De Dion-Bouton, pionnier de l'automobile
De Dion-Bouton est un constructeur français d'automobiles, de camions, d’autobus, d'autorails, de cycles et de moteurs de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, fondé en 1882 par Jules-Albert de Dion, Georges Bouton et Charles-Armand Trépardoux, à une époque où tout ou presque reste à inventer en matière de locomotion. La marque produira des voitures jusqu’en 1932, des autorails jusqu’en 1948, des autobus et camions de voirie jusqu'en 1953. Il y eut même des cycles De Dion-Bouton jusqu'en 1968. Les protagonistes La société De Dion-Bouton est fondée en 1882 par trois personnages : Jules-Albert de Dion, Georges Bouton et Charles-Armand Trépardoux. Descendant aristocratique d'une famille belge, les De Din-le-Val, Jules-Albert, comte de Dion, naît le 9 mars 1856 à Carquefou, près de Nantes. Dans les années 1880, de multiples inventions font progresser la locomotion terrestre. Le chemin de fer à réduit les distances, permettant d'assurer la liaison entre Paris et Marseille en une journée, quand il y a peu encore les cavaliers mettaient quatre jours. Passionné de mécanique depuis toujours, de Dion est un très bon orateur qui sait convaincre son auditoire, quel que soit le sujet abordé. Notre homme s'intéresse aussi à la politique. De 1899 à 1934, il est conseiller général. En 1902, il est élu député de la Loire-Inférieure avant de devenir en 1923 sénateur. Il siège dans de nombreuses commissions, celles du commerce, du travail, des mines, des douanes, de l'automobile ... Il défend avec fougue certaines causes, et on le retrouve même impliqué dans des duels à l'épée. A plusieurs reprises, de par ses prises de position, il a affaire à la justice. Il parvient même à se mettre à dos certains de ses clients, constructeurs automobiles, et utilisateurs de ses moteurs. Il se montre par contre très attentif aux doléances de ses électeurs et des habitants de Carquefou et de sa région, et aide les personnes les plus démunies. Il sait se montrer généreux, voire philanthrope. C'est lors de la course Paris - Rouen de 1894 que de Dion fait connaissance avec le baron Etienne van Zuylen. Ce membre de la Société Protectrice des Animaux - groupement créé en 1845 - voit dans l'automobile un moyen de soulager les chevaux en leur retirant progressivement la plupart des travaux pénibles qui leur sont confiés. A l'issue de la course, il rassemble pour un banquet les organisateurs et participants, dont de Dion. De fil en aiguille, et après d'autres épreuves (Paris - Bordeaux et retour en 1895 notamment), apparaît l'idée d'une association destinée à promouvoir l'industrie automobile naissante. L'Automobile Club de France (ACF) voit le jour le 18 novembre 1895, et réunit tous les pionniers de la motorisation. Son siège est installé à Paris, avec des correspondants dans les différentes villes de province. Le baron De Zuylen est président, la vice-présidence est partagée entre Jules-Albert de Dion et Henri Menier, patron des chocolats du même nom. A Paris, on collecte tous les renseignements concernant la locomotion automobile. Il s'y tient des réunions, et divers comités sont chargés de défendre la cause de l'automobilisme, aussi bien devant les tribunaux que face aux pouvoirs publics. L'ACF conseille les municipalités pour la mise en oeuvre de services de transport de voyageurs ou de marchandises. Il organise des expositions, des concours et des courses automobile. En 1897, de Dion fonde la Chambre Syndicale de l'Automobile et des Industries qui s'y rattachent, et s'octroie cette fois la présidence, un poste qu'il occupera jusqu'en 1926, avant de la céder à André Citroën. En 1900, il est à l'origine du journal " L'Auto ". De Dion ne craint pas de s'exprimer, souvent sans grande retenue. Ainsi, il est condamné à 15 jours de prison pour avoir exprimé à un juge des prud'hommes sa façon de penser. De Dion qui ne cautionne pas le pouvoir de Vichy se met en retrait de toute vie politique en 1940. Jamais il n'a cessé d'alimenter les rubriques mondaines par ses fantaisies et ses prises de position courageuses.
Le marquis de Dion et Georges Bouton Autant de Dion est grand, athlétique, exubérant, mondain et riche, autant son associé Georges Bouton (1847-1938) est petit, calme, effacé et d'origine modeste. Il fait ses études à Honfleur, et entre en apprentissage à quinze ans chez un serrurier forgeron. Il complète sa formation aux Forges et Chantiers de la Méditerranée au Havre. Il monte à Paris en 1869 et travaille dans un atelier de mécanique et de chaudronnerie. C'est là qu'il rencontre Charles-Armand Trépardoux (1853-1920), avec qui il décide de s'associer, et qui devient son beau-frère en 1875. Ils s'installent en 1881 dans le quartier de la Goutte d'Or, et réalisent des modèles réduits et des jouets à vapeur avec des outillages rudimentaires. Un jour, sur les grands boulevards, alors qu'il est à la recherche d'accessoires de cotillon pour animer un bal qu'il organise, de Dion découvre chez Giroux, un marchand de jouets parisien très à la mode, une petite machine à vapeur dont la perfection le frappe. En général, ce type de jouet correspond à des miniaturisations de grandes inventions. Dans le cas présent, c'est l'inverse qui va se produire. Le jeune comte de Dion - il deviendra marquis en 1901 à la mort de son père - rentre dans la boutique, examine le jouet avec attention, et l'achète, non sans avoir demandé l'adresse de l'artisan qui l'a fabriqué. Il s'agit d'un certain Bouton. Le comte de Dion se rend chez Bouton. Toujours à l'affût d'idées nouvelles et avec une intuition extraordinaire, il perçoit vite le talent de Bouton et de Trépardoux. Le premier est un artisan génial aux mains en or, adroit et intelligent. Le second est un ingénieur des Arts et Métiers, un technicien expérimenté, qui connaît parfaitement les machines à vapeur. Nous sommes en 1881. L'esprit de De Dion vagabonde, et il imagine déjà un véhicule mécanique pratique, léger, bon marché, permettant de voyager en toute autonomie.
