Chenard et Walcker
Les origines de Chenard et Walcker Si l'histoire de Renault, Peugeot, Citroën ou Simca est largement décrite dans de nombreux ouvrages et donc bien connue de tous, avant de s'intéresser aux camionnettes Chenard et Walcker des années 40, sujet de cette page, il semble intéressant de revenir brièvement sur les origines et la vie mouvementée de cette marque. Fondée le 19 janvier 1898 à Asnières, près de Paris, la société des Automobiles Chenard et Walcker concrétise la volonté de deux associés, Ernest Chenard, ingénieur mécanicien, et Henry Walcker, financier et commanditaire, de se lancer dans la construction automobile, une industrie naissante pour laquelle ils ont déjà travaillé en tant que sous-traitant dans la taille d'engrenages. Après la construction de quelques tricycles à moteur De Dion, la nouvelle firme expose en 1901 le châssis d'une première voiturette. A partir de 1906, les établissements Chenard et Walcker développent leur activité de constructeur d'automobiles complètes en déménageant d'Asnières à Gennevilliers. La première guerre, avec ses retombées techniques et financières sur l'industrie mécanique, a entraîné le développement des usines qui emploient près de 1000 personnes en 1920. C'est le début d'une époque fertile en créations originales qui, dans le domaine sportif, vont faire de Chenard et Walcker une " grande marque ". La mort d'Henri Walcker en 1912 et celle d'Ernest Chenard en 1922 déstabilise tout de même l'entreprise, et quelques conflits naissent au sein même de la direction.
Publicité Chenard et Walcker, 1920 C'est une Chenard et Walcker qui parcoure lors de la première édition des 24 Heures du Mans en 1923 la plus longue distance. La numéro 9 entre dans la légende en tournant à 92 km/h de moyenne pendant 24 heures. Chenard restera pour la postérité le premier vainqueur du Mans. Nous n'allons pas ici détailler l'histoire des différents modèles Chenard et Walcker des années 20. C'est pourtant durant cette décennie que cette entreprise atteint son apogée, occupant le quatrième rang des constructeurs français derrière Citroën, Renault et Peugeot. Le sérieux de ses fabrications, leur réputation de robustesse et l'aura que leur confèrent de retentissants succès sportifs autorisent tous les espoirs d'un développement continu et harmonieux, d'autant que les résultats financiers suivent eux aussi une courbe ascendante. Sur le plan stratégique, les dirigeants de Chenard et Walcker songent à s'allier avec d'autres constructeurs. La réussite de la General Motors aux Etats-Unis leur donne quelques idées. L'objectif est bien de réaliser des économies d'échelle, de mieux acheter les matières premières et d'obtenir des prix de revient comparables à ceux des trois grands constructeurs français. Des pourparlers sont engagés avec Unic, puis avec Delahaye. La taille assez proche de ces entreprises, leur culture, leur réputation sur le marché en font des partenaires tout à fait envisageables. Un protocole est signé en 1927. Des études sont menées en concertation avec Delahaye, conduisant à la production en commun de certains modèles dont seule la calandre diffère. Unic reste en retrait pour le moment. Mais en raison de cette unification, le réseau des agents des trois marques commence à s'inquiéter de la disparition potentielle de certaines succursales. Dans ce contexte, Unic renonce rapidement à cette association. Les discussions se poursuivent chez Chenard et Walcker. De nouveaux contacts sont noués avec Donnet et Rosengart ... sans que Delahaye en soit informé, ce qui contrarie quelque peu les dirigeants de la rue du Banquier. En 1928, Chenard et Walcker participe à l'augmentation de capital d'Aries.
