Rolls Royce Camargue


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Pendant une longue période, Rolls-Royce s'est peu intéressé aux coupés, préférant laisser ce segment à sa marque sœur Bentley, acquise en 1931. C'est Bentley qui, surfant sur son image sportive héritée de ses heures de gloire aux 24 Heures du Mans dans les années 20, a lancé la Bentley Continental type R en 1952. Rolls-Royce s'est de nouveau intéressé à ce type de carrosserie à la fin des années 60, sur la base de la nouvelle berline Silver Shadow.


Rolls-Royce Silver Shadow et Bentley T


Les Rolls-Royce Silver Shadow et Bentley T présentées en 1965, deux jumelles presque indiscernables si ce n'est par le dessin de leur calandre, marquent un tournant historique pour le constructeur Installé à Crewe, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Manchester. Par souci ce simplification, nous n'utiliserons ici que le nom de la Silver Shadow pour désigner les deux voitures.

Chez Rolls-Royce, la Silver Shadow représente un passage de la tradition à la modernité après des décennies sans bouleversements majeurs. Son design, épuré et contemporain, impulsé par John P. Blatchley, rompt clairement avec les lignes d'antan. Elle est significativement plus compacte que sa devancière, la Silver Cloud III : longueur inférieure de 21 cm, largeur de 10 cm et hauteur de 11 cm. Cela a d'ailleurs nécessité d'abaisser la calandre. C'est la plus petite Rolls-Royce jamais produite depuis 1906. Dix années de travail ont été nécessaires pour la développer et équiper l'usine de Crewe pour sa production, ce qui témoigne de son importance capitale pour le constructeur.

Les formes " modernes " de cette Rolls-Royce lui valent lors de sa sortie quelques critiques sévères de la part des clients les plus traditionalistes de la marque. Si le constructeur de Crewe a fait en effet preuve d'une certaine audace, les chiffres de vente démontreront que le choix était pertinent. 6 699 Silver Cloud on été produites de 1955 à 1966, et 25 142 berlines Silver Shadow de 1965 à 1980.

Rolls-Royce Silver Shadow - Source : https://classicregister.com

La Silver Shadow introduit des innovations radicales, comme une carrosserie monocoque, une suspension hydropneumatique avancée inspirée de Citroën offrant un confort exceptionnel, et un système de freinage à trois circuits hydrauliques. Pour autant, rien n'est véritablement révolutionnaire. Rolls-Royce avance avec prudence. La Silver Shadow n'a pas la prétention d'être à l'avant garde, mais elle est une voiture impeccablement construite.

Il est à noter que quatre Silver Shadow sur cinq sont conduites par leur propriétaire, un changement significatif. Dix ans auparavant, plus de 50 % des Rolls-Royce étaient encore menées par des chauffeurs professionnels. Les grandes entreprises continuent certes à fournir d'excellentes voitures de service à leurs dirigeants, mais elles font de plus en plus souvent l'économie d'un chauffeur.


James Young


Fondé en 1863 à Bromley, au sud de Londres, James Young Limited est un carrossier britannique de renom. Après des débuts dans les attelages hippomobiles, l'entreprise se tourne vers l'automobile dès 1908. James Young se distingue par la production de carrosseries sur mesure de haute qualité, principalement des coupés et des berlines sportives. La marque est particulièrement associée aux châssis des Rolls-Royce et Bentley après la Seconde guerre, bien qu'elle ait également carrossé des Alfa Romeo et Bugatti. Cependant, en raison de l'évolution de l'industrie automobile vers les carrosseries monocoques, James Young cesse ses activités en 1968.

