Monica, la toute dernière GT française
Monica est la toute dernière voiture française de Grand Tourisme apparue en 1972 et disparue deux ans plus tard, tuée par la crise pétrolière de 1973/1974. Dans les années 60, le nec plus ultra dans le domaine du grand tourisme automobile est représenté par les Ferrari, Maserati, Lamborghini, Aston Martin, Iso Rivolta, De Tomaso et Monteverdi. Et en ce qui concerne plus particulièrement la berline à hautes performances, quatre modèles tiennent le haut du pavé : la Maserati Quattroporte de 1963, l’Iso Fidia de 1967, la Monteverdi 375/4 et la De Tomaso Deauville de 1971, auxquelles s’ajoute la Mercedes 300 SEL 6,3 litres de 1968 qui reprend une carrosserie de grande série. C’est dans ce contexte qu’un industriel français, Jean Tastevin, spécialisé dans la construction de wagons-citernes mais passionné d’automobile, envisage de redonner à la production française un modèle de prestige, qui en manque tant depuis la disparition des Bugatti, Delage, Delahaye, Hotchkiss, Salmson et autres Talbot dans les années cinquante, et plus récemment des Facel Vega dans les années soixante. Ce modèle, dont l’étude débute en 1966, sera selon son idée une berline capable de rivaliser avec les meilleures. Il en confie la conception à l’Anglais Chris Lawrence, qui dessine le châssis et propose d’y installer un V8 réalisé par un ingénieur britannique, Ted Martin. Porté à 3,4 litres, ce moteur développe 240 ch. Au terme d’un long travail préparatoire et après cinq prototypes construits, la Monica - Monique était le prénom de l’épouse de Jean Tastevin - est révélée au Salon de Paris de 1972.
L’un des prototypes de la Monica étudiés à la fin des années 60 évoque le style des Panhard CD, avec ses phares rectangulaires et sa petite calandre grillagée. On pense aussi à certains modèles DB Panhard ou René Bonnet. 1972 : présentation de la Monica La Monica fait grande impression à sa présentation en 1972. Séduisante, puissante et raffinée, elle est considérée comme la digne héritière des prestigieuses Facel Vega disparues en 1964. Longue de 4,95 mètres, basse et racée, la Monica présente un subtil mélange des styles britannique et italien. Ainsi, l’avant fait penser à une Maserati Indy, tandis que le profil évoque plutôt les Jaguar. Les phares sont escamotables, ce qui est très rare sur une berline européenne même si certaines belles américaines de haut de gamme en sont déjà équipées. Cette ligne élégante n’est pas celle d’un carrossier italien de grand renom, mais celle d’un jeune talent roumain dénommé Tony Rascanu, peu connu car décédé peu avant la commercialisation de la voiture. La nouvelle voiture française de grand tourisme reçoit l’appellation de Monica 350 par référence à la cylindrée du moteur Martin. Les essais au cours des mois suivants montrant toutefois que ce moteur avoue d’importantes imperfections, Jean Tastevin se résout à se tourner vers le constructeur américain Chrysler, comme l'a fait Jean Daninos dix neuf ans plus tôt. Il choisit le moteur V8 de 5,6 litres de cylindrée qui est reconnu pour sa fiabilité puisque produit aux Etats-Unis en grande série. Son régime d’utilisation ne dépassant pas les 4000 tr/mn - un niveau normal pour un moteur de Detroit -, il décide de porter le régime à 5000 tr/mn, en modifiant les pistons et en augmentant la capacité du carter.
La Monica présentée au Salon de Genève 1973 adopte son style définitif avec une partie avant rappelant la Maserati Indy. Par rapport au proto, la ligne est bien plus sportive et sensuelle. Source photo : https://www.artcurial.com/fr
L’arrière de la Monica évoque également le design italien de la fin des années 60, avec des réminiscences d’Iso Fidia ou de Monteverdi 375/4. Le style est dû à un jeune designer roumain, Tony Rascanu, qui ne verra pas son œuvre définitive étant décédé prématurément en 1972. Source photo : https://www.artcurial.com/fr
Le profil de la Monica est racé. La cellule centrale, notamment la découpe des portes, rappelle celle des berlines Lagonda contemporaines, basées sur les Aston Martin V8. Source photo : https://www.artcurial.com/fr Ces améliorations étant apportées, le moteur développe une puissance de 285 ch permettant à la Monica - rebaptisée 560, toujours par référence à sa cylindrée - d’atteindre une vitesse maximale de 230 km/h ou 240 km/h selon le choix de transmission. Le moteur est accouplé au choix à la transmission automatique Torqueflite à trois vitesses ou à la boîte manuelle ZF à cinq rapports. A deux ou trois exceptions près, toutes les voitures seront équipées de la boîte automatique. L'habitacle apparaît sous la forme d’un écrin entièrement revêtu de peausseries de grande qualité. La suédine recouvre le tableau de bord orné de loupe d'orme, tandis que les sièges, les contre-portes et la console sont tendus de cuir Connolly. L’équipement de série comprend la climatisation, les bagages sur mesure et même l'ouverture électromagnétique des portes. La Monica 560 est présentée pour la première fois au Salon de Genève de 1973. La commercialisation est annoncée pour la fin de l’année.
Cuir Connoly à profusion, moquette épaisse en pure laine, planche de bord en bois verni … rien n'est laissé au hasard pour celle qui doit synthétiser au mieux le haut de gamme français et une ambiance " so british ". 1974 : la Monica tuée par la crise pétrolière Malheureusement, les impératifs de mise au point retardent sa commercialisation jusqu’au début de l’année 1974, et le prix de la voiture initialement annoncé fait un bond considérable et devient finalement dissuasif pour la plupart des clients potentiels. Le choc pétrolier d’octobre 1973 lui donne le coup de grâce, puisque certains clients qui ont passé commande décident de l'annuler. Le lancement d’une grande berline luxueuse dotée d’un gros moteur très gourmand s’accorde mal avec le contexte de l’époque qui vient de changer radicalement en quelques mois. Si bien que la Monica est produite au total à seulement trente exemplaires, dont dix-sept sont effectivement vendus. Jean Tastevin décide de ne pas pousser plus loin l’expérience. L’activité est finalement cédée en 1975 au pilote automobile Guy Ligier qui se garde bien de relancer l’affaire, trop occupé à travailler sur ses vastes projets de Formule 1. Un bien triste bilan pour un modèle qui devait représenter la renaissance de la voiture française de grand tourisme. La Monica fut ainsi la dernière tentative française dans le domaine de la berline d’exception. C’est bien là son seul titre de gloire.
Texte : Jean-Michel Prillieux
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