Publicité pour le " Consortium des Grands Constructeurs " Les affaires se compliquent quand en 1929 les services fiscaux décident d'étudier les factures de rétrocession entre Chenard et Walcker et Delahaye. Une part des revenus de ces sociétés échapperait ainsi de manière illégale à l'impôt. Ces ennuis tendent à refroidir les ardeurs de Chenard et Walcker. Par ailleurs les projets élaborés en commun avec les différents associés ne progressent pas à la vitesse espérée. En juin 1930, Chenard et Walcker informe Delahaye de son souhait de mettre fin à leur rapprochement. Chez Chenard et Walcker, on a l'étrange sentiment que certains partenaires ont surtout tenté de profiter de la puissance industrielle et financière de la firme de Gennevilliers. Comme nombre de ses confrères, Chenard et Walcker se retrouve en perte de vitesse au début des années 30, avec des volumes en baisse et des coûts de production élevés. Ses concurrents aux dents longues (Mathis, Donnet ...) ne lui font pas de cadeau, et tentent par tous les moyens de le déloger de son rang de premier des " seconds couteaux ". Sous l'impulsion de l'incontournable ingénieur Jean-Albert Grégoire, le constructeur de Gennevilliers se lance en 1934 dans la production d'une nouvelle voiture à traction avant, la Super Aigle. C'est un pari technique et financier risqué. A la même époque, Citroën vient aussi de lancer son modèle à traction avant, plus moderne d'aspect et moins coûteux à l'achat. C'est un coup dur pour Chenard et Walcker, où l'on n'a même pas pris la peine de dessiner un modèle inédit. En effet, la Super Aigle emprunte sa carrosserie à l'Aigle 4, voiture classique à propulsion. C'est d'autant plus regrettable que Citroën est à la peine avec sa Traction Avant qui connaît de graves maladies de jeunesse, ce qui n'est pas le cas de la Chenard et Walcker. Cette même année, le constructeur de Gennevilliers, pour la première fois de son histoire, perd de l'argent. Les troubles sociaux de 1935 affaiblissent encore un peu plus l'entreprise. En mars, ce sont 2500 grévistes qui paralysent l'activité en occupant les ateliers. En juin, un accord est signé avec Chausson, important sous-traitant du monde automobile, qui recherche de la surface en région parisienne pour y installer de nouvelles machines. Moyennant un loyer, Chenard et Walcker met à leur disposition ses ateliers de carrosseries de Gennevilliers. Chausson devient de fait le fournisseur carrosserie de Chenard et Walcker (il travaille parallèlement pour Matford), à des conditions avantageuses pour le constructeur automobile. En février 1936, Chenard et Walcker est contraint de déposer son bilan. Son avenir pourrait passer par une entente avec un autre industriel. Renault, Peugeot et Citroën n'ont aucun intérêt à ce qu'un autre grand constructeur étranger reprenne en main Chenard et Walcker. Ils ont en effet déjà à subir la concurrence de Ford qui a repris Mathis, et de Fiat qui soutient Simca.
Publicité Chenard et Walcker, 1936 En mai 1936, après la victoire du Front Populaire, les usines sont de nouveau occupées durant trois semaines. Les accords de Matignon prévoient une hausse des salaires et la généralisation de la semaine de quarante heures. Les circonstances politiques et sociales rendent très difficile sinon impossible le licenciement indispensable d'une partie du personnel. En raison de leurs prix élevés, les Chenard et Walcker sont de plus en plus difficiles à vendre. L'usine tourne avec une production quotidienne de six à huit voitures, alors que sa capacité est d'environ cinquante unités. C'est économiquement intenable. Chausson absorbe Chenard et Walcker en 1936. Chausson va remettre de l'ordre chez Chenard et Walcker, et aider la firme à revenir à des productions plus rentables, en commençant par réduire les coûts de production. A partir de 1937, le haut de gamme Aigle 8 est équipé d'un V8 Ford, et la version la plus économique, l'Aigle 22, emprunte son moteur à la 11 CV Citroën. Evidemment, chez Chenard et Walcker, on se garde bien de faire la moindre allusion à l'origine de ces mécaniques. Pour la fourniture de ces ensembles, Chausson a joué un rôle déterminant dans les négociations, en se portant garant du paiement des factures. Chenard et Walcker peut enfin vendre ses automobiles à des prix plus concurrentiels sans perdre d'argent. Le constructeur vise une production mensuelle de 300 à 500 voitures à moteur Citroën, et de 30 à 40 à moteur V8 Ford.
