Stoewer, une marque allemande de prestige tombée dans l'oubli


Stoewer est une entreprise allemande créée en 1858 par Bernhard Stoewer à Stettin (aujourd’hui Szczecin en Pologne), qui a fabriqué sa première automobile en 1899. Stoewer s'est spécialisé dans la production en petit nombre de voitures de luxe, concurrentes des Horch et Mercedes. Jusqu’en 1939, la compagnie va s’attacher quels que soient les produits fabriqués à proposer un très haut niveau de qualité. Intégrée à la Pologne en 1945, l’usine Stoewer démantelée par les Soviétiques ne reprendra pas la production automobile après-guerre.


Les débuts de Stoewer


Bernhard Stoewer (1834-1908) fonde en 1858 à Stettin, ville alors située en Prusse, une société de réparation spécialisée dans la mécanique de précision. La compagnie commence à produire des machines à coudre en 1858, puis des bicyclettes en 1893, des poêles en fonte en 1896, et des machines à écrire très réputées en 1903.

En 1897, les fils de Bernhard Stoewer, Emil (1873-1942) et Bernhard (1875-1937), débutent dans la fabrication de motos, tricycles et quadricycles dotés de moteurs De Dion-Bouton. Ces moteurs sont achetés au constructeur automobile Max Cudell à Aix-la-Chapelle, qui les produit sous licence. Les deux frères se partagent le travail, Bernhard s'occupe de la partie technique, tandis qu'Emil assure la fonction de directeur commercial.

Stoewer produit des bicyclettes à Stettin à partir de 1893.

Stoewer est la troisième marque automobile allemande à apparaître sur le marché, après Daimler et Benz. C’est en 1899 que Stoewer présente à l'Exposition automobile de Berlin sa première automobile, mais la production régulière ne commence véritablement qu'en 1901. Il s'agit d'une bicylindre 10 HP de 1 527 cm3 et 18 ch produite jusqu'en 1902, manifestement inspirée des Panhard & Levassor contemporaines. Elle est suivie en 1902 d'une bicylindre 8 HP de même cylindrée de 14 ch, puis en 1904 d'une 4 cylindres 20 HP de 7 946 cm3 et 45 ch, l'une et l'autre étant produites jusqu'en 1905.

A partir de ce moment-là, Stoewer se spécialise dans les automobiles de haut de gamme, sans pour autant totalement renoncer aux gammes moyennes. Il base toute sa notoriété sur la fiabilité de ses châssis. Succédant aux modèles précédents, la P4 produite de 1905 à 1910 est une 4 cylindres de 3 054 cm3 et 22 ch.

Trois nouveautés arrivent en 1906, la P2, une 2 cylindres de 2 281 cm3 et 16 ch produite jusqu'en 1907, puis la P4-1, une 4 cylindres de 5 880 cm3 et 40 ch produite jusqu'en 1910, et enfin la P6, une 6 cylindres de 8 820 cm3 et 60 ch, dont la carrière se prolonge jusqu'en 1911. Ce modèle est commandé par l’empereur allemand Guillaume II en personne. Mais le volume de production de la P6 n’excède pas dix unités. Le best-seller de la marque à cette époque est la G4. Il s'agit d'une 4 cylindres de 1 500 cm3 et 12 ch, produite à 1 070 exemplaires de 1907 à 1911. C'est vraiment l'entrée de gamme du constructeur.

La Stoewer G4, modèle le plus accessible de la gamme Stoewer, est une réussite commerciale.

Chez Stoewer, il n'est pas question de fabriquer des petites voitures économiques, tel que l'entend Opel par exemple. Les Stoewer s'adressent à une clientèle particulièrement aisée, en quête d'une finition sans faille et d'une robustesse à toute épreuve. Ces qualités vont asseoir la réputation de la marque à travers le monde, près de la moitié de la production étant exportée.


