Heuliez, les années 2000
Plan de la page 1. 2001 : la fin du
partenariat avec PSA
Les " coupé convertible " marqueront les années 2000 pour Heuliez 1. 2001 : la fin du partenariat avec PSA Heuliez était habitué à jouer au yo-yo avec ses effectifs, en fonction des variations du niveau des commandes. En mars 2001, l'entreprise fermait la chaîne de fabrication dédiée à la Xantia break, dernière production issue d'un long partenariat avec PSA, qui avait conduit à la production à Cerizay des breaks de la marque aux chevrons (BX, Xantia, CX et XM). Un plan social était mis en oeuvre pour supprimer une centaine de postes sur les 1250 que comptait alors le site. En 2002, la Direction des études de PSA décidait l’arrêt de toutes les études des voitures 100% électriques. En 2007 cessait l'assemblage des ensembles de toits rétractables pour la Peugeot 206 CC. Plus de 370 000 exemplaires furent produits depuis 2000.
Le site de Cerizay en 2001 2. Paul Rivault, Paul Quéveau En dehors de l'inamovible Gérard Quéveau, deux personnages clefs jouèrent un rôle majeur dans la direction de l'entreprise durant les années 2000. Paul Rivault, ancien DG du constructeur de matériel agricole Kuhn, était entré chez Heuliez début 2000, en tant que président du directoire. Il assura cette tâche jusqu'à la prise de fonction à ce poste de Paul Quéveau en juin 2003. Paul Rivault quittait l'entreprise en 2004, à priori pour des raisons de divergences de vues stratégiques. Après Patrice Roulois décédé en 1998, c'est un autre cadre d'envergure qui allait faire défaut à Heuliez durant la période difficile qui s'annonçait. Durant ses quatre années à Cerizay, il avait contribué à assurer le passage de relais entre deux générations de la famille Heuliez, celle de Gérard et de Paul Quéveau, pour que ce dernier puisse un jour assurer la direction générale du groupe. Paul Quéveau, le fils de Gérard, intégrait le groupe familial en janvier 1995, en tant que chef de projet pour les véhicules électriques de PSA et responsable de la production de la Citroën XM Break. De janvier 1999 à janvier 2000, il pilotait la production de quatre voitures à Cerizay, les breaks Citroën Xantia et XM, les voitures électriques Citroën Saxo et Peugeot 106. A partir de janvier 2000, en tant que DG adjoint, il gérait l'évolution de l'entreprise, qui s'ouvrait vers l'international (Opel, Chery, ...) en proposant à d'autres industriels de l'automobile les solutions et les produits d'Heuliez, en particulier dans les domaines des toits rétractables et des voitures électriques. En juin 2003, il prenait la présidence du directoire. En dehors des tâches habituelles d'un dirigeant (réduction des coûts, augmentation de la productivité, optimisation des moyens), il définissait la stratégie d'Heuliez comme constructeur de voitures électriques sous sa propre marque, et se préoccupait de la diversification de l'entreprise en dehors du secteur automobile (aéronautique et ferroviaire notamment). Il assura ces fonctions jusqu'à la reprise d'Heuliez par le groupe BKC en 2009. Son licenciement en février 2010 pour faute grave se passa dans la douleur, et l'intéressé assigna BKC devant les prud'hommes. Paul Quéveau fut le dernier représentant de la famille Heuliez dans l'entreprise. A partir de mars 2010, Paul Quéveau occupait le poste de " Directeur Exécutif Ingénierie " du groupe Valmet. Depuis février 2012, il est le nouveau directeur général de Petitjean, fabricant de candélabres, employant environ 450 salariés, installé dans l'Aube à Saint André les Vergers. 3. 2004 : Opel remplace PSA Le 23 octobre 2002, Carl Peter Forster, patron d'Opel, annonçait qu'il allait confier à Heuliez la construction de l'Opel Tigra TwinTop. Les premiers modèles tombaient de chaîne au cours de l'été 2004. A cette époque, pour accompagner la montée en puissance de la production, il y eu jusqu'à 2400 salariés chez Heuliez.