Bentley T par James Young - Source : https://en.wheelsage.org

Quelques mois seulement après la commercialisation des Rolls-Royce Silver Shadow et Bentley T, James Young propose une version coupé qui reprend les lignes de la berline. L'usine de Crewe lui fournit les caisses non peintes. Ce modèle n'est pas intégré au catalogue officiel de Rolls-Royce. Cette éphémère version disparaît dès 1968, après une production limitée à 35 exemplaires à calandre Rolls-Royce et 15 exemplaires à calandre Bentley. Le manque d'intérêt des acheteurs s'explique aisément : les lignes du coupé ne sont pas suffisamment distinctes de celles de la berline, et les tarifs dissuasifs de James Young ne justifient pas une telle dépense. Ces cinquante voitures ont marqué le chant du cygne du célèbre carrossier.


Mulliner Park Ward


A l'origine, H. J. Mulliner et Park Ward sont des carrossiers indépendants, réputés pour leur savoir-faire exceptionnel et leurs créations sur mesure. Ils travaillent principalement sur des châssis de Rolls-Royce et de Bentley. L'histoire de la famille Mulliner, basée à Londres, remonte bien avant l'automobile. Dès 1760, ce sont déjà des carrossiers renommés, produisant des diligences pour le Royal Mail à Northampton. C'est à la fin du XIXe siècle que H. J. Mulliner & Co se spécialise dans la carrosserie automobile, devenant rapidement synonyme de qualité et de luxe sur mesure. En 1959, Rolls-Royce acquiert H. J. Mulliner.

De son côté, Park Ward est fondé en 1919 par William MacDonald Park et Charles Ward. Ils établissent leur entreprise de carrosserie à Londres. En 1931, Rolls-Royce prend une participation dans Park Ward, avant de l'acquérir entièrement en 1939, en créant une filiale à part entière. En 1961, la fusion de ces deux entités donne naissance à Mulliner Park Ward, la division de carrosserie interne de Rolls-Royce.

En 1966, Rolls-Royce présente une version coupé deux portes de la Silver Shadow, suivie en 1967 par son équivalent en version cabriolet. Le dessin de ces modèles est attribué à Bill Allen. Le galbe de leurs ailes arrière leur confère une allure moins stricte que la berline de série ou la proposition de James Young. Le coupé offre quatre vraies places. Les sièges arrière sont facilement accessibles par la large portière, et les passagers y sont aussi confortablement installés que dans la berline normale. Cette version coupé est produite à 591 exemplaires jusqu'en 1971 (et 505 exemplaires pour le cabriolet) avant de changer de nom pour devenir la Corniche.

Rolls-Royce Silver Shadow par Mulliner Park Ward - Source : https://en.wheelsage.org


Rolls-Royce Corniche


En 1971, les versions coupé et cabriolet de la Silver Shadow adoptent le nom de Corniche. Ce choix n'est pas anodin : une corniche est une route qui longe une côte ou une falaise, offrant des vues panoramiques spectaculaires. Les corniches de la Côte d'Azur appréciées par les britanniques symbolisent la Riviera française, un lieu synonyme de richesse, de beauté et de sophistication. D'ailleurs, le nom " Corniche " a déjà été utilisé en 1938 pour désigner un prototype de Bentley.

Rolls-Royce Corniche - Source : https://en.wheelsage.org

Bien que l'apparence de la Corniche reste inchangée par rapport aux coupé et cabriolet Silver Shadow qu'elle remplace, le modèle bénéficie de multiples améliorations techniques, notamment une puissance accrue, bien que Rolls-Royce ne communique traditionnellement pas sur les chiffres précis de performance. Le coupé Corniche est produit jusqu'en 1981 à 1 108 exemplaires. Ce nombre relativement faible démontre qu'il n'est pas vraiment parvenu à trouver sa place au sein de la gamme Rolls-Royce. En revanche, le cabriolet Corniche connaît un franc succès, avec 5 154 unités produites jusqu'en 1995


Genèse de la Camargue


Jusqu'aux années 1960, la marque Rolls-Royce est principalement reconnue pour ses élégantes berlines. Mais l'entreprise ressent le besoin de se positionner sur de nouveaux segments et de rajeunir son image. Elle cherche à attirer une clientèle plus diversifiée, notamment aux Etats-Unis, où les coupés de grand luxe connaissent un succès croissant. Une frange de la clientèle exige en effet toujours plus de confort et de distinction.