Une rapide incursion dans le domaine de la voiture électrique


Entre 1899 et 1905, à une époque où l’issue de la bataille entre voitures à pétrole et voitures électriques demeure incertaine, les frères Stoewer fabriquent des voitures électriques en plus des voitures à moteur thermique. Ils décident de mettre un terme à cette production lorsqu’ils lancent la P6, dont le silence et la souplesse de fonctionnement sont irréprochables. Les frères Stoewer se mettent aussi à fabriquer des camions et des autobus. Ils développent leurs ventes sur les marchés d’exportation, comme l’Autriche-Hongrie, l’Angleterre, la Russie, le Danemark, et même l’Amérique du Sud et l’Australie. En 1906, 200 châssis Stoewer sont vendus pour être utilisés à Londres comme bus à impériale. Enfin, les Stoewer participent à diverses compétitions où elles se forgent une réputation de fiabilité. Les Mathis de cette époque - la marque alsacienne étant alors intégrée à l’Allemagne - sont souvent équipées de moteurs 4 cylindres Stoewer, grâce à un accord entre les deux constructeurs.


Le développement de la gamme Stoewer (1909-1914)


Une nouvelle gamme se met en place à partir de 1909. Cette année-là, la PK4, une 4 cylindres de 2 544 cm3 et 20 ch est lancée pour succéder à la P4. Sa production s'échelonne jusqu'en 1912. La même année est proposée la C1, une 4 cylindres de 1 546 cm3 et 18 ch, produite jusqu'en 1915.

En 1910 apparaît la B1, c'est une 4 cylindres de 1 556 cm3 et 16 ch produite jusqu'en 1912, et qui succède progressivement à la G4. En 1912, la B6 de 4 900 cm3 et 45 ch produite jusqu'en 1914, remplace la 6 cylindres P6. En 1913, la C2, une 4 cylindres de 2 412 cm3 et 28 ch produite jusqu'en 1914 succède à la PK4. En 1914, la C5, une 4 cylindres de 1 546 cm3 de 15 ch remplace la C1. Elle reste au programme du constructeur jusqu'en 1919.

La Stoewer C5 produite de 1914 à 1919 est une voiture légère de 1,5 litre qui a été choisie par l’armée allemande pour servir de voiture de liaison pendant la Première Guerre mondiale, après avoir assuré parfaitement bien des fonctions plus familiales.

Cette C5 est choisie par l’armée allemande comme voiture de liaison pendant la Première Guerre mondiale, en raison de sa maniabilité, de sa robustesse et de sa grande fiabilité. Dans l’armée française, la Le Zèbre Type A remplit le même type de mission. Au total, le volume de production de Stoewer atteint près de 4 500 voitures bicylindre, 4 cylindres et 6 cylindres entre 1901 et 1914.

Stoewer malgré des ambitions élevées assure une part importante de son chiffre d'affaires grâce aux voitures moyennes.


Stoewer pendant la Première Guerre mondiale.


Pendant la Première Guerre mondiale, Stoewer qui produit des moteurs d'avion depuis 1911, selon les plans de l'ingénieur russe émigré Boris Loutzky, développe plus encore ce type de fabrication. La firme assemble des moteurs de marque Argus, montés sur certains chasseurs allemands. Parallèlement, elle produit des camions pour l'armée.

Affiche de 1918.

C'est une version adaptée à l'automobile de ce 6 cylindres militaire de 120 ch qui est utilisé sur la Stoewer D7 lancée en 1919. Ce moteur affiche une énorme cylindrée pour une automobile, 11 160 cm3, ce qui en fait la plus grosse voiture du marché d'après-guerre. La D7 atteint 160 km/h, une performance alors tout à fait exceptionnelle !


Les premiers modèles Stoewer d’après-guerre, en 4 ou 6 cylindres (1919-1928)


En 1919, les modèles d’avant-guerre sont tous arrêtés. La marque de Stettin est l'une des très rares en Allemagne à pouvoir proposer immédiatement un nouveau modèle à la clientèle. Le Type D lancé en 1919 va déterminer le programme de Stoewer pendant la première moitié des années 20. Il est décliné en huit modèles différents, quatre étant dotés de moteurs 4 cylindres et quatre de moteurs 6 cylindres.

Quatre modèles se succèdent en 4 cylindres : D2 (1919-1920) de 1 593 cm3 et 18 ch qui prend la suite des 1,5 litre d’avant-guerre, D3 (1920-1923) de 2 120 cm3 et 24 ch, D9 (1923-1924) de 2 290 cm3 et 32 ch, et enfin la D10 (1924-1925) de 2 580 cm3 et 50 ch.

La Stoewer D3 produite de 1920 à 1923 est une voiture moyenne de 2,1 litres carrossée ici d’une manière originale, genre " runabout ".

La Stoewer D9 produite en 1923 et 1924 est une voiture moyenne de 2,3 litres. Admirez la vaste habitabilité du modèle … A cette époque, Stoewer produits des châssis nus, mais également des carrosseries découvertes, principalement des torpédos qui assurent la plus grande partie des ventes.

De la même manière, 4 modèles se superposent ou se succèdent en 6 cylindres : D6 (1919-1921) de 4 960 cm3 et 55 ch, D7 (1919-1921) de 11 160 cm3 et 120 ch, D5 (1920-1923) de 3 107 cm3 et 36 ch, et D12 (1923-1924) de 3 107 cm3 également, mais pour 45 ch.

La Stoewer D12 produite de 1923 à 1924 est une voiture de haut de gamme, dotée d’un 6 cylindres de 3,1 litres, carrossée ici en Tourer, et transportant quelques élégantes.

Ces modèles ont la réputation d’être des voitures robustes et sportives. Deux derniers modèles du Type D sont lancés en 1925, la D9V (1925-1927), une 4 cylindres de 2 290 cm3 qui succède à la D9, et la D12V (1925-1928), une 6 cylindres de 3 386 cm3 qui succède à la D12. En 1926, les D9V et D12V sont les seuls modèles fabriqués par Stoewer, tous les autres ayant été abandonnés.

La Stoewer D9V produite de 1925 à 1927 est une voiture moyenne de 2,3 litres. Admirez la superbe calandre en coupe-vent et les roues artillerie …

En 1927, la F6 4 cylindres de 1 570 cm3 et 30 ch complète la gamme pour perpétuer la lignée des Stoewer d’entrée de gamme interrompue depuis l’arrêt de la D2 en 1920. Les modèles D, toutes versions confondues, sont fabriqués à près de 4 500 unités entre 1919 et 1928. Les principaux marchés de Stoewer se trouvent dans le nord-est de l'Europe, en Scandinavie, en Russie et sur le pourtour de la mer baltique.

Affiche de 1924. Les voitures de la marque prennent part à de nombreuses épreuves sportives sur de longues distances, tant en Allemagne qu'en Russie.


L’apogée de la marque Stoewer, les 8 cylindres en ligne (1928-1933)


Affiche de 1928. Tout semble réussir à Stoewer, son chiffre d'affaires est l'un des seuls à progresser dans la profession, avec un taux de 20 %. Seul Horch fait aussi bien.

A partir de 1928, Stoewer se lance dans la fabrication de modèles dotés de moteurs 8 cylindres en ligne. La production des 4 cylindres et 6 cylindres est arrêtée. Le constructeur de Stettin entend alors se rapprocher des ténors de l’industrie automobile allemande, comme Mercedes et Horch. Stoewer lance six modèles différents à moteur 8 cylindres, sans se douter qu’une crise économique de grande ampleur va s’abattre sur le monde un an plus tard, et qu’elle va bouleverser la stratégie industrielle et commerciale des constructeurs. Certains ne se relèveront pas.

La Stoewer G15 dite " Gigant " est produite de 1928 à 1933. Son 8 cylindres de 4,0 litres développe 80 ch. Le modèle est carrossé ici en Pullman limousine. Ce type de carrosserie fermée est plus coûteux à l'achat. Leur construction est sous-traitée à des carrossiers indépendants.

Les 8 cylindres en ligne sont les S8 (1928) de 1 999 cm3 et 45 ch, G14 (1928) de 3 633 cm3 et 70 ch, S10 (1928-1930) de 2 464 cm3 et 50 ch qui succède à la S8, G15 Gigant (1928-1933) de 3 974 cm3 et 80 ch, M12 Marschall (1930-1934) de 2 963 cm3 et 60 ch qui succède à la S10, et P20 Repräsentant (1930-1933) de 4 906 cm3 et 100 ch. Malgré le prix élevé de ces voitures bourgeoises, le chiffre d'affaires de Stoewer ne cesse d'augmenter. Le constructeur de Stettin aspire à devenir le Duesenberg allemand.

La Stoewer P20 dite " Repräsentant " produite de 1930 à 1933 est une voiture de très haut de gamme dotée d’un 8 cylindres en ligne de 4,9 litres développant 100 ch. Le modèle est carrossé ici en Tourer.

Les S8, S10, G14 et G15 Gigant sont en 1928 les premières voitures allemandes à moteur 8 cylindres en ligne. Les Marschall et surtout Repräsentant dévoilées en 1930 sont de superbes automobiles de haut de gamme, qui rivalisent avec les Horch et Mercedes. La Repräsentant est capable d’atteindre 130 km/h. Stoewer fabrique un total de 2 300 voitures 8 cylindres en ligne entre 1928 et 1933.

Affiche de 1929. L'insouciance semble encore régner en Allemagne. Comme en France, les champs de courses sont des lieux où se rencontre la haute société.


Pour faire face à la crise, la V5 à traction avant (1931-1932)


Le 29 octobre 1929, le krach boursier à New York marque le début d’une crise économique mondiale de grande ampleur. Tous les constructeurs automobiles sont impactés, notamment les marques de voitures de luxe comme Stoewer. La firme de Stettin voit ses ventes s’effondrer courant 1930. Pour relancer ses ventes, Stoewer lance au Salon de Berlin en février 1931 deux modèles de faible cylindrée, la V5 et la V5 Sport, dotées toutes les deux d’un 4 cylindres en V de 1 168 cm3 développant 25 ch pour la version standard et 30 ch pour la version Sport. Le nom choisi, V5, fait référence à la traction avant (V pour vornantrieb) et à la puissance fiscale (5 CV). Effectivement, ces modèles sont dotés de la traction avant, précédant notamment Citroën de trois ans.

Affiche de 1930. L'industrie allemande est en partie dépendante des crédits américains, et le pays entre bientôt en récession. La production manufacturière recule de 40 %. On ne compte plus les chômeurs dans les files d'attente pour trouver un emploi, aussi précaire soit-il, ou dans les soupes populaires. Le Parti national‑socialiste d'Adolf Hitler instrumentalise ce contexte de crise pour démontrer l'incapacité de la République de Weimar à la résorber. Stoewer semble naviguer à contre-courant en proposant encore ses immenses 8 cylindres.

Jorgen Skafte Rasmusen, patron de DKW, ayant eu écho du projet de Stoewer, s'empresse pour ne pas se faire distancer de faire étudier par ses ingénieurs, en six mois seulement, une traction avant. Entouré sur le Salon de Berlin de bacs à fleurs, il est difficile pour le public de constater que la voiture exposée n'est pas fonctionnelle. La V5 est chère, 3 600 RM quand une Opel de cylindrée équivalente s'affiche à un prix compris en 1 950 et 2 850 RM selon les finitions. La clientèle répond pourtant favorablement à cette offre, même si ce n'est pas un raz-de-marée.

De lourds investissements ont été nécessaires pour assurer une production en grande série, d'une technologie nouvelle et coûteuse. Les grandes banques sont déjà très sollicitées par des marques plus huppées. La famille Stoewer s'adresse donc à la ville de Stettin et à la Caisse d'Epargne municipale, qui entrent au capital de la firme. Malgré un carnet de commandes honorablement rempli, Stoewer se retrouve en difficultés. Des efforts sont demandés aux salariés qui effectuent des heures supplémentaires sans être payé. Les échéances des dettes sont renégociées. Les actionnaires locaux remettent la main au portefeuille.

Pourtant, le 7 octobre 1931, les usines sont fermées, pour cause d'insolvabilité. Le stock constitué étant conséquent, cela permet de passer l'hiver et de reconstituer de la trésorerie. C'est tout le pays qui est en crise. Emil Stoewer est poussé vers la sortie en raison d'une gestion critiquée. Bernhard Stoewer reste seul avec ses idées novatrices, et supervise le développement de nouveaux modèles.

Plus discrètement que Citroën, la Stoewer V5 adopte la traction avant dès 1931. Le plan de Bernhard Stoewer est d'opérer à un recentrage brutal vers les modèles 4 cylindres. Bien avant Hitler et ses communicants, il va utiliser le terme de Volkswagen (voiture du peuple).


Une nouvelle génération de voitures économiques, les R140/150/180 (1932-1935)


On décide assez rapidement de tourner la page du petit V4 1,2 litre trop bruyant. 2 100 Stoewer V5 ont été produites.

Elles sont remplacées par la R140 (1932-1933), dotée d'un V4 plus généreux de 1 355 cm3 et 30 ch. En 1933, une seconde version de la R140 (1933-1934) adopte un 4 cylindres de 1 466 cm3 et 30 ch, puis elle laisse sa place à la R150 (1934-1935) dont le même 1 466 cm3 développe 35 ch. Enfin, la R150 devient R180 en 1935 en recevant un 4 cylindres de 1 769 cm3 et 45 ch. Cette famille de modèles d’entrée de gamme disparaît à l'issue de l'année 1935, après 3 760 unités produites depuis 1932.

Stoewer R150, 1935. Stoewer tente de relancer ses ventes avec la gamme des R140, R 150 et R180, trois versions qui se succèdent entre 1932 et 1936, destinées à séduire un plus vaste public.

La Stoewer R150 produite de 1934 à 1935 est une voiture moyenne à traction avant dotée d'un 4 cylindres 1,5 litre qui succède à la R140 lancée en 1932.

La Stoewer R180 produite en 1935 et 1936 succède à la R150. La puissance de son V4 passe de 35 à 45 ch. La propagande laisse croire à des jours heureux. Pourtant, un militaire est bien présent sur cette photographie.

Stoewer R180. Ces voitures de taille moyenne constituent d'excellentes berlines à usage familial. L'histoire automobile sera cruelle pour Stoewer, marque vite tombée dans l'oubli.


Greif 8 cylindres en V (1934-1937)


En 1934, alors que les 8 cylindres en ligne Marschall, Gigant et Repräsentant sont supprimées du catalogue, Bernhard Stoewer croit encore à l’avenir des voitures de haut de gamme, et force le destin en lançant ses premiers modèles à moteur 8 cylindres en V. La Greif dispose d'un V8 de 2 489 cm3 et 55 ch, et la Greif Sport du même moteur, mais " poussé " à 57 ch. On peut considérer la Greif comme le chef-d'oeuvre de Bernhard Stoewer, la dernière automobile à laquelle il est associé.

Les Greif et Greif Sport sont des traction avant, comme les V5 et les R140/150/R180. Stoewer est d’ailleurs l’un des rares constructeurs allemands à commercialiser à l’époque des voitures de ce type, avec Adler, Audi et DKW, et pratiquement le seul à proposer une traction avant à moteur V8. Les Greif et Greif Sport sont dotées de quatre roues indépendantes, de suspensions arrière innovantes et de freins hydrauliques sur les quatre roues.

Les Stoewer Greif V8 sont d'une technique élaborée. Jusque-là, les constructeurs allemands ont toujours répugné à adopter la traction avant sur leurs plus gros modèles, ce qui à l'époque n'était pas du tout le cas aux Etats-Unis.

Les Stoewer Greif V8 et Greif V8 Sport sont produites au total à 825 unités de 1934 à 1937, un chiffre plutôt décevant qui ne permet pas à l’entreprise de renouer avec la rentabilité. En 1936, Stoewer tente de négocier une fusion avec Ford Cologne, mais cette tentative échoue car Ford est mis au courant de la situation financière déplorable de la firme de Stettin. Friedrich Hoyler, qui a remplacé Emil Stoewer à la tête de l’entreprise en 1932, ment délibérément sur sa situation, en faisant croire à Ford que la firme qu'il dirige est prospère, alors qu’elle est pratiquement au bord de la faillite !

Le pays est maintenant gouverné par le Parti national-socialiste, dont les priorités évoluent. Il n'est plus question de concevoir de dispendieuses automobiles, sauf quelques-unes réservées aux dignitaires du parti, mais de se concentrer sur les besoins de la population. L'automobile doit devenir accessible au plus grand nombre. Parallèlement, Friedrich Hoyler fait tout son possible pour bénéficier des commandes des nazis qui semblent se préparer à la guerre. Il tente aussi de pousser Bernhard Stoewer vers la sortie.


La Stoewer Greif Junior (1936-1939)


Pour remplacer sa gamme basse R140/R150/R180, Stoewer lance en 1936 la Greif Junior qui capitalise sur le nom de Greif, mais abandonne la traction avant. Celle-ci adopte un 4 cylindres à plat refroidi par air de 1 484 cm3 développant 34 ch. En fait, cette voiture innovante n’est pas de conception Stoewer, puisqu’elle est dérivée de la Röhr Junior, elle-même dérivée de la voiture tchèque Tatra 75. Après la faillite de la marque Röhr en 1935, Stoewer a racheté à bon compte la licence de production de cette auto. La marque de Stettin a toutefois modernisé son style, dont Fiat semble s'être inspiré avec sa 1100 Balilla lancée un an plus tard.