Opel Tigra Twin Top, produite par Heuliez pour le compte de Opel à partir de 2004 En mai 2006, pour faire face aux ventes décevantes du cabriolet Tigra, un plan social s'imposait pour assurer la pérennité de l'entreprise. Les derniers cabriolets Opel quittaient les chaînes de Heuliez à la fin de l'été 2009. Le constructeur allemand ne confia pas à Heuliez d'autres productions. Depuis 2004, le groupe Heuliez avait assemblé plus de 86 000 Opel Tigra TwinTop. Si l'entreprise faisait partie des poids lourds de l'économie locale, et semblait à ce titre indéboulonnable, au niveau international, elle n'était qu'un pion parmi d'autres, soumis aux règles impitoyables de la concurrence, dans la multitude des sous-traitants qui gravitent autour de l'industrie automobile, et dans un contexte de crise financière qui voyait en ces années 2008 / 2009 de grands noms de l'industrie annoncer des plans de licenciements massifs. Les atouts que présentaient sa taille moyenne, à savoir sa forte réactivité et sa capacité à innover, en raison des circuits de décisions courts, n'étaient plus suffisants dans l'économie mondiale du 21ème siècle. Pour une entreprise comme Heuliez, qui ne s'était jusqu'à présent jamais appuyée sur une automobile portant sa marque, la bataille pour survivre était permanente. Outre la production de l'Opel Tigra TwinTop, Heuliez demeurait le fournisseur régulier de nombreux autres constructeurs : structures de banquette arrière de Range Rover et de Renault Modus, assises de sièges avant pour Ford, sous ensembles de carrosserie pour la Citroën C6, etc ... Heuliez poursuivait malgré tout le développement de projets pour les constructeurs français Renault et PSA. Son BE tournait à plein régime, avec notamment l'étude de la Mégane III Coupé Convertible et de la Peugeot 308 RCZ, mais les unités de production restaient au bord de la route. Malgré la qualité du travail réalisé à Cerizay, les grands donneurs d'ordres préféraient désormais faire tourner leurs propres usines ou confier leurs productions plus confidentielles à d'autres sous-traitants étrangers. La solidarité entre entreprises françaises avait été dépassée par d'autres préoccupations, principalement financières. Karmann, en quelque sorte l'équivalent allemand de Heuliez, qui avait hérité de la production de la Mégane CC, se trouva lui même confronté en 2008 à de graves difficultés, avec à la clef un plan social prévoyant la suppressions de 2240 emplois. En avril 2009, Karmann déposait son bilan. Magna Steyr en Autriche se voyait attribuer la fabrication à partir de 2010 de la 308 RCZ, à un rythme maximal de 70 véhicules par jour. Les coûts salariaux n'étant pas vraiment différents en France et en Autriche, il semble que ce soit plutôt la dégradation des relations avec PSA qui orienta ce choix. Gérard Quéveau estimait le coût social de ces deux défections à environ 250 emplois.
Les Renault Megane CC et Peugeot 308 RCZ correspondaient idéalement au savoir faire de Heuliez,mais l'époque était chez les grands constructeurs soit à l'intégration de ces séries confidentielles sur leurs propres chaînes, soit à leur assemblage chez d'autres prestataires étrangers pour différents motifs (doute de Renault sur la surface financière de Heuliez, relations tendues avec PSA ...) En 2002, la Société de Véhicules Electriques (SVE) devenait une filiale commune avec le groupe Dassault. Elle avait pour ambition de promouvoir son modèle de voiture électrique. En mars 2004, au salon de Genève, les deux partenaires présentaient la Cleanova, fruit de leur collaboration. Cette association n'allait hélas pas faire long feu. En 2006, Heuliez s'engageait dans un partenariat avec ASC, le spécialiste américain des toits ouvrants. En juillet 2007, Heuliez signait un contrat avec un important constructeur automobile indépendant chinois, Chery Automobile. Cet accord concernait le développement et la production en Chine, à partir de 2009, sur un nouveau site Heuliez, d'un module de toit rétractable destiné au premier coupé convertible de Chery. Heuliez confirmait là ses ambitions de développement à l'international, ainsi que sa position de leader sur le créneau des toits rétractables. Preuve de sa volonté d'aller de l'avant, l'entreprise était classée trentième déposant français de brevets par l'INPI en 2006.