Les constructeurs italiens ont le vent en poupe en Angleterre dans les années 60. Pour Pininfarina, la collaboration a commencé avec l'Austin A40 en 1958, avant de se poursuivre avec la famille des Austin A55 Cambridge Mk II, MG Magnette Mk III, ... et celle des imposantes Austin A99/A110 Westminster et consoeurs, etc ... Triumph fait dessiner ses voitures par Giovanni Michelotti, tandis qu'Aston Martin sollicite occasionnellement Elio Zagato. On ne s'étonne donc plus de voir la Camargue naître dans les ateliers turinois de Pininfarina.

Le nom " Camargue " fait référence à la région naturelle française située au bord de la mer Méditerranée, formée par le delta du Rhône. " Delta " est d'ailleurs le nom de projet interne de la Camargue, depuis ses débuts en 1969. Cette zone humide abrite de nombreuses espèces animales et végétales. L'utilisation d'une désignation faisant référence à la France n'est pas une première chez Rolls-Royce, comme en témoigne la Corniche.

Rolls-Royce Camargue - Collection ALR

Le développement de la Camargue s'inscrit dans un contexte économique assez particulier. Au début des années 1970, une crise majeure frappe le secteur aéronautique de Rolls-Royce, causée par les coûts exorbitants et les retards du moteur RB 211 développé pour Lockheed. Cela mène à la faillite en février 1971. Un sursis est accordé à la firme. Le gouvernement prend le contrôle des activités aéronautiques, mais refuse de nationaliser la division automobile. Les actions de cette dernière sont alors relancées en bourse, et cette opération remarquablement menée fait entrer suffisamment d'argent dans les caisses pour permettre une poursuite des activités dans de bonnes conditions. Cette séparation permet à l'activité automobile de se concentrer sur son cœur de métier, libérée du fardeau financier de l'aéronautique.

David Plastow (1932-2019), nommé PDG du groupe en mars 1972, remet de l'ordre dans la grande maison. Rolls-Royce maintient ses méthodes artisanales de construction, avec des procédures de contrôle rigoureuses, mais elles sont désormais appuyées par une organisation et un contrôle financier bien plus stricts.

Sir David Arnold Stuart Plastow (1932-2019) a eu une carrière significative chez Rolls-Royce, où il travaillé entre 1958 et 1980. Lorsqu'une entité distincte, Rolls-Royce Motors, est créée en 1972, David Plastow en devient le président. Il a occupé ce poste jusqu'en 1980. Source : https://classicsworld.co.uk

Quelques conclusions s'imposent : les Rolls-Royce ne sont pas vendues assez cher pour assurer une gestion saine de l'entreprise, et leur prix ne correspond pas à leur image. Il ne s'agit pas simplement d'augmenter le prix des modèles existants pour compenser l'inflation, mais de lancer sur le marché de nouveaux modèles plus rares et plus chers.

Pour David Plastow, le marché mondial est prêt à accepter un autre modèle Rolls-Royce plus cher, pourvu que sa carrosserie symbolise par sa forme comme par son caractère un perfectionnement significatif. Le projet Delta de la future Camargue a débuté avant l'effondrement de Rolls-Royce. Ce modèle s'inscrit parfaitement dans la nouvelle stratégie du constructeur, et les fonds nécessaires à la poursuite de l'étude sont débloqués.

La Rolls-Royce Camargue est présentée à la presse en Sicile le 15 janvier 1975. Elle est officiellement commercialisée au Royaume-Uni à partir du 5 mars, et sa première apparition sur un Salon a lieu à Genève, du 13 au 23 mars 1975. Si la voiture a été dessinée chez Pininfarina, ce sont les ateliers de Mulliner Park Ward qui assurent la fabrication des carrosseries. Celles-ci sont ensuite livrées à Crewe où a lieu l'assemblage final.