La Stoewer Greif Junior produite de 1936 à 1939 est une voiture moyenne dotée d’un 1,5 litre refroidi par air d’origine Tatra. Le modèle revient à la propulsion, alors que Stoewer a été le précurseur de la traction avant dès 1931.

La Greif Junior poursuit sa carrière jusqu’en 1939. Elle est produite au total à environ 4 000 exemplaires, soit un volume légèrement supérieur à celui enregistré par l’ancienne série R140/R150/R180. On peut considérer que la Greif Junior a été une réponse pertinente au refus de Ford de s’associer avec Stoewer, car elle a permis à ce dernier de proposer un nouveau modèle sans consentir à de lourds investissements. Mais elle n'empêche pas la firme de Stettin de rester fragile financièrement face à des géants comme Opel, Mercedes-Benz ou Auto-Union.

Stoewer Greif Junior. Les investissements limités pour la mise au point de la Stoewer Greif Junior ont permis à la marque de se relancer à moindres frais.


1937, les dernières voitures Stoewer


Friedrich Hoyler a failli dans sa mission de rendre profitable Stoewer. Il cède à son tour sa place à Karl Trefz, un ancien de la maison, parti tenter sa chance chez Magirus, un constructeur de camions. Quelques techniciens et ingénieurs de Magirus suivent Karl Trefz dans cette nouvelle aventure. Mais ni les uns ni les autres n'ont l'esprit visionnaire d'un Bernhard Stoewer, et le conformisme des nouvelles voitures de la marque va le confirmer.

Au Salon de Berline 1937, alors que les modèles à moteur V8 sont supprimés, la firme de Stettin lance deux nouveaux modèles dont le style aérodynamique respecte manifestement la mode de l’époque. Bernhard Stoewer ne survit pas à la présentation de ces voitures, et s'éteint quelques heures seulement après les avoir découvertes. Certes, elles portent encore son nom, mais de par leur banalité technique, elles ont perdu toute l'âme Stoewer.

Le premier modèle, baptisé Sedina (traduction en latin de Stettin) est doté d’un 4 cylindres de 2 406 cm3 développant 55 ch. Il s’agit donc d’une voiture de milieu de gamme supérieur basée sur un empattement de 2,90 mètres, qui se situe au-dessus de la Greif Junior. Son moteur est paradoxalement aussi puissant que celui de l'ancienne Greif V8. La Sedina est produite de 1937 à 1940 à respectivement 61, 233, 480 et 150 exemplaires.

La Stoewer Sedina est une voiture moyenne dotée d’un 2,4 litres qui succède à la Greif V8 à moteur 2,5 litres. Avec ce nouveau modèle, le constructeur revient au moteur 4 cylindres et à la propulsion. Un virage à 180 degrés.

Le second modèle baptisé Arkona (nom d'un cap au nord de l'île de Rügen, sur la Baltique) est doté d’un 6 cylindres de 3 610 cm3 et 80 ch. Il s’agit là d’un modèle de classe supérieure. Deux empattements sont proposés, 3,15 ou 3,35 mètres. Son moteur de 80 ch est beaucoup plus puissant que celui de la Greif V8 Sport. La Stoewer Arkona est produite de 1937 à 1940 à respectivement à 4, 44, 103 et 40 exemplaires. C'est trop peu, même pour un modèle de prestige.

La Stoewer Arkona est une voiture de haut de gamme dotée d’un 6 cylindres de 3,6 litres. Ce modèle est capable de filer à 130 km/h sur les autoroutes allemandes, contre 120 km/h pour la Greif V8 Sport, 110 km/h pour la Sedina, 110 km/h pour la Greif V8 et 100 km/h pour la Greif Junior. Appréciez la calandre en forme de coeur.

Les deux modèles sont proposés avec une large gamme de carrosserie : berline, berline Pullman, cabriolet, découvrable. La Sedina a même le droit à une version cabriolet Sport. Le 14 novembre 1938, afin de prouver la fiabilité de ses voitures, Stoewer organise un essai en lançant une Sedina et une Arkona de série sur les autoroutes allemandes qui font la fierté du parti nazi. Il s'agit d'un trajet aller et retour entre Stettin et Salzbourg, en passant par Berlin et Munich. La Sedina tient une moyenne de 109 km/h, et consomme 16,1 litres aux 100 km. L'Arkona réalise une moyenne de 120 km/h pour une consommation de 19 litres aux 100 km.

