Hudson Jet Italia


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Au début des années 1950, à l'image des autres constructeurs indépendants aux États-Unis, Hudson est en perte de vitesse. La marque est victime des offensives répétées des trois grands groupes de Detroit, la General Motors, Ford et Chrysler, qui se livrent une bataille acharnée pour la conquête du marché automobile américain. Hudson et ses homologues (Packard, Kaiser Frazer, Nash, Rambler, Studebaker, Willys...) paient au prix fort leur indépendance. Leurs ressources financières sont, en effet, considérablement inférieures à celles des Big Three. Cela limite leur capacité à renouveler leur gamme aussi fréquemment que ceux-ci. De plus, le réseau de concessionnaires des indépendants est moins étendu que celui des grandes marques. Enfin, les " dealer " peuvent se montrer infidèles et choisissent parfois, lorsque les ventes d'une marque ne répondent pas à leurs attentes, ou que la marque qu'ils représentent rencontre des difficultés, de retirer son enseigne pour se tourner vers la concurrence.

Bien que Hudson se soit dès 1948 distingué de la concurrence grâce à ses modèles innovants de la lignée Step-Down (une dénomination qui souligne la manière particulière dont on entrait dans ces nouvelles Hudson, en descendant littéralement à bord en raison de leur hauteur inférieure à celle de la plupart des autres voitures américaines de l'époque), et malgré le large succès commercial rencontré lors de leur introduction, les ventes sont désormais en baisse. En effet, leurs lignes " rondouillardes " commencent à dater. Leurs moteurs conservent une architecture avec une distribution à soupapes latérales, un dispositif qui apparaît de plus en plus désuet à une époque où les moteurs à soupapes en tête, au rendement supérieur, tendent à se généraliser.

1949, Hudson. Les lignes dites Step-Down seront abandonnées à l'issue du millésime 1953 - Copyright

Certains constructeurs américains collaborent avec des carrossiers italiens, comme Chrysler avec Ghia ou Nash avec Pinin Farina. Que ce soient les grands groupes de Detroit ou les constructeurs indépendants, tous reconnaissent la force de cette nouvelle " école italienne ". C'est devenu une référence en matière de style automobile. Chez les indépendants, on pense qu'une partie des difficultés pourraient trouver une solution du côté de Turin. Abraham Edward Barit, président d'Hudson depuis 1936, est convaincu de l'intérêt d'une telle alliance. Les victoires de la Hornet, modèle phare de la famille des Step-Down, sur les courses NASCAR, ne suffisent plus à soutenir les ventes.

Les Big Three se livrent une guerre technique avec des V8 toujours plus puissants, et esthétique en redessinant fréquemment leurs modèles, entretenant ainsi l'illusion de la nouveauté. Dans les faits, à la General Motors, le renouvellement réel des carrosseries a lieu en moyenne tous les trois ans. Cette surenchère profite aux grands groupes, qui réalisent des bénéfices record. Les firmes indépendantes ne peuvent pas suivre cette bataille coûteuse : un renouvellement aussi régulier les ruinerait, mais l'absence de nouveauté entraîne une chute des ventes. Le dilemme est cruel.

La Chrysler Styling Special dévoilée en 1952 était initialement un modèle unique. Ghia va tout de même en assembler dix-huit exemplaires pour quelques clients fortunésCopyright

En l'absence de politique commerciale comparable à celle des Big Three, la majorité des indépendants choisissent d'investir sur des marchés de niche, qui, pour l'instant, n'attirent pas l'attention des grands groupes de Detroit. Simultanément, les voitures de sport importées du Vieux Continent, qu'elles soient populaires ou plus prestigieuses, à l'instar des MG TD/TF, Triumph, Austin Healey ou Jaguar XK120, rencontrent un succès considérable auprès de la clientèle américaine. La General Motors, Ford et Chrysler mettront un certain temps à réagir, laissant momentanément le champ libre à des firmes comme Hudson.

Hudson a l'ambition de concevoir un modèle grand tourisme basé sur la Hornet, pour séduire ceux qui, en matière de sport automobile, ne jurent pourtant que par les voitures européennes. Il s'agirait d'un nouveau modèle à deux portes, potentiellement destiné à remplacer la Hornet en compétition, notamment sur la Carrera Panamericana. A ce moment-là, la Chevrolet Corvette et la Ford Thunderbird n'ont pas encore été présentées. On connaît chez Hudson l'existence de projets chez Chevrolet et Ford. Les rumeurs circulent rapidement à Detroit. Conscients de cette concurrence imminente, Abraham Edward Barit et Frank Spring insistent sur la nécessité d'accélérer le développement de cette Hudson de grand tourisme, pour la lancer avant ses puissants rivaux, ou au moins le plus rapidement possible afin de s'assurer une part de marché significative.