Brochure Chenard et Walcker Aigle 22, 1938 En 1938 et 1939, la fabrication des automobiles Chenard et Walcker se poursuit dans des conditions convenables. L'entreprise a pour l'instant sauvé sa peau, mais elle reste un petit constructeur, face aux géants que sont devenus Renault, Peugeot et Citroën. Il est vrai que le constructeur de Gennevilliers ne dispose pas, et loin s'en faut, d'un réseau de distribution aussi dense que celui de ses concurrents. Quand Chenard et Walker produit en moyenne 150 voitures par mois, ce nombre est supérieur à 4000 pour Renault, Peugeot et Citroën. Entre ces deux extrêmes, Simca progresse avec un peu moins de 2000 voitures par mois, tandis que Matford, Rosengart et Hotchkiss se situent dans une fourchette comprise entre 200 et 550 unités. En 1940, Jules Chausson prend la présidence et Chenard et Walcker, alors que la production des voitures de tourisme cesse définitivement en raison de la guerre. Type CHE, mars 1941, les débuts du fourgon Chenard et Walcker Chenard et Walcker étudie à la demande de l'armée un véhicule sanitaire léger, connu sous l'appellation T60. Des prototypes sont construits, mais le projet n'est pas validé par les autorités militaires, qui choisissent en décembre 1939 une autre proposition de Citroën. Chenard et Walcker poursuit pour son compte le développement de ce petit utilitaire à traction avant. De nouveaux prototypes sont assemblés, et présentés aux Mines. C'est ainsi que le type CHE, version civile et corrigée du T60, voit le jour en mars 1941.
Chenard et Walcker T60 (archives MG) Le type CHE possède une carrosserie à cabine avancée qui offre une excellente visibilité au conducteur, un plancher plat, et des roues avant motrices. Avec un poids à vide de 986 kg, le fourgon propose une charge utile de 1500 kg, quand son concurrent direct, le TUB de Citroën, ne peut supporter que 850 kg. Son cahier des charges tient en quelques mots : disposer d'un maximum de charge utile et de volume dans un minimum d'espace. On est surpris par la faiblesse de la motorisation, un 2 cylindres 2 temps de 720 cm3, qui avec seulement 20 ch peine évidemment à porter la charge. La réduction du poids mort a été obtenue par l'utilisation d'alliages dont la légèreté n'altère pas la robustesse. Le pesant châssis d'antan a été remplacé par deux longerons en U solidaires d'un caisson léger constituant la carrosserie. Il n'y a pas de données précises sur le nombre de fourgon Chenard et Walcker produits pendant la guerre, mais leur total ne saurait excéder quelques dizaines. Deux versions sont annoncées : fourgon et plateau. Type CHT, avril 1945, cylindrée portée à 1021 cm3 Le nouveau type CHT est réceptionné aux Mines en avril 1945. Le bicylindre est poussé à 1021 cm3 et 25 ch. Ce moteur qui fonctionne à l'essence est dérivé d'une version gazogène (type CHB, puissance de 15 ch) de 1941. Le constructeur de voitures électriques Sovel assemble quelques versions électriques du CHT. La production de Chenard et Walcker reste chaotique, en raison des difficultés d'approvisionnement en métaux. La brochure publicitaire annonce une " vitesse réalisable en charge sur route moyennement accidentée de 40-45 km/h ".
Les quatre faces du dépliant imprimé en 1945 Type CHV, juin 1946, une nouvelle ligne Les lignes du premier fourgon taillé à la serpe à la fin des années 30 manquent vraiment d'élégance. Un nouveau dessin aux formes plus rondes, plus agréables à l'oeil, inspiré des productions des autocars Chausson, est retenu. Ce choix est important, car Chenard et Walcker bénéficie désormais d'un contexte favorable : le plan Pons qui organise toute la production automobile à la fin des années 40 a attribué à Chenard et Walcker l'exclusivité de la production des camionnettes de 1500 kg. La nouvelle carrosserie permet de grignoter 0,3 m3 en volume utile, à 6,8 au lieu de 6.5 m3. Le pare-brise d'une seule pièce est remplacé par un autre en deux parties, moins coûteux à fabriquer. L'utilitaire type CHV est aussi disponible sous la forme d'un plateau. Le constructeur est disposé à exécuter à la demande des aménagements particuliers : ambulance, omnibus d'hôtel, fourgon mortuaire, etc ...
Dépliant quatre pages d'octobre 1946 Il est important pour Chenard et Walcker de ne pas se laisser distancer par Citroën, qui conscient du la charge utile insuffisante de son TUB, prévoit de lancer un nouvel utilitaire plus ambitieux. Cela sera le fameux type H. Si l'esthétique du fourgon type CHV est revue, celui-ci conserve encore le moteur bicylindre à la puissance notoirement insuffisante. Cette situation n'est pas favorable aux ventes, et il devient primordial pour son constructeur de s'en préoccuper. Un très beau catalogue publicitaire est édité pour mettre en avant les qualités du fourgon et du plateau tout acier. Les superbes illustrations de ce document ne sont pas signées, mais elles n'ont rien à envier aux créations des illustrateurs les plus réputés (Alex Kow, Géo Ham ...). Quand on connaît le niveau de production réellement atteint, une trentaine de véhicules par mois, on peut s'étonner du dessin représentant ce qui s'apparente à une chaîne d'assemblage.