Ses dimensions sont imposantes. La longueur est identique à celle de la berline Silver Shadow, dont elle reprend l'empattement : 5,17 mètres. Par contre, sa largeur est de 1,92 mètres, soit 12 cm de plus que la berline. Au fil des ans, le modèle va bénéficier de toutes les améliorations apportées à la Silver Shadow : direction assistée à crémaillère en 1977, taux de compression plus élevé en 1981, etc ...

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org


Généalogie


A Crewe, il a été décidé que confier la conception de la Camargue à Pininfarina ne pouvait que donner naissance à un chef-d'œuvre, quelle que soit la direction stylistique choisie. Le célèbre carrossier italien a ainsi reçu carte blanche de la part du constructeur britannique. La seule et unique contrainte imposée est de préserver le dessin et les proportions de la calandre emblématique de Rolls-Royce. La Camargue n'est pas une création spontanée. Son ascendance est riche d'influences.

L'histoire commence bien avant la Camargue, avec Jean Daninos, le fondateur de la future marque Facel Vega. Appréciant le confort et les performances des Bentley, il obtient l'accord du constructeur britannique pour étudier un prototype de coupé quatre places. Après avoir dessiné plusieurs projets au sein de son propre bureau d'études, et faute d'équipements adéquats pour construire le prototype, il en confie l'étude et la réalisation à Pinin Farina. La voiture, la Bentley Cresta, suscite un vif intérêt au Salon de Paris en 1948. Une douzaine d'exemplaires sont produits et distribués par Franco Britannic, l'importateur officiel de Rolls-Royce et Bentley en France.

Bentley Cresta - Source : https://www.carjager.com

Le succès de la Bentley Cresta pousse Jean Daninos à poursuivre l'expérience. En 1951, il crée une seconde voiture sur un châssis de Bentley Mk VI. Ce coupé aux lignes surbaissées, dessiné cette fois par ses soins, préfigure le style des futures Facel Vega. Cette voiture est demeurée unique et aurait été utilisée par Jean Daninos lui-même pour ses déplacements personnels durant plusieurs années.

Bentley Cresta II - Source : https://www.carjager.com

La Bentley Coupé Speciale est née d'une commande de James E. Hanson, un riche entrepreneur britannique qui deviendra Lord Hanson. En 1965, il contacte Sergio Pininfarina. Enthousiasmé, le designer italien accepte de réaliser le projet à prix coûtant, voyant là l'opportunité de créer un prototype qui pourrait convaincre Rolls-Royce d'adopter ce dessin pour une nouvelle Bentley Continental. Bien que l'intuition de Sergio Pininfarina soit juste, le résultat ne sera pas celui attendu : la Bentley Coupé Speciale ne deviendra pas la nouvelle Continental, mais elle a visiblement inspiré la future Rolls-Royce Camargue.

 Bentley T1 Coupe Speciale Pininfarina - Source : https://en.wheelsage.org

L'empreinte de Pininfarina est clairement visible dans cette Bentley Coupé Speciale, notamment à travers sa ligne de toit effilée, rappelant la Ferrari 365 GT, ses feux arrière circulaires et ses aménagements intérieurs raffinés. Pininfarina a pris soin d'abaisser le radiateur tout en restant fidèle au style d'origine afin de ne pas déplaire à Rolls-Royce. Cette voiture est officiellement présentée aux Salons de Londres et de Paris en 1968. Son design est l'œuvre de Paolo Martin, responsable du style chez Pininfarina depuis juillet 1968.

 Bentley T1 Coupe Speciale Pininfarina - Source : https://en.wheelsage.org

Pour la Camargue, Paolo Martin semble s'être également inspiré d'un autre projet contemporain : la Mercedes-Benz 300 SEL 6.3 Coupé Pininfarina de 1969. Ce véhicule unique a été commandé par un client néerlandais désirant une version coupé de la luxueuse berline 300 SEL 6.3. Pininfarina a transformé le châssis de cette puissante berline (équipée d'un V8 de 250 chevaux) en un élégant coupé 2+2 aux lignes plus fluides et plus dynamiques. Si sa calandre évoque les Mercedes SL, son long pavillon élancé rappelle sans conteste la Camargue.

Mercedes-Benz 300 SEL 6.3 Coupé Pininfarina de 1969 - Source : https://espirituracer.com

Mercedes-Benz 300 SEL 6.3 Coupé Pininfarina de 1969 - Source : https://www.auto-motor-und-sport.de

Dès janvier 1970, Sergio Pininfarina présente les premiers travaux de Paolo Martin à Rolls-Royce. Outre ses lignes quelque peu taillées à la serpe, la Camargue se distingue par la sobriété du traitement de ses flancs, presque dépourvus de décorations. Sa lunette arrière pentue suggère la vitesse même à l'arrêt. Paolo Martin a élargi le radiateur de 22 à 26 lamelles et ajouté un jonc chromé sous les fenêtres pour agrandir visuellement la surface vitrée vers le bas. La Camargue s'apparente autant à une berline deux portes qu'à un coupé. D'ailleurs, si on lui retire sa calandre " Panthéon ", il devient difficile de reconnaître une Rolls-Royce.

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org

L'allure générale du coupé Camargue a toujours divisé les opinions. Certains la considèrent comme une œuvre d'art moderne, tandis que d'autres la critiquent plus ouvertement. La calandre inclinée est l'un des points les plus litigieux pour les puristes : pour la première fois, la calandre emblématique de Rolls-Royce n'est plus parfaitement verticale, mais inclinée de quatre degrés vers l'avant. Pininfarina a cherché à donner à la Camargue un aspect plus contemporain, avec des lignes plus douces et un profil plus bas et large. Cependant, beaucoup estiment que ce design manque de la majesté et de l'exclusivité visuelle attendues d'une Rolls-Royce. L'équilibre des masses est également critiqué, la carrosserie semblant parfois " posée " lourdement sur le châssis, avec un porte-à-faux arrière jugé trop important.

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org

La ligne de ceinture de caisse est relativement haute, ce qui, combiné à la hauteur générale de la voiture héritée de la plateforme Silver Shadow, donne une impression de lourdeur plutôt que d'élégance élancée. Les feux arrière sont la cible de moqueries, certains les trouvant génériques, voire provenant d'une " banque d'organes " de véhicules moins prestigieux. On les croirait prélevés sur un utilitaire Fiat, ce qui est inacceptable pour la marque summum du luxe automobile. Au-delà de ces points, la critique la plus fondamentale est que la Camargue ne " ressemble pas " à une Rolls-Royce. Elle n'incarne pas la même opulence classique, la même prestance intemporelle que ses devancières. On pourrait presque la prendre pour une grosse Fiat 130 Coupé, d'ailleurs dessinée par le même Paolo Martin, ou pour une grosse américaine, produite par Cadillac ou Lincoln.

Fiat 130 Coupe - Source : https://en.wheelsage.org

Paradoxalement, les mêmes arguments utilisés pour dénigrer l'esthétique d'une voiture peuvent être employés pour en vanter l'originalité et le caractère. Ce qui rend une voiture " laide " aux yeux de certains peut être précisément ce qui la rend unique et magnifique pour d'autres. La Camargue en est l'exemple parfait.


La technique


La Rolls-Royce Camargue partage l'essentiel de sa mécanique avec la Silver Shadow, en particulier le fameux V8 Rolls-Royce de 6 750 cm3. Bien que le constructeur ne divulgue jamais la puissance exacte de ses moteurs, se contentant d'affirmer qu'elle est " suffisante ", les tests menés par la presse automobile estiment que la version européenne de la Camargue développe environ 225 chevaux. Les versions destinées au marché américain offrent une puissance légèrement inférieure en raison des systèmes antipollution. La consommation est proche des 30 litres aux 100 km.

La Camargue se distingue par une robustesse remarquable. Sa carrosserie est si solide qu'elle a réussi tous les tests de sécurité américains (chocs latéraux, arrière, sur le toit et frontaux à 30 miles par heure) avec un seul et même véhicule d'essai. L'habitacle est conçu pour la sécurité des occupants : le tableau de bord intègre des panneaux en aluminium absorbant les chocs, subtilement recouverts de placage de noyer. Les portes sont équipées de barres anti-intrusion pour une meilleure protection en cas de choc latéral, et le volant est conçu pour s'escamoter en cas de collision, réduisant ainsi les risques de blessures. Un système d'avertissement complet informe le conducteur de diverses situations, comme une trop basse pression des pneus, un niveau insuffisant de liquide de frein ou des conditions routières glissantes. Enfin, la qualité des matériaux, son poids de 2,35 tonnes et sa taille confèrent à la Camargue une inertie considérable en cas de collision, ce qui peut s'avérer un avantage face à des véhicules plus petits et légers !

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org


Luxe, calme et volupté


Les premières Rolls-Royce Camargue sont assemblées en 1975 dans les ateliers de Mulliner Park Ward dans le nord de Londres. En 1978, la production est transférée à l'usine principale de Crewe, où elle va se poursuivre jusqu'au retrait du modèle du catalogue en 1986. A Crewe, le savoir-faire de Mulliner Park Ward, dont les moyens de production ont été transférés depuis Londres, reste crucial. Cela signifie que la carrosserie, l'ajustement des panneaux, la peinture, et l'habillage intérieur (sellerie, boiseries, etc.) continuent de bénéficier de l'expertise artisanale de Mulliner Park Ward. Pour identifier la provenance d'une Camargue, il suffit de regarder la plaque sur le seuil de porte : les modèles de Crewe affichent " Coachwork by Rolls-Royce Motors Ltd, designed by Pininfarina ", tandis que ceux de Willesden portent la mention " Coachwork by Mulliner Park Ward ".

La Rolls-Royce Camargue introduit des innovations technologiques significatives. Son système de climatisation est particulièrement avancé pour l'époque : il peut délivrer automatiquement et simultanément deux températures différentes, l'une au niveau du visage et l'autre au niveau du plancher. Cette particularité permet aux occupants de la Camargue de voyager les pieds au chaud et la tête au frais, un summum du confort. Au moment de son lancement, la Camargue est la seule Rolls-Royce à bénéficier de l'air conditionné, un privilège qui sera étendu aux autres modèles de la marque dès l'année suivante.

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org

En ouvrant l'immense porte, on découvre un intérieur digne d'un majestueux boudoir. La clientèle traditionnelle de Rolls-Royce peut être rassurée : les traditions de la maison sont bien préservées, offrant le summum du luxe. L'habitacle se distingue par ses sièges entièrement revêtus de cuir Connolly et son épaisse moquette en laine Wilton. La planche de bord est inédite par le style et le positionnement de ses instruments : ils ne sont pas encastrés, mais sertis extérieurement, ce qui rappelle les cadrans d'instrumentation d'un avion. Un épais volant gainé de cuir remplace avantageusement le volant en bakélite habituel. La Camargue surprend également par son excellente habitabilité et l'ampleur de ses surfaces vitrées. Les places arrière, particulièrement larges, accueillent deux personnes dans des fauteuils indépendants, et le coffre, entièrement tapissé de moquette, offre un volume exceptionnel.

Rolls-Royce Camargue - Collection ALR

Sur la route, le glougloutement paisible de l'énorme V8 de conception anglaise révèle un comportement très américain. La boîte de vitesses automatique à trois rapports, fournie par la General Motors, assure des changements de vitesse " virtuellement imperceptibles ", selon la brochure publicitaire. La tenue de route est bonne, mais les suspensions très souples n'incitent pas à une conduite sportive, une caractéristique confirmée par l'absence de compte-tours au tableau de bord.


