Mors, un terrain d'essai pour André Citroën
Mors est une marque automobile française qui a été en activité entre 1895 et 1925. Elle s’est rendue célèbre par ses nombreux succès sportifs entre 1899 et 1904. Mors est dirigé par André Citroën à partir de 1908, puis absorbé par le constructeur Citroën en 1919 lors de la naissance de la marque. En tant que constructeur automobile, Mors disparaît en 1925. 1885 : les origines de la marque Mors Louis Remacle Auguste Mors, un ingénieur belge né en 1826, rachète en 1874 une société spécialisée dans le fil électrique. Doué en affaires, il fait grandir son entreprise en l'orientant vers la production d'éléments de signalisation ferroviaire. Des problèmes de santé le conduisent à céder son affaire en 1880 à des deux fils, Louis (1855-1917) et Emile (1859-1952), alors âgés de 25 et 21 ans. Louis Remacle Auguste décède en 1884. Louis, ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris, est un passionné des nouvelles techniques. Emile est ingénieur en électricité. Les frères Mors présentent en 1885 un tricycle à vapeur, muni d'une chaudière chauffée au pétrole, même si on aurait pu penser au regard de leur histoire familiale qu'ils se seraient orientés vers la voiture électrique. Ils font partie d'une nouvelle génération montante, souvent des inventeurs, ou au moins des industriels avisés, comme Amédée Bollée, De Dion et Bouton, Panhard et Levassor, Armand Peugeot, Léon Serpollet ou Louis Renault. 1897 : Mors s’engage dans les courses automobiles Sans se lancer dans la production, les frères Mors peaufinent leur projet automobile jusqu'en 1896, quand ayant enfin tranché sur le mode de propulsion à adopter, ils présentent un vis-à-vis animé par un quatre cylindres, doté de roues arrière plus grandes que les roues avant. C'est un succès. Dans cette démarche, ils sont assistés depuis une dizaine d'année par le talentueux ingénieur Charles-Henri Brasier, qu'Emile Mors à débauché à la Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Orléans. D'ailleurs, celui-ci fondera sa propre marque automobile en 1902.
Les frères Mors créent en 1885, au 48 rue du Théâtre, un tricycle qui fonctionne à la vapeur grâce à une chaudière chauffée au pétrole. Dix ans plus tard, ils sortent de leurs ateliers du 15e arrondissement leur première voiture. Emile, passionné de course, destine d'abord ses automobiles à la compétition. A cette époque, le seul moyen de se faire un nom dans cette nouvelle industrie est de remporter des courses. A partir de 1897, les participations aux plus grandes épreuves s'enchaînent pour Emile, qui pilote lui-même ses autos, comme Louis et Marcel Renault. Les premiers succès arrivent en 1898. La moisson de lauriers retentit immédiatement sur les ventes, qui atteignent près de 200 voitures cette même année. L'usine Mors est implantée au 48 rue du Théâtre dans le 15e arrondissement de Paris. Convaincus de l'intérêt de la compétition, les frères Mors redoublent d'efforts, et se concentrent sur les courses de ville à ville qui sont alors très à la mode, et attirent un public nombreux. Une Mors remporte le Paris-Toulouse en 1900, à la moyenne folle pour l'époque de 72 km/h. En 1901, Mors engage sept voitures sur le Paris-Berlin. L'épreuve est gagnée par une Mors pilotée par Henri Fournier (1871-1919). En 1903, ce sont 14 Mors qui prennent le départ du Paris-Madrid resté dans les mémoires. Cette course se transforme dès le départ de Paris en une véritable hécatombe. Marcel Renault se tue au volant de l'une de ses voitures. La course est arrêtée à Bordeaux. Fernand Gabriel arrive premier sur Mors dans la capitale girondine après avoir vaincu 163 concurrents. Il est déclaré gagnant de l'épreuve.
