté à 1 195 cm3 pour 30 ch. Il en est produit 915 exemplaires jusqu'en 1926, puis 200 exemplaires dans une version D2.

La femme et l'automobile, archétypes complémentaires du faire valoir, du luxe et de la beauté. L'une des affiches les plus célèbres de l'illustrateur René Vincent pour la nouvelle Salmson 10 HP, vers 1922.


1929 : le tournant stratégique


En raison de la crise économique de 1929, Jean Heinrich décide d'abandonner la compétition automobile. Ce changement de stratégie ouvre la seconde période de l'histoire de Salmson avec l'apparition des modèles S4, des voitures confortables et cossues comparées aux cyclecars et voiturettes. Cette évolution fait l'objet de tensions entre Emile Petit et Jean Heinrich. Le premier voit sa raison d'être chez Salmson disparaître. D'ailleurs, il quitte la société avec amertume, après avoir pendant près d'une décennie tout donné pour ses voitures de course. Jean Heinrich est contraint de protéger les finances de l'entreprise. La compétition est coûteuse. Il est aussi très préoccupé par la branche aéronautique qui jongle avec d'énormes marchés officiels. On peut comprendre que l'automobile ne soit pas sa priorité.  

Alors qu'un six cylindres est prêt, c'est encore en raison de la crise économique que Salmson s'en tient à un quatre cylindres avec double ACT de 1 300 cm3. En l'occurrence, les performances de celle que l'on nomme S4 (Salmson 4 cylindres) n'ont pas à rougir de la comparaison avec les voitures à moteur six cylindres de la concurrence. La S4 atteint un bon 110 km/h pour une vitesse de croisière proche des 85 km/h. Cette 7 CV est lancée avec des slogans tels que " La précision du moteur d'aviation " ou " La Salmson S4, confortable, souple et élégante est la voiture de la femme moderne ". Ce sont 3 456 Salmson S4 qui sont produites de juillet 1929 à décembre 1932.

Avec la S4, Salmson quitte définitivement l'époque des cyclecars. Les références à l'aviation remplacent dans les publicités celles dédiées aux succès en course. Le nouveau radiateur de la S4 est dessiné par Alex Kow, styliste et illustrateur indépendant. Il signe aussi cette affiche.

La S4 C succède à la S4 fin 1932. C'est une 8 CV plus grande - plus 13 cm pour l'empattement et 8 cm pour la voie - et plus performante dont la cylindrée est portée à 1 465 cm3 par augmentation de l'alésage. Elle dispose en option à partir de mai 1934 d'une boîte électromagnétique Cotal fabriquée par Salmson sous licence.  A cette époque, les boîtes Cotal ne sont proposées que par les marques de luxe en raison de leur poids et de leur prix élevé. Avec 41 ch, la vitesse de croisière de la S4 C approche les 100 km/h. 1 649 exemplaires sont fabriqués jusqu'en novembre 1934.

Salmson S4 C faux cabriolet pour le millésime 1934. La carrosserie de la S4 C paraît plus harmonieuse et homogène que celle de la S4. Le capot assez haut, le pare-brise droit et étroit lui procurent une allure très respectable. Les roues fils peuvent être recouvertes de flasques peintes et chromées. Les angles des vitres latérales sont légèrement arrondis. L'acheteur peut opter pour une carrosserie deux tons qui met en valeur les lignes de la S4 C.

La S4 D disponible à partir du Salon de Paris 1934 est une 9 CV - 47 ch réels - dont le moteur est porté à 1 596 cm3 par une nouvelle augmentation de l'alésage. C'est une voiture résolument moderne qui se distingue par de réelles avancées technologiques : roues avant indépendantes, direction à crémaillère, batterie 12 V, boite électromagnétique Cotal à 4 vitesses, etc ... Les carrosseries d'usine sont plus aérodynamiques avec une calandre inclinée. 6 000 exemplaires sont fabriqués jusqu'en 1938.

Les lignes de la S4 D cèdent avec une certaine réussite aux principes de l'aérodynamique. Pour la première fois sur une Salmson, la calandre s'incline. Son entourage ainsi que la barre centrale verticale sont chromés. Même le dessin des pare-chocs a fait l'objet de soins pour les rendre plus gracieux.

La version S4 DA est proposée parallèlement à la S4 D de mai 1936 à juillet 1938. Il s'agit d'une variante dotée d'un moteur encore plus puissant de 1 730 cm3, 51 ch réels et 10 CV fiscaux. Une fois de plus, l'alésage est allongé. Sur ce modèle, Salmson abandonne la fabrication des boîtes Cotal sous licence, et les remplace pour une boîte Cotal fabriquée par Maag à Courbevoie. La mécanique nerveuse de la S4 DA lui confère en tempérament fougueux, plutôt surprenant de la part d'une automobile à l'apparence paisible.

Les S4 D et  S4 DA (photo) rencontrent le succès commercial. Elles présentent en effet un équilibre entre une mécanique modernisée sans excès, des lignes aérodynamiques raisonnables, et des tarifs qui le sont tout autant.

La S4 E, vaisseau amiral de Salmson, est présentée au Salon de Paris 1937. Salmson ne la met pas vraiment en avant lors de cet évènement. Aucune campagne publicitaire ou de presse n'est organisée. Seuls les visiteurs vraiment attentifs la découvrent. Ce haut de gamme dispose d'un 4 cylindres de 2 312 cm3 qui reprend bien entendu le double ACT qui permet aux Salmson de se distinguer de la masse. Les freins sont désormais hydrauliques. Sa vitesse de croisière est proche des 120 km/h, et sa vitesse maximum de 145 km/h. Salmson passe un accord avec Henri Chapron. Celui-ci peaufine la finition des voitures qui lui sont confiées, tant pour la sellerie que pour la boiserie et les autres équipements intérieurs. Environ 20 % des 389 exemplaires produits jusqu'en janvier 1940 bénéficient de ces aménagements.

Dans ses versions berline, coupé et cabriolet, la S4 E rivalise avec les automobiles les plus performantes de l'époque : Delahaye type 135, Delage 3 litres, Hotchkiss 20 CV ou Talbot Lago-Baby.

La S4 61, évolution de la S4-DA, prend le relais de celle-ci en juillet 1938 au prix de nombreuses améliorations techniques. La carrosserie est  plus profilée avec un capot abaissé au profit d'un pare-brise plus haut. La S4 61 reste toutefois une voiture lourde avec une technique de fabrication qui commence à dater. La carrosserie est toujours constituée d'une carcasse en bois sur laquelle sont clouées des tôles épaisses. La S4 61 remporte un franc succès durant l'avant-guerre. La clientèle se recrute pour l'essentiel dans la moyenne bourgeoisie, qui pourrait aussi hésiter entre une 15 Six Citroën ou une Hotchkiss 680. Ce sont 717 exemplaires qui sont produits jusqu'au début de l'année 1940.

Il convient de faire preuve de réalisme. Entre les dessins des catalogues qui laissent imaginer un long capot aux lignes fuyantes et la réalité, il y a tout de même un pas important. D'ailleurs, à l'époque, tous les constructeurs tendent à styliser favorablement les carrosseries proposées à la clientèle.

A la veille de la guerre en 1939, Salmson est avec 691 voitures fabriquées le troisième des " petites constructeurs " de voitures de prestige, après Hotchkiss (1 829 voitures), Delage/Delahaye (1 068), mais devant Panhard (639) et Talbot (599). Les statistiques font défaut pour d'autres marques, tant leur niveau de production est devenu confidentiel, qu'il s'agisse de Bugatti, Voisin ou Delaunay-Belleville. 96 % de la production française est assurée par Citroën, Renault, Peugeot, Simca, Matford et Rosengart.


Salmson en temps de guerre


L'usine de Boulogne Billancourt tourne au ralenti pendant la guerre. Sa surface relativement restreinte ne permet pas d'engager des productions importantes de matériel militaire. D'ailleurs, son personnel habitué à assembler des automobiles de luxe ne constitue pas le meilleur choix pour ce type de production. Le site Salmson proche des usines Renault visées subit des dégâts collatéraux lors des bombardements alliés de mars 1942. Pendant la guerre, avec le peu de personnels encore en place, l'entreprise survit grâce à quelques travaux de sous-traitance. 


De 1946 à 1950, le retour des 10 CV S4 61 et 13 CV S4 E


La production automobile reprend en 1946 avec deux modèles, la S4 E et la S4 61.

Au Salon de Paris 1947 la S4 E est présentée dans une version modernisée, avec des ailes avant et arrière plus enveloppantes, des phares abaissés et encastrés et une malle arrière profilée. Ce haut de gamme séduit des artistes à la mode comme Paul Meurisse et Danièle Darrieux qui se déplacent à bord d'un cabriolet de série. Sidney Bechet et le roi de Siam se font carrosser des modèles sur mesure. Il se vend plus de S4 E après-guerre qu'avant. En effet, 1 030 exemplaires sont écoulés jusqu'en novembre 1950.

Concernant la SE 61, ce n'est qu'en février 1949 pour suivre les tendances stylistiques que les ailes deviennent plus enveloppantes et adoptent des phares semi-intégrés. La malle reste de forme classique et ne profite pas du même profilage que sur la S4 E. La S4 61 trouve encore 1 505 acquéreurs jusqu'en mars 1951. La S4 61L lui succède jusqu'en avril 1952. Sur cette ultime version, la malle rapportée est remplacée par un arrière profilé comme sur la Randonnée.

Pour ce feuillet diffusé au Salon de Paris 1950, le service publicité de Salmson continue de faire confiance à des illustrateurs. Ces dessins ne se font pas remarquer ni par leur équilibre ni par leur ressemblance avec les modèles d'origine.

La production de Salmson progresse lentement après-guerre mais elle reste très modeste, puisqu’elle ne dépasse pas 75 unités en 1946, 143 en 1947, 336 en 1948 et 835 en 1949. La vraie nouveauté est annoncée pour 1950.


1950 : Salmson Randonnée


Les conséquences des bombardements alliés, le manque d'innovation de la marque, l'augmentation du coût du travail ou la concurrence de la Citroën Traction 15-Six sont autant de facteurs qui rendent la situation financière de Salmson difficile à la fin des années 1940. Après-guerre, les constructeurs d'automobiles de luxe ne bénéficient d'aucune aide de l'État, contrairement aux quatre grandes entreprises françaises subventionnées pour leur production de voitures populaires : Citroën, Peugeot, Renault et Simca. Le Plan Pons instauré début 1946 semble condamner à brève échéance les marques françaises de luxe.

Salmson subit aussi le logique déclin de son activité majeure, l'aéronautique. La demande en temps de paix chute. Salmson a tardé à moderniser ses produits - les fameux moteurs en étoile - qui sont désormais concurrencés par des moteurs américains de marque Continental ou Lycoming à cylindres opposés. Jean Heinrich est toujours aux commandes de l'entreprise. Prudent, il a tendance à réduire les investissements. Ses ingénieurs ne manquent pourtant pas d'idées.

La Salmson Randonnée succède à la SE 61 en 1950. D’un prix bien supérieur à celui de sa rivale l'Hotchkiss Anjou, elle n'est diffusée qu’à de très faibles volumes.

C’est dans ce contexte difficile qu’est présentée au bois de Boulogne en novembre 1950 la berline Randonnée. Elle reprend un châssis similaire à celui de la S4 E, en conservant le même mode de construction archaïque. Cette nouvelle Salmson est dévoilée avec le message suivant : " La Randonnée est l'infatigable rivale des plus puissantes voitures ".

Le terme " infatigable " peut laisser supposer que la " nouvelle " Salmson mène ce combat depuis bien longtemps. En effet, la Randonnée reste étroitement dérivée de la série S4 née en 1929. La mise au goût du jour est réalisée avec peu de moyens.

Avec 4,61 mètres de long, six places confortables, la Randonnée adopte une carrosserie ponton et fait preuve d'une réelle élégance. Son style se rapproche de celui de la Mercedes 300 qui est lancée un an plus tard. Son moteur est toujours un quatre cylindres à double ACT, mais il s’agit cette fois d’un 2 218 cm3 en alliage léger développant 71 ch, qui permet d’abaisser le poids de l’ensemble de 50 kg. Hélas, le gain obtenu par les motoristes est repris par les carrossiers qui ont imaginé un ensemble plutôt lourd. La Randonnée peut tout de même atteindre une vitesse maximale de près de 150 km/h, ce qui est bien mieux que nombre de ses contemporaines dans la catégorie.

L'une des rares publicités en couleur pour la Randonnée parue au printemps 1951

Au Salon de Paris 1951, Salmson présente un cabriolet Randonnée qui reprend la forme générale et le châssis de la berline. Le moment est mal choisi. Quelques jours plus tard, Salmson dépose son bilan et accepte la nomination d'un administrateur judiciaire.

Tarifée 1 780 000 francs en 1951, la berline Randonnée est plus chère qu’une berline Hotchkiss Anjou affichée à 1 345 000 francs. Les résultats commerciaux sont éloquents : l’Anjou dépasse les 5 400 ventes, alors que la Randonnée s'arrête à 229 exemplaires. En 1950, Lancia propose son Aurélia et Alfa Romeo sa 1900. La comparaison est alors cruelle pour les voitures françaises.


Jean Heinrich est déchu


Le 24 octobre 1951, Jean Heinrich, 75 ans, président de Salmson, présent dans l'entreprise depuis 1899 - il avait 23 ans - se voit refuser par un fonctionnaire de justice l'accès à l'usine qu'il dirige depuis 1917. La banque Worms a décidé de suspendre son soutien. Le bilan est déposé le 14 novembre 1951, et un administrateur judiciaire est nommé. Une grève est déclenchée au sein de l'usine qui est occupée par son personnel. La force publique intervient pour dégager les accès.

Comme par miracle, un repreneur se signale pour porter secours à Salmson, en la personne de l'industriel Jacques Bernard, dirigeant de la société Bernard Moteurs. Contre l'avis de ses proches, il rachète la SMS, et en prend le contrôle en février 1952. A Billancourt, on se contente d'écouler tant bien que mal les châssis et les moteurs qui se sont accumulés. Après l'abandon de la S4 61L en avril 1952, la Randonnée reste le seul modèle disponible, en berline et en cabriolet. Ce dernier n'est fabriqué qu'à 14 exemplaires. La production de Salmon qui était de 1 162 unités en 1950 et 827 en 1951 chute à 89 unités en 1952. Cela sera pire en 1953 avec 61 voitures.


1953 : Salmson 2300 S


Dans l'usine, tout est fait malgré des ventes atones pour relancer la production. C’est la dernière période de Salmson qui abandonne la Randonnée, et lance le coupé 2300 S au Salon de Paris 1953. Jacques Bernard a confié son étude à Eugène Martin, pilote et metteur au point de renom. Celui-ci s'est spécialisé dans l'amélioration des voitures de série. Quelques policiers coursent à l'époque les bandits à bord de Peugeot 203 passées dans ses ateliers. Une condition s'impose de manière évidente pour Bernard : faire avec les stocks accumulés à Billancourt .... Pourquoi avoir confié cette étude à une personne extérieure à l'entreprise, et non pas au bureau d'études de la marque ? Tout simplement parce qu'en 1953, celui-ci a faute de moyens quasiment disparu ...

Outre ses nombreuses qualités - performances, souplesse, freinage efficace, tenue de route, confort des suspensions, direction douce et précise - la 2300 S ne peut pas renier ses faiblesses : consommation élevée, faible puissance à bas régime, voiture bruyante, habitacle peu accessible, manque d'ergonomie à bord, siège du pilote trop haut et pas dans l'axe du volant, coffre à bagages insuffisant pour une grande routière, vitres arrière fixes, chauffage peu efficace, etc ... le tout pour un prix de vente élevé.

En 1953, Salmson abandonne la berline Randonnée et lance le coupé 2300 Sport. On le découvre ici sous sa première version apparue à l'automne 1953. Ce dessin pur est évidemment d'inspiration italienne. Nos voisins du sud ont ouvert la voie en dessinant des calandres sans se soucier des contours du radiateur.

Selon André Costa qui essaye l'un des prototypes, cette voiture tient plus d'un bricolage - de qualité certes - réalisé à partir d'éléments épars glanés au sein de l'usine que d'une voiture conçue par une grande marque au passé prestigieux. Le châssis est issu de la Randonnée, modèle lui même dérivé de la S4 E d'avant-guerre. 140 exemplaires sont produits en 1954 (plus 2 en 1953), c'est insuffisant pour être rentable.

La Salmson 2300 S pour le millésime 1955 se distingue du précédent par ses moulures latérales et son pavillon rehaussé avec une lunette arrière agrandie.

La carrosserie tout acier se passe enfin d'une charpente en bois. Le nouveau quatre cylindres de 2 328 cm3 de 110 ch dont le bloc est en aluminium conserve les deux ACT. Il lui est adjoint une boîte de vitesses Cotal " type MK 25 ". La 2300 peut atteindre 178 km/h en pointe, ce qui en fait l’une des voitures les plus rapides du moment.

La marque Salmson a en quelque sorte bouclé la boucle puisqu'elle a commencé par s'illustrer par la course avec ses cyclecars  et a terminé par un bouquet de victoires sportives avec la 2300 S de 1953 à 1957.

La Salmson 2300 S s'illustre brillamment en course. Elle remporte une cinquantaine de rallyes en 1954 et 1955. Cela ne suffit pas pour vendre des voitures. La marque dont c'est désormais l'unique modèle s’effondre de nouveau avec 77 exemplaires produits en 1955, 9 en 1956 et 2 en 1957. Ce sont en tout 227 Salmson 2300 S qui ont vu le jour. Une dizaine de châssis ont été carrossés de manière spéciale par Esclassan, Chapron, Motto, Charbonneaux ou encore Pichon-Parat.

En définitive, le coupé 2300 S n’a pas réussi à inverser le cours de l'histoire.


1955 et 1956 : les deux projets avortés de berlines Salmson 2300


En octobre, Jacques Bernard qui ne parvient pas à redresser l'entreprise cède la majorité de ses actions à Mathieu Van Roggen, financier et ingénieur, par ailleurs propriétaire du constructeur belge Minerva. Celui-ci confie la direction de l'affaire à Serge Chellé. L'objectif des deux hommes, en dehors de sauver une marque réputée, est de rentabiliser l'affaire, en produisant des mécaniques Land Rover sous licence, lesquelles seront ensuite expédiées chez Minerva pour assemblage et habillage.

La relance de la marque Salmson pourrait passer par la berline 2300 GT,  basée sur le châssis de la Randonnée et dotée du moteur de la 2300 S. Celle-ci est présentée au Salon de Bruxelles en janvier 1955, avec une élégante carrosserie réalisée chez Henri Chapron. Elle s’inspire beaucoup de l'Hotchkiss Monceau dévoilée trois mois plus tôt, au Salon de Paris, et réalisée par le même carrossier. Elle s'en distingue toutefois par ses ailes arrière ponton et par un style général plus léger. Son prix de vente est excessif, et après trois exemplaires fabriqués le projet est abandonné. La voiture ne sera même pas présente en fin d'année au Salon de Paris. 

La berline Salmson 2300 GT dévoilée en janvier 1955 ressemble beaucoup à l'Hotchkiss Monceau dévoilée trois mois auparavant. Les deux modèles ont été réalisés par le carrossier Henri Chapron.

Un nouveau règlement judiciaire intervient en août 1955, et des négociations sont engagées avec le voisin, la Régie Renault, pour une éventuelle reprise de la marque et des terrains. Sans succès. Les rumeurs de difficultés chroniques dont la presse se fait écho sont fâcheuses pour l'image de Salmson. Les clients les plus fidèles deviennent peu enclins à acheter une voiture de la marque. La spirale infernale est enclenchée.

Malgré tout, dans ce contexte morose, Salmson expose au Salon de Paris 1956 une nouvelle grande berline dessinée par le carrossier italien Motto, toujours sur une base de Randonnée. Motto a déjà réalisé quelques versions spiders de la 2300 S. Le style de cette berline est on ne peut plus baroque. Son dessin n'a plus rien à voir avec celui de la 2300 GT de Chapron. Il est caractérisé par de grandes surfaces vitrées, un pare-brise et une lunette arrière panoramique, alors que l’on note l’absence de déflecteurs sur les larges vitres latérales. Ce style aérien ne ressemble à rien d'autre. D'une certaine manière, il anticipe plutôt le design du début des années 60 (Simca 1300/1500 ...). Ce modèle ne connaît pas non plus de suite commerciale.

Ce prototype Motto est établi sur un châssis de Randonnée. Malgré ses dimensions, il ne pèse que 1200 kg, ce qui suppose un usage intensif de métaux légers. Il sera vendu par un distributeur Salmson de la région parisienne.

La dernière Salmson quitte l'usine du Point du Jour en février 1957. Le site industriel en lui-même termine entre les mains de promoteurs immobiliers peu recommandables. La 2300 S était une voiture moderne, d'un style mis au goût du jour, dotée d'une mécanique agréable. Elle a brillamment fait ses preuves en compétition. Mais ce sursaut est intervenu bien tard, à un moment où la branche aéronautique était aussi au plus mal, sans doute pour avoir persisté dans ses moteurs en étoile, dépassé sur le plan technique. La société poursuivra ses activités à Laval en produisant des pompes et de la robinetterie industrielle. Elle est toujours en activité, même si la marque Salmson a été remplacée par celle de Wilo en 2019.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
Reproduction interdite, merci 

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