En 1923, la visite de ministre de l'instruction technique aux usines De Dion-Bouton. Au centre, le marquis de Dion, à sa droite Georges Bouton. Les trois hommes s'associent au sein des Etablissements De Dion-Bouton et Trépardoux. De Dion est le financier. Il est dur en affaires, même avec ses associés, puisque le contrat qui le lie avec ceux-ci prévoit qu'ils ne toucheront que 20 % des bénéfices, et qu'ils seront tenus de consacrer l'exclusivité de leurs temps à l'activité de l'entreprise. Ils s'installent près de la Porte Maillot où se regroupent tous ceux qui cherchent un autre moyen que le cheval pour se déplacer. Le secteur regroupe notamment de nombreux fabricants de vélocipèdes. Le 1er mai 1883, les Etablissements De Dion-Bouton et Trépardoux déposent un premier brevet concernant une chaudière à vaporisation rapide dont les essais ont donné des résultats inespérés. Ce premier succès incite les trois compères à entreprendre des démarches auprès des services de la Marine. Des tests effectués à Brest aboutissent à une commande permettant d'équiper trois torpilleurs. Encore une fois, ces appareils donnent toute satisfaction, mais l'administration tatillonne épuise de Dion qui abandonne la partie, pour se tourner vers ce qui le passionne vraiment, la conception d'un véhicule automobile.
Le journaliste Jean-Michel Haedrich (1913/2003) écrivait ces quelques lignes en 1946 : " Ruiné, criblé de dettes, sans héritier, le marquis qui ne se déplace plus qu'en fauteuil roulant poussé par son fidèle Zélélé, son " factotum " abyssin qui le sert depuis 1896 ... Jules-Albert de Dion, c'est Pantagruel ... Une force de la nature, riche, brillant cavalier, escrimeur hors pair et l'un des meilleurs danseurs parisiens, qualités qui lui valent le titre plus glorieux encore que celui de comte de " Lion du Tout-Paris ". Il est le désespoir des mères, la terreur des maris et le meilleur des amis. " Des débuts laborieux sur quatre roues En 1883, les trois associés présentent leur premier quadricycle équipé d'une chaudière placée à l'avant, dont toute la partie cycle a été réalisée par les frères Renard, fabricants de bicyclettes à Puteaux. Cette machine entraîne les roues avant au moyen de deux courroies. Les roues arrière de petit diamètre sont directrices. Un deuxième puis un troisième prototype est mis en chantier. Ce dernier possède des roues avant directrices, des roues arrière motrices et il comporte quatre places dos à dos, abritées par un simple parasol.
Le tout premier véhicule à vapeur construit en 1883 par de Dion, Bouton et Trépardoux est un quadricycle équipé d'une chaudière placée à l'avant, les roues arrière, d'un diamètre moindre, sont directrices. Les prototypes ressemblent de plus en plus à une automobile. En 1885, cette similitude se renforce avec la sortie d'un dog-cart (véhicule aménagé pour transporter des chiens de chasse) équipé d'une chaudière et de roues motrices à l'avant. La transmission aux roues s'effectue par des chaînes et non plus par des courroies, entraînées par deux machines indépendantes à deux cylindres. A l'issue des premiers essais, l'une des machines est supprimée.
En 1885, Georges Bouton effectue les premiers tours de roues du dog-cart à vapeur avec à ses côtés le comte Caston de Chasseloup-Laubat. Après ce dog-cart dont la mise au point a exigé quelques tâtonnements, une voiture à vapeur destinée à l'industriel Albert Menier est construite en 1886. Sur celle-ci, un mécanicien placé à l'arrière s'occupe du bon fonctionnement de la chaudière positionnée au-dessus des roues. Pour la première fois chez De Dion-Bouton, un volant permet de diriger le véhicule dont la vitesse maximum qualifiée d'extraordinaire en 1886 est de 60 km/h.
Cette voiture à vapeur a été construite pour l'industriel du chocolat Henri Menier. A l'arrière, le mécanicien est aux commandes. Les professionnels de la mécanique haussent les épaules devant de telles réalisations. Pour ce qui va devenir l'automobile, la période est encore brumeuse, pleine d'espérance, mais sans réalisations tangibles. Les tricycles expérimentaux La fabrication d'un premier tricycle à vapeur prend forme à Puteaux. Les deux roues avant, munies de bandages pleins, sont directrices et commandées à la main par une poignée. Ce premier prototype va faire l'objet de plusieurs évolutions.
Jules-Albert de Dion présente son tricycle qui connaîtra plusieurs évolutions nécessaires à la résolution d'une multitude de difficultés, notamment liées au graissage. Paul Faussier, le directeur du périodique " Le Vélocipède illustré " fondé en 1869, organise chaque année à Neuilly des courses de bicycles et de tricycles. Pour surprendre et s'assurer un succès publicitaire, il invite en 1887 les amateurs " d'engins mécaniques " à venir s'exhiber avant l'épreuve. Seul un quadricycle à vapeur De Dion-Bouton se présente, qui parcourt la distance qui va du Pont de Neuilly à la grille du bois de Bologne. Le succès de cette présentation est tel que l'année suivante, Paul Faussier programme une véritable course, entre le Pont de Neuilly et Versailles, et retour. Bouton pilote un tricycle à vapeur monoplace, et de Dion un quadricycle biplace. Bouton arrive en tête à Versailles, mais se voit dépassé au retour par son associé qui gagne l'épreuve, à la vitesse moyenne de 25 km/h. Il s'agissait des deux seuls concurrents inscrits. En 1888, un modèle évolué du tricycle voit le jour, plus élégant et plus confortable, avec des bandages de caoutchouc plein. Lors de l'exposition universelle de 1889, une médaille est attribuée à De Dion-Bouton qui en fait n'a fabriqué à cette date que des prototypes. Jules-Albert de Dion finance sur ses propres fonds ces développements, et sa famille commence à s'en inquiéter. 1894, la course Paris - Rouen Le 22 juillet 1894, le " Petit Journal " organise une course automobile de Paris à Rouen. A cette époque, l'industrie automobile fait timidement ses premiers pas. Il y a peu de constructeurs. Pour la vapeur, on compte De Dion-Bouton, Scotte et Maurice Le Blant, et pour le pétrole, Panhard & Levassor et Peugeot qui exploitent le brevet du moteur Daimler. A ceux-ci s'ajoutent un petit nombre de constructeurs amateurs. 102 pilotes s'engagent dans les éliminatoires et 21 d'entre eux sont retenus.
Le Petit Journal dans son édition du 6 août 1894 rend compte de l'une des premières courses automobile au monde. Si quelques expériences de courses ont eu lieu en France et en Angleterre dès la création de l’automobile, souvent avec seulement un ou deux participants, aucune ne fut autant organisée et préparée que cette course Paris - Rouen. Source : https://www.oscaronews.com et https://gallica.bnf.fr. De Dion-Bouton est inscrit avec un tracteur de 1893 auquel est attachée une Victoria (remorque). L'enthousiasme du public est immense. La De Dion-Bouton parcourt l'étape en 5 heures et 40 minutes, et arrive ainsi en première position. Le premier prix est partagé entre Panhard & Levassor et les fils de Peugeot Frères. Le deuxième prix revient à De Dion-Bouton. Comme de Dion le reconnaît lui-même, sa voiture étant tractée par un engin, elle ne correspond pas tout à fait au règlement du concours. Homme de communication, le comte de Dion a vite compris tout l'impact que peut avoir un succès en course automobile. Plus tard, De Dion-Bouton participera aussi à des grands raids et à des conquêtes de records.
C'est dans un équipage de ce type que De Dion-Bouton remporte la course Paris - Rouen et retour. Sur ce document, on distingue de gauche à droite Georges Bouton, le comte de Dion, Pierre Giffard, de Pace et le marquis de Dion, père de Jules-Albert. Au véhicule moteur est attelée une remorque calèche " Victoria " fabriquée par le carrossier Auscher. Charles-Armand Trépardoux quitte l'entreprise En dépit de la séduction qu'il peut offrir à l'époque, le tricycle à vapeur n'en est pas moins proche de sa fin. De Dion, au courant des récentes inventions de l'ingénieur allemand Gottlieb Daimler, s'intéresse depuis quelques années au moteur à pétrole. De Dion comprend qu'il ne doit plus hésiter sous peine de se voir irrémédiablement distancé par ses concurrents français. Contre l'avis de Trépardoux, il fait étudier chez un façonnier un moteur de ce type. Le 25 octobre 1894, De Dion-Bouton fait breveter le premier tricycle à pétrole. Trépardoux qui est un vaporiste invétéré préfère se retirer de l'association. Ce départ aurait été ponctué par une colère mémorable de Jules-Albert de Dion, qui fit en sorte que le nom de Trépardoux soit banni à jamais des registres. De Dion n'abandonne pas pour autant la vapeur, mais ne la réserve qu'à de gros engins, tracteurs et matériels de chemins de fer, qui seront encore fabriqués durant de nombreuses années. Production en série des tricycles De Dion-Bouton Après le départ de Trépardoux, l'entreprise prend la dénomination sociale " Société De Dion, Bouton et Cie ". Elle concentre l'essentiel de ses investissements au développement des moteurs à pétrole, plus simples d'exploitation. Le premier tricycle à pétrole est commercialisé en 1895. Ses créateurs ont en lui une foi totale, le public un peu moins. Mais une occasion de le mettre en valeur se présente. Il s'agit de la course reliant Paris à Marseille et retour. Toutes les voitures à vapeur en lice renoncent en cours d'épreuve, tandis que De Dion-Bouton, Panhard et Peugeot assurent le succès définitif cette fois du moteur à Pétrole.
Le tricycle De Dion-Bouton est en engin remarquable à l'époque. Vainqueur dans toutes les épreuves auxquelles il participe, fabriqué en grande série, il a la faveur du public et va former une clientèle toute prête à utiliser les voitures automobiles qui lui succéderont. Tous les éléments de ce tricycle sont brevetés par De Dion-Bouton, qui fait preuve d'une avance technique réelle sur ses concurrents concernant la motorisation, le dispositif d'allumage, la roue libre, etc ... Ce véhicule sans chevaux est une sorte de révélation. L'engin ne pèse pas plus de 100 kg. La puissance de son monocylindre de 185 cm3 n'est que de 3/4 de cheval. Le moteur De Dion-Bouton qui tourne jusqu'à 2 000 tours par minute grâce à un nouvel allumage électronique fait la démonstration de l'importance du nombre de tours par minute comme facteur de puissance. Les moteurs de la concurrence ne dépassent guère les 600 tours par minute.
En juin 1898, " La France Automobile " consacre un numéro entier à De Dion-Bouton. Ce dessin de " une " représentant un omnibus et un tricycle de la marque est ainsi légendé : " Le minotaure et le Pygmée ". L'utilisation de nouveaux matériaux comme l'aluminium a permis de réaliser un moteur plus léger, plus régulier et plus puissant que ceux des concurrents. Grâce à la simplicité de ses organes mécaniques facilement accessibles ne nécessitant pas de connaissances spécifiques et à la modestie de sa consommation, ce tricycle ouvre l'accès à une nouvelle catégorie dite de voiturettes populaires. C'est une petite révolution sur le plan technique. L'engouement considérable des débuts tombe cependant peu à peu. L'absence de suspension finit par rendre les longs voyages fatigants.
Colombine et Arlequin sont invulnérables grâce au tricycle De Dion-Bouton. Si le premier moteur n'affiche que 3/4 de HP, il ne cesse de s'améliorer au fil des ans, pour atteindre une puissance de 2 HP 3/4. Les derniers tricycles sont vendus en 1903. A partir de 1897, De Dion-Bouton fabrique des motocycles équipés de moteurs de tricycles, L'ancêtre du vélomoteur vient de naître. La course est ici encore le meilleur moyen de se faire connaître. Mais faute de s'imposer avec ce produit, le constructeur renonce assez rapidement, préférant se concentrer sur le développement des voiturettes. L'usine de Puteaux Après avoir quitté ses installations parisiennes trop exiguës, De Dion-Bouton s'installe à Puteaux, rue des Pavillons, avec une vingtaine d'ouvriers pour y produire des tricycles à vapeur et des chaudières pour bateaux. La vapeur assez difficile à manier limite un temps le développement de l'entreprise. Par contre, la naissance des tricycles à pétrole et leur succès immense impose de quitter la rue des Pavillons pour la rue Ernest, toujours à Puteaux. En 1897, les usines De Dion-Bouton occupent déjà près de 200 ouvriers. En 1898, l'association avec le banquier Etienne van Zuylen permet la construction d'une grande usine située au 24 du quai National. En 1900, il en sort près de 5 000 tricycles et 5 000 moteurs de toutes sortes. On raconte alors que pour édifier sa nouvelle usine, Jules-Albert de Dion aurait acheté à bas prix les charpentes des bâtiments construits pour l'exposition universelle de 1899, dont les organisateurs étaient heureux de se débarrasser. Avec le même esprit pratique, il aurait récupéré pour les remblayages les terres dégagées par la construction du métropolitain. La firme de Puteaux est à l'avant-garde en ce qui concerne les oeuvres sociales. Des locaux attenants à l'usine offrent un service médical de premier ordre où les soins sont donnés par des médecins réputés. Une pouponnière modèle permet aux femmes de laisser leurs enfants pendant les heures de travail et d'y venir pour l'allaitement maternel ... Mais comme André Citroën quelques années plus tard, de Dion-Bouton devra aussi et malgré ces engagements pour son personnel faire face à des grèves.
Les usines De Dion-Bouton sont installées dans le quartier aujourd'hui occupé par l'ensemble des tours de La Défense. A la fin du 19ème siècle, elle vont s'agrandir d'année en année au fil des diversifications. Les usines de Puteaux ne cessent de s'agrandir d'année en année en grignotant de nouveaux terrains. Elles ont une bonne réputation. C'est un exemple d'organisation, les fabrications sont rationnelles, le souci de la qualité constant. Elles deviennent à la fin du siècle parmi les plus grandes de la région parisienne. A elles seules, les usines De Dion-Bouton sont une ville dans la ville de Puteaux, et fonctionnent en parfaite autonomie. En effet, la plupart des éléments constitutifs des automobiles sont produits sur place. Le prix excessif des terrains parisiens a refoulé vers la banlieue les " apprentis " industriels. Suresnes, Courbevoie, Levallois-Perret et Puteaux les accueillent d'autant mieux qu'une tradition artisanale a anticipé cette nouvelle dynamique économique. En 1904, Georges Richard crée la compagnie Unic. Entre Unic et De Dion-Bouton se trouve un autre constructeur automobile, Vinot et Deguingand. Le mouvement est lancé, et de 1905 à 1910, de nombreuses usines sortent de terre à Puteaux. On y travaille de dix à douze heures par jour. Parallèlement, de petits ateliers se multiplient. Ce sont des selliers, des tapissiers, des chaudronniers, des carrossiers, etc ...
Au carrefour du 19ème et du 20ème siècle, Puteaux est la capitale automobile française. La forte demande des années 1890 a fait fleurir le nombre des constructeurs qui puisent leur clientèle dans les quartiers chics de l'Ouest parisien. L'usine De Dion-Bouton occupe une surface de 5 hectares. Ces bâtiments seront détruits dans les années 1960. Les usines De Dion-Bouton symbolisent la réussite de De Dion. Il n'a pas oublié les moqueries de ses proches quand il a lancé ses premiers engins motorisés, et surtout l'attitude de sa famille, qui a un temps voulu le placer sous tutelle au motif qu'il dilapidait la fortune familiale avec des expériences de locomotion mécanique. Avec un carnet de commandes rempli et une trésorerie saine, c'est un pied de nez qu'il peut adresser à ceux qui doutaient de ses compétences. Un communicant de talent Au début du 20ème siècle, la plus grande entrave au développement du tourisme automobile est l'absence de cartes adaptées à la circulation indiquant les principales routes et les distances entre les villes. De Dion-Bouton va les créer. Au Salon de Paris 1902, la marque leur consacre un stand. Dès lors, de nouvelles éditions verront régulièrement le jour. En 1907, on dénombre une quarantaine de cartes régionales. Le verso procure des renseignements utiles sur les hôtels, les dépôts d'essence, les garagistes, les succursales De Dion-Bouton, etc ... Pour compléter ces cartes, De Dion-Bouton a l'idée de réaliser des guides donnant des indications détaillées sur toutes les villes et bourgades de France où les automobilistes sont susceptibles de s'arrêter. Un énorme travail de documentation est effectué, mais au moment de passer à leur édition, de Dion estime que ses concurrents pourraient considérer cette démarche comme étant une forme de publicité déloyale. Pour ne pas être à l'origine de critiques, de Dion qui préside la Chambre Syndicale, convainc un industriel du secteur plus neutre, Michelin, de prendre le relais.
De Dion (à droite) et Bouton en 1899. Ce sont deux personnalités fort différentes et très complémentaires. Au premier les finances et l'esprit d'entreprendre, au second la technique et l'innovation. En décembre 1902 paraît un nouvel hebdomadaire industriel " Le De Dion-Bouton" qui sera diffusé jusqu'en 1926. Ce périodique s'intéresse aux voitures de la marque et au contexte dans lequel elles évoluent, mais aussi aux progrès réalisés dans les autres modes de transport, sur mer et dans les airs. Il est dirigé par Henri Gallet, qui est par ailleurs chef de service du contentieux du constructeur et responsable de la publicité.
Le De Dion-Bouton a été publié pendant près d'un quart de siècle, de 1902 à 1926. Ces journaux sont devenus introuvables de nos jours. De Dion et quelques industriels du secteur donnent naissance en 1900 à " L'Auto Vélo ", qui devient " L'Auto " en 1902, une publication qui s'intéresse en effet à l'automobile mais aussi au cyclisme. Sa diffusion est impressionnante, près d'un million d'exemplaires. Son directeur Henri Desgrange est avec un autre collaborateur Géo Lefèvre à l'origine de la création du Tour de France cycliste en 1903. Au sein de l'Automobile Club de France, de Dion ne cesse de promouvoir les courses automobiles. Il en organise plusieurs sur route. Mais le nombre d'engagés de plus en plus important, l'encombrement des voies de circulation, et l'amélioration des performances finissent par devenir des sources de danger. Il tente de promouvoir l'idée d'un vélodrome, car il pense que les progrès à venir ne pourront être validés que dans des lieux sûrs. L'ACF sera peu attentif à ses arguments. De Dion-Bouton va maintenir un gros effort sur le plan publicitaire jusqu'à la Grande Guerre. On retient les pages spéciales de " La France Automobile " dont il est fait un tirage indépendant sous forme de brochures. Le constructeur propose aussi des séries de cartes postales dont les plus célèbres " Les ancêtres aux usines De Dion-Bouton " et les séries " Pékin - Paris " font le bonheur des collectionneurs. D'autres cartes représentent des artistes et des personnalités au côté de leur De Dion-Bouton, mais aussi les usines et bien entendu les modèles du moment en couleurs. Les brochures publicitaires d'avant 1914 sont remarquables sur le plan graphique. Dans les années 20, De Dion-Bouton poursuit sa quête d'excellence, et fait appel au célèbre imprimeur Draeger. Moteurs De Dion-Bouton De Dion-Bouton est un des plus grands constructeurs de moteurs dès la fin du 19ème siècle. C'est un moteur De Dion-Bouton qui a permis à Louis Renault à 20 ans de réaliser sa première voiturette. Jusqu'en 1914, l'usine de Puteaux a fabriqué pour une multitude d'usages près de 250 000 moteurs, avec de nombreuses variantes, de 1 à 8 cylindres. Les moteurs à 1 cylindre sont utilisés jusqu'en 1912, les deux cylindres jusqu'en 1915 et les 8 cylindres en V jusqu'en 1923. A partir de cette date, De Dion-Bouton ne produit plus que des 4, 6 ou 8 cylindres en ligne. A travers le monde, ce sont plus de cent marques qui vont utiliser des moteurs De Dion-Bouton, qu'il s'agisse de tricycles, de quadricycles (Perfecta, Chenard, Peugeot ...) ou d'automobiles. Dans ce dernier domaine, on compte de grandes maisons comme Clément, Chenard & Walcker, Darracq, Delage, Latil, Peugeot ... et d'autres moins connues.
De Dion-Bouton et un fabricant réputé d'automobiles et de moteurs. Ces activités nécessitent une main d'oeuvre abondante. De 20 ouvriers à l'ouverture du site de Puteaux en 1884, leur nombre est passé à 200 en 1897, 1 300 en 1900 et 6 000 en 1914. Mais ce sont aussi quelques grandes marques étrangères qui équipent certains de leurs modèles de moteurs De Dion-Bouton : Packard, Pierce, Opel, Adler, etc... Ces moteurs peuvent aussi faire l'objet d'un usage industriel et agricole. Certains ont été produits sous licence en Angleterre et en Russie. De Dion-Bouton a aussi fabriqué des groupes électrogènes, en série ou sur devis pour des usages plus particuliers. La vis-à-vis
La première vis-à-vis De Dion-Bouton en 1899. Elle est dérivée du quadricycle à moteur. Aux commandes, Georges Bouton. Exactement 2 970 vis-à-vis seront vendues jusqu'en 1902. En 1899, De Dion-Bouton présente au Salon de l'Automobile la type D, dite la vis-à-vis. Elle se distingue par la simplicité de sa conception. Elle est animée par un monocylindre de 400 cm3 et 3,5 ch. La première vis-à-vis mesure 2,40 mètres de long pour 1,30 mètre de large. Avec elle naît enfin l'ère de la voiture moderne avec un châssis en tubes d'acier, des suspensions par ressorts semi-elliptiques, une transmission par cardan, un changement de vitesse, un moteur transversal et le fameux pont De Dion. En 1902, les ventes de la vis-à-vis s'essoufflent. De jeunes constructeurs, comme Renault adepte du monocylindre De Dion-Bouton, proposent des modèles nettement plus innovants. Si les banquettes en face-à-face sont parfaites pour la conversation lors d'une promenade à 25 km/h, elles se révèlent totalement dépassées pour aborder des voyages sur route ou dans la circulation, le chauffeur ayant la vision obstruée par ses passagers. De Dion-Bouton tente sur le même châssis d'installer le conducteur à l'avant, sur une banquette retournée, avec un guidon et des commandes avancées, mais la clientèle ne suit pas.
Entre la vis-à-vis à bord de laquelle les passagers se font face-à-face et la Populaire, De Dion-Bouton a proposé une alternative à conduite avancée qui n'a pas recueilli les suffrages espérés. On décide alors chez De Dion-Bouton à repenser en totalité la conception de la voiture. Si le châssis reste tubulaire et la direction à droite, le moteur migre à l'avant, sous un capot alligator, et les passagers reculent. La Populaire En 1903, De Dion-Bouton lance la Populaire. C'est une automobile qui se veut simple, économique et robuste. Elle compte un minimum d'organes, mais ceux-ci prétendent à une qualité de fabrication irréprochable. La Populaire qui se veut bon marché ne porte pas vraiment bien son nom, car elle reste largement inaccessible au grand public. Georges Cormier, le pilote maison, parcourt des milliers de kilomètres à travers sept pays d'Europe pour la faire connaître. Sa réputation de qualité est confirmée par ses nombreux succès en épreuves d'endurance, notamment sur la course Paris - Vienne et lors de plusieurs ascensions du Mont Ventoux.
A l'occasion du lancement de sa Populaire, de Dion s'est attaché les services de Caroline Otero, actrice de théâtre, pour illustrer ses affiches, en compagnie de Zélélé, son fidèle chauffeur. La presse de l'époque prête à l'actrice de nombreuses liaisons, dont une avec de Dion ... En-tout-cas, cette publicité innove en associant l'image d'une personnalité en vue avec celle d'une automobile. En 1904, la Populaire devient aussi disponible en version monocylindre 8 CV. Elle dispose de quatre places assises et d'une boîte de vitesse à trois rapports plus une marche arrière. Pesant près de 600 kg, la Populaire atteint 50 km/h. Si elle est le plus souvent animée par un monocylindre, quelques versions équipées d'un bicylindre de 10 ou 12 ch sont aussi commercialisées. On verra même apparaître de manière confidentielle une quatre cylindres. La voiture est distribuée jusqu'en 1907. Au final, la Populaire trouve sa clientèle auprès d'un public constitué de notables, de quelques professions libérales et de retraités aisés qui peuvent enfin entreprendre de longs voyages sans trop craindre la panne. De Dion-Bouton qui a assemblé près de 9 000 voitures depuis 1899 est encore une marque leader sur le marché français, mais cette position enviable ne durera que quelques années. Des maisons comme Panhard & Levassor, Renault, Peugeot, Darracq, Delage ou Berliet vont bientôt la dépasser, et de loin. Sur tous les fronts De Dion-Bouton est aussi réputé pour ses camions que pour ses automobiles. Les premiers bénéficient des progrès réalisés par les secondes. En-dehors de la série, De Dion-Bouton peut étudier toute forme de carrosserie spéciale. Lors du concours annuel des véhicules industriels du ministère de la Guerre, les véhicules De Dion-Bouton sont régulièrement primés. Les omnibus De Dion-Bouton sont utilisés en France et à l'étranger, là où le train n'est pas encore arrivé. La Compagnie des Messageries Automobiles qui s'équipe chez De Dion-Bouton couvre par exemple l'ensemble de la Normandie. De Dion-Bouton participe au capital de la société des Fiacres - Taxis de Paris. La Fifth Avenue Coach de New York est équipée d'autobus et de taxis De Dion-Bouton. Ce n'est qu'en 1950 que la RATP retirera des rues de Paris ses derniers autobus De Dion-Bouton.
Un omnibus De Dion-Bouton devant le Grand Palais à l'occasion du Salon de l'Automobile 1905 Dès 1901, De Dion-Bouton sort une draisine à moteur monocylindre, qui permet de transporter trois personnes. Cinq ans plus tard, des automotrices de 30 à 45 places parcourent différents réseaux ferroviaires, en France, dans les colonies, en Hongrie et en Roumanie. Ce n'est qu'à partir de 1923 que De Dion-Bouton devient dans l'Hexagone le spécialiste des réseaux secondaires. Ses autorails permettent le maintien en activité de certaines lignes sur lesquelles les trains à vapeur sont trop lents, trop coûteux, trop grands. Cette activité lucrative permet à De Dion-Bouton de financer le secteur automobile qui peine à trouver l'équilibre. Aujourd'hui, certains autorails De Dion-Bouton sont préservés sur des chemins de fer touristiques. La fermeture de plusieurs lignes secondaires décidemment non rentables met un coup d'arrêt définitif au début des années 50 à ce type de production. Il reste alors un parc conséquent d'automotrices à entretenir, mission confiée à un atelier spécialisé maintenu chez le constructeur. De Dion-Bouton, ce sont aussi des véhicules de voirie. En 1904, la ville de Paris s'équipe d'arroseuses à vapeur rapidement remplacées par des modèles à pétrole. L'industriel répond à toute demande dans ce domaine, et s'adapte : cubage, dimension des balais, accessoires ... Jusqu'aux années 1970, on a vu des balayeuses municipales De Dion-Bouton dans les rues de certaines villes pour nettoyer les déchets laissés par les forains à la fin des marchés. De Dion-Bouton inscrit aussi à son catalogue des véhicules adaptés à l'enlèvement des ordures ménagères.
De Dion-Bouton poursuit sa politique de production artisanale, afin de satisfaire les demandes de ses clients. Il s'engage notamment dans la conception de camions pour la collecte des déchets, de goudronneuses et de balayeuses arroseuses. Face à l'essor de la bicyclette, le marquis de Dion perçoit tout l'intérêt qu'il pourrait tirer d'une production de ce type dans son usine de Puteaux. Avant même d'en débuter la fabrication, il lance une campagne de presse annonçant la commercialisation imminente de bicyclettes, en précisant que celles-ci auront un niveau de qualité identique à celui de ses automobiles. Le public passe commande en nombre. Les premiers modèles sont disponibles en 1909. A la veille de la guerre, le catalogue des cycles De Dion-Bouton compte quinze modèles, pour les hommes, les femmes et les ... ecclésiastiques. Des milliers de bicyclettes sont fournies en 1915 à des régiments d'infanterie. En 1920, De Dion-Bouton produit 25 000 Bicyclettes.
Affiche De Dion-Bouton 1925. De Dion-Bouton présente sa première bicyclette en 1909. Outre les moteurs pour dirigeables dont il poursuit la fabrication, le marquis de De Dion se lance en 1910 dans l'étude d'un biplan doté d'un V8 de 100 ch, à usage militaire, d'une autonomie de 700 km. Son projet n'est pas retenu. Les militaires craignent en effet de s'équiper d'un engin aussi imposant, d'une envergure de 20 mètres. L'expérience aéronautique de De Dion-Bouton s'arrête là, et seul des moteurs pour avions restent disponibles au catalogue du constructeur. Pour être le plus exhaustif possible, De Dion-Bouton a aussi produit des véhicules postaux et des tracteurs agricoles. Le marquis de Dion s'est aussi essayé au début du siècle au moteur électrique, mais ce type de motorisation a été supplanté par le moteur à pétrole dès le début des années 1910.
De Dion-Bouton est demeuré un acteur mineur dans le domaine des tracteurs agricoles. Une montée en gamme Après la vis-à-vis et la Populaire, des créateurs aussi dynamiques que de Dion et Bouton ne peuvent se satisfaire de ne produire que des petites voitures. Ils sont tentés par des engins plus puissants et mettent au point un bicylindre de 12 CV. Cette voiture disponible en 1903 marche à 60 km/h, mais ce n'est pas suffisant. De Dion et Bouton conçoivent un quatre cylindres de 15 CV.
Michel Zélélé, le chauffeur personnel de De Dion, est encore ici en bonne place sur cette affiche de 1903. Fils d'un grand chef éthiopien, il fut ramené en France en 1896 par Henri d'Orléans, explorateur très en vue. Zélélé tomba littéralement en pâmoison lorsqu'il vit une automobile pour la première fois de sa vie. Le comte d’Orléans recommanda Zélélé à un de ses amis, le comte de Dion. C’est donc chez De Dion-Bouton qu’il apprit la conduite automobile et la mécanique avec une telle passion qu’il devint en 1900 le chauffeur personnel de De Dion. Source : https://auto-satisfaction.be En 1907, De Dion-Bouton participe au raid Pékin - Paris organisé par le journal " Le Matin ". Quatre voitures prennent le départ, une Itala, une Spyker et deux De Dion-Bouton. Les concurrents traversent la Chine, la Sibérie, la Russie, la Pologne et l'Allemagne. Les De Dion-Bouton strictement de série arrivent à Paris le 29 août 1927 au terme de l'épreuve de 16 000 km, 21 jours après l'Itala, et sont ovationnées par une foule nombreuse. En fait, toutes les voitures arrivées sont déclarées victorieuses, car ce n'est pas une course.
Le raid Pékin - Paris, car il ne s'agit pas d'une course, est pour De Dion-Bouton un beau coup publicitaire. Le chansonnier Antonin Louis s'empare de l'événement avec une chanson intitulée Pékin - Paris sur l'air de " Auprès de ma blonde ". Cette épreuve clôt définitivement la participation des De Dion-Bouton à toute forme de compétition. En 1910, la gamme De Dion-Bouton comporte douze modèles de tourisme, de 8 à 35 CV. Le temps de la vis-à-vis et de la Populaire est bien révolu. La marque est montée en gamme. Il y a des monocylindres, des quatre cylindres et une V8. Le moteur V8 est construit à partir de deux quatre cylindres de 18 CV. La 35 CV fait un passage remarqué en 1912 au Salon de New York. C'est le constructeur français qui donne le coup d'envoi de la mode des V8 aux Etats-Unis. Différents modèles seront proposés par De Dion-Bouton jusqu'en 1923.
Salon de l'Auto 1910 Pour faire face à la demande grandissante, le réseau d'agents s'étoffe. On en compte sept à Paris. Pratiquement toutes les villes de France sont pourvues d'un représentant, et à l'étranger la marque est bien implantée, en Europe évidemment, mais aussi en Argentine et en Afrique du Nord. La Grande Guerre Alors qu'en 1910, on compte environ 3 500 ouvriers chez De Dion-Bouton, ces effectifs doublent quasiment pendant la Grande Guerre. Dès 1914, De Dion-Bouton met son bureau d'études, son laboratoire et ses ateliers à la disposition des autorités. Malgré la mobilisation générale, l'usine repart avec quelques vieux ouvriers et contremaîtres, des femmes et des enfants. Le personnel croît doucement mais régulièrement pour atteindre un effectif de 6 000 personnes à la fin de guerre. Outre ses propres moteurs d'avions, De Dion-Bouton, comme neuf autres industriels de l'automobile, construit sous licence des groupes Hispano-Suiza. De Dion-Bouton qui est depuis toujours un adepte de la diversification n'éprouve pas de difficulté particulière à répondre aux demandes diverses de l'Etat : poids lourds pour assurer la logistique, engins motorisés porteurs de canons et de mitrailleuses, voitures blindées d'état-major, projecteurs autoportés ou tractés, ambulances, culasses de fusils, obus ...
Pendant la Grande Guerre, le constructeur de Puteaux au service des autorités produit divers types d'armements, comme ce canon de 75 mm installé sur un véhicule De Dion-Bouton. Un redémarrage difficile Peut-on vraiment parler de redémarrage puisque la production à Puteaux ne s'est vraiment jamais arrêtée ? Le constructeur annonce reprendre ses productions civiles en mars 1919. Mais rien ne sera plus tout à fait comme avant. De Dion a 63 ans et Bouton 72 ans. Trois types de modèles sont au programme, une 4 cylindres 10 HP de 1843 cm3 (empattement de 2,87 mètres), une V8 12 HP de 3180 cm3 (emp. 3,18 mètres) et une V8 18 HP de 3686 cm3 (emp. 3,40 mètres). En châssis nu, ces trois voitures valent respectivement 13 500 francs, 19 000 francs et 31 500 francs.
Affiche De Dion-Bouton, vers 1920. En 1920, il n'y a pas de Salon de l'Automobile et aucune nouveauté n'apparaît au catalogue de la marque. Le génie du constructeur sera-t-il suffisant pour attirer le chaland, sollicité par une concurrence de plus en plus vive. Après avoir beaucoup attendu de leur V8 12 HP, les dirigeants de De Dion-Bouton ne peuvent que constater son manque de réussite commerciale. Sans abandonner les grosses cylindrées, tous les efforts se concentrent désormais sur la 10 HP. Le constructeur ne cherche pas à élargir sa clientèle en optant pour la grande série. Au contraire, il préfère fidéliser celle qui lui est déjà acquise. En 1923, De Dion-Bouton présente une nouvelle 12 HP de 2,5 litres très attendue, avec un empattement plus long de 25 cm que la 10 HP. Le châssis d'une 10 HP vaut 16 500 francs, celui de la plus coûteuse des V8 35 000 francs.
Publicité 1923. Les De Dion-Bouton s'adressent à une clientèle essentiellement bourgeoise et aisée, sans pour autant que la marque puisse prétendre s'inscrire dans l'élite automobile tenue par Bugatti, Voisin ou Hispano-Suiza. En 1924, De Dion-Bouton ne propose plus que des modèles 4 cylindres, les 10 HP, 12 HP et 22 HP, avec des prix qui s'échelonnent de 18 000 à 60 000 francs (coupé De Ville de 4 litres). Peu de nouveautés viennent animer le catalogue 1925. Heureusement, la marque à d'autres cordes à son arc. Dans son immense usine de Puteaux, De Dion-Bouton poursuit ses fabrications d'arroseuses, de balayeuses, de bennes à ordures et autres matériels de voirie dont la firme détient le quasi-monopole dans de nombreuses villes françaises et étrangères. En 1926, De Dion-Bouton renouvelle son offre, avec une 8 CV de 1,3 litre, la 10 CV bien connue et une nouvelle 15 CV de 2,75 litres.
En 1924, De Dion-Bouton a abandonné les 8 cylindres, et propose une gamme de trois modèles 10, 12 et 22 CV, toutes en 4 cylindres Des casernes de pompiers sont équipées de groupes motopompes d'incendie. Ces productions unitaires sont réalisés à partir de châssis de véhicules industriels. Robustes, certains de ces engins resteront en service jusque dans les années 1970. De Dion-Bouton fabrique aussi des véhicules à gazogène moins lourdement taxés. Ce procédé a été breveté en 1876 puis abandonné, mais le contexte économique difficile des années 1920 permet de le remettre au goût du jour. Appliqué sur quelques automobiles de tourisme, il a plutôt été utilisé sur des véhicules industriels. Dans le domaine des utilitaires, De Dion-Bouton reste un acteur marginal, et peine à s'imposer face à Berliet et Unic. On ne peut que déplorer une absence d'ambition dans ce domaine.
Bientôt De Dion-Bouton réduira drastiquement son budget publicitaire. Ce n'est pas encore le cas en novembre 1925 quand est publiée au verso du bimensuel Automobilia cette publicité signée E. Frock Des signes d'inquiétude En 1926, l'époque et surtout la concurrence ont changé. Le catalogue avec l'abandon des modèles les plus puissants et l'arrivée d'une 8 CV est le reflet du désarroi qui paraît avoir gagné la direction de la vénérable maison. Messieurs De Dion et Bouton n'impriment plus le même dynamisme que trois décennies plus tôt. Le constructeur n'a pas vraiment modernisé son outillage de production dans les années 1920. Les voitures sont toujours produites à l'unité. Ils hésitent toujours entre conserver les anciennes méthodes ou se lancer dans la grande série. Mais en ont ils encore les moyens ? La firme est dans une situation financière précaire. Elle est bousculée par de jeunes marques (les start-up de l'époque), en particulier par Citroën qui est en train de bouleverser le paysage industriel automobile français. Renault, Peugeot et Mathis se sont aussi imposés sur le marché lucratif des 10 CV, à des prix inférieurs de 25 % à ceux de De Dion-Bouton, grâce à la grande série. Les rumeurs de rachat se font de plus en plus persistantes. Les candidats seraient parait-il nombreux. En effet, Peugeot et Mercedes négocient, mais sans aboutir.
La gamme De Dion-Bouton 1926 s'articule autour de trois modèles. C'est la 10 HP qui assure encore le gros des ventes. Durant toutes sa carrière, il s'en écoulera près de 20 000 exemplaires, ce qui en fait le plus diffusé de tous les modèles de la marque. De Dion-Bouton est encore présent au Salon de Paris 1926 avec une gamme de nouveau remodelée. Elle comprend quatre modèles quatre cylindres, 8 CV, 10 CV, 20 CV et 22 CV. De Dion-Bouton tente vainement de trouver un second souffle. Hélas, la société est mise en liquidation judiciaire en 1927, sans interruption de la production. Le secteur des véhicules de voirie reste prospère et permet de maintenir une certaine activité. La majorité des magazines automobiles snobent désormais la firme de Puteaux. Faute de moyens, De Dion-Bouton a réduit son budget publicitaire, et comme les parties rédactionnelles sont proportionnelles à l'engagement publicitaire des firmes, c'est-à-dire au nombre de pleines pages achetées, on ne parle quasiment plus de De Dion-Bouton. Au Salon de Paris 1928, De Dion-Bouton est toujours là, avec deux nouveaux modèles, une 4 cylindres 12 CV type LA de 2 litres, et une 8 cylindres 14 CV type LB de 2,5 litres à l'empattement plus long. Alors qu'en 1923, De Dion-Bouton avait abandonné la production de ses modèles huit cylindres en V, il propose de nouveau ce type d'auto. Que de volte-face incompréhensibles. Au Grand Palais fin 1929, la 8 cylindres devient une 16 CV de 3 litres. S'il est un autre signe qui ne trompe pas de la perte de confiance des acheteurs envers la marque, c'est le prix des De Dion-Bouton d'occasion qui est en chute libre.
Publicité 1926. Les multiples métiers de De Dion-Bouton permettront pendant près d'un demi-siècle à la firme de supporter toutes les crises. Mais ce principe atteint ses limites à la fin des années 1920. De Dion-Bouton est comme pris en tenaille entre la grande série et les modèles de luxe aux qualités mécaniques incontestables comme les Bugatti, Voisin ou Hispano-Suiza, avec lesquels le constructeur de Puteaux est incapable de rivaliser. Sa gamme est trop lourde à supporter, avec des ventes par modèle devenues trop faibles, et des amortissements impossibles à soutenir. De Dion-Bouton prend enfin conscience que le prix de ses automobiles est prohibitif par rapport à la concurrence, et consent à réduire ses tarifs et ses marges. Mais le niveau de la qualité baisse en même temps, ce qui décourage les derniers fidèles. De Dion-Bouton expose une dernière fois au Salon de Paris 1932. Mais le contexte économique du début des années 1930 porte un coup fatal à l'entreprise. Finalement, le constructeur annonce renoncer à toute production automobile, pour se concentrer sur ses arroseuses, balayeuses et bennes. Le marquis De Dion se retire personnellement en 1933, après avoir fait publier un numéro spécial de son journal interne " Le De Dion-Bouton " où sont résumés tous les brevets pris par la marque depuis ses débuts. Il meurt à 90 ans en 1946. Bouton poursuit son travail toujours à l'écart des mondanités et disparaît en 1938 à 91 ans. Après le démantèlement de l'entreprise et la reprise de certaines activités par d'anciens collaborateurs, il ne reste plus qu'une division poids lourds (camions et engins de voirie) et une autre qui fabrique des automotrices. L'activité Cycles est revendue à Dilecta, qui fera perdurer le nom De Dion-Bouton jusqu'en 1968.
L'activité cycle de De Dion-Bouton est revendue en 1935 à un industriel de l'Indre, Albert Chichery, propriétaire des Cycles Dilecta (" ce que je préfère " en latin) avec le droit d'utiliser la marque. Ce qu'il fera jusqu'en 1968, année de dépôt de bilan de Dilecta.
Texte : Jean-Michel Prillieux et
André Le Roux |
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