Le 23 mai 1903, le pesage des voitures au jardin des Tuileries avant le départ de la course Paris-Madrid. La numéro 217 est une Mors de 70 ch, la 219 une Gobron-Brillié. 1904 : un constructeur au sommet Fin 1904, les dirigeants de Mors décident de suspendre leur participation aux compétitions automobiles. Ils estiment ne plus rien avoir à prouver dans ce domaine. Leur palmarès est suffisamment éloquent, et leurs voitures de tourisme ont atteint leur pleine maturité. La presse spécialisée (Omnia, La Vie Automobile, Automobilia ... ) ne tarit pas d'éloges sur les qualités de finition et d'endurance des Mors. Cette pause donne un peu d'air aux finances de l'entreprise, car déjà, la course coûte très cher. La capacité de Mors ne dépasse pas une dizaine de châssis par mois. La production automobile qui n'était au début que secondaire prend le dessus sur les autres activités de l'entreprise. Les activités de signalisation ferroviaire et d'installations électriques sont cependant maintenues. N'ayant plus d'impératifs sportifs, les frères Mors donnent une nouvelle impulsion à leur affaire avec la fabrication de petits camions, et d'une gamme d'autobus. Ces véhicules démontrent qu'ils possèdent toutes les qualités qui ont fait la réputation des voitures de tourisme.
Un omnibus Mors dessert en 1905 le Salon de l'Automobile qui se tient au Grand Palais. A la même époque, Louis Mors créée un laboratoire de photographie scientifique et médicale, ainsi qu'un centre de recherche sur la tuberculose et le cancer. Ce sont plus ses recherches dans le domaine médical que son implication dans l'industrie automobile qui lui valent d'être décoré de la Légion d'honneur en 1906, une distinction que recevra aussi Emile en 1909.
Autre lieu prestigieux de la capitale, cette arroseuse goudronneuse de la Ville de Paris (1928) est exposée dans le cadre agréable du Jardin des Tuileries. Après le départ de Brasier en 1901, les ingénieurs se succèdent chez Mors aux directions technique et opérationnelle, ce qui nuit évidemment au bon fonctionnement de l'affaire. L'un d'entre eux, M. Lapointe, introduit le principe de la fabrication en série dans les ateliers. 1907 : les premières difficultés L'entreprise Mors emploie environ 1 000 salariés dans ses différentes activités. Pour ce qui est de la production automobile, sur le plan industriel, Mors est en retard. Alors que certains concurrents tendent à standardiser leur production, Mors s'en tient à des méthodes encore très artisanales. Ses prix de revient sont élevés, sans commune mesure avec ceux de certains de ses rivaux, qui commencent à s'inspirer des méthodes initiées par Frederik Winslow Taylor. Le temps des pionniers, des inventeurs de génie et des passionnés disparaît peu à peu, faisant place à celui des chefs d'entreprise, des meneurs d'hommes, des financiers. La concurrence a une longueur d'avance dans ce domaine sur Mors. Le constructeur du 15e arrondissement, qui reste de taille moyenne, doit faire face à des challengers très efficaces comme Panhard & Levassor, Peugeot, De Dion-Bouton ou Darracq, qui disposent de ressources plus conséquentes. Mors s'enlise dans une production sans grande originalité qui ne séduit que très modérément la clientèle. Contrairement à nombre de ses compétiteurs, il ne dispose d'aucun modèle populaire, générateur de volume. Hélas, les ventes d'automobiles n'ont pas suivi la même courbe ascendante que celle des succès sportifs. Enfin, les soubresauts de la crise financière née à Wall Street en 1907 atteignent l'Europe, et contribuent au tassement des ventes. La trésorerie commence à manquer. Des tensions apparaissent au sein de l'équipe dirigeante. L'industriel est contraint de céder son secteur réservé à la production de matériel électrique pour éviter la liquidation.
Après ses premiers succès en compétition, Mors a fini par s'enfermer dans un certain conservatisme que ne lui permet plus de se différencier de ses concurrents. 1908 : Arrivée d’André Citroën à la tête de Mors Certains membres du conseil d'administration suggèrent purement et simplement d'arrêter l'activité automobile. L'administrateur et financier Paul Harbleischer ne veut pas de cette fermeture. Il cherche l'homme providentiel qui saura remettre l'affaire sur les rails. Par l'intermédiaire de son gendre Hugues Citroën, il rentre en contact avec André Citroën, qui dirige avec talent une fabrique d'engrenages. Citroën, ambitieux par nature, accepte de se pencher sur le sort de Mors. Il prend très vite conscience du potentiel inexploité de ce constructeur, et fait plusieurs suggestions pour relancer l'affaire. Ses idées séduisent.