Monsieur Gérard Quéveau dans son usine, sur la chaîne de la Tigra 4. 2007 : la procédure de sauvegarde Malgré le dynamisme indéniable des dirigeants d'Heuliez et la recherche inlassable de nouveaux partenaires, le tribunal de commerce de Bressuire était appelé à déclencher une procédure de sauvegarde en octobre 2007. Cette procédure est réservée aux entreprises qui ne sont pas en état de cessation de paiements, mais qui rencontrent des difficultés qu'elles ne peuvent surmonter et qui seraient de nature à les conduire à la cessation de paiements. Elle permet de poursuivre l'activité de la société visée, tant au niveau de la production que du développement des produits. Elle est mise en oeuvre à l'initiative de l'entreprise elle même. L'objectif, avec l'appui d'un administrateur judiciaire, est de maintenir les emplois tout en apurant le passif. Elle permet en principe à l'entreprise de souffler et d'étudier des solutions pour relancer la machine. Dès lors, Paul et Gérard Quéveau poursuivaient leur quête d'un partenaire industriel et financier auquel s'adosser pour assurer l'avenir du groupe, en particulier après la fin de vie de l'Opel Tigra TwinTop, qui a employé jusqu'à 50 % des effectifs d'Heuliez. Messieurs Quéveau ne voulaient pas d'un fond spéculatif qui ne se serait intéressé qu'à la multitude des brevets déposés par l'entreprise, notamment dans le domaine des toits rétractables. Gérard Quéveau affichait clairement en décembre 2007 la stratégie du groupe, avec trois objectifs à moyen terme : - poursuivre et développer la production de voitures convertibles à toit dur escamotable complètes ou en modules, en développant le marché des voitures à quatre places, contre les formules 2 + 2 proposées par la plupart des constructeur. La Peugeot 407 Macarena fut la première proposition réalisée dans ce sens. - assurer la production avant 2015 de 100 000 véhicules électriques sous la marque Heuliez Electric. - réaliser 10 % du chiffre d'affaire en sous-traitance pour l'industrie aéronautique (éléments complets de cellules). C'est Maître Régis Valliot qui fut nommé en octobre 2007 administrateur judiciaire par le Tribunal de Commerce de Bressuire pour accompagner dans un premier temps la mise en oeuvre de la procédure de sauvegarde. Dans un environnement complexe à gérer, il assura avec conviction, mais avec plus ou moins d'intensité en fonction de l'évolution de la situation, ses fonctions d'administrateur, et ce jusqu'à la partition de Heuliez en deux sociétés distinctes, en juin 2010. En avril 2008, la procédure de sauvegarde était prolongée jusqu'en juillet. Durant cette période tourmentée (et ce n'était que le début), Gérard Quéveau, qui avait pourtant pris un peu de recul en n'assurant plus que la présidence du conseil de surveillance, ne fut pas avare de ses efforts. Il était même dans ces circonstances redevenu le véritable " patron ", sans doute le mieux à même de convaincre de nouveaux partenaires, grâce à sa personnalité, sa ténacité, son image de capitaine d'industrie, et sa passion pour son entreprise.