" Une production en grande série " Type CPV, Avril 1947, le moteur de la Peugeot 202 Chenard et Walcker signe un accord avec Peugeot en avril 1947, au terme duquel le constructeur sochalien accepte de fournir le moteur 4 cylindres, 1133 cm3 et 30 ch, de la Peugeot 202 en lieu et place de l'anémique bicylindre maison. Ce n'est pas la matière grise qui fait défaut à Gennevilliers pour concevoir un nouveau moteur, mais bien le temps et les moyens financiers. Le moteur Peugeot semble offrir toutes les garanties de puissance et de fiabilité. Cette nouvelle version est disponible à partir du Salon de Paris en octobre, et elle est immédiatement identifiable à la proéminence visible sur la face avant, que le grand public baptise bientôt du sobriquet de " nez de cochon ". Celle-ci permet d'intégrer la nouvelle mécanique plus volumineuse. L'ensemble Peugeot est de nature à rassurer une partie de la clientèle. Il sera en effet plus aisé de trouver à peu près partout des pièces de rechange à prix modéré. Le poids à vide passe de 1260 à 1300 kg et la longueur de 4,25 à 4,40 mètres. La puissance fiscale demeure inchangée à 6 CV.
Feuillet recto verso pour les camionnettes Chenard et Walcker à moteur Peugeot 202 La Revue Technique Automobile, dans son numéro Salon d'octobre 1947, apporte rétrospectivement le commentaire suivant concernant le moteur deux cylindres : " ... il semble que Chenard ait perçu des réticences de la part de la clientèle, attribuées à l'emploi du moteur 3 temps ... on juge plutôt le moteur un peu faible dans le cas de tournées " accidentées " avec la charge que peut supporter le véhicule ... En effet, le moteur développe seulement 25 ch, ce qui, pour un poids total roulant de 2760 kilos, fait 110 kilos de charge au cheval ... " et précise concernant la nouvelle motorisation " Chenard maintient, conforme aux précédentes caractéristiques, sa 1500 kilos traction AV, mais l'équipe d'un moteur 4 cylindres, 4 temps, d'un modèle réputé, le 202 Peugeot, qui donne 30 ch. La charge au cheval descend ainsi à 91 kilos, soit une amélioration de plus de 25 %. Avec ses possibilités d'emploi accrues, la 1500 kg Chenard est à reconsidérer favorablement ". Cette remise au goût du jour n'est toutefois pas suffisante pour relancer les ventes. Toute l'industrie reste pénalisée par les difficultés d'approvisionnement en matières premières. Mais surtout, le fourgon Chenard et Walcker est cher, plus cher que ses concurrents Renault 1000 kg et Citroën H, avec des prix qui ne cessent de s'envoler en raison d'une inflation galopante. De 1947 à 1950, par année civile, le niveau de production s'élève à (respectivement) 1013, 1242, 2532 et 1898 fourgons.
Publicité Chenard et Walcker, octobre 1948 Chenard et Walcker en sollicitant Peugeot s'est mis dans une position inconfortable, à la merci de bon vouloir de son fournisseur. La situation devient embarrassante pour la firme de Gennevilliers quand le constructeur sochalien décide de mettre fin à la production de la 202. Chenard et Walcker aimerait bénéficier du nouveau moteur de la 203. Peugeot répond par la négative. On imagine alors à Gennevilliers différentes alternatives, comme l'utilisation d'une ancienne mécanique des années 30.
Ce dépliant " époque 202 " vante les usages multiples de la Camionnette Chenard et Walcker En fait, Peugeot a une autre idée. Il aimerait intégrer cet utilitaire au sein de sa gamme, en le dotant effectivement du moteur de la 203, et en le distribuant dans le réseau Peugeot sous la marque ... Peugeot. Il n'est pas pour autant question pour Peugeot de prendre part au capital de Chenard et Walcker, qui conserverait la fabrication du fourgon, et deviendrait un simple sous-traitant. Dans les faits, Peugeot vient de signer l'arrêt de mort du constructeur automobile Chenard et Walcker, qui est effectivement absorbé par Chausson en 1950.
Publicité Chenard et Walcker, octobre 1949 Sous le nom de Peugeot D3A puis de D4A/D4B, le fourgon Chenard et Walcker effectuera une brillante carrière, détaillée dans la page consacrée à ces véhicules. |