Contrairement aux idées reçues, Hitler n’a pas inventé les Autobahn. Certes, il les a fortement développées, passant d'un réseau de 108 km en 1935 à 3 896 km en 1943, mais l’idée de voies rapides reliant des villes est apparue à la fin de la République de Weimar. La première autoroute a en effet été inaugurée le 6 août 1932 par Konrad Adenauer.

Les services de propagande de la marque mettent en évidence que ces deux voitures n'ont connu ni panne, ni arrêt intempestif. Dans ses brochures, le constructeur peut clamer haut et fort le slogan " Stoewer-Wagen autobahnfest ", qui peut se traduire par " Les voitures Stoewer supportent l'autoroute ". Ce type d'argument peut convaincre à une époque où rares sont les automobiles à pouvoir profiter pleinement de ces longs rubans de bitume.

La carrière commerciale des Sedina et Arkona est malheureusement écourtée en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939.

Les statistiques pour les années 30 font état de 362 voitures produites en 1930, 1 598 en 1931 (dont 1 320 V5), 985 en 1932 (dont 720 V5), 1 737 en 1933 (dont 1 708 R140), 1 542 en 1934, 1 520 en 1935, 1 740 en 1936, 1 690 en 1937, 1 970 en 1938, 2 280 en 1939. A la fin de la décennie, ces données intègrent quelques voitures à usage militaire.

La firme Stoewer est dès la déclaration de guerre invitée à se concentrer sur les commandes du gouvernement nazi. La production de véhicules militaires de la marque de Stettin ne commence pas en 1939, puisque Stoewer répond à des commandes gouvernementales depuis 1935. Même après l’arrêt officiel de la production des Sedina en 1939, certaines voitures sont assemblées jusqu’en 1942, à destination de quelques responsables militaires. Dans le coeur des Nazis, ces voitures d’origine prussienne sont tenues en très haute estime.


les véhicules militaires


A partir du milieu des années 1930, le gouvernement allemand sollicite Stoewer pour produire des véhicules militaires légers dérivés des voitures de tourisme de la marque : M12 RW (1935-1936) 8 cylindres 3 litres Marschall produit à 900 exemplaires, R180 Spezial (1936-1938) 4 cylindres 1,8 litre, 4 roues motrices et directrices produit à 1 000 unités, R200 Spezial (1938-1940) 4 cylindres de 2,0 litres, 4 roues motrices et directrices produit à 2 000 unités, et enfin R200 Type 40 (1940-1944) identique au R200 Spezial, mais équipé de 4 roues motrices et de 2 roues directrices, produit à 4 700 unités.

Le Stoewer R200 Spezial est fabriqué par la firme de Stettin, mais également par Hanomag et BMW Eisenach. On voit très bien ici le système des quatre roues directrices. Ce principe coûteux n'est pas repris sur le Stoewer Type 40 qui est utilisé plus abondamment pendant la guerre.

Stoewer R200 Type 40 Russland à usage de transport de troupes. Cette version 4 x 4 se contente de deux roues directrices.

A part ces 8 600 véhicules militaires fabriqués par Stoewer, mais aussi par Hanomag et BMW Eisenach, Stoewer produit également des moteurs d’avions à partir de 1937, puis des chars Panzerkampfwagen I et Flakpanzer I à partir de 1941, et enfin des moto chenilles NSU Kettenkrad à partir de 1943. Conséquence de ces diverses fabrications de guerre, l’usine Stoewer est la cible des bombardements alliés en 1944, et la ville de Stettin elle-même est détruite à 65 %.

En 1945, Stettin devient une ville polonaise sous le nom de Szczecin. Les fondateurs de Stoewer étant décédés, l’un en 1937, l’autre en 1942, et aucun plan de relocalisation en Allemagne de l’Ouest n’ayant été prévu comme cela a été le cas pour BMW et Auto-Union, l’activité de l’entreprise s’arrête définitivement en 1945. Stoewer aura fabriqué environ 40 000 véhicules, dont 25 000 voitures de tourisme entre 1899 et 1945.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
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