Facel Vega, la dernière marque française de prestige


Facel Vega est la dernière marque française de prestige - si l’on excepte la courte aventure de Monica de 1972 à 1974 - puisqu’elle apparaît en 1954 et disparaît en 1964, alors que les firmes Delage, Delahaye, Hotchkiss, Salmson et Talbot ont toutes rendu l’âme dans les années 50.


Bronzavia Industrie, entreprise française de chaudronnerie spécialisée dans le secteur aéronautique, crée en 1939 à Dreux une petite filiale, la société des Forges et les Ateliers de Construction d'Eure et Loir (Facel). Après la fin des hostilités, Facel est détachée de Bronzavia et devient une société indépendante. Jean Daninos, qui a travaillé chez Citroën avant-guerre où il a participé au développement des coupés et cabriolets Traction Avant, en prend la direction. Il est nommé PDG de cette entreprise en août 1945, et fusionne Facel avec la société commerciale Métallon qui fait de l'importation d'acier suédois, pour former la Compagnie Facel Métallon. Dès lors, il oriente la société vers l'automobile. En janvier 1953, la compagnie Facel Métallon est restructurée en deux entités distinctes : Facel (société industrielle) et Métallon (société commerciale).

En 1948, Facel se diversifie dans l’automobile avec un département de carrosserie de luxe qui produit au cours des années suivantes 23 500 Simca Sport, 3 000 Ford Comète et 13 Bentley Cresta. En 1950, Facel devient un fournisseur de Vespa en réalisant les pièces de 220 000 coques du célèbre scooter sous licence Piaggio, puis à partir de 1957 les pièces embouties et soudées de la petite voiture Vespa 400. A partir de 1951, Facel réalise également la fabrication de 9 630 carrosseries de la Delahaye VLR, la voiture qui a vainement tenté de remplacer la Jeep dans l'armée française, ainsi que de 18 750 camionnettes et cabines de camions Simca, Delahaye et Somua.

La Bentley Cresta est une voiture exclusive de la marque britannique dessinée par Pininfarina et réalisée par les Etablissements Facel en 1948.

Le département Aviation de Facel construit de son côté les chambres de combustion pour les moteurs à réaction Rolls-Royce produits sous licence par Hispano-Suiza. Le développement de ces activités amène Jean Daninos à acquérir une troisième usine à Amboise (ex-usine Bronzavia). Facel dispose ainsi de trois branches distinctes : construction automobile à Colombes et à Dreux, aviation et équipement en acier inoxydable à Amboise, emboutissage et tôlerie à Amboise.

La Ford Comète basée sur la berline Vedette est dessinée par Facel et réalisée chez Facel entre 1951 et 1954, sa silhouette anticipant la future Facel Vega FV de 1954.

La Simca 8 Sport est issue d’un dessin Pininfarina, et la réalisation est effectuée par les Etablissements Facel entre 1948 et 1951. Elle reprend la base de la Simca 8 mais sa carrosserie est nettement plus moderne.

En 1954, convaincu de l'existence d'une clientèle potentielle internationale et argentée, Jean Daninos crée la marque Facel Vega dans l'intention de succéder aux prestigieux constructeurs automobiles français de l'avant-guerre qu'étaient Bugatti, Hispano-Suiza, Delage, Delahaye, Hotchkiss et Talbot. C’est Pierre Daninos, l'auteur des carnets du major Thompson, qui suggère à son frère le nom Vega accolé au nom de la société des établissements Facel. Vega est l’une des étoiles les plus brillantes de la constellation de la Lyre, symbole de puissance et de prestige.

La Bentley Cresta II dévoilée en 1951 anticipe encore davantage la future Facel Vega FV de 1954 avec sa calandre verticale flanquée de deux grilles d’aération et ses phares verticaux.


1954 : Facel Vega FV 


Dès 1952, Jean Daninos met en chantier le prototype d’un luxueux coupé 2+2 (deux places + deux plus petites à l'arrière). Conscient qu’aucun moteur français ne peut convenir pour sa création qu'il veut à hautes performances, il se tourne vers les États-Unis et le groupe Chrysler pour la fourniture du moteur adéquat. Il s’agit d’un V8 de 4 528 cm3 développant 180 ch, monté alors sur les De Soto. Ce moteur va équiper le tout premier modèle de la marque, présenté au Salon de Paris 1954, le coupé FV (FV comme Facel Vega).

