Duesenberg, au sommet du luxe américain


Duesenberg est une marque automobile américaine de grand luxe créée en 1912, rachetée par Cord en 1926 et disparue en 1937. Plusieurs tentatives pour ressusciter la prestigieuse marque après la guerre ont échoué mais rien ne dit qu’elle ne réapparaîtra pas un jour.


 Les origines de Duesenberg


La famille Duesenberg est d’origine allemande. Elle a quitté l’Empire allemand en 1884 pour s’établir aux Etats-Unis dans l’Iowa. Les jeunes Fred et August Duesenberg ont la passion de la mécanique, bricolant et réparant les moteurs des machines agricoles afin de les rendre plus performants. Au début du siècle, ils étudient et fabriquent des bicyclettes, puis conçoivent leur première voiture (Marvel) en 1905.

Grâce aux fonds apportés par un avocat dénommé Edward R. Mason, est créée la société Mason Motor Car Company qui fabrique à partir de 1906 une voiture bicylindre de 24 ch présentée alors comme " la plus rapide et la plus puissante des voitures à deux cylindres en Amérique ". Les deux frères Duesenberg sont aux commandes de l'affaire. Ils ont trouvé leur credo pour les voitures qu’ils vont mettre au point, et cette manière d’appréhender l’automobile va perdurer jusqu’en 1937. En 1908, l’entreprise devient Mason Automobile Company, puis l’année suivante elle est rachetée par le sénateur Fred L. Maytag, lui aussi d’origine allemande, qui rebaptise la société Maytag-Mason Motor Car Company. L’outil industriel est transféré à Waterloo, toujours dans l’Iowa. En 1910, les frères Duesenberg lancent leur premier modèle quatre cylindres sous le nom Maytag et en 1911 toute la production devient Maytag.

En 1912, Edward R. Mason rachète les parts de Maytag dans l’entreprise, suite à une mésentente entre les deux hommes. La gamme comprend alors la deux cylindres et la quatre cylindres vendues sous la marque Mason. Les deux modèles sont vendus à 338 exemplaires au total. Une nouvelle quatre cylindres plus luxueuse et plus puissante (65 ch) a été lancée en 1910. Vendue à 427 exemplaires, elle est le résultat du travail réalisé par les frères Duesenberg qui quittent finalement la société pour créer en 1912 leur propre entreprise, la Duesenberg Motor Company, qui est implantée à Saint-Paul dans le Minnesota.

Cette entreprise produit le moteur quatre cylindres de 65 ch pour plusieurs marques automobiles américaines, les frères Duesenberg ayant récupéré les droits sur cette noble mécanique dont ils sont les créateurs. En 1914, apparaît un moteur douze cylindres à usage marin qui est constitué de trois moteurs quatre cylindres accolés. Ce moteur marque le début des moteurs marins Duesenberg, qui seront lancés en six cylindres et en huit cylindres. L’entreprise se fait connaître dans le monde entier grâce à ces moteurs performants. Pendant ce temps, la société de Edward R. Mason fait faillite et est vendue aux enchères pour 35 000 dollars. De leur côté, les frères Duesenberg améliorent sans cesse leurs moteurs marins, leur adjoignant quatre soupapes par cylindre à partir de 1916.

En 1918, leur société déménage à Indianapolis dans l’Indiana. Cette implantation n’est pas le fruit du hasard, car Fred et August Duesenberg veulent maintenant transférer leur savoir-faire dans les voitures de course qui vont pouvoir courir sur le nouveau circuit d’Indianapolis et se mesurer ainsi à la concurrence. A cette occasion, plusieurs moteurs performants à huit cylindres sont mis au point. Ces moteurs donneront naissance à celui qui équipera la Duesenberg Model A lancée en 1921. Il s’agit d’ailleurs de la première voiture américaine dotée d’un huit cylindres.


1921 : Duesenberg Model A


La Duesenberg Model A est comme son l’indique le premier modèle automobile de série de la marque. Il se distingue de la concurrence par son moteur huit cylindres en ligne de 4260 cm3 développant 90 ch. Ce moteur à seize soupapes - deux soupapes par cylindre - dispose d’un arbre à cames en tête, une rareté à cette époque. Il dérive étroitement des moteurs marins à huit cylindres que Duesenberg a mis au point les années précédentes et extrapolé pour les voitures de course courant sur le circuit d’Indianapolis.

Duesenberg type A Touring, 1921.  La Duesenberg Model A lancée en 1921 est le premier modèle de la marque. Elle est dotée du premier huit cylindres en ligne de la production automobile américaine.

Dévoilée fin 1920, la Duesenberg Model A voit sa production débuter en 1921. Les prix demandés sont colossaux, puisque la voiture est vendue 6 500 dollars, ce qui freine sensiblement sa diffusion. Au total, 650 exemplaires trouvent preneur entre 1921 et 1926, alors que le constructeur en espérait quatre fois plus. En 1925, la Model A devient le premier modèle au monde équipé de freins hydrauliques. Malheureusement, même s'il s'agit de la première voiture américaine à remporter une victoire en Europe – le Grand Prix de France – la marque connaît de graves difficultés financières à cause de la mévente de son Model A et de son prix de revient élevé dû à sa conception d’avant-garde.

Duesenberg passe alors sous le contrôle de Errett Loban Cord qui rachète la société en 1926. Celui-ci possède déjà la firme Auburn depuis 1924 et entend créer sa propre marque (Cord) au cours des années suivantes. Avec ces trois marques, Auburn, Cord et Duesenberg, Errett Loban Cord va créer l’un des groupes les plus mythiques de voitures américaines de luxe de l'histoire de l'automobile. Malheureusement, ce groupe ne vivra que quelques années.


1926 : Duesenberg Model X


Evolution de la Duesenberg Model A, la Model X apparaît en 1926, quand la marque passe sous le contrôle de Cord. La Model X en reprend le moteur huit cylindres de 4,3 litres, mais la puissance est portée à 100 ch ce qui autorise une vitesse maximale de 160 km/h, soit 10 km/h de mieux que l’ancien modèle. Une douzaine d’exemplaires seulement sortent de l’usine d’Indianapolis, car Cord veut faire de Duesenberg la marque de très haut de gamme par excellence, d’un niveau supérieur à Cadillac, Lincoln, Hispano Suiza, Isotta Fraschini ou Rolls-Royce.

Duesenberg X Boattail Speedster par Columbia Body Co, 1927. La Duesenberg Model X lancée en 1926 est un modèle de transition entre la Model A et la J/SJ, qui est très peu diffusé. Cette année-là, la marque Duesenberg est rachetée par Errett Loban Cord.

Cord demande à Fred Duesenberg qu’il a nommé ingénieur en chef de la marque de concevoir désormais les voitures les plus luxueuses, les plus performantes, les plus chères aussi, pour la richissime clientèle américaine des années 20, milliardaires ayant réussi dans les affaires ou dans le cinéma notamment. Cette fuite en avant et cette montée en gamme pourraient selon lui créer une image de luxe incomparable qui se répandrait sur l’ensemble du groupe Auburn Cord Duesenberg.

Stratégie ambitieuse et audacieuse quand on sait que s’abattra sur le monde trois ans plus tard une crise économique sans précédent. Alors que des voitures Duesenberg remportent de nombreuses compétitions en 1925, 1926 et 1927 dont les 500 miles d’Indianapolis, et qu’un Model Y est élaboré en 1928 (mais non commercialisé), les frères Duesenberg se mettent au travail pour concevoir la voiture de très haut de gamme voulue par Cord.


1928 : Duesenberg Model J


Dévoilée au Salon de New York de décembre 1928, la Duesenberg Model J se présente comme la voiture de série la plus chère du monde, son prix de 25 000 dollars équivalent à celui d’une trentaine de Ford A de l’époque, de cinq Cadillac ou de deux Rolls-Royce ! La voiture imposante en taille est disponible en berline quatre portes, torpédo quatre portes, phaeton quatre portes, coupé deