Pierce Arrow, parcours fléché


La firme américaine Pierce-Arrow est créée en 1901 à Buffalo dans l'Etat de New York par George N. Pierce. Cette marque deviendra l’une des plus réputées, par ses voitures coûteuses, luxueuses et raffinées. Pendant une vingtaine d’années, Pierce-Arrow fournira les voitures de la Maison Blanche (avant Lincoln et Cadillac) et comptera parmi ses clients le Shah de Perse, l’Empereur Hiro-Hito, le Roi des Belges, le Roi de Grèce et le Roi d’Arabie Saoudite. Pierce-Arrow avait ainsi un catalogue de clients pouvant se comparer à celui d’une firme comme Delaunay-Belleville. Ambassadeurs, gouverneurs, hommes d’affaires, artistes choisissent également la Pierce-Arrow comme leur voiture favorite. Dans les années 20, Pierce-Arrow est encore considérée comme une redoutable concurrente des Cadillac, Lincoln et Packard. Seule la Duesenberg allait placer la barre encore plus haut. Pierce-Arrow disparaît en 1938.


Les origines de Pierce-Arrow


George N. Pierce crée son entreprise à Buffalo en 1870. Après avoir fabriqué des bicyclettes, il aborde la fabrication d’automobiles à partir de 1896, quand il met au point sa première voiture. Son associé vient en France pour se rendre dans les ateliers de De Dion Bouton qui est alors le premier constructeur automobile mondial. A la suite de cette visite, la George N. Pierce Company réalise sa seconde voiture qui est dotée d’un moteur monocylindre De Dion développant près de 2,75 ch. A partir de ce modèle est réalisée en 1901 la première voiture commercialisée de la marque, la Pierce Motorette Runabout, avec l’aide d’un certain David Fergusson, un ingénieur anglais ayant l'expérience des moteurs à vapeur et à pétrole. Celle-ci dispose d’une puissance un peu plus élevée, de 3,5 ch. George N. Pierce parvient à en vendre 25 unités en 1901 et 125 unités en 1902. En 1903, la puissance de la voiture est portée à 5 ch et deux nouveaux modèles plus gros, à quatre places, sont lancés dans la foulée dont la puissance atteint 6 ch et 8 ch. Ces modèles appelés Stanhope se vendent à 150 exemplaires, ce qui incite la marque à proposer des modèles encore plus puissants.

Pierce Motorette 1901. La première Pierce est présentée au mois d'octobre 1900 et entre en production l'année suivante. Conçue par David Fergusson, directeur technique de l'entreprise, cette voiturette est propulsée par un monocylindre De Dion. La marque de fabrique de l'époque est simplement Pierce.

En 1904, George N. Pierce passe donc au bicylindre qui permet de disposer de plus de puissance. Le constructeur américain s’approvisionne de nouveau chez un constructeur français, en l’occurrence Panhard & Levassor. Ce moteur développe 15 ch. Un modèle plus gros est lancé en 1905 avec un quatre cylindres de 4,4 litres développant 28 ch. Ce modèle est connu sous le nom " Great Arrow " qui va populariser le mot Arrow au point de devenir bientôt inséparable du nom Pierce. Ce modèle est le premier de la marque à être considéré comme une vraie voiture, et non plus comme une évolution d’un véhicule hippomobile à moteur. Les Pierce sont construites sur des châssis en bois avec des tôles coulées plutôt qu'embouties. En 1906, apparaît la première six cylindres de la marque, la " Great Arrow 65 HP " une voiture de très haut de gamme. C'est la première six cylindres américaine de série. Elle enclenche la disparition progressive des quatre cylindres de la firme, en particulier les 30 HP et 40 HP.

La Pierce Great Arrow consacre définitivement la renommée commerciale de la firme et son entrée dans le cercle restreint des constructeurs de grand prestige.

Les années 1907, 1908 et 1909 sont des années de succès pour la marque Pierce qui remporte plusieurs courses aux Etats-Unis. La compétition a toujours été privilégiée par les constructeurs automobiles du début du siècle, pour se faire connaître par le grand public et pour démontrer la fiabilité de leurs engins, en se mesurant à la concurrence, ce qui avait en outre un effet stimulant. L’inconvénient était que la compétition était chère et qu’elle était risquée, pas seulement en terme de vies humaines, mais aussi en ce sens qu’elle pouvait se retourner contre le constructeur si les résultats n’étaient pas significatifs. Pour Pierce, les résultats sont probants puisque la production atteint 1 200 voitures en 1907, 1 438 en 1908 et 1 566 en 1909, contre 1 000 en 1906 et 893 en 1905.


 Les débuts de Pierce-Arrow


Le succès des modèles Arrow pousse la firme à changer de raison sociale et à s’appeler désormais Pierce-Arrow à partir de 1909. On dit que George N. Pierce a décidé ce changement de raison sociale en s’inspirant des noms Rolls-Royce, Delaunay-Belleville, Panhard & Levassor, De Dion-Bouton qui connaissaient alors une certaine notoriété. La jeune gamme Pierce-Arrow s’élargit avec l’apparition d’une quatre cylindres 24 HP, une quatre cylindres 45 HP, une six cylindres 36 HP et une six cylindres 48 HP. Les phares de certains modèles se trouvent encastrés dans les ailes, ce qui devient rapidement la signature de la marque.

En 1909, le terme Arrow ayant servi auparavant à désigner les divers modèles devient partie intégrante de la raison sociale de l'entreprise. Pierce-Arrow Motor Car. La gamme comprend des modèles 4 cylindres 24 et 45 HP, et les modèles à 6 cylindres 36, 48 et 65 HP.

Le logo de la marque est un personnage accroupi posé sur la calandre en train de tirer une flèche (arrow en anglais). Jusqu’au déclenchement de la Première Guerre Mondiale, le volume de production de Pierce-Arrow évolue de la manière suivante : 1 918 unités en 1910, 2 131 en 1911, 1 453 en 1912, 1 218 en 1913 et 1 118 en 1914. Entre 1915 et 1918, la firme est accaparée par la production de camions militaires. En effet, elle produit des camions depuis 1910. Elle parvient tout de même à fabriquer 1 563 voitures en 1915, 1 647 en 1916, 1 891 en 1917 et 2 014 en 1918.

Pierce-Arrow Model 48-B 7-passenger Touring, 1915. Les Pierce-Arrow sont d'excellentes voitures qui dans les années dix ne comptent que peu de concurrentes sur le marché américain. En 1913, toutes les Pierce-Arrow sont dotées de ces phares encastrés dans les ailes, en avance de vingt ans sur les autres constructeurs.


L’apogée de Pierce-Arrow


L’année 1916 est marquée par le lancement de l’imposante 66 HP dotée d’un empattement de 3,60 mètres et d’un six cylindres de 12,7 litres, le plus gros moteur américain de l’époque. Pierce-Arrow est considérée à partir de ce moment-là comme l’une des marques américaines les plus prestigieuses. En 1919, Pierce-Arrow produit 2 136 voitures et 3 135 en 1920. Cette année-là, le volant du conducteur est déplacé de droite à gauche comme chez pratiquement tous les autres constructeurs américains. Il est amusant de constater qu’en France, les marques de luxe attendront jusqu’aux années 50 pour faire de même.

En plus de deux décennies, la production de Pierce Arrow n'a cessé de croître. Cette progression sera constante jusqu'à la fin des années vingt, avant que n'intervienne le fameux jeudi noir.

Le volume de production de la marque de Buffalo augmente sensiblement dans les années 20, passant de 2 239 unités à 1921 à 5 231 en 1925, 5 682 en 1926, 5 836 en 1927, 5 736 en 1928. Ces bons résultats sont la conséquence du succès de la Dual Valve Six lancée en 1921 considérée comme une des voitures les plus silencieuses du marché. Autre réussite, la " 80 " lancée en 1924 qui est une six cylindres de prix raisonnable tout en étant dotée pour la première fois chez Pierce-Arrow de freins sur les quatre roues.

Avant-guerre, un runabout est un style de carrosserie à plate-forme légère avec une seule rangée de siège. Cette forme devient bientôt indiscernable des roadsters, avant que le terme ne runabout ne soit abandonné.

Ces modèles profitent de la forte croissance du marché américain durant les années 20. A contrario, la " 81 " dotée d’un huit cylindres est boudée par la clientèle, peut-être parce que Pierce-Arrow a trop tardé à passer aux huit cylindres. Du coup, malgré un volume de production en hausse, les affaires de la marque ne sont pas au beau fixe en raison de coûts trop élevés entraînant une faible rentabilité et un endettement croissant. Le constructeur de Buffalo passe alors sous le contrôle de Studebaker en 1928.


Une relance éphémère


Conséquence de ce rachat, le groupe Studebaker-Pierce-Arrow devient le quatrième constructeur américain, derrière la General Motors, Ford et Chrysler. Les blocs moteurs des deux marques sont désormais coulés chez Studebaker. La nouvelle gamme découlant du rachat de Pierce-Arrow par Studebaker est construite autour du nouveau moteur huit cylindres développant 125 ch. Ce moteur est l'œuvre de Karl M. Wise, un ancien ingénieur de chez Chalmers, marque disparue en 1924. L’année 1929 est la meilleure année de vente pour Pierce-Arrow, avec 8 422 unités.

La catalogue 1929 offre un large choix de modèles, avec des prix qui s'échelonnent de 2 775 à 8 200 dollars. Pierce-Arrow vient de fusionner avec Studebaker, perdant ainsi son indépendance. En août 1933, c'est au tour de Studebaker d'abandonner Pierre-Arrow, qui est racheté par un groupe de banquiers.

Malheureusement, la crise économique déclenchée en octobre 1929 à Wall Street va briser cet élan. La production de la marque tombe à 6 795 unités en 1930 et 4 522 unités en 1931. Deux nouveaux modèles apparaissent en 1931 : il s’agit de grandes douze cylindres en V - une 7 litres de 150 ch et une 5,5 litres de 140 ch - qui ne correspondent plus tellement à la demande de l’époque. Même si ces voitures remportent quatorze records de vitesse sur le circuit de Bonneville, il s’agit tout au plus d’une sorte de baroud d’honneur de la marque qui semble de plus en plus en difficulté, même sous la tutelle de Studebaker qui n’entend pas mettre la main à la poche à fonds perdu.

En 1931, Pierce-Arrow passe de la 8 cylindres à la 12 cylindres en V, en présentant un moteur de 7 litres de 150 ch, suivi par un autre de 5,5 litres et 140 ch.

Par prudence, la gamme est complétée par de nouvelles huit cylindres en ligne baptisées 5L6, 6L0 et 6L3. Le volume de production de Pierce-Arrow continue à diminuer, puisqu’il tombe à 2 692 unités en 1932 et 2 152 en 1933. Sans doute meurtri par les piètres résultats de l’entreprise, le président de la firme se suicide en début d’année 1933. Il s’agit d’Albert Eskine, ancien de la Studebaker Company, nommé à ce poste quatre ans plus tôt. Cette année-là est pourtant marquée par la présentation de la plus originale et de la plus radicale des Pierce-Arrow, la Silver Arrow (flèche d’argent) qui est dotée d'une carrosserie très profilée et d’un moteur V12 développant 175 ch ce qui permet à la voiture d’atteindre la vitesse spectaculaire pour l’époque de 200 km/h. Lors d'une course sur 24 heures, elle bat tous les records à 197 km/h de moyenne ! Mais seulement cinq exemplaires trouvent preneur. Le modèle est vendu 10 000 dollars, une coquette somme pour l’époque.

La Pierce-Arrow Silver Arrow présentée en 1933 à la Foire de Chicago est une voiture aérodynamique sans marchepieds assez révolutionnaire. Ce modèle d’avant-garde qui annonce la Chrysler Airflow de 1934 ne sera produite qu’en cinq exemplaires.

Les ventes de la marque baissent encore : 1 740 unités en 1934. Cette année-là, certains modèles prennent le nom de Silver Arrow, alors qu’ils n'ont rien à voir avec le show-car de l'année précédente. Le constructeur veut capitaliser sur l’image de ce modèle qui a marqué les esprits, bien avant la Chrysler Airflow présentée en 1934. Mais la sauce ne prend pas et seulement 875 voitures sont vendues en 1935.


La fin de Pierce-Arrow


En 1936, les modèles Pierce-Arrow huit cylindres et V12 reçoivent de nouvelles carrosseries plus arrondies et des calandres plates. Mais les ventes ne décollent pas. Elles tombent à 787 unités en 1936, puis 166 unités en 1937. La marque qui fut l’une des plus prestigieuses des Etats-Unis agonise, mais plusieurs autres marques de luxe ont déjà disparu du marché américain, comme Peerless (1932), Marmon (1933), Stutz (1934), Franklin (1934) et plus récemment Duesenberg (1937), Cord (1937) ou Auburn (1937).

Les dernières années 1936-1937 marquent l’agonie de la marque Pierce-Arrow toujours fidèle à ses luxueuses limousines au style très digne, mais la clientèle est partie progressivement chez Packard et Cadillac. La marque Pierce-Arrow stoppe définitivement la production automobile en 1938.

La clientèle aisée se reporte sur les modèles des marques Packard, Cadillac ou Lincoln. Les pertes de Pierce-Arrow deviennent alors abyssales et Studebaker lâche finalement Pierce-Arrow en 1938, date à laquelle les 26 derniers exemplaires sont produits. La marque rejoint alors le panthéon des voitures de prestige disparues et aucune résurrection ne sera envisagée. Les nouveaux noms du luxe et du prestige automobile qui vont émerger après le second conflit mondial seront Rolls-Royce, Bentley, Cadillac, Lincoln et Imperial. Packard ne va connaître qu’un court répit avant de sombrer lamentablement en 1958. Au total, Pierce-Arrow a produit 85 474 voitures.

Texte : Jean-Michel Prillieux
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