La silhouette de ce modèle de 4,57 mètres de long s’inspire des réalisations Facel Métallon précédentes, à savoir les Ford Comète et Simca 9 Sport, dont on reconnaît le dessin des vitres latérales sans montant central et du pavillon arrondi. La partie avant est plus personnelle puisqu’elle arbore une calandre verticale quadrillée flanquée de deux petites grilles. Les feux arrière sont encastrés au sommet des ailes, et les sorties d'échappement sont incorporées au pare-chocs arrière, système qui sera repris sur la Simca Présidence. La planche de bord recouverte de cuir assorti à la sellerie comporte une console centrale pour la première fois sur une voiture française. La Facel Vega FV est proposée au prix de 2 873 000 francs,  une 4CV Renault valant alors 458 000 francs.

Dès mars 1955, le modèle évolue et prend l’appellation FV1. L’apparence est semblable mais la cylindrée est portée à 4 770 cm3 pour une puissance de 200 ch. La vitesse maximale passe de 175 km/h à 185 km/h. En novembre 1955, apparaît la FV2 qui se distingue du modèle précédent par son nouveau pare-brise panoramique et son tableau de bord en tôle peint par le chef peintre de l'usine de Dreux, qui utilise la technique de la main levée et du trompe-l'œil, façon ronce de noyer.

La Facel Vega FV - ici une FV2 - est finalement un patchwork entre les Bentley Cresta, Ford Comète et Simca 9 Sport. Mais la voiture a sa propre personnalité avec un nouveau traitement de la partie avant.

En mars 1956, le modèle évolue et prend l’appellation FV2B. L’apparence est semblable mais la cylindrée du moteur est augmentée à 5 413 cm3 pour une puissance de 250 ch, qui permet une vitesse de 195 km/h. Deux cabriolets sont construits par l’usine sur la base de la FV2B. En novembre 1956, apparaît la FV3 qui reprend la carrosserie de la FV2, mais reçoit une nouvelle calandre avec une grille centrale plus fine flanquée de grilles élargies avec une barre médiane. La cylindrée est ramenée à 4 527 cm3 pour une puissance de 200 ch, peut-être une conséquence de la Crise de Suez … Pourtant en mars 1957, la cylindrée repart à la hausse avec un moteur de 4 940 cm3 développant 253 ch. Ce modèle rebaptisé FV3B peut atteindre 203 km/h. Le modèle est supprimé en juin 1958 au profit de la HK 500. Un modèle encore plus puissant est spécialement conçu pour la clientèle nord-américaine, la FV4 qui est dotée d’un 5801 cm3 de 340 ch, puis un 6 430 cm3 de 375 ch permettant d'atteindre 230 km/h.

Au Salon de Paris 1957 qui se tient au Grand Palais, Facel Vega fait partie des " grands ", et tient compagnie à Citroën, Renault, Peugeot et Simca.

Le 4 janvier 1960, Albert Camus trouve la mort dans un accident de voiture à bord d'une FV3B conduite par l’éditeur Michel Gallimard. Au total, les Facel Vega FV ont été produites à 352 exemplaires entre 1954 et 1958, dont 10 FV, 33 FV1, 31 FV2, 74 FV2B, 46 FV3, 92 FV3B et 66 FV4.


1958 : Facel Vega HK 500


Dévoilée au Salon de Paris en octobre 1958, la production ayant débuté dès le mois de mai de la même année, la HK 500 apparaît alors comme la plus aboutie des Facel Vega à moteur V8. Sa carrosserie reprend celle des FV3 et FV4, mais elle est allongée de 2 cm, pour atteindre 4,59 mètres. La principale nouveauté se situe sous le capot. La HK 500 adopte un V8 Chrysler de 5 907 cm3 développant 335 ch avec la boîte automatique Chrysler Torqueflite, et 360 ch avec une boîte mécanique, soit davantage que la FV4.

En 1958, la Facel Vega HK 500 adopte à son tour le pare-brise panoramique, mais les ailerons sont réservés à la berline Excellence.

Afin de dompter cette puissance jamais atteinte sur une voiture française de série, la HK 500 est la première Facel Vega à adopter des freins à disques sur les quatre roues. Tout d'abord disponibles en option à partir de 1960, ces freins sont montés en série sur le type HK1 au mois de mars suivant. Le journaliste et pilote Paul Frère est chronométré au volant d’une HK 500 à 237 km/h sur une autoroute près d’Anvers le 26 octobre 1960, performance authentifiée par le Royal Automobile Club de Belgique. La HK 500 connaît un honorable succès, puisqu’il s’en vend 490 exemplaires entre 1958 et 1961, date à laquelle elle est remplacée par la Facel II. 