André Citroën s'investit sans retenue dans la relance de la marque Mors. Cette expérience, il saura en tirer profit quand il créera sa propre marque automobile en 1919. André Citroën est nommé administrateur directeur général de Mors le 24 février 1908. Il travaille sous la tutelle d'un liquidateur, M. Clément. Le constat est sévère. L'héritage de l'ancienne gestion laisse apparaître des pertes, des irrégularités dans le bilan, des amortissements non pratiqués, des doubles emplois dans les inventaires, etc ... André Citroën peut mettre en pratique ses idées. Il réorganise en profondeur le mode de gestion de l’entreprise, il modernise l’outil industriel, crée de nouveaux produits et double la production de la marque en quelques années. En peu de temps, il relève une entreprise devenue moribonde, et qui retrouve enfin son prestige. Pour cela, il a su s'entourer de personnes compétentes. C'est le cas par exemple de Georges-Marie Haardt, qui repense l'organisation commerciale, lance des campagnes de publicité, et étend le réseau de distribution en France et dans plusieurs pays étrangers : Roumanie, Russie, Allemagne, Espagne, Argentine, Brésil ... Haardt sera quelques années plus tard le responsable des Croisières Citroën. Mors utilise une publicité tout à fait nouvelle, mettant en place sur les itinéraires touristiques des panneaux de signalisation portant le nom de la marque, une idée qui sera reprise par André Citroën quand il s'agira de promouvoir sa propre marque.
Les panneaux Mors sont parfois peints à même les murs. Leur dessin reproduit fidèlement celui du radiateur des voitures de la marque. Désormais, le commerce donne son avis au service technique. Il s'agit non plus d'imposer ses modèles, mais de produire ce que la clientèle demande. Le marketing moderne fait son apparition. L'offre produit se dirige vers une baisse progressive des cylindrées des automobiles, et sur le marché des poids lourds vers une adaptation plus précise aux besoins, avec des carrosseries et des équipements spécifiques : fourgons, ambulances, camions de pompiers ... Toutes les réclamations des clients sont satisfaites, un soin plus méticuleux que jamais est apporté à la fabrication. Les ventes redémarrent. La production, qui était descendue à 120 unités en 1907, remonte à 280 en 1908, et atteint même 650 en 1910. Réorganiser, c'est bien, gagner de l'argent, c'est mieux. Or la qualité à un coût !
Une photo des ateliers Mors vers 1910. On remarque ici des modèles ouverts et fermés, ainsi qu’une voiture de course au premier plan. André Citroën tente d'imposer le taylorisme chez Mors. Mais la France, ce ne sont pas les Etats-Unis, et les lois et les mentalités y sont différentes. Le personnel de Mors refuse l'Organisation Scientifique du Travail (OST) prônée par Taylor. Des grèves surgissent rue du Théâtre. André Citroën doit faire marche arrière. L'industriel parisien, usant de son carnet d'adresses, obtient la possibilité d'équiper à partir de 1913 la plus grande partie de la gamme Mors d'un moteur Knight sans soupapes, fabriqué par le constructeur automobile belge Minerva. Il se trouve que le président du conseil d'administration de Minerva est David Citroën, le fils aîné de Joseph Citroën, oncle d'André ... Avec ces moteurs, les acheteurs potentiels regardent d'un nouvel oeil l'offre de Mors, qui redevient l'un des plus importants constructeurs dans l'Hexagone. Près de 800 châssis sont commercialisés en 1913, et 1 200 en 1914. Les difficultés financières n'ont pas disparu pour autant, car il a fallu s'endetter pour arriver à de tels résultats.