5. 2008 : le mirage Argentum Motors La recherche d'un nouveau partenaire aboutissait en juin 2008, avec la proposition du groupe indien Argentum Motors. Argentum Motors avait été fondé en 2006 par BVR Subbu, Ajay Singh et Ashish Deora. Après avoir passé dix huit ans chez l'indien Tata, BVR Subbu avait pris la présidence de Hyundai Motors India Ltd en 2002. Le groupe coréen lui devait notamment sa place de numéro deux après Maruti sur le marché indien. Il prenait son indépendance en 2006, et rachetait une usine Daewoo en Inde. Dans le milieu automobile, il était assimilé à un " Ghosn " indien.
Ajay Singh, responsable des finances et des acquisitions d’Argentum Motors était un important entrepreneur indien, créateur de plusieurs entreprises, dont notamment une compagnie aérienne low cost (Spice Jet)). C'était lui le représentant d'Argentum lors des négociations avec Heuliez en France.
Ajay Singh - Source : http://forbesindia.com
Paul Quéveau, Ajay Singh, Gérard Quéveau (photo Heuliez) Le 13 août 2008, le tribunal de commerce de Bressuire prolongeait le plan de sauvegarde et validait l'accord entre Heuliez et le groupe indien, non sans émettre quelques réserves. Ajay Singh prenait la présidence du conseil de surveillance. Cela ne l'empêchait pas d'être très régulièrement absent, ce qui ne faisait que conforter la suspicion qui commençait à poindre à son égard. Les juges doutaient déjà des capacités financières d'Argentum, et craignaient leur optimisme démesuré. Par ailleurs, rien ne protégeait à terme d'une délocalisation des activités d'Heuliez vers l'Inde. En mettant la main sur le groupe français, Argentum héritait d'un autre trésor, l'ensemble des brevets du groupe. Ne s'agissait t'il pas d'un pillage en règle ? Faute d'autres candidatures, mais pas dupe pour autant, le tribunal de commerce accordait des conditions favorables pour apurer le passif du groupe, avec un échéancier jusqu'en 2018. Argentum s'engageait à verser 10 millions d'euros en septembre 2008, puis 10 autres millions cinq ans plus tard. Un plan de restructuration du groupe fut présenté, qui prévoyait déjà d'isoler la partie automobile électrique. Argentum n'était en fait qu'un assembleur de voitures européennes ou japonaises, à la surface financière limitée. Il ne s'agissait pas d'un véritable constructeur, image qu'il avait pourtant vendu au tribunal de commerce de Bressuire. En décembre, dans un contexte de crise financière aiguë généralisée, Argentum n'avait toujours pas tenu son engagement d'apport de capitaux. Le plan de sauvegarde était de nouveau prolongé, et le dossier transmis au tribunal de commerce de Niort, qui suivait désormais l'affaire.
Les Will, Pelican et Friendly illustrent la carte de voeux Heuliez pour 2009 6. 1er semestre 2009, passage à vide Début 2009, il fallait se rendre à l'évidence. Argentum n'était pas le sauveur attendu. Ajay Singh avaient subitement disparu de la circulation, et ne donnaient plus signe de vie. Les salariés d'Heuliez pouvaient se sentir encore plus angoissés que six mois auparavant. Le fond d'investissement Demeter Partners s'intéressa au dossier à partir de janvier 2009. L'activité d'Heuliez s'inscrivait parfaitement dans sa stratégie d'investissements. L'objectif visé était de recapitaliser l'entreprise à hauteur de 45 millions d'euros, à l'aide de fonds privés pour un premier tiers, de prêts bancaires pour un second tiers, et de fonds publics pour le dernier tiers. Fin 2008, dans le contexte de crise financière internationale, l'état français venait justement de créer le FSI (Fonds Stratégique d'Investissement) dont la vocation était de venir en aide aux entreprises en développement ou en mutation. Les difficultés d'Heuliez semblaient cadrer parfaitement avec les objectifs du FSI. Mais le dossier présenté par Gérard et Paul Quéveau à cet organisme ne remporta pas l'adhésion de celui-ci. Faute d'appui public, Demeter Partner préférait se retirer. Ségolène Royale, très impliquée en tant que présidente de région, demanda des explications au gouvernement sur le refus du FSI de soutenir Heuliez. Elle semblait émettre des doutes sur l'objectivité des membres du FSI qui avaient traité ce dossier, et sur les conséquences d'éventuelles pressions exercées à leur encontre par des concurrents. Face à cette impasse et aux risques de cessation de paiement, une manifestation des salariés fut programmée pour le 23 mars 2009 à Cerizay. Les dirigeants d'Heuliez, Ségolène Royale et plusieurs élus locaux décidaient de prendre part à ce mouvement, pour exprimer leur mécontentement face à l'inaction du gouvernement. Petit à petit, les médias nationaux commençaient à se faire écho des difficultés d'Heuliez. Les salariés craignaient le démantèlement de la société en plusieurs pôles, alors que cette concentration des différentes activités en un seul lieu était justement l'une des forces de l'entreprise, car elle permettait une très grande réactivité. Heuliez était plus que jamais au bord du gouffre.
Un communiqué de presse du 30 mars 2009 émanant de chez Heuliez précisait que Gérard Quéveau était renommé président du conseil de surveillance en remplacement de Ajay Singh. Le " patriarche ", même s'il était sérieusement ébranlé par la situation, reprenait du service. Ce communiqué précisait que Gérard Quéveau engageait une procédure contre le groupe Argentum et son président Ajay Singh. Parallèlement, la direction d’Heuliez définissait la nouvelle stratégie, en considérant que les véhicules 100% électriques constituaient désormais la base du redressement du Groupe, et se projetait sur le court terme avec la commercialisation de la Friendly en avril 2010. Le dépôt de bilan d'Heuliez fut prononcé le 13 avril 2009, associé à une période d'observation et de poursuite des activités jusqu'au 30 juin 2009, le temps de trouver un autre repreneur. Un plan social touchait environ 400 salariés sur les 1200 que comptait encore l'entreprise. Ce plan atteignait jusqu'aux plus qualifiés des employés, ceux qui avaient tant apporté à la réussite du groupe dans les années passées. Avec le départ de ces hommes, Heuliez perdait aussi une partie de son savoir faire industriel.
Le groupe Veolia annonçait qu’il avait sélectionné Heuliez et sa Friendly pour répondre à l’appel d’offre d'Autolib' à Paris. Autolib', outre un excellent coup publicitaire pour Heuliez, cela aurait été au moins 4000 véhicules en libre service, 2000 dans la capitale et 2000 en banlieue, disponibles dans 700 stations. Au final, c'est Bolloré qui remporta la mise. D'un autre côté, Michelin venait de choisir le constructeur de Cerizay pour produire la Will utilisant sa technologie " Active Wheel " (intégrant le moteur électrique et la suspension dans la roue). Heuliez est toujours demeuré réaliste face au marché de la voiture électrique. Les contraintes techniques, en particulier liées à l'autonomie mesurée ou à la durée de charge en limitent naturellement la demande. Par contre, ce type de véhicule, s'il ressemble à une vraie voiture par opposition aux voiturettes sans permis, peut être un choix pertinent pour des professionnels ayant à réaliser des trajets réguliers ou calibrés (infirmier libéral, médecin, entreprises de livraisons en milieu urbain, distribution du courrier ...), ou pour des particuliers dont l'étendue des déplacements demeure limitée (trajet domicile travail, trajet en ville de courte distance ...). Autres atouts majeurs, le public n'a jamais été aussi sensible aux nuisances liées à l'écologie, et les prix des carburants ne cessent d'augmenter. Une partie de la population semble désormais disposée à franchir le pas de la voiture électrique. Une autre question restait encore en suspens en 2009. Les grands constructeurs nationaux et internationaux commençaient sérieusement à s'intéresser à ce marché demeuré jusqu'alors très marginal. Peugeot se manifestait avec la ion, et Renault avec les concept cars Kangoo, Zoé et Fluence Z.E. Le capacité à exister pour un " petit " comme Heuliez face à ces mastodontes peut être rapidement remise en jeu. De nombreux autres clients demeurèrent durant cette période fidèles à Heuliez dans ses activités traditionnelles de fabrication, ferrage et emboutissage, malgré la situation délicate du groupe. A Cerizay, localité de 4800 habitants, Heuliez a toujours été l'acteur principal de la vie économique. Les liens sont très forts entre les cerizéens et leur usine. Celle ci occupe un quart du centre ville. Sa disparition aurait des conséquences désastreuses sur toute l'activité de la région. 7. 2ème semestre 2009 : le projet de Bernard Krief Consulting (BKC) Le groupe Dassault, un temps en affaire avec Heuliez sur le projet Cleanova, refusa de " remettre au pot ". Les désaccords profonds entre Gérard Quéveau et la société Dassault retardèrent, puis tuèrent le projet commun de voiture électrique. Après de multiples rebondissements, le 8 juillet, le tribunal de commerce de Niort validait le plan de reprise de Bernard Krief Consulting (BKC), un cabinet d’audit qui s’était diversifié dans le rachat d’entreprises en difficulté, et seul repreneur encore en lice à ce moment. Le patron de BKC est Louis Petiet. Celui ci est par ailleurs maire de Verneuil sur Avre, et conseiller général UMP de l'Eure. Il est proche de Jean Pierre Rafarin. BKC s'est fait un nom en reprenant DMC Alsace (textile) et l'enseigne Soho (gadgets, cadeaux). Un autre repreneur potentiel avait entre temps jeté l'éponge : le fond d'investissement France Industrie Participation. Celui ci prévoyait pourtant de garder 780 salariés, bien plus que BKC. " Les garanties demandées n'ayant pas été apportées dans les temps impartis, France Industries retirait, à grand regret, son offre ", expliquait le fond d'investissement dans un communiqué.
Segolène Royal et Louis Petiet - Source : https://www.lemonde.fr BKC devait conserver 606 emplois, pour rejoindre un niveau de 800 à 900 postes d'ici à trois ans, avec une durée de priorité de rembauche d'anciens salariés portée à trois ans (au lieu d'un an habituellement). Le plan initial de reprise de BKC prévoyait un financement de 50 à 80 millions d'euros, de différentes origines : BKC, des investisseurs des Emirats Arabes et d'Inde, avec notamment le constructeur Chery, l'état par l'intermédiaire du FSI, la région, et des emprunts pour le solde du financement. Heuliez devait trouver 45 millions d'euros pour lancer son projet de véhicule électrique, qui constituait son dernier espoir de survie. L'objectif demeurait de faire le lien jusqu'à la commercialisation effective de la Friendly en avril 2010. Une nouvelle structure juridique fut créée, dénommée avec beaucoup d'ambitions " Heuliez New World ".
BKC envisageait par ailleurs de produire un véhicule " low cost " pour reprendre une expression dans l'ère du temps, en partenariat avec le chinois Chery. Souvenons nous que Heuliez avait déjà passé des accords avec Chery en juillet 2007 pour la production en Chine de toits rétractables. Le nouveau repreneur déclarait alors " qu'il est confiant en l'avenir de la voiture électrique, avec un produit imaginé par Heuliez au point, dans un marché enfin mature, produit par des salariés motivés qui aiment leur entreprise, dans une usine qu'ils ont su conserver dans un parfait état de fonctionnement ". BKC soulignait enfin le large consensus de tous les acteurs locaux pour sauver Heuliez.
Cette profession de foi de Heuliez date du 1er semestre 2008. Elle était bien ambitieuse. La prise de possession de Heuliez par BKC intervenait le 25 août 2009. Cette date signait la fin d'une aventure familiale, bien que Paul Quéveau ait gardé à ce moment là des fonctions dans l'entreprise. Un nouveau président était nommé : Emilio Galluccio. Il s'avéra rapidement que les fonds annoncés par BKC tardaient à venir, Louis Petiet reportait désormais cette échéance à la mi septembre. Subrepticement, le doute s'installait dans les esprits. D'autant plus que cette fameuse échéance étaient bientôt de nouveau repoussée à plusieurs reprises, sans pour autant revenir sur les promesses faites au tribunal de commerce de Niort. Dans ce contexte, le FSI de nouveau sollicité se refusait de mettre la main au porte feuille. A l'issue d'un protocole d'accord signé le 22 décembre, seul le Conseil Régional de Poitou-Charentes débloquait sa participation de 5 millions d'euros. La Conseil prenait un risque financier important, mais par ce geste il voulait créer une dynamique capable de sauver l'entreprise. Cette action fut bénéfique pour l'avenir de groupe Heuliez, en permettant de redonner confiance à de nouveaux investisseurs. Louis Petiet n'était semble t'il pas aussi efficace sur le plan financier et industriel qu'il ne l'était dans ses relations avec les médias. Encore une fois, malgré de belles promesses, les salariés déchantaient. En tout état de cause, une nouvelle échéance pour le versement des sommes prévues (15 millions d'euros) était fixée au plus tard le 10 janvier 2010. Ainsi, le FSI allait pouvoir lui aussi s'engager à hauteur de 10 millions, ainsi que la région Charente Poitou pour 5 millions. Mais Louis Petiet avait t'il dévoilé sa véritable personnalité ? L'intéressé s'exprimait ainsi en 2010 devant les étudiants de l'ISG de Paris. A ce moment là, BKC était sorti du dossier Heuliez. " Prendre des groupes industriels pourris, si possible pourris, parce qu'on ne les paie pas. Ne pas payer, c'est le seul moyen de ne pas les surpayer .... puis concernant Heuliez : Contre un chèque de banque de 30 000 euros, on me donne des actifs pour 150 millions d'euros. Néanmoins, dans ce type d'affaires, mieux vaut être un fin stratège. C'est très bien de dire qu'on a pas d'argent. Cela me permet de faire des restructurations merveilleuse ... " et de poursuivre " ... dans les usines, je mets des consultants très expérimentés. Un réseau de plus de 3000 consultants dans le monde, anciens directeurs généraux de grands groupes, qui ne coûtent rien car ils sont ravis d'avoir une deuxième vie. Je les traite en charges variables avec des honoraires symboliques, qui permettent d'avoir un fonds de caisse pour payer leurs faux frais. Et au lieu de s'emmerder chez eux avec bobonne, ils sont ravis d'aller faire une mission de l'autre côté de la terre ... L'entreprise en soi, on s'en fout. Par contre, je ne sais pas vendre dans le monde un nom inconnu ... " expliquait celui qui avait échoué à reprendre Heuliez. Quelques minutes auparavant, il proclamait face caméra qu'il ne connaissait pas le nom de l'équipementier automobile un mois avant de s'en porter acquéreur. En février 2010, l'équipe de Louis Petiet n'avait toujours pas tenu ses engagements financiers. Son partenaire sur ce dossier, apporteur des fonds, la compagnie de fret Midex Arlines, semblait l'avoir définitivement lâché. Le ministre de l'industrie, Christian Estrosi, manifestait son inquiétude. Malgré les difficultés, les employés faisaient preuve de bon sens. L'entreprise était maintenue en bon état de fonctionnement, sans destruction violente comme on aurait pu l'imaginer face à l'exaspération. Il n'était pas question de dévaloriser ce bel outil de travail.
Louis Petiet et Emilio Gallucio répondent aux journalistes à la sortie du tribunal de Niort lors de la reprise de Heuliez par Bernard Krief Consulting. |