1958 : Facel Vega Excellence


Jean Daninos complète la gamme Facel Vega en 1958 par une grande berline quatre portes de 5,24 mètres de long dérivée de ses coupés FV et HK 500. Le prototype de cette nouvelle voiture baptisée Excellence est présenté au Salon de Paris 1956, sur la base du coupé FV3B. Ce prototype entend concilier les performances de haut niveau des GT de la marque avec une vitesse maximale supérieure à 200 km/h et le confort des limousines de grand luxe. Les portes sont à ouverture antagoniste, dégageant tout l'habitacle grâce à l'absence de montant central. Cette architecture est aussi adoptée sur la Cadillac Eldorado Brougham de 1957.

Le prix de la Facel Vega Excellence équivaut à celui de quatre Citroën DS 19 ! La première Excellence de série type EX est commercialisée au mois de mai 1958. Son moteur est le V8 Chrysler de 6 430 cm3 monté sur la FV4, dont la puissance est ramenée à 360 ch. En octobre 1958, l’Excellence type EX1 lui succède. Elle est équipée du moteur V8 Chrysler de 5 907 cm3 monté sur la HK 500, d’une puissance de 335 ch ou 360 ch selon le choix de transmission.

La berline Facel Vega Excellence lancée en 1958 adopte le pare-brise panoramique et les ailerons. Les portes s’ouvrent en armoire.

Enfin, en juillet 1961, l’Excellence type EX2 succède au type EX1. Elle est dotée du moteur V8 Chrysler de 6 270 cm3 qui sera monté trois mois plus tard sur la Facel II, d’une puissance de 355 ch ou 390 ch selon la transmission choisie. Les freins à disques apparus en 1959 en option sont désormais adoptés en série. L’Excellence type EX2 évolue esthétiquement, puisqu’elle abandonne le pare-brise panoramique pour un pare-brise à simple galbe, comme sur la Facel II lancée peu après. Les ailerons arrière disparaissent. Le poste de radio avec antenne télescopique électrique, le système d'air conditionné et le téléphone sont en option.

Au total, les Facel Vega Excellence sont produites à 153 exemplaires entre 1958 et 1964, dont 11 EX, 134 EX1 et 8 EX2. Le concept de la berline à hautes performances dont Bugatti a été l’un des promoteurs avant la guerre va être repris par Lagonda en 1961, puis par Maserati avec sa célèbre Quattroporte en 1963. D'autres suivront : l'Iso Fidia en 1967, la Monteverdi 375/4 en 1971, la De Tomaso Deauville en 1971, la Monica en 1972 et l'Aston-Martin Lagonda en 1974, avec plus ou moins de succès. 


1961 : Facel II 


Dévoilée au Salon de Paris 1961, la Facel II type HK2 succède à la HK 500. Ce grand coupé se présente sous une carrosserie totalement nouvelle, d’une grande finesse et d’une grande élégance, considérée par la presse internationale comme la plus belle voiture française de l’après-guerre. Les observateurs ne manquent pas de la comparer aux créations des meilleurs stylistes italiens.

Par rapport à la HK 500, la Facel II est plus longue (4,75 mètres) et plus basse (1,28 mètre), ce qui lui confère une silhouette racée. Le nouveau coupé Facel Vega est doté d’une calandre carrée et non plus plus rectangulaire, flanquée de deux grilles quadrillées qui occupent cette fois toute la hauteur de la partie avant. Les phares et les clignotants sont intégrés dans deux blocs transparents, comme sur les Mercedes 220 SE. Le pavillon est plat et surbaissé, tandis que le pare-brise et la lunette sont de très grandes dimensions, ce qui donne à la voiture un aspect aérien, d’autant plus que les montants sont très fins.

La Facel II succède à la HK 500 en 1961. Sa carrosserie surbaissée et ses grandes surfaces vitrées en font une voiture racée d’une grande élégance. Elle est considérée comme l’une des plus belles voitures françaises de l’après-guerre.

La Facel II est équipée du V8 Chrysler de 6 270 cm3 développant 355 ch avec la boite automatique, qui lui permet d’atteindre 225 km/h, ou 390 ch avec la boîte de vitesses mécanique, pour des pointes jusqu'à 245 km/h, ce qui en fait à l’époque une des voitures de série les plus rapides du monde. Le freinage est assuré par des disques aux quatre roues amplifiés par un servo-frein. En toute fin de carrière, le coupé Facel Vega reçoit un 6 769 cm3 de 400 ch. La Facel II voit sa carrière écourtée prématurément en raison de la faillite de la marque en 1964. Elle est produite au total à 184 exemplaires entre 1961 et 1964. 


1959 : Facellia ou le chant du cygne de Facel Vega


La relative réussite commerciale de ses modèles V8 a poussé Jean Daninos à envisager la réalisation d'une automobile plus compacte, afin de gagner des parts de marché dans la catégorie des voitures de sport de moyenne cylindrée. La Facellia, dont l’étude débute en 1957, est lancée au Salon de Paris 1959. Il s’agit d’une petite Facel Vega, concurrente des Alfa Romeo Giulietta, Triumph TR3 et Porsche 356. Reprenant dans les grandes lignes les caractéristiques techniques et esthétiques des Facel Vega V8, ses dimensions sont ramenées à des dimensions plus européennes avec 4,12 mètres de long. La Facellia est d’abord un cabriolet, disponible ensuite en version coupé.

Cependant la grande nouveauté se situe sous le capot. L’usine n’obtenant alors pas de licence d’importation pour un moteur étranger, il est décidé de se tourner vers la société Pont-à-Mousson qui fournit déjà les excellentes boîtes de vitesses des modèles V8. Cette société possède dans ses cartons l’étude d’un moteur six cylindres 2,8 litres double arbre à cames en tête. A partir de ce moteur est dérivé un quatre cylindres de 1 646 cm3 de 115 ch répondant au cahier des charges initial. Ce bloc moderne et puissant permet à la Facellia d'atteindre 180 km/h.

La Facellia est très bien accueillie par les amateurs et les commandes affluent, mais, lancées prématurément, les premières voitures livrées pâtissent de défauts de mise au point moteur entraînant des casses répétées. L’usine procède alors à de multiples échanges standard sous garantie, ce qui compromet progressivement les finances de l’entreprise.

La Facellia, une 1600 cm3 lancée en 1959, est située au-dessus des Simca Plein Ciel et Océane qui sont des 1300 cm3, et qui coûtent déjà deux fois le prix d’une Aronde.

Des améliorations sont apportées au moteur afin de pallier rapidement ces problèmes. C’est ainsi que la Facellia F2 est introduite dès 1961. Mais les échanges standard mettent à mal la réputation de la marque. Parallèlement, Simca arrête son contrat avec Facel pour l’assemblage de ses coupés et cabriolets, tant et si bien que l'entreprise - malgré un prêt de l'État français d'un milliard d’anciens francs - est placée en liquidation en juillet 1962.

Cependant, le tribunal de commerce autorise Facel à continuer son activité. La Facellia F2 ne rencontrant guère de succès, il est décidé de lui greffer une mécanique dont la réputation de robustesse est déjà connue du public. Le moteur Volvo B18 B du coupé P1800 est alors monté dans la Facellia, donnant naissance au modèle Facel III dévoilé en avril 1963. Celle-ci est produite à 625 exemplaires entre 1963 et 1964, moins que la Facellia (1 045 exemplaires).

La Facel 6 est développée afin de combler le vide entre la surpuissante Facel II à huit cylindres et la Facel III à quatre cylindres. La voiture a la même apparence que la Facel III, mais l'avant est allongé de 5 cm pour pouvoir loger le six cylindres de l'Austin-Healey 3000. Présentée à la presse en mai 1964, elle n’est commercialisée qu'au début du mois de septembre, soit un mois et demi avant l’arrêt d’activité de Facel. 44 exemplaires de la Facel 6 sont néanmoins sortis de l’usine de Colombes pendant cette période.

Faute de solution chez les constructeurs français, Jean Daninos s'est tourné vers l'étranger pour la Facel 6. Un accord est signé avec Sir Leonard Lord, chairman de la BMC, et Alexandre Issigonis, son ingénieur en chef. Ce moteur présente l'avantage de ne pas être trop coûteux, avec un prix proche du 4 cylindres Volvo équipant la Facel III.

Les usines Facel ferment définitivement leurs portes le 31 octobre 1964, après avoir produit un peu moins de 3 000 Facel Vega en dix ans. Il est à la fois paradoxal et consternant de constater que la dernière marque française de prestige ait pu disparaître du fait de ses déboires sur son modèle le plus abordable. L’échec de Facel Vega n’en est que plus regrettable.

Texte : Jean-Michel Prillieux
Reproduction interdite, merci

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