Chevrolet Corvette, prototype, 1953 - Source : https://en.wheelsage.org

Le bureau d'études Hudson travaille aussi sur un autre projet, jugé bien plus prioritaire par la direction qu'une potentielle grand tourisme. Il s'agit d'un modèle compact destiné à une plus large diffusion auprès des classes populaires. Elle prendre le nom de Jet. Au début des années 50, même les modèles les plus économiques des Big Three approchent en dimensions ceux des marques de prestige. Les voitures compactes sont encore peu prisées, même par les ménages à faibles revenus. Le président Abraham Edward Barit croit pourtant fermement à ce projet. Parmi les indépendants, il n'est pas le seul à être convaincu qu'un marché existe pour des voitures de ce type. Kaiser notamment s'apprête à commercialiser début 1951 sa nouvelle Henry J.

En tant que responsable du design, Frank Spring supervise les travaux de cette Hudson populaire, la future Jet. Mais Abraham Edward Barit lui impose des remaniements qui ne sont pas à son goût. Cela ne manque pas de le déstabiliser. Il menace son employeur de démission, pour proposer ses services à la concurrence. Heureusement, on lui laisse en parallèle plus de latitude pour concevoir la future grand tourisme. Il reste donc prudent, et temporise. Entre-temps, la Chevrolet Corvette vient d'être présentée.  

Hudson Jet, 1954 - Copyright

La situation financière de Hudson n'est guère florissante. Les modèles Step-Down ne sont plus de première jeunesse. La firme a misé gros sur la Jet, tant en matière d'investissements que de bénéfices escomptés. Pour réduire les coûts de la future grand tourisme, Frank Spring doit se satisfaire d'éléments mécaniques déjà largement utilisés et amortis sur d'autres Hudson. Pour le style, il est plus libre. Dans son esprit, une vraie voiture de sport est nécessairement un modèle de taille compacte. Il développe donc la future grand tourisme à partir de la Jet, modèle enfin commercialisé pour le millésime 1953.  

Bien que conçue avec des moyens limités et sur un châssis plutôt court, la grand tourisme Hudson doit afficher des lignes élégantes pour attirer une clientèle aisée et avisée. Il est hors de question de reprendre les traits des Step-Down ou de la Jet. La voiture est dessinée aux Etats-Unis, par Frank Spring. Il reste maintenant à résoudre les questions de production. Ce ne sont pas Pinin Farina ou Ghia qui sont choisis, mais une autre grande maison : Touring. La réputation de ce carrossier dépasse depuis longtemps les frontières de l'Italie. La grand tourisme Hudson prend le nom initial de Super Jet, très vite transformé en Italia.

Hudson Italia - Copyright

Une Hudson Jet complète est expédiée chez Touring, où elle est démontée. A l'instar des autres créations de Touring, la structure qui reçoit les panneaux de carrosserie adopte le principe Superleggera, développé par le carrossier depuis les années 1930. Il s'agit d'un assemblage de tubes en acier soudés sur lesquels sont fixés des panneaux en aluminium. La planche de bord est spécifique à ce coupé. La sellerie combine le cuir et le vinyle. L'Hudson Italia figure parmi les premières voitures américaines à être équipées de série d'un autoradio et de ceintures de sécurité.

Hudson Italia - Source : https://www.reddit.com

Signe de l'importance capitale que Hudson accorde à ce projet, Stuart Baits, le vice-président de la firme, supervise étroitement les travaux commandés à Touring, aux côtés de Frank Spring lui-même. Bien que de facture artisanale, le coût du prototype initial reste étonnamment raisonnable, équivalant au prix de quinze Hornet de série.

Une fois celui-ci achevé, Frank Spring, accompagné de son épouse, se rend en Italie pour tester l'Italia. Puis le prototype est expédié outre-Atlantique. Fin 1953, il entame une tournée remarquée chez de nombreux concessionnaires Hudson, s'offrant ainsi une vitrine de choix dans leurs showrooms à travers tous les États-Unis. Il reçoit un accueil très prometteur de la part de la clientèle. Le constructeur ne manque pas par ailleurs une occasion de l'exposer lors des divers salons automobiles en 1954, tant aux États-Unis qu'en Europe. Mais cela va t'il se traduire en commandes fermes ?

Hudson Italia - Copyright

La clientèle aisée, dans sa grande majorité, n'a pas l'habitude de fréquenter les concessions Hudson. Le constructeur, malgré le succès commercial de ses modèles Step-Down et leurs multiples victoires en NASCAR, souffre encore d'une image de généraliste. Les dirigeants d'Hudson sont conscients, dès le départ, que l'Italia ne pourra pas rivaliser commercialement sur le marché américain avec la plupart des sportives transalpines (Alfa Romeo, Lancia, Fiat ...). C'est pourquoi Hudson prévoit une production limitée à une cinquantaine exemplaires. Cela va rester un produit " d'image ". Les éléments mécaniques sont expédiés en CKD vers l'Italie. Pour Hudson, Touring offre surtout l'avantage d'une main-d'œuvre qualifiée et nettement moins chère qu'aux États-Unis. Vu la logistique mise en place, et la fabrication qui est très artisanale, cette organisation génère tout de même un prix de revient élevé.

Hudson Italia - Source : https://www.reddit.com

Le prix de vente est à l'avenant. Rendu à New York par bateau, Hudson a déjà déboursé 4 350 dollars pour son Italia. Chez les concessionnaires, la voiture est proposée à 4 800 dollars, la plaçant presque au même niveau tarifaire qu'une limousine Cadillac 75. Si la grand tourisme Hudson peut se targuer d'afficher des lignes aussi séduisantes que celles des Cadillac, elle n'en possède ni les dimensions imposantes, ni les puissants V8. L'Italia doit se contenter d'un six cylindres en ligne maison de 3,3 litres. Même avec un taux de compression augmenté et l'ajout de deux carburateurs, le gain de puissance reste modeste : 115 ch contre 105 ch. Contrairement à la majorité des coupés américains de luxe de cette époque, l'Italia n'est pas équipée d'une transmission automatique, mais d'une boîte de vitesses manuelle à trois rapports.

Hudson Italia - Copyright

Les concessionnaires, comme de nombreux clients potentiels, expriment leur déception face à l'absence du moteur de l'Hornet, peut être désuet, mais robuste et performant. L'emploi de l'aluminium pour la carrosserie assure un poids contenu d'environ 1 230 kg, soit tout de même 30 kg de plus qu'une Jet, ce qui permet à l'Italia de se contenter de freins à tambour sur les quatre roues. Cependant, les performances sont jugées trop justes par la clientèle visée, qui déplore également l'absence de malle de coffre accessible depuis l'extérieur. Ainsi, malgré l'ouverture des commandes dès la fin septembre 1953, moins d'une vingtaine d'exemplaires ont trouvé preneur fin 1953.

En janvier 1954, Hudson et Nash annoncent leur fusion pour créer American Motors Corporation (AMC), le quatrième groupe automobile américain. Celle-ci intervient en mai. Cette union entraîne sans tarder la fin de la carrière du coupé Italia. George Mason, ancien président de Nash, est nommé Président d'AMC. Il considère avec pragmatisme que l'expérience a assez duré. L'idée même de l'Italia est une initiative qui passe au final comme étant assez hasardeuse. Il n'est pas raisonnable de la maintenir au programme de production d'AMC. En tant que figure de proue censée attirer le public dans les concessions, l'Italia a manqué son objectif.

Hudson Italia - Copyright

Sur un autre plan, des tensions apparaissent entre Hudson et Touring, qui refuse de fournir des pièces de rechange pour la carrosserie et l'accastillage. En effet, chaque élément de l'Italia étant façonné et assemblé à la main, peu de pièces sont interchangeables d'une voiture à l'autre.

Dans les semaines suivant la création d'AMC, un courrier informe les distributeurs de l'arrêt à court terme du coupé Italia. Principalement pour honorer le contrat avec le carrossier italien et éviter tout litige, AMC commande cinq exemplaires supplémentaires aux dix déjà livrés et aux dix en cours de fabrication. Au total, en incluant le prototype, vingt-six Hudson Italia, toutes de couleur blanc crème, ont été produites. Cette voiture originale quitte la scène dans la plus grande discrétion.

Hudson Italia - Source : https://www.reddit.com

Frank Spring a étudié un projet de berline Italia. Celle-ci est basée sur le châssis et la motorisation de l'Hornet, contrairement au coupé qui utilisait ceux de la Jet. Plus sobre d'aspect, cette berline reste tout de même fidèle à la version originale. Elle diffère surtout par sa taille supérieure. L'idée d'Hudson est d'apporter une succession à la Step-Down, dont la production doit cesser fin octobre 1954. Cependant, le seul prototype réalisé par Touring n'aboutit à aucun modèle de série.

L'Italia a disparu. Cela n'empêche pas Frank Spring de s'inspirer du style de sa calandre pour les modèles Hudson du millésime 1956. L'année suivante, Hudson se saborde au profit de la nouvelle marque Rambler, une décision prise par George Romney, le nouveau PDG d'AMC (George Mason est décédé soudainement en 1954). Quant à Frank Spring, le créateur des lignes de l'Italia, de la Jet et des modèles Step-Down, il est victime d'un accident mortel de voiture en 1959.

Hudson Italia - Source : https://www.reddit.com


Sur une idée originale de Thomas Urban
Reproduction interdite, merci.

Au sujet de Hudson, voir aussi : http://leroux.andre.free.fr/jmphudson.htm

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