Le 48 Rue du Théâtre, pas très éloigné de Javel (XVe arrondissement), va devenir pour les Citroënnistes un lieu mythique, C'est ici qu'André Citroën va installer le bureau d'études de sa propre marque. Malgré toutes les difficultés auxquelles il doit faire face, André Citroën fait preuve avant-guerre de ses indéniables talents d'organisateur. Ce n'est ni un inventeur, ni un technicien, mais il se passionne pour la fabrication et la distribution à grande échelle. Cette passion va déboucher sur la création de sa propre marque automobile en 1919. Mors aura été pour lui une excellente école d'apprentissage. 1914 : la guerre La déclaration de la guerre coupe court à toute spéculation sur l'avenir de Mors. C'est à la fois une chance et une mauvaise chose pour la marque. C'est une chance parce que les besoins de l'armée et des civils permettent de résorber rapidement les stocks, et parce que Citroën confie à Mors la fabrication d'outillages pour équiper l'usine en construction de Javel, destinée à produire des obus. C'est une mauvaise chose du fait qu'André Citroën en produisant à grande échelle des obus est en train de se constituer un empire industriel à sa mesure. Bientôt, Mors lui apparaîtra comme une épine dans le pied, et il sera plus préoccupé à faire disparaître cette marque qu'à la développer. 1919 : absorption de Mors par la marque Citroën En 1917, Louis Mors décède. Son frère Emile, peu enclin à poursuivre l'activité automobile, accepte le principe d'une cession de l'affaire familiale à André Citroën. La paix signée, Mors passe en effet sous le giron d'André Citroën. Mais pour l'instant, il n'est pas question de reprendre immédiatement l'activité automobile. En effet, l'usine Minerva qui fournit les moteurs sans soupapes a été en grande partie détruite par les bombardements. Ce n'est donc qu'en 1920 qu'un nouveau modèle à moteur Minerva voit le jour. Mais cette 14/20HP de 3 561 cm3 est vite inquiétée par une concurrence qui redouble d'efforts pour présenter des automobiles modernes, fiables, performantes, mais également économiques. Entre-temps, André Citroën a reconverti son usine d'armement du quai de Javel dans le 15e arrondissement de Paris en une usine automobile, donné naissance à grand renfort publicitaire à la marque Citroën, et lancé sa fameuse 10 HP. Mors et Citroën cohabitent. La presse spécialisée fait remarquer que les résultats des années de guerre auraient été plus brillants pour Mors si celui-ci avait signé des contrats directement avec l'Administration, plutôt que d'être un sous-traitant de Citroën. Cette presse s'interroge aussi sur les raisons pour lesquelles Mors est encore présidé par André Citroën, un concurrent direct travaillant en série, " à l'américaine ". En 1923, Mors lance la 12/16 HP Sport, qui est son tout dernier modèle. Il s'agit d'une 2 litres à moteur Minerva de 30 ch. C'est le chant du cygne de Mors. Un atelier de carrosserie est créée à côté de la chaîne de montage des châssis, afin de proposer des voitures complètes. Mais plus rien n'empêche la lente érosion des ventes, et le 12 mai 1924, André Citroën est nommé liquidateur. Javel a besoin d'espace, et c'est chez Mors que Citroën décide d'installer son bureau d'études. C'est là que naîtront les Traction, 2 CV et DS ...
La dernière automobile Mors lancée en 1923 est une 12/16 HP qui se situe assez nettement en gamme au-dessus des Citroën Type 10 HP. Elle seconde au catalogue la 14/20 HP. La firme Mors cesse toute activité automobile en 1925. Ainsi s'éteint une marque automobile qui a fait rêver les foules au début du siècle par ses exploits sportifs, et qui a su jusqu'à la guerre proposer une gamme de véhicules à même de satisfaire une clientèle exigeante, en quête d'automobiles silencieuses, d'une conduite souple et aux réelles qualités routières. Nombreux étaient les rois, impératrices, marquis, comtes, barons ou ambassadeurs à posséder dans leur garage une ou plusieurs Mors. Un service de pièces détachées est maintenu quelque temps. Epilogue Emile Mors poursuit la fabrication de matériel électrique jusqu'à sa mort en 1942. Entre 1950 et 1955, Mors distribue puis produit des scooters sous le nom de Mors Speed. Mais cette aventure est de courte durée en raison de la concurrence féroce des géants italiens Vespa et Lambretta.
En juin 1949, un scooter léger de 50 cm3 est présenté à la presse. La version pratiquement définitive équipée d'un 98 cm3 de marque Brissonnet est exposée à la Foire de Paris de 1950. Dès 1951, la distribution est assurée par les Ets Mors. En 1952, sort la version définitive : 2 vitesses et 115 cm3. Mais le scooter Speed est d’une utilisation restreinte. Ses performances le destinent plutôt à une utilisation urbaine, ou à de petits parcours. Pour atteindre une nouvelle clientèle, Mors présente à la Foire de Paris de 1953 un Mors Speed de 125 cm3. Source : http://t4t35.fr Dans les années 1960, Mors se concentre sur les installations électriques, et devient Mors Jean Bouchon (MJB) en 1964, rebaptisé GTIE (Générale de Travaux et d’Installations Electriques) en 1984. GTIE devient en 2003 une filiale du groupe Vinci. Mors poursuit par ailleurs des activités aéronautiques, ferroviaires et maritimes jusqu'en 1996. Celles-ci sont alors vendues séparément à différents groupes français. Au début des années 80, Mors rachète APR et Apem, deux entreprises spécialisées dans la fabrication d’interrupteurs à usage industriel. La marque commerciale Mors a fini par disparaître définitivement au fil des fusions et absorptions.
Texte : Jean-Michel Prillieux / André
Le Roux |
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