Motto
Frazer Nash par Motto Rocco Motto, né en 1904 à Rivarossa, débute sa carrière alors qu'il n'est encore qu'un adolescent au sein de la Carrozzeria Virengo & Filipponi. A seize ans, avec tout l'enthousiasme qui caractérise son jeune âge, il propose à son employeur de construire une voiture tout en métal en se passant de l'habituel cadre en bois. Ses collègues le considèrent comme un fou, mais son patron, Leo Filipponi, observe avec intérêt ses travaux, et le résultat obtenu donne finalement entière satisfaction. Plus tard, il est recruté en tant que responsable d'atelier par la carrosserie Martelleria Maggiora. En 1932, il décide de prendre son indépendance, et lance sa propre affaire à Turin, via Orta. Il travaille en sous-traitance pour les plus grands carrossiers - Stabilimenti Farina, Balbo, Ghia ... - en leur fournissant des carrosseries brutes. Petit à petit, Motto propose ses propres créations. Il développe par ailleurs la transformation de voitures de tourisme en utilitaires légers. Ses frères Ernesto et Clemente le rejoignent. En 1938, la carrosserie Motto s'installe dans un nouvel atelier via Bardonecchia. L'entreprise se spécialise dans la fabrication de carrosseries en aluminium pour voitures de sport. Sa réputation dans ce domaine va grandissant. Ses clients sont des particuliers aisés, mais Motto entame aussi des relations durables avec quelques constructeurs. Nous allons dans cette page évoquer quelques-unes de ses réalisations. En 1945, l'ingénieur Dante Giacosa, momentanément employé par Cisitalia, recrute Motto pour travailler sur le projet de la voiture de course D46. Giacosa apprécie la capacité qu'il a à donner la forme voulue à toute feuille métallique, sans avoir recours à une presse. Surtout, les deux hommes parlent le même langage et se comprennent à demi-mot. La collaboration avec Cisitalia n'est pas interrompue lors du retour de Giacosa chez Fiat en 1946. Motto habille également la première Cisitalia 202 " Cassone " en 1947.
Siata D46, 1946
Cisitalia 202 Cassone, 1947 Giacosa reprend contact avec Motto en 1947. Il lui confie l'habillage d'une série de Fiat 1100 S Mille Miglia avec de nouveau une carrosserie en aluminium. Mais Fiat qui peine à vendre ces voitures ne paye pas rapidement les travaux du carrossier. Finalement, le géant italien règle sa dette envers Motto en lui fournissant gratuitement des châssis nus, charge à lui d'en faire ce qu'il veut. Certains seront revendus à d'autres confrères carrossiers.
Fiat 1100 S Mille Miglia, 1947 Giovanni Savonuzzi est un ingénieur et designer très éclectique. Avant-guerre, il travaille pour Fiat Aviazione. Après le conflit, il est recruté chez Cisitalia, qui apprécie à la fois ses compétences techniques et son savoir-faire en matière aérodynamique. Entre 1948 et 1951, il tente de devenir lui-même constructeur, avec les voitures de course de marque SVA. Il confie la réalisation de certaines carrosseries à Motto.
SVA 820, 1949 Echaudé par Fiat, Motto préfère faire affaire avec de plus petites entreprises en habillant des voitures de course. voire avec des pilotes privés. A cette époque, il travaille notamment avec les frères Maserati, qui viennent de créer Osca en 1947. Dans le milieu de la compétition automobile, la notoriété de Motto a traversé les frontières. Deux Delahaye 175 sont habillées de carrosseries légères à la demande du pilote de rallye français Jean Trévoux. Elles se classent première et cinquième au Monte Carlo 1951. Trévoux sollicite de nouveau Motto en 1953, lorsqu'il s'engage à bord d'une Packard sur la Carrera Panamericana, où il termine troisième.
Delahaye 175 Motto, 1951 Les grands constructeurs pensent occasionnellement à Motto lorsqu'il s'agit de produire quelques exemplaires d'une carrosserie spéciale. Ainsi, Motto habille pour le compte de Lancia sept Aurelia B20 avec une carrosserie en aluminium. C'est à l'occasion du Salon de New York, en avril 1953, que le public découvre la Siata 208 Spider, équipée d'un V8 dérivé de celui qui équipe la Fiat Otto Vu (8V). Siata destine cette voiture au marché américain, où en effet 25 des 36 voitures fabriquées seront vendues. La paternité des lignes du Spider 208 est tantôt attribuée à Bertone, tantôt à Motto. Dans tous les cas, c'est ce dernier qui a assuré la fabrication des carrosseries.
Siata 208 S, 1953 En 1952, Louis Rosier est l'un des plus grands noms du sport automobile français. Au sommet de sa gloire, il se double d'un professionnel de l'automobile avisé. Il dirige l'une des plus importantes concessions Renault de France à Clermont-Ferrand, et dispose de moyens financiers qui lui permettent de faire appel à un carrossier indépendant, Motto en l'occurrence, lorsqu'il souhaite concrétiser l'un de ses projets : la fabrication d'une petite voiture de sport sur base Renault 4 CV. Sur ce créneau, il s'inspire des réalisations de Porsche en Allemagne sur base VW, et devance de quelques années les Alpine de Jean Rédélé. Mais le manque d'appui de la Régie, et le coût important des carrosseries réalisées de manière artisanale à Turin l'empêchent d'évoluer vers une production en petite série de ce coupé.
Renault 4 CV Louis Rosier, 1952 En 1950, c'est le carrossier Perret, installé près de Clermont-Ferrand, qui se charge de l'habillage du châssis Talbot numéro 110152, une T 26 GS. Hélas, la voiture est victime d'un incendie, et ses propriétaires prennent conseil auprès de Louis Rosier, afin de trouver un artisan capable de lui confectionner une nouvelle carrosserie. Le pilote leur suggère de contacter Rocco Motto, et la coupé de grand tourisme de Perret se transforme en une jolie barquette, qui évoque avant l'heure le style de l'AC Ace.
Talbot T 26 GS Motto Après s'être intéressé sans succès à la 4 CV, Louis Rosier a pour ambition le combler l'absence sur le marché français d'une automobile de grand tourisme, chic et élégante, sans être hors de prix. La situation n'est pas joyeuse. Au milieu des années 50, Delage, Delahaye ou Hotckiss ont disparu du paysage, seules quelques Salmson et Talbot sont encore produites mais paraissent d'un autre âge, et le développement de la Facel Véga n'en est qu'à ses débuts. A défaut de pouvoir compter sur une base " noble ", Rosier prend contact avec son ami Pierre Lefaucheux, PDG de Renault. Celui-ci fournit les éléments qui lui permettent de se lancer dans l'étude d'une GT sur base Frégate, le vaisseau amiral mal aimé de la Régie. Une préparation moteur soignée et une carrosserie en aluminium réalisée chez Motto offrent à cette voiture des performances intéressantes, tout en garantissant un entretien aisé. Elle est présentée à la presse fin 1955. Mais le décès de Louis Rosier en octobre 1956 des suites d'un accident en course met fin à ce beau projet.
Renault Fregate Motto, 1955 Giaur est une petite marque de voitures de course italienne. Elle voit le jour en 1950, du rapprochement de Domenico Giannini, préparateur de moteur Fiat, et de l'ingénieur Bererdo Taraschi, créateur en 1947 de l'Urania, une voiture née de l'adaptation d'un flat-twin BMW sur un châssis de Fiat Topolino. Les deux compères se séparent en 1958. L'une des rares voitures de grand tourisme qu'ils ont eu l'opportunité de produire a été habillée par Motto, la 750 Berlinetta San Remo de 1954.
Giaur 750 San Remo Motto carrosse en 1955 un châssis Cadillac à la demande de l'entrepreneur italo-américain Joe Mascari et de l'artiste Harry Birdsall. Les deux amis ont pour ambition de proposer à une clientèle fortunée une automobile de très haut de gamme. Albrecht Goertz est chargé de la dessiner. Il s'agit d'un cabriolet à toit rétractable, à la peinture nacrée, habillé d'éléments décoratifs dorés. Aucune production en série ne sera entreprise.
Cadillac Elegante, 1955 La Salmson 2300 numéro de châssis numéro 85016 est née en 1953, mais n'a été vendue qu'en avril 1955 à un journaliste de Radio Monte-Carlo, Jean-Paul Colas. Dès lors, celui-ci souhaite l'habiller d'une carrosserie fluide et légère, afin de l'engager aux 24 Heures du Mans. Sollicités, les grands noms français de la carrosserie, la plupart à bout de souffle, se désistent les uns après les autres. Colas se tourne donc vers l'Italie voisine, chez Motto, réputé pour travailler vite et bien. Le carrossier italien va en effet mener son travail en quelques semaines, exécutant une barquette de course unanimement reconnue pour son élégance. Son dessin représente une synthèse de ce qui se fait de mieux au milieu de cette décennie. La voiture participe à la course des 24 Heures du Mans 1955, hélas marquée par l'accident de Levegh sur Mercedes. La Salmson abandonne peu après minuit. Elle sera ensuite rapatriée chez Motto, qui se chargera de la " civiliser " pour un usage plus quotidien.
Salmson 2300 S, 1955 Au milieu des années cinquante, Motto, c'est une PME d'une cinquantaine de salariés qui produisent des voitures à l'unité, mais dont l'autre activité est la fabrication de caravane et de ce que l'on n'appelle pas encore des mobil-homes. Dans un autre domaine, la Fiat 600 Campestre de 1956 permet à Motto d'exprimer sa vision d'une voiture simple d'usage, légère et parfaitement adaptée au monde rural et à ses chemins
Fiat 600 Campestre, 1956 Pour sa dernière participation au Salon de Paris, Salmson présente une berline de prestige, réalisée sur la base d'une ancienne Randonnée. Malgré ses dimensions imposantes, elle ne pèse que 1180 kg . La carrosserie est grise et bleue, et l'auto est équipée de roues Rudge. Lors de sa présentation, l'Action Automobile s'interroge : " Si les dirigeants de Salmson arrivent à remonter le courant, des réalisations telles que cette élégante berline quatre portes, carrossée par Motto du Turin, ne pourrait elle pas faire une voiture à la fois sportive et de prestige ? ". L'histoire nous apprend hélas que cette automobile n'a pas dépassé le stade du prototype unique.
Salmson 2300, par Motto, 1956 De nombreux carrossiers ont habillé à leur façon la Jaguar XK, qu'il s'agisse de Bertone, Boano, Frua ou Ghia. Motto n'a pas démérité en proposant en 1958 sa propre vision de la XK 150. Les rondeurs de la sportive britannique ont laissé place à des formes plus contemporaines, dans un style ponton totalement assumé.
Jaguar XK 150, 1958 En septembre 1958, Ernesto et Clemente décident de quitter l'entreprise familiale. Ils sont en conflit avec Rocco, ce qui conduit à la liquidation de la société, et au partage des biens et des droits sur la marque. Carlo conserve la carrosserie automobile Motto, tandis que ses frères se concentrent sur la production de caravanes au sein d'une nouvelle société. Cela n'empêche pas Rocco de proposer ses propres caravanes. Accessoirement, il produit des carrosseries brutes pour le carrossier Viotti. A partir de 1959, Carlo Abarth lui passe commande d'une dizaine de carrosseries pour la Porsche Abarth Carrera, mais en raison du coût élevé de ses travaux, il perd le contrat. Abarth se tourne alors vers un autre fournisseur, avant de revenir chez Motto pour assembler les dernières carrosseries.
Porsche Abarth Carrera, 1959 En 1960, Lancia suggère à Raymond Loewy de contacter Motto pour mettre en forme son dernier projet. En effet, tous les carrossiers que le designer américain a contactés ont refusé de prendre en charge l'habillage de la Loraymo (un nom qui vient de l'adresse télégraphique de Loewy), un modèle unique, fruit de son imagination fertile. Loewy sera enchanté par la qualité du travail de Motto, l'invitant même à le rejoindre au Salon de Paris de 1960 où la voiture est exposée, afin de partager les honneurs dus à cette réalisation.
Lancia Flaminia par Raymond Loewy, 1960 A l'issue de ce Salon de Paris, lors d'une réunion organisée par l'ANFIA, l'association nationale italienne des constructeurs automobiles, son président rend hommage aux grands carrossiers italiens en activité, pour leur contribution au développement de l'industrie automobile de leur pays. Les noms de Pinin Farina ou de Bertone sont cités, ainsi que celui d'autres petites " carrozzerias " indépendantes. Motto est oublié lors de cet hommage, ce qu'il ne manque pas de faire remarquer avant de quitter la salle. Peu après, il résilie son abonnement à l'association. Rocco Motto cesse toute production liée à l'automobile, pour se concentrer sur la fabrication de véhicules commerciaux et de caravanes, avec l'appui de son fils Francesco. Sa clientèle est, dit-il, essentiellement constituée de gens du voyage, qui se promènent avec des liasses de billets dans les poches, qui payent cash, et qui en plus savent dire " merci " ! L'affaire familiale ferme ses portes en 1990. Rocco Motto décède en 1996. |