L'exportation vers les Etats-Unis


Les livraisons aux Etats-Unis des premières Camargue interviennent début 1976. Ce marché étant crucial pour Rolls-Royce, la marque doit se conformer à des normes de sécurité et d'émissions de pollution de plus en plus strictes. Extérieurement, ces voitures se distinguent par leurs pare-chocs plus épais et leurs feux de position situés aux extrémités des ailes arrière.

Rolls-Royce Camargue - Collection ALR

La Californie a joué un rôle primordial pour Rolls-Royce. C'est d'ailleurs à cet Etat que sont destinés les douze derniers exemplaires de la Camargue, commercialisés sous le nom de " Limited Edition ". Ces ultimes voitures, produites en 1986, arborent une carrosserie blanche rehaussée de minces filets rouges. Leur habitacle est somptueusement garni d'une sellerie en cuir rouge avec des passepoils blancs. Chaque exemplaire inclue un nécessaire à maquillage pour dames et un service à liqueurs composé de verres en cristal et de flacons en métal argenté, soulignant le luxe et l'exclusivité de cette série finale.

Rolls-Royce Camargue - Source : https://en.wheelsage.org


Le prix de la rareté


Lors de son lancement en 1975, la Rolls-Royce Camargue est réputée être la voiture de série la plus chère du monde, un statut qui lui confère d'ailleurs une part de son prestige. En octobre 1975, elle est facturée 453 600 francs en France. A titre de comparaison, la Peugeot 604, le haut de gamme hexagonal, coûte 41 700 francs. La Daimler Double Six, autre voiture britannique de grand luxe, ne vaut " que " 93 900 francs. Pour le prix d'une Camargue, l'amateur fortuné peut s'offrir une Ferrari 365 GT BB, une Lamborghini Countach et deux Citroën 2 CV 6 ! On imagine la marge bénéficiaire confortable que s'octroie Rolls-Royce.

Rolls-Royce Camargue - Collection ALR

Ce tarif élevé s'explique par plusieurs facteurs. Jusqu'en 1978, la répartition de la production sur deux sites impose des mouvements coûteux entre les ateliers Mulliner Park Ward de Londres et l'usine de Crewe, distants de près de 300 km. Chaque Camargue est assemblée presque entièrement à la main, avec un niveau de savoir-faire et d'attention aux détails inégalé. L'intérieur est garni des cuirs les plus fins, de boiseries précieuses et de moquettes épaisses, reflétant un luxe sans compromis. La production de la Camargue s'effectue à un rythme paisible. Le constructeur précise dans son dossier de presse que la construction de chaque exemplaire, depuis les premiers emboutissages des tôles jusqu'au contrôle final avant la sortie d'usine, nécessite pas moins de 24 semaines. La Camargue s'adresse incontestablement à une élite, et son constructeur assume pleinement ce positionnement.


Epilogue


La carrière en demi-teinte de la Rolls-Royce Camargue soulève des interrogations. Deux facteurs ont plaidé en sa défaveur : son prix dissuasif et son style controversé. Au final, la voiture est restée au catalogue pendant 11 ans, avec une production de seulement 531 exemplaires. Parmi ceux-ci, 178 ont été finalisés chez Mulliner Park Ward à Londres, les 353 autres à Crewe. Les dernières années, Rolls-Royce a semblé délaisser la Camargue, ne relançant sa production qu'à la demande de clients très spécifiques et dotés d'un compte en banque particulièrement bien garni. La Camargue a discrètement quitté la scène durant l'été 1986, juste avant l'arrivée de la Silver Spirit.

Bien des années plus tard, en 2008, Rolls-Royce extrapole un coupé à partir de sa limousine Phantom. Ce modèle, inspiré du concept 101 EX dévoilé à Genève en 2006, affiche des dimensions monumentales (5,60 mètres de long, 1,98 mètre de large et 1,58 mètre de haut) et des portes à ouverture antagoniste. Par ses proportions et son positionnement, ce Coupé Phantom apparaît comme le digne héritier de la Camargue.

Rolls-Royce Phantom Coupe, 2008 - Source : https://en.wheelsage.org

Sur une idée originale de Thomas Urban.
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