Minerva, la voiture de l'élite


Minerva était avant la Seconde Guerre mondiale une grande marque belge de voitures de luxe. Ses produits étaient convoités par les " grands " du monde entier, au même titre que les Hispano Suiza, Isotta Fraschini, Maybach ou Packard. La marque disparaissait en 1958.


Cycles Minerva


Sylvain de Jong naît à Amsterdam le 5 janvier 1868. En 1881, il arrive à Bruxelles avec ses parents et ses deux frères Hendrik et Jacques. En 1885, il est recruté en tant qu'employé au sein de l'agence de presse Havas, fondée en 1835. Il se fait remarquer pour son efficacité, et on lui propose quelques années plus tard la direction de l'antenne d'Anvers. En qualité de journaliste, il est en contact régulier avec le monde de la bourse et des finances. Ce sont des relations qu'il saura faire fructifier le moment venu. C'est un véritable self-made man, sans véritable formation technique ou de gestion.

Avec ses frères, il se lance en 1895 à Anvers dans la fabrication de bicyclettes sous la marque Mercury. Dans cette ville, la main d'oeuvre est abondante, bon marché et compétente. Il est guidé par sa passion pour ce nouveau mode de déplacement, passion qu'il partage avec Hendrik, ancien vendeur de bicyclettes. Il s'est rendu entre temps en Angleterre pour étudier leur fabrication. Les bicyclettes sont très à la mode à la fin du siècle, c’est un moyen de locomotion individuel peu coûteux et très pratique, apprécié parce que les automobiles sont encore rares, et que le transport hippomobile reste soumis à de nombreuses contraintes.

En 1896, Sylvain de Jong se rend aux Etats-Unis pour étudier leurs méthodes de production et faire l'acquisition de nouvelles machines. Des divergences de vue avec Hendrik le conduisent à reprendre sa liberté, et le 1er octobre 1897, il fonde la société Sylvain de Jong et Cie. Il détient 40 % du capital, le reste étant la propriété de trois autres associés. Il reste dans la production et dans la vente de bicyclettes, cette fois sous les couleurs de Minerva, la déesse de la sagesse et de la technique. La compagnie s'installe dans une ancienne amidonnerie, et emploie une quarantaine de salariés. Ce n'est aux yeux de l'ambitieux Sylvain de Jong qu'une première étape.

Sylvain de Jong né à Amsterdam le 5 juin 1868 est un des pionniers de l'automobile eu Europe. Il fonde la marque Minerva en 1897, d'abord spécialisée dans les cycles et cyclomoteurs, avant de s'intéresser à l'automobile.

Les affaires sont florissantes. En avril 1898, Minerva procède grâce à de nouveaux actionnaires à une augmentation de capital. L'entreprise construit une nouvelle usine à Berchem, près d'Anvers. Cette installation permet de tripler le volume de production. Sylvain De Jong a déjà le sens de la communication. Ses bicyclettes participent à des démonstrations publiques, et s'affichent sur des courses fort populaires, qui se tiennent dans des vélodromes. Il initie la vente à crédit, ce qui permet aux plus modestes, notamment ses ouvriers, de s'offrir une bicyclette. En 1900, ce sont environ 200 vélos qui sortent des ateliers chaque semaine.


Motocyclettes Minerva


Sylvain de Jong constate que le marché de la bicyclette arrive à saturation, et que ce mode de transport va bientôt se faire supplanter par les véhicules à moteur. Il affiche ses ambitions en présentant en mai 1899 au Salon du Cycle et de la Motorisation d'Anvers une voiturette. Parallèlement, il se lance dans la production de motocyclettes. Il s'agit d'abord de vélos à proprement parler, munis d'un petit moteur construit sous licence. Puis Minerva se lance dans la conception de son propre moteur, plus puissant, quand la plupart de ses concurrents s'approvisionnent chez De Dion Bouton. D'emblée, son moteur est fiable et performant. Bien entendu, le cadre est adapté au surcroît de puissance. Progressivement, le succès des motocyclettes conduit à l'abandon des bicyclettes.

Pressentant le développement inéluctable de la motorisation, Sylvain de Jong ici sur l'une de ses motocyclettes se lance parallèlement dans la conception de voitures légères.

De bonne réputation, les moteurs Minerva se vendent à d'autres industriels. Parmi ceux-ci, on retient Enfield, Triumph, Humber et Quadrant en Angleterre, Gobron et Cottereau en France, Adler et Opel en Allemagne, ... Le succès est tel qu'il est un temps difficile de vendre en Angleterre une motocyclette si elle n'est pas animée par un moteur Minerva. Ces moteurs y sont distribués par David Citroën, cousin d'André Citroën, né à Amsterdam comme Sylvain de Jong. A partir de 1913, le constructeur français Mors, repris en main par André Citroën, équipera ses modèles de moteurs sans soupapes Minerva ... nous y reviendrons.

En 1902, Minerva propose à son catalogue une véritable gamme de motos dont les cylindrées vont de 211 à 330 cm3. Dans l'esprit de Sylvain de Jong, cette activité ne sera que transitoire, car il a d'autres ambitions. En effet, la production de motocyclettes sera arrêtée en 1908, avec un total d'environ 35 000 unités assemblées depuis 1899.

Cette motocyclette Minerva est photographiée à Saint-Mandé le 22 avril 1904 lors du départ de la course motocycliste reliant Paris à Bordeaux.


Des débuts automobiles modestes


Minerva expose au Salon du Cycle et de l'Automobile de Bruxelles de mars 1900 une voiture légère, capable de recevoir différents types de carrosseries. La version deux places pèse 350 kg, et atteint 25 km/h. Mais pour ne pas se disperser, et pour répondre à l'afflux de commandes de moteurs et de motocyclettes, ce projet est suspendu. L'usine sort encore quelques prototypes, mais le véritable démarrage de la production automobile n'a lieu que quatre ans plus tard.

En janvier 1904, Minerva est en effet de nouveau présent à Bruxelles avec une voiture, et annonce son intention d'en produire 1 000 pour l'année, ce qui ne sera jamais réalisé. On retrouve le constructeur à Londres en mars avec trois voitures, une 2 cylindres (Type A, 10 CV, 1 450 cm3), une 3 cylindres (Type D, 15 CV, 2 190 cm3) et une 4 cylindres (Type E, 20 CV, 2 900 cm3), avec transmission par chaîne et châssis en bois recouvert de métal. La technique et apparentée à celle des Panhard & Levassor françaises. Au Salon de Paris fin 1904, Minerva complète sa gamme avec une monocylindre 8 CV.

Cette même année, la société en commandite S. de Jong et Cie devient la Société Anonyme Minerva Motors Ltd, dont le siège est à Londres. Le président du conseil d'administration est David Citroën, l'administrateur délégué Sylvain de Jong. Ils sont assistés par Jacques de Jong dans la fonction de responsable technique, et par Albert Troeder en tant que directeur commercial. A Berchem, de nouveaux terrains sont acquis en face de l'immeuble des débuts, et une nouvelle usine est construite puis inaugurée le 28 décembre 1904, en présence de nombreuses personnalités et journalistes. C'est une étape majeure dans l'existence de Minerva, qui passe pour l'occasion de la petite à la grande industrie.

Minerva expose au Salon de Londres en février 1904 ses trois nouvelles voitures, la 2 cylindres Type A, la 3 cylindres Type D et la 4 cylindres Type E.

En Angleterre, Minerva est représenté par Charles Rolls. Celui-ci est aussi agent Panhard & Levassor à Londres. Il est certain que Charles Rolls étudie scrupuleusement les voitures de luxe du marché, et les Minerva n'y échappent pas. Il en tirera tous les enseignements utiles pour se lancer à son tour dans la construction automobile en 1906, avec son concitoyen Frederick Henry Royce.

Le marché le plus important de Minerva est l’Angleterre, suivi des Pays-Bas et de la France, la Belgique n’étant que le quatrième débouché. Les Minerva sont très appréciées par l’aristocratie britannique. Quand une Wolseley 16 CV est affichée à £ 550, une De Dion-Bouton à £ 400, la Minerva 4 cylindres est vendue £ 300. Les prix des châssis Minerva s'avèrent donc modérés par rapport à ceux des autres châssis de luxe. Cela restera une constante chez ce constructeur.

Minerva engage un jeune ingénieur français, Julien Pierri, qui vient de chez Gladiator au Prés-Saint-Gervais en région parisienne. Il occupe la fonction de directeur du bureau de dessin. La première mission qui lui est confiée est la conception d'une voiturette monocylindre, qui est présentée en Belgique en septembre 1904, sous le nom de Minervette 5HP, Type A. Ce nom est une contraction des mots Minerva et voiturette. Cette voiture légère possède un châssis en tubes, un moteur de 635 cm3, une boîte à deux vitesses et une transmission par chaîne. Son réservoir à essence n'a qu'une contenance de 10 litres. Elle ne pèse que 250 kg en deux places. Réunissant fiabilité et bas prix, la Minervette rencontre un certain succès avec près de 600 unités produites en 1905. Nombre d'entre elles sont vendues en Angleterre. Hélas, insuffisamment résistante pour les routes pavées belges, sa production est abandonnée fin 1905.

Avant de s'attaquer à la production de voitures de grand luxe, Minerva produit en 1905 la Minervette, modèle populaire qui rencontre un succès honorable.

La fabrication de Minerva est en 1905 répartie sur trois sites. L'entreprise propose parallèlement des cycles, des motocyclettes et des automobiles. Elle emploie environ 850 personnes, et produit cette année-là environ 300 voitures, 600 Minervette et 5 à 6 000 motos et moteurs. Les 10, 15 et 20 CV ne restent pas plus de deux ans au catalogue. A cette époque des débuts de l'automobile, en raison des progrès techniques rapides, Minerva, comme la plupart des constructeurs, renouvelle très vite sa gamme.


Ascension vers la voiture de luxe


En 1906, Minerva choisit d'orienter toutes ses productions vers les voitures de luxe. Les modèles antérieurs sont abandonnés. La nouvelle offre place le constructeur au niveau qu'il entend bien occuper dans le futur, avec des automobiles modernes, puissantes, silencieuses, bien construites. L'essentiel de la production est intégrée. Cela concerne les moteurs, les radiateurs, les jantes, certains équipements électriques, certaines carrosseries, la peinture, le garnissage ... Les Minerva pour se distinguer de la masse se doivent d'afficher une caractéristique visuelle forte. Le plus souvent, les constructeurs se différencient par la forme caractéristique du radiateur. Il en sera de même chez Minerva, avec la courbure spécifique orientée vers le bouchon du radiateur. Courant 1907, toutes les Minerva reçoivent le fameux écusson rond émaillé à tête de Minerve.

Jusqu'en 1909 arrivent successivement sur le marché les Type F, G, H, K, L, M, N, et O, dans les catégories comprises entre 15 à 40 CV. Chaque modèle est produit entre une à trois années au maximum. Outre la distribution en Belgique, ces automobiles sont largement diffusées en France, en Angleterre et aux Pays-Bas. Seule incongruité de l'époque, la présentation d'une nouvelle petite Minerva en 1909, le Type P, qui respecte la logique de l'alphabet. Il s'agit d'une 7 CV de 1 700 cm3 qui va vite sombrer dans l'oubli.

Aux débuts de l'automobile, la compétition est irremplaçable pour construire une notoriété. En 1907, Minerva avec des voitures spécialement préparées s'enregistre pour participer à la course belge du Circuit des Ardennes. C'est l'agent anglais de l'époque qui engage les voitures. D'ailleurs, tous les pilotes sont anglais. 23 voitures sont inscrites à cette course, dont 11 belges, soit 4 Minerva, 3 Imperia, 3 Pipe et 1 Métallurgique. Les autres sont françaises ou allemandes. Les Minerva s'octroient les trois premières places ainsi que la sixième. La voiture victorieuse est fièrement exposée en fin d'année au Salon de Paris et à celui de Londres.

Kenelm Edward " Bill " Lee Guinness (1887/1937) sur Minerva, participe au circuit des Ardennes à Bastogne, le 25 juillet 1907. Ingénieur automobile, il a inventé et fabriqué la bougie KLG.

L'usine s'étend en 1907 sur 15 200 m2 d'atelier, et occupe près de 1 200 salariés. Un buste de la déesse Minerve surplombe le porche d'entrée. Minerva fait à la fin des années 1900 définitivement partie des marques européennes les plus prestigieuses, et n'a rien à envier à des constructeurs français comme Panhard & Levassor ou Delaunay Belleville. En 1909, une page se tourne, avec l'arrivée des nouvelles motorisations sans soupapes.


1909/1914, le moteur Knight sans soupapes


L'élimination des nombreux bruits parasites tels que le cliquetis des soupapes, le grincement du pont arrière, le craquement des changements de vitesses ... fait partie des préoccupations des constructeurs de haut de gamme. Dans cette optique, les ingénieurs de Minerva s'intéressent aux travaux de l'ingénieur américain Charles Yale Knight (1868/1940) sur les moteurs sans soupapes. Ceux-ci sont particulièrement silencieux et apportent un réel confort. Ils s'avèrent robustes et suffisamment puissants.

Charles Yale Knight est né à Salem dans l'Indiana en 1868. Journaliste et imprimeur, il trouve le moteur de sa première automobile trop bruyant, et les ressorts de soupape de la seconde rendent facilement l'âme. Ces deux événements le conduisent à se lancer dans la quête d'un moteur silencieux qui se dispense des problèmes des fameuses soupapes

Knight demande une royalty de 100 $ pour chaque moteur fabriqué selon son brevet. On comprend pourquoi les candidats sont peu nombreux à manifester leur intérêt pour obtenir une licence. La technique est au point depuis 1906, et Knight exprime sa volonté de ne diffuser cette licence qu'aux constructeurs qui s'inscrivent d'emblée comme leaders des nouvelles techniques dans leurs pays respectifs. Quelques marques adoptent finalement le Knight : Daimler en Angleterre, Panhard & Levassor, Peugeot et Voisin en France, Mercedes en Allemagne et Willys aux Etats-Unis.

Le premier modèle Minerva à bénéficier de cette innovation est la 4 cylindres 38 CV, de 6 276 cm3, exposée au Salon de Londres en novembre 1908. Le constructeur décide de conserver en parallèle au catalogue le Type K de 40 CV à moteur 6 cylindres à soupapes, le temps d'assurer ses arrières et de ne pas effaroucher la clientèle traditionnelle. On se dit chez Minerva que le marché décidera. Et il va décider, car la 40 CV est très rapidement abandonnée. La 38 CV reste six ans au catalogue Minerva, et bénéficie au fil du temps de diverses améliorations techniques. La cylindrée est portée à 7 242 cm3 en 1912. Le surcroît de puissance permet de supporter des carrosseries de plus en plus volumineuses et lourdes. Six évolutions se succèdent : Type U en 1908, V en 1909, Z en 1910/11, CC en 1912, HH en 1913 et MM en 1914. La 38 CV procure définitivement à Minerva le statut d'un constructeur de voitures de prestige.

Le moteur Knight n'est pas sans présenter quelques inconvénients. De nombreuses pièces sont en mouvement, d'où la nécessité de les graisser abondamment. Il consomme près d'un litre d'huile aux 100 km. Cette huile génère un joli panache de fumée bleue, qui devient de plus en plus épais au fur et à mesure que le moteur s'use.

En 1910, le Type N 25 CV est remplacée par la 4 cylindres 26 CV sans soupapes. La cylindrée initiale de 4 084 cm3 est portée à 4 396 cm3 en 1912. Cinq évolutions se succèdent : Type S en 1910, X en 1911, BB en 1912, GG en 1913 et LL en 1914. En France, Mathis utilise ce même moteur en 1913/14. Mors, qui connaît quelques difficultés depuis 1909, et dont la direction a été confiée à André Citroën, devient à partir de 1913 un fidèle client des moteurs Minerva pour l'ensemble de ses modèles.

Minerva 26 CV, 1910. Emile Mathis et André Citroën chez Mors utilisent aussi le moteur sans soupapes de la Minerva 26 CV.

Après le 38 CV et la 26 CV, Minerva étend en 1910 sa gamme vers un modèle plus accessible, la 4 cylindres 16 CV de 2 323 cm3, techniquement apparentée à ses deux grandes soeurs. Le bloc-moteur coulé en une seule pièce est plus léger et moins cher à produire. Le châssis mesure 2,64 mètres, longueur portée à 3,08 mètres en 1912. La cylindrée est poussée à 2 512 cm3 en 1912. Les Type R/RT sont produites en 1910, W/WT en 1911 et AA en 1912.

La 16 CV permet d'attirer la clientèle vers des modèles intermédiaires, mais pas encore populaires. La firme sera tiraillée durant toute son histoire entre le fait de produire des voitures de luxe extrêmement coûteuses et vendues en nombre limité, et la plus grande série qui permet de faire tourner correctement ses usines.

En 1913, la 16 CV est remplacée d'une part par la 14 CV, d'autre part par une nouvelle 18 CV.

La 4 cylindres 14 CV de 2 116 cm3 apparue en 1913 complète vers le bas l'offre de Minerva. Elle reprend des modèles supérieurs la même perfection de construction. Pour réduire son prix de 25 % par rapport à la 16 CV, la mécanique et les suspensions ont été simplifiées. Cela n'en fait pas pour autant une automobile " bon marché ". Comme l'annonce la brochure, la Minerva " n'est pas à la portée de toutes les bourses, c'est une automobile de luxe, et ne se la paie pas qui veut ". Le Type DD est produit en 1913, le Type JJ en 1914. La 14 CV en torpédo d'usine à quatre places est livrable toute équipée contre 10 500 francs, à comparer aux 13 500 francs pour le châssis de la 26 CV et aux 16 500 francs pour celui de la 38 CV.

La 4 cylindres 18 CV de 1913 n'est disponible qu'avec un seul empattement, contrairement aux 26 CV et 38 CV. Ses 3 307 cm3 la positionnent entre les 2 116 cm3 de la 14 CV et les 4 396 cm3 de la 26 CV. Elle est connue comme Type EE en 1913 et Type KK en 1914. Le châssis de la 18 CV coûte 10 500 francs, soit le même prix qu'une 14 CV à carrosserie usine.

Minerva 18 CV Type KK. La voiture belge du juste-milieu, un peu avant que Hotchkiss n'en fasse avec succès son slogan dans les années 1920.

Sylvain de Jong pense à fonder une association des constructeurs au niveau européen. Son ambition est de promouvoir l'étude de voitures normalisées, qui répondraient à un certain nombre de cotes communes, sans pour autant perdre de leur identité. Les pièces constituant ces automobiles pourraient être produites en très grande série, diminuant d'autant les prix de revient, et incidemment les prix de vente. La déclaration de guerre porte hélas un coup fatal à cette idée pourtant prometteuse.

Pour Minerva, les années 10 sont riches en victoires dans les grands rallyes sportifs. Le couronnement intervient au Tourist Trophy sur l'île de Man en 1914, qui reprend après une interruption de six ans. La course de vitesse se tient sur deux jours, sur un circuit très accidenté, qui comporte quatre-vingt-dix virages par tour. L'épreuve totalise 952 km. Vingt-trois voitures y participent. Minerva prend les 2ème, 3ème et 5ème places, avec des modèles équipés d'un bloc-moteur de 18 CV. Seules six automobiles atteignent l'arrivée. Les mauvaises langues prétendent que les Minerva doivent leur bon classement au fait qu'avec leur fumée bleue, elles ont aveuglé les concurrentes, empêchant tout dépassement.

Lors du Tourist Trophy 1914, les Minerva sont confiées aux pilotes Leon Molon, Jean Porsporato et Christian Riecken. La course est gagnée par une Sunbeam. Durant l'épreuve réputée pour sa rudesse, aucune Minerva ne s'est arrêtée pour problème mécanique, ce qui a permis de confirmer l'image de qualité et de robustesse des voitures belges.

Jean Porporato prend la cinquième place sur le Tourist Trophy de 1914. Ce pilote franco-italien est né à Turin en 1879. Il a débuté la course automobile sur la Targa Florio en 1907.

En 1912, pour faire face à l'afflux de commandes, Minerva achète un nouveau terrain à Berchem, juste à côté de l'usine des débuts, et y construit un nouveau bâtiment de trois étages. Ainsi, en 1913, avec environ 3 000 ouvriers et 800 machines-outils, ce sont près de 3 000 châssis qui sont fabriqués. C'est un record pour Minerva.

Un nouvel agrandissement a été rendu nécessaire en 1912 pour faire face à l'activité croissante de Minerva, qui devient le plus grand industriel de l'automobile belge.

En 1913, Minerva débute dans la production de véhicules utilitaires. Après une ambulance, il s'agit de camions à cabine avancée de deux à trois tonnes de charge utile, animés par un quatre cylindres Knight. La période comprise entre 1910 et 1914 voit Minerva bénéficier d'une expansion sans commune mesure avec celle des autres constructeurs belges contemporains, et permet à l'entreprise de dégager des bénéfices substantiels.

Peu avant le début de la guerre, Sylvain de Jong fonde avec des associés la Société Générale de Locomotion Mécanique à Bruxelles, dont la vocation est l'étude et la production de moteurs d'avions. Mais la guerre met un coup d'arrêt à cette tentative de diversification.


Pendant la guerre, 1914/1918


En 1914, à la demande des autorités belges inquiètes par le contexte international, Minerva produit une série d'automobiles blindées à partir de châssis de 38 CV. Elles sont dotées de roues arrière jumelées, et d'une mitrailleuse Hotchkiss. Ces véhicules légers seront effectivement utilisés pendant la guerre, et resteront en service jusqu'aux années 1930 au sein de l'armée et la gendarmerie. Vu la rapidité de la mise en oeuvre de ces engins sur le terrain, on peut penser que leur étude a débuté bien avant la guerre, indépendamment de la commande de l'Etat Belge.

Lorsque la région d'Anvers tombe aux mains des Allemands en octobre 1914, Sylvain de Jong, qui craint d'être obligé de travailler pour l'ennemi, quitte le pays par bateau avec une partie de ses collaborateurs et quelques-uns de ses meilleurs ouvriers, pour s'installer à Amsterdam. Il emporte avec lui certains outillages, mais détruit ou cache avant sa fuite tout ce qui pourrait être profitable à aux Allemands. Ceux-ci demanderont son retour en Belgique, mais en vain.

Les véhicules blindés Minerva produits en 1914 sont équipés d'une mitrailleuse Hotchkiss légère surmontant simplement le véhicule.

De Jong et les siens poursuivent à Amsterdam le développement de leurs automobiles de luxe. Ils étudient de nouveaux modèles pour l’après-guerre. L'usine de Berchem est occupée de façon permanente par l'ennemi à partir de l'été 1915. Le personnel resté sur place doit se soumettre. Il s'agit désormais d'un immense atelier de réparation de matériel militaire roulant, tandis que les bureaux sont transformés en dortoirs. Peu avant la fin du conflit, Sylvain de Jong se rend aux Etats-Unis pour acquérir de nouvelles machines, et pour passer commande de matières premières qui seront à livrer une fois la guerre terminée.

Une section d'automitrailleuses Minerva attire un public nombreux. Après la guerre, ces engins reprendront du service au sein de l'armée et de la gendarmerie.

En novembre 1918, Sylvain de Jong et ses collaborateurs reviennent à Berchem. Sur place, il ne reste plus une seule machine, les Allemands ont quasiment tout emporté dans leur débâcle. Une augmentation de capital est indispensable pour assurer de nouveaux investissements. On fait appel à des investisseurs privés et à des banques. La Banque d'Outremer devient un des principaux actionnaires. Elle est représentée par Messieurs Marquet père et fils. La famille Marquet a fait fortune dans les casinos et l'hôtellerie de grand luxe. Désormais, leur influence sera sensible dans les prises de décision. Hélas, ils manquent d'expérience dans le monde de l'automobile et leurs choix stratégiques ne seront pas toujours très heureux.


1919/1928 - L’apogée de Minerva


Durant son séjour forcé à Amsterdam, Sylvain de Jong et sa petite équipe ont mis au point deux nouvelles voitures, une 20 CV et une 30 CV, qui confirment le positionnement haut de gamme de Minerva pour ce nouveau départ. Mais une grève pour des revendications salariales non satisfaites intervient dès l'été 1919.

Finalement, la production dans une usine rééquipée reprend fin 1919 avec la 4 cylindres 20 CV de 3 750 cm3 sans soupapes. Les ressorts à lames semi-elliptiques d'avant-guerre sont remplacés par des ressorts cantilevers. Ainsi les suspensions sont plus souples. Le carburateur n'est plus de fabrication maison. Sthenos ou Zénith ont pris le relais. Le radiateur présente une forme plus arrondie. Toutes les parties en cuivre sont nickelées et polies. La grève coûte cher à Minerva, qui est tenu de livrer les voitures au prix fixé lors de la signature du bon de commande. Hors, l'inflation atteint des taux records après la guerre. La 20 CV reste en production jusqu'en 1924. Trois générations se succèdent : Type NN (1919/21), PP (1922/23) et ZZ (1924).

Minerva ne reprend pas après la guerre la production de la 38 CV née en 1908. A partir de 1920, la présence sur le créneau du très haut de gamme est assurée par la 6 cylindres 30 CV, de 5 355 cm3. Techniquement, celle-ci s'inspire nettement de la 20 CV commercialisée l'année précédente, avec un châssis presque identique, si ce n'est sa longueur. La 30 CV comme toutes les Minerva bénéficie de multiples évolutions durant sa carrière : allongement du châssis, freins sur les quatre roues ... Commercialement, c'est un succès. L'importateur new-yorkais passe une commande astronomique pour l'époque de 200 exemplaires au carrossier belge d'Ieteren.

Takahashi Korekiyo (1854/1936), personnalité politique japonaise, se fait livrer en 1922 cette Minerva 30 CV, Type RR, alors qu'il occupe la fonction de Premier ministre.

Avec son empattement de base de 3,65 mètres, le châssis de la 30 CV est plus long que celui de toutes les voitures américaines contemporaines, qu'il s'agisse de Cadillac, Packard ou Pierce Arrow. Même la Rolls-Royce Silver Ghost lui abandonne un centimètre, à 3,64 mètres. Seule la version longue de la Renault 40 CV fait mieux avec 3,99 mètres, mais la voiture de Billancourt n'a pas l'image élitiste d'une Minerva. Il faudra attendre la disparition de la 30 CV en 1928 pour voir apparaître des châssis plus importants chez Rolls-Royce, Hispano Suiza et Isotta Fraschini. Différentes générations de la 30 CV se succèdent : Type OO (1920/21), RR (1922), WW (1923), AC (1924/25), AF (1926/28).

Minerva 30 CV Type OO. Le compartiment chauffeur est exposé aux intempéries, mais il est tout de même protégé par un toit rigide. La partie arrière est complètement fermée. Un coffre à bagages indépendant est fixé à l'arrière.

La renommée de Minerva est restée intacte depuis les années 1910. Elle s’étend dans toute l’Europe et aux Etats-Unis. Pour autant, il faut assurer le quotidien de l'usine. Pour accroître son volume de production, Minerva présente au Salon de Bruxelles en décembre 1921 une 4 cylindres 15 CV de 1 978 cm3, qui emprunte son architecteur générale aux modèles supérieurs, et se présente - comme la 14 CV de 1913 - comme un modèle capable d'attirer une clientèle moins fortunée. Son empattement est de 3,03 mètres. Dans ses publicités, Minerva met en avant l'agencement fonctionnel de tous les organes mécaniques. La 15 CV est produite jusqu'en 1924, en deux générations, Type TT en 1922/23 et XX en 1924. En 1922, les châssis des 15 CV, 20 CV et 30 CV sont respectivement facturés 24 475 francs, 30 000 francs et 37 000 francs. Une Citroën 10 HP vaut 14 000 francs, une Buick 6 cylindres 30 200 francs, et un châssis Cadillac 60 000 francs.

C'est aussi en 1922 que le constructeur belge met en service son usine de Mortsel, près d'Anvers, dont la vocation est de produire des carrosseries. Sa superficie est de 10 000 m2, et elle emploie près de 500 personnes, qui assemblent environ vingt carrosseries par semaine. Le temps de fabrication est d'environ un mois entre l'arrivée du châssis nu et la sortie de l'usine de la voiture complète. Minerva propose un programme de trente-cinq carrosseries différentes. Jusqu'alors, une grande partie des châssis étaient habillés chez des carrossiers réputés, notamment Van den Plas et d'Ieteren. Désormais, Minerva propose aussi à son catalogue des séries standardisées. Pour autant, cette production reste très artisanale.

A partir de 1922, Minerva possède à Mortsel son propre atelier de production de carrosseries. On pouvait néanmoins s'adresser dès l'origine à l'usine pour obtenir une carrosserie produite par Minerva, qui n'avait rien à envier à celle d'un carrossier.

L'inflation galopante nécessite de nouvelles augmentations de capital. Une première intervient en 1920, une seconde en 1924. Cette année-là, Minerva rachète l'usine de machines-outils Demoor de Cureghem. Minerva, qui fait tout pour tisser des relations privilégiées avec ses fournisseurs, n'hésite pas à pendre des participations dans le capital de certains d'entre eux.

Dans les années 1920, les motorisations de type 6 cylindres deviennent la norme entre 3 et 4 litres. Ainsi la nouvelle 6 cylindres 20 CV de 1923 affiche 2 976 cm3. En 1924, quand la 4 cylindres 20 CV est abandonnée, ce moteur est porté à 3 382 cm3. La nouvelle 20 CV reste en production jusqu'en 1930, en évoluant à travers les Type UU (1923), AB (1924) et AE (1926).

La 4 cylindres 16 CV de 2 250 cm3 succède à la 15 CV en 1925. Il s'agit des Type AD en 1925 et AG en 1926/27. Malgré ses dimensions réduites, la 16 CV conserve l'essentiel des qualités des modèles supérieurs, et son apparence permet toujours de l'identifier comme une vraie Minerva. Avec sa gamme basse, Minerva ne tente pas l'aventure américaine. La 16 CV manque en effet de puissance pour répondre aux besoins de ce marché exigeant.

Minerva est très actif par ailleurs aux Etats-Unis. Y posséder une voiture de cette marque symbolise sa réussite et son bon goût. Les Minerva intéressent les hommes d'affaires, les personnalités politiques et les stars du cinéma. Henry Ford s'en est même offert une ! La plupart d'entre elles sont conduites par un chauffeur. C'est remarquable dans un pays qui ne manque pourtant pas de constructeurs de voitures de luxe, et les Minerva s'affichent sans complexe parmi les Cadillac, Lincoln, Packard, Duesenberg, Pierce Arrow ... L'agence new-yorkaise de Minerva est installée sur Park Avenue. Paul Ostruck, qui dirige l'affaire, se lance dans la fabrication de ses propres carrosseries. D'autres sont réalisées par des acteurs locaux, comme Bridgeport, Rollston ou Le Baron.

Minerva est aussi très présent dans les grandes capitales européennes comme Paris, Amsterdam, Londres ... Outre Vanden Plas et d'Ieteren déjà cités, les grands carrossiers comme Grummer, Labourdette, Letourneur et Marchand, Park Ward ... apprécient de travailler sur les châssis Minerva, car leurs prix sont raisonnables comparés à ceux de la concurrence. Ils sont bien finis, réputés robustes, et faciles à habiller.

A partir de 1922, Minerva monte sur les bouchons de radiateur de ses modèles haut de gamme la première mascotte à tête de Minerve, due au talent du sculpteur Pierre De Soete. Ces mascottes sont parmi les plus belles de l'époque. Source : https://www.bonhams.com

Sylvain de Jong, échaudé par la grève de 1919, tente d'améliorer les conditions de travail de son personnel. La sécurité de ses employés est un de ses soucis majeurs. Ses salariés bénéficient de six jours de congés payés par an. Il s'engage dans la formation professionnelle, attribue des bourses d'études, créé un service d'assistance sociale, finance la construction de petites maisons d'ouvriers près de l'usine ...

Ce sont les plus belles années de Minerva, qui rachète en 1923 le stock et les installations du constructeur SAVA, la Société Anversoise pour fabrication de Voitures Automobiles. Minerva y installe son service des pièces de rechange, ainsi qu'un atelier de réparation. Puis le constructeur rachète la société Auto-Traction, qui fabrique depuis 1920 des tracteurs sous licence Chenard & Walcker, équipés d'un moteur Minerva. Puis c'est au tour de l'ancienne usine du constructeur Métallurgique, installée à Marchienne-au-Pont, de rentrer dans le giron du Minerva. On y produit des pièces pour les poids lourds.

En 1925, Minerva vend près de 2 500 voitures, soit deux fois plus qu’en 1912. C'est beaucoup à ce niveau de gamme. Près de 1 000 exemplaires traversent la Manche à destination du seul marché britannique. Ce succès s'explique encore une fois par les prix compétitifs pratiqués par Minerva. Sa 30 CV y est moins chère que la plus économique des Rolls-Royce, la Twenty, et une fois habillée de sa carrosserie, elle vaut environ la moitié du prix d'une Rolls-Royce Phantom. Cinq conducteurs sont employés à plein temps pour livrer les châssis depuis le point de débarquement du ferry jusqu'à l'agence de Londres. La plupart des Minerva destinées au marché britannique sont habillées sur place.

Sylvain de Jong, conscient de la relative étroitesse du marché de l'automobile de luxe, ne perd pas complètement de vue celui de la voiture populaire. Il étudie une voiture de 1,5 litre de cylindrée. Son moteur est un sans soupapes différent du Knight, mis au point par Eugène Bournonvile, un ingénieur d'origine belge installé aux Etats-Unis. C'est un ami de Paul Ostruck. Ce modèle initié par Minerva aurait été vendu sous une nouvelle marque. Mais le projet ne se concrétise pas, car les essais ne donnent pas entière satisfaction.

Au lieu de cela, on voit apparaître en octobre 1926 la 6 cylindres 12 CV, type AH, de 2 004 cm3. Elle cible une clientèle disposée à payer un peu plus cher que le prix moyen sur ce segment, en contrepartie d'une réputation de solidité. C'est en effet une réalité, car le châssis seul pèse 950 kg. Ce moteur favorise clairement la souplesse et la longévité, au détriment de la puissance réelle qui ne dépasse pas 40 ch. Les performances du modèle sont améliorées en 1929 sur le Type AN, par l'installation d'un carburateur à double corps. La 12 CV évolue encore en 1930 (Type AO) et 1931/33 (Type AS/2000, avec des roues plus grandes). Le département carrosserie de l'usine de Mortsel propose deux carrosseries d'usine, un torpédo et une conduite intérieure, vendues au même prix, qui répondent parfaitement à l'attente du marché. Elles n'ont toutefois par la grâce des Minerva plus puissantes.

La Minerva 12 CV Type AH se présente sous des lignes très anguleuses. Ce modèle économique n'intéresse pas les carrossiers, et la plupart des voitures sont vendues avec un habillage usine.

Pour minorer le prix de revient de la 12 CV, le site de Mortsel est réorganisé. Les pièces de carrosserie sont standardisées au maximum, et une chaîne de montage est installée. Le résultat est impressionnant, et le nombre hebdomadaire de 12 CV produites - entre 40 et 50 - atteint 2,5 fois celui des modèles plus coûteux. La 12 CV est surtout diffusée dans les pays n'ayant pas d'industrie automobile propre, comme la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse ...

De nouveau Minerva s'intéresse à l'aviation, et annonce au printemps 1925 un V8 de 9,4 litres, système Knight. Il développe 160 ch, et s'inspire des moteurs automobiles, tout en étant plus léger. Pour la première fois un moteur Knight prend l'air au printemps 1926 dans un avion Renard-Stampe-Vertongen. C'est le premier aéronef intégralement belge à voler. Trois autres moteurs sont assemblés, mais l'affaire en reste là.

En 1928, la 6 cylindres 32 CV de 5 952 cm3, Type AK et AM (1928/32) et AKS (1929/1932), succède à la 30 CV, et s'en différencie surtout par le montage d'un carburateur à double corps de marque Zénith, ainsi que d'un refroidisseur d'huile à partir de 1929. L'AM est une version destinée au marché américain, avec le volant à gauche. L'AKS est une version à châssis raccourci forte de 150 ch, destinée aux conducteurs les plus sportifs. Elle peut atteindre 150 km/h.

La Minerva 32 CV est lancée en 1927 pour succéder à la 30 CV. Ce modèle concurrence directement les Rolls-Royce, avec un tarif légèrement inférieur. Elle fait le bonheur des carrossiers les plus prestigieux, comme Henry Binder.

Les différences visuelles sont à peine perceptibles entre une 30 CV Type AF et une 32 CV Type AK. Avec la 32 CV, Minerva est à son apogée, tant au niveau technique qu'esthétique. Lors de son lancement, l'économie mondiale tourne à plein régime, et le constructeur en profite pleinement. Les carrossiers les plus renommés travaillent sur les châssis Minerva. Le krach de Wall Street en octobre 1929 va conduire à une chute de la demande pour ce type d'automobile. Minerva sera particulièrement touché.

Cette limousine 32 CV carrossée en limousine impériale a été livrée en 1927 à une certaine Madame E. Claude. Elle pose dans un environnement adapté à son image de prestige.

La qualité n'est pas un vain mot chez Minerva. La production fait appel à des hommes de métier, qualifiés. Les matières premières sont sévèrement contrôlées. Elles subissent des essais de toute sorte : dureté, traction, analyse chimique ... Les pièces usinées par les fournisseurs ou sur place répondent à de très petites tolérances. Les laboratoires Minerva font référence dans la profession.

Hélas, ces méthodes ne favorisent pas les gains de productivité. Sauf à pouvoir vendre ses automobiles extrêmement chères, la rentabilité de l'affaire peut très vite devenir aléatoire. Minerva a pris soin de comparer sa performance industrielle avec celle d'un autre constructeur automobile, Willys, qui lui aussi utilise la licence Knight. Ce dernier produit 8 châssis par jour avec 100 ouvriers. Cette valeur est de 0,4 chez Minerva. Le premier emploie au moment de l'étude 13 000 ouvriers, le second 2 500.

Le marché de la voiture de luxe se tend de plus en plus sous la pression des Américains qui inondent la Belgique avec leurs produits. Ils se font aussi de plus en plus pressants sur les différents marchés européens. Les quelques évolutions menées au sein des usines Minerva sont insuffisantes pour faire face à l'évolution du marché de manière isolée. Le constructeur ne souhaite pas investir dans la grande série. Ce n'est pas son marché, et il en a par d'ailleurs pas les moyens. Sans exporter, la Belgique serait un trop petit pays pour accueillir un tel constructeur, alors qu'au même moment l'Italie, la France, l'Angleterre et l'Allemagne protègent leur industrie nationale par des barrières douanières.

Finalement, en 1927, Minerva et FN, jusqu'alors concurrents, font le choix d'unir leurs forces. Chaque constructeur conserve son autonomie financière et son organisation. L'accord prévoit la naissance d'une communauté d'intérêts techniques et commerciaux. Les deux firmes conviennent de travailler avec les mêmes fournisseurs, et de fabriquer certains sous-ensembles en commun. Pour ne pas se concurrencer inutilement, elles ne vont plus étudier de nouveaux modèles trop proches. Minerva et FN confient chacune à un ingénieur maison le soin de piloter ces nouvelles relations. Les deux hommes finissent par bien se connaître et deviennent amis. Ils s'aperçoivent qu'il leur est demandé de part et d'autre d'observer ce qui se fait chez leur nouveau partenaire, sans rien dévoiler de ce qui se passe chez eux ... La collaboration va vite tomber à l'eau.

Pour célébrer leur union, Minerva et FN font imprimer une affiche " Unies pour le progrès de l'automobile ". Cette union n'aboutira toutefois à aucune réalisation tangible.


1928/1934 - Epoque Marquet


Depuis 1926, la famille Marquet est plus présente au capital de Minerva, au détriment de la famille de Jong. Une lutte de pouvoir s'est même déclenchée entre les deux frères de Jong et les Marquet. Quand Sylvain déclare sa maladie début 1928, il abandonne la direction de l'entreprise au bénéfice des Marquet. Sa mort en avril 1928 rebat les cartes. Marquet père devient le président du conseil d'administration, et son fils l'administrateur délégué. Désormais, la déesse Minerve de l'écusson ne regarde plus à droite, mais à gauche. C'est de cette manière que la firme rend hommage à son fondateur, disparu à l'âge de 60 ans.

A ce moment-là, Minerva compte 6 800 salariés, dont 6 000 directement rattachés à la production. La marque occupe sept usines, sur une surface de 192 000 m2. Elle fait travailler de nombreuses petites et moyennes entreprises en Belgique : fonderies, aciéries, usines textiles, matériel électrique, industrie du caoutchouc, fabricants de vitrages et d'accessoires ...

A partir du milieu des années 30, la mode est aux formes aérodynamiques. Minerva, empêtré dans ses difficultés récurrentes, passe à côté de ce courant, ce qui ne fait qu'aggraver sa situation. Le talent des meilleurs affichistes ne suffit plus.

Minerva peine à recruter des ouvriers spécialisés qui connaissent la mécanique. La firme n'hésite pas à embaucher sur toute la Belgique, à bien payer son personnel, du moins comparativement aux salaires ayant cours dans la métallurgie. Et comme on n'est jamais aussi bien servi que par soi même, Minerva met en place au sein même de ses usines une école de formation professionnelle. Cet enseignement qui est reconnu dans le métier dure trois ans, et permet à Minerva de se constituer une réserve de personnel qualifié. Il attire de nombreux enfants du personnel.

Minerva présente au Salon de Paris en octobre 1929 son extraordinaire 8 cylindres 40 CV de 6 616 cm3, Type AL. Cette voiture est née de la volonté de Sylvain de Jong de renouveler son haut de gamme. C'est la première 8 cylindres de la marque. Tous les indicateurs économiques sont encore au vert, et partout on se base sur les prévisions les plus optimistes pour le marché du luxe. La 40 CV roule en toute quiétude à 130 km/h, moyennant une consommation en carburant proche des 28 litres aux 100 km, et pour la même distance d'un litre d'huile. La souplesse du moteur permet de descendre en quatrième à 20 km/h, puis de remonter à 80 km/h sans aucune vibration. L'empattement de 3,90 mètres supporte sans difficulté les carrosseries les plus lourdes et les plus luxueuses, d'un confort absolu.

L'époque est à la surenchère, et des constructeurs comme Pierce Arrow, Duesenberg, Hispano Suiza, Isotta Fraschini ... ont déjà présenté leurs modèles de très haut de gamme, ou s'apprêtent à le faire. Pourtant Minerva s'en tient à un " modeste " 8 cylindres, alors que la tendance est aux 12 cylindres, voire aux 16 cylindres chez Cadillac et Marmon. Hélas, la 40 CV se vend peu. Les sources divergent, mais on estime leur nombre à une centaine d'exemplaires jusqu'en 1936. Minerva ne parvient pas à amortir ses frais d'études, et ce modèle fait perdre de l'argent à l'entreprise.

Minerva 40 CV Type AL, 1930. La Minerva 40 CV lancée en 1929 est la première huit cylindres de la marque. Le moteur est un 6,6 litres qui permet de cibler non seulement Rolls-Royce, mais également les marques américaines les plus luxueuses.

Pour animer ses ventes, Minerva présente en décembre 1929 la 8 cylindres 22 CV M-8 Type AP, d'une cylindrée de 3 960 cm3. Elle remplace la 6 cylindres 20 CV Type AE. C'est toujours une bonne voiture, mais elle n'a plus le raffinement technique des Minerva précédentes. En effet, elle est produite à l'économie avec plusieurs pièces provenant de la grande série américaine, qu'il s'agisse de la boîte de vitesses, du pont arrière, de la direction ... Ce n'est finalement qu'une voiture hybride, qui présente toutefois l'avantage d'être vendue deux fois moins chère que la 40 CV, présentée trois mois plus tôt.

Cette Minerva 22 CV M-8 de 1932, une conduite intérieure quatre portes, est habillée d'une carrosserie tout aluminium selon le brevet de Jean de Vizcaya. On remarque l'arrondi des vitres de portières ainsi que le marchepied fixé sous le soubassement.

Le constructeur tente d'imposer à son personnel des méthodes issues du taylorisme. Il s'agit de découper l'activité en série d'opérations qui seront répétées plusieurs fois dans la journée. A chaque opération est attribué un temps. Mais le personnel habitué au travail artisanal, sans pression majeure, fier des voitures qu'il produit et auxquelles il peut s'identifier, ne veut pas devenir un rouage interchangeable à tout moment. Une nouvelle fois, il se met en grève.

Pour promouvoir la nouvelle 22 CV M-8, un administrateur de la firme propose d'organiser un raid reliant la mer du Nord à la Méditerranée. Le volant est confié à André Pisart. Il est accompagné dans cette aventure par un journaliste et un contrôleur du Royal Automobile Club de Belgique. C'est un succès. L'aller-retour est effectué à la moyenne de 80 km/h. André Pisart est aussi un important agent Minerva à Bruxelles.

Au Salon de Bruxelles en décembre 1930, Minerva adjoint à la 22 CV M-8 la 6 cylindres 17 CV M-6, de 2 976 cm3, Type AR. A l'exception de la réduction du nombre de cylindres, la mécanique est identique à celle de la 22 CV M-8. La longueur du châssis est moindre. Ici aussi, la recherche d'un prix de revient serré a primée. Les M-6 et M-8 sont peu diffusées en dehors de la Belgique. Leur carrière se prolonge jusqu'en 1935, sans bénéficier d'évolutions significatives. Les caisses carrées de ces deux voitures se démodent très vite face à la déferlante des carrosseries aérodynamiques. La 17 CV M-6 est présentée en 1932 dans une version Sport, à deux carburateurs.

L'économie mondiale souffre des conséquences de la crise de 1929. Les marchés d'exportation ne sont plus réceptifs, et Minerva essaye tant bien que mal d'exister par le biais de la course, une activité que la firme n'a jamais abandonnée. L'usine assemble un châssis ultra-court de M-8, et l'équipe pour la piste d'un moteur dérivé de celui de la 40 CV, avec l'objectif de reprendre à Panhard son record du monde de distance parcourue en une heure, soit 210 km. Mais à Montlhéry, c'est un échec. A la même époque, Minerva décide de construire trois voitures pour courir les Grand Prix. Apprenant cela, et face au coût d'un tel projet, les banquiers du constructeur mettent leur veto, alors qu'en 1933, les études et la construction des autos sont déjà bien entamées. Désormais, toute idée de revenir à la compétition sera bannie.

Pour fluidifier ses ventes, Minerva fait aussi des efforts sur ses tarifs. En 1932, pour des modèles carrossés, il faut compter 45 000 francs pour la Minerva 12 CV Six en fin de carrière, 68 000 francs pour la M-6, 85 000 francs pour la M-8, et toute de même 215 000 francs pour la 40 CV. Une Citroën C6 vaut alors 45 000 francs, et une Buick Eight 69 000 francs. Minerva produit en 1931 environ 2 000 voitures - contre 2 500 il y a peu encore - et 300 camions.

La 8 cylindres 25 CV Rapide de 1932 est développée à partir de la 22 CV, sans changer de cylindrée. Le moteur a subi d'importantes modifications permettant à la puissance de passer de 80 à 105 ch. La Rapide atteint 135 km/h.

La dernière vraie Minerva est lancée en septembre 1933. Il s’agit de la 4 cylindres M-4, 1 978 cm3 et 50 ch, un modèle de circonstance qui vise un large public. Le bloc-moteur est le même que sur les M-8 et M-6, mais avec moins de cylindres. La M-4 ne se signale par aucun progrès technique, et s'avère même plutôt dépassée face à la concurrence. La carrosserie quatre portes sans montant central possède toujours une armature bois. Ce modèle apparaît archaïque, haut sur patte. Le niveau de finition est en baisse. Pourtant la M-4 reste chère dans sa catégorie. C'est toutefois la seule voiture moyenne du marché à proposer un moteur sans soupapes. Mais personne n'attend Minerva sur ce créneau. C'est un désastre. Pas plus de 400 unités voient le jour au cours de l’année. Et encore, la voiture est vendue à perte.

Minerva ne propose pas de cabriolet M-4. Les clients qui souhaitent prendre l'air doivent donc s'adresser à des carrossiers, comme les firmes belges Ghyselinck et Dens.

Depuis 1930, pour protéger les économies nationales, plusieurs pays qui importaient des Minerva ont relevé leurs droits de douane. Les débouchés se sont automatiquement réduits pour Minerva. De leur côté, les autorités belges n'ont pas appliqué la réciprocité, afin de ne pas briser la dynamique industrielle engendrée par les installations en Belgique d'usines Ford et General Motors. Minerva exporte peu, et se trouve de plus en plus concurrencé sur son propre territoire. La marque est victime de surproduction, l'Etat belge et les banques sont appelés à la rescousse.

Les décideurs de Minerva s'obstinent à conserver un catalogue étoffé qui n'est plus en rapport avec les volumes produits. Des tensions apparaissent au sein de l'entreprise. Début 1931, Albert Troeder, présent depuis les débuts de la marque, est en conflit avec les Marquet. Il est remplacé par H. Van Stratum. Cet ancien collaborateur d'André Citroën, directeur général de Citroën Belgique, est nommé en septembre 1931 directeur général de la firme, une fonction qui n'existe plus depuis la mort de Sylvain de Jong. Il tente tant bien que mal de mettre un peu d'ordre dans la grande maison.

Le constructeur Auto-Traction est créé en 1920 à Hemiksem près d'Anvers pour produire des poids lourds inspirés des tracteurs Chenard & Walcker, mais munis de mécaniques Minerva. Plusieurs actionnaires de cette nouvelle compagnie sont aussi engagés chez Minerva. L'entreprise est dirigée par Raymond Hurbain, gendre de Sylvain de Jong, et Robert Engels, fils du président du conseil d'administration de Minerva. En 1925, Minerva rachète les actions appartenant à Chenard & Walcker. Cette diversification aide Minerva à passer la crise de 1929. La marque Auto-Traction est abandonnée en 1930 au profit de Minerva. Les camions, bus et autobus Auto-Traction et Minerva sont surtout vendus en Belgique et aux Pays-Bas.


Après 1934 - Epoque Mathieu van Roggen


Plus aucune Minerva ne parvient à séduire durablement. Le moteur sans soupapes a servi le succès de la firme durant deux décennies. Mais il est coûteux à produire, surtout avec les exigences de qualité de la marque. On a vu des Minerva atteindre des kilométrages supérieurs à 200 000, voire bien plus, mais au prix d'un entretien méticuleux, donc coûteux, et d'une consommation d'huile excessive. La concurrence n'a jamais cessé de travailler et d'améliorer les moteurs à soupapes, les rendant plus silencieux et plus économiques. Le moteur sans soupapes a vécu. Il ne fait plus la différence techniquement. Enfin, Minerva a laissé passer certaines évolutions techniques, comme le freinage hydraulique, la carrosserie tout acier, les roues indépendantes ...

La situation financière de Minerva est critique. La M-4 porteuse d'espoir ne fait que creuser la tombe. Les effectifs sont tombés à 1 200 personnes, contre 4 400 en 1929. La famille Marquet se retire en septembre 1934. L'administration de l'affaire est reprise en main par le concurrent Imperia, qui rachète les actions des Marquet.

Le dirigeant d'Imperia est Mathieu van Roggen (1890/1980). Il s'agit déjà d'un vieux routier de la construction automobile. A la fin des années 1920, il avait entamé un rapprochement des marques belges, un processus abandonné après le krach de Wall Street. Dans l'immédiat, l'honneur est sauf, Minerva reste belge. Mais financièrement la situation semble inextricable. L'équipe de Mathieu van Roggen en association avec les représentants de l'Etat, le principal créancier, s'efforce de l'assainir. La première préoccupation est de remettre en état 600 voitures qui dorment dans les stocks des distributeurs, et de les vendre. Finalement, Minerva est déclaré en faillite en novembre 1934.

Des pourparlers sont engagés avec quelques grands groupes étrangers, comme la General Motors ou Fiat, afin de reprendre l'intégralité de l'affaire, et de poursuivre la production automobile. Mais ils n'aboutissent pas. Les autorités doivent choisir entre deux propositions. La première émane d'une équipe d'anciens dirigeants de Minerva appuyé par des industriels, l'autre de Mathieu van Roggen.

C'est cette seconde option qui est retenue, car le patron d'Imperia a réussi depuis un an à faire la preuve de ses compétences, en ramenant chez Minerva un peu d'ordre et d'organisation. La production des modèles existants se poursuit à un rythme moindre, à partir des pièces et des éléments semi-ouvrés en stock. Il a fallu avant cela ranger ces stocks qui étaient dans un état de désorganisation totale.

Minerva qui en 1936 ne propose plus que des voitures démodées tente d'attirer les acheteurs par un bon rapport qualité/prix. Traditionnellement, le marché britannique est un débouché important pour la marque belge, grâce à la politique commerciale dynamique qui y a toujours été développée.

Quelques Imperia à traction avant sont vendues en France sous le nom de Minerva, marque qui bénéficie d'une meilleure réputation dans l'Hexagone. Ces voitures sont montées chez Voisin en région parisienne, usine dans laquelle Mathieu van Roggen détient des participations. On retrouve Minerva une dernière fois au Salon d'Amsterdam, où le constructeur expose une M-4, une M-8 et une 40 CV. Mais ces voitures paraissent bien démodées, face à toutes les carrosseries aérodynamiques à malles intégrées. Quelques rares voitures sont encore vendues, à l'unité ...

Minerva présente en 1936 le prototype TAM-18 à traction avant, sur la base d'une Imperia TA-9, équipé d'un V8 Ford de 3,6 litres, et d'une boite de vitesses automatique. Les trois exemplaires assemblés portent l'écusson Minerva, mais d'apparence il s'agit plus d'Imperia. Le châssis est exposé au Salon de Bruxelles en janvier 1937, puis à celui de Paris en octobre. Les essais se poursuivent jusqu'en 1938, et ils sont concluants. Mais il est déjà trop tard, et la production n'est pas lancée. On n'en entendra plus parler.

Minerva pense une dernière fois retrouver son salut dans la production de poids lourds. Le constructeur fait l'acquisition d'une licence pour des moteurs diesel Ganz-Jendrassik. Jusqu'à la guerre, Minerva propose en effet une gamme de camions de 1 700 kg à 6 500 kg de charge utile, ainsi que des châssis d'autobus.


Les derniers soubresauts


En 1940, juste avant l'invasion de la Belgique par les Allemands, Imperia vend son usine de Nessonvaux, et ne conserve que celle de Minerva à Mortsel. Celle-ci est occupée par l'ennemi de mai 1940 à septembre 1944. Ce site a en charge la révision de moteurs d’avions, ce qui lui vaut d’être bombardée en 1943 par les Américains. Minerva est atteint, mais le voisinage aussi, et l'on déplore 936 morts dans la population.

A la fin de la guerre, de 1944 à 1947, l'usine de Mortsel est occupée pacifiquement désormais par les Anglais qui y installent des ateliers d'entretien et de réparation de véhicules militaires. Minerva, qui est provisoirement installé dans un vieux fort désaffecté près d'Anvers, produit quelques camionnettes à cabine avancée du Type C-15, d'une charge utile de 1500 kg, dérivées du modèle C-170 d'avant-guerre, ainsi que quelques châssis d'autobus et des pièces de rechange. Début 1946, la cadence atteint trois châssis d'utilitaires par semaine.

En 1947, Mathieu Van Roggen récupère le site historique de Mortsel. La production du Type C-15 est arrêtée. L'usine est dans un piteux état, en raison d'un manque d'entretien pendant la guerre, et surtout des bombardements. Minerva va bénéficier d'une indemnisation pour dommage de guerre. En 1950, dans l'espoir d'accélérer le processus d'indemnisation, le constructeur signe un contrat avec la défense nationale belge. Il s'agit de produire localement des Land Rover sous licence pour l’armée. Ce 4 x 4 britannique a été présenté en Angleterre en 1948. Le contrat initial porte sur 2 500 exemplaires. Quand les autorités belges décident d'apporter une aide militaire à la Corée du Sud durant la guerre de Corée de 1950 à 1953, des commandes supplémentaires sont passées. Le programme de fabrication du Land Rover prend fin en 1955.

Le châssis, le moteur, les essieux, la transmission ... arrivent d'Angleterre, Minerva pour sa part assure l'assemblage et équipe le châssis de sa propre carrosserie. A partir de 1953, le catalogue comporte en plus une version civile. Deux couleurs sont inscrites au catalogue : vert et bordeaux. Les ouvriers sur la chaîne de montage travaillent avec ordre, méthode, dans un environnement propre et rangé. Au final, entre mai 1952 et juin 1956, ce sont 8 959 Minerva Land Rover qui sont produits, dont 8 451 pour les militaires.

Des agriculteurs, des artisans, des agriculteurs s'intéressent au Minerva Land Rover à partir de 1953. Jusqu'en 1956, il a su convaincre 508 acheteurs civils. Toutes les voitures assemblées en Belgique présentent des ailes avant inclinées. La calandre rappelle le radiateur typique des Minerva.

L'ambition au début de la décennie est, outre l'assemblage du Land Rover, de poursuivre la production automobile, en profitant d'une main d'oeuvre de 500 ouvriers qualifiés. Ainsi, Mathieu van Roggen expose au Salon de Bruxelles de janvier 1953 le châssis de la voiture italienne Cemsa-Caproni, construit en 1947 aux usines d'aviation Caproni de Saronno, mais jamais commercialisé. Cette automobile conçue par le Professeur Fessia est équipée d'un joli quatre cylindres à plat de 1 093 cm3, placé en porte-à-faux avant. C'est une traction avant, qui semble très prometteuse. Mathieu Van Roggen souhaite la fabriquer avec un nouveau moteur maison, un flat-four de 1 501 cm3 et 60 ch, mais le projet n’aboutit pas.

Parallèlement, Minerva importe les prestigieuses Armstrong Siddeley britanniques, avant de les monter sur place. Il souhaite aussi proposer une Sapphire à calandre Minerva. Mais les finances ne suivent pas, et ni le projet Cemsa-Caproni, ni le projet Sapphire n'aboutissent. La production de scooters en 1953/54 sous licence MV ne suffit pas non plus à redresser la barre.

Minerva qui souhaite se défaire de la dépendance à Rover présente en 1954 sous la désignation commerciale M-20 un véhicule tout terrain de sa propre conception destiné aux militaires, qui malheureusement ne s'y intéressent pas. A défaut, le constructeur en dérive deux versions civiles, les C-20 (bâché) et C-22 (station-wagon), qui pourraient être équipées de moteurs essence Continental 4 cylindres 2300 de 54 ch ou 2600 de 60 ch, voire d'un diesel Jenbach 2 cylindres de 40 ch. Les tentatives d'exportation sont vaines, notamment vers l'Inde, et moins d'une dizaine de C-20/C-22 auraient été assemblées.

Minerva comme Hotchkiss avec sa Jeep M201 et Delahaye avec son VLR, choisissent après la guerre de s'orienter vers le marché des véhicules tout-terrain, à usage militaire ou civil. Ce sont le plus souvent des voies sans issue.

Début 1955, Minerva envisage de conclure un accord avec Salmson installé à Billancourt, pas plus en forme que Minerva ... Le premier aurait produit les éléments mécaniques, et le second les châssis et carrosseries de véhicules tout terrain, qui auraient été distribués en France et en Belgique, sous les deux marques. L'affaire fait long feu.

Le projet de Mathieu Van Roggen de créer un groupe automobile belge à partir d’Imperia et de Minerva a donc échoué, et ces deux marques disparaissent complètement du paysage automobile en mars 1958. Les bâtiments de Mortsel sont morcelés entre différentes firmes, et le nom de Minerva rentre dans l'histoire automobile.

On estime à environ 50 000 le nombre d'automobiles Minerva produites depuis les débuts de la firme. Toutes les grandes marques automobiles belges ont disparu, mais l'industrie automobile du pays est bien vivante. Elle s'est reconvertie en une industrie de montage qui a pu se développer sur la réputation de grandes marques comme Minerva, Imperia, FN, Métallurgique ou Excelsior.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
Reproduction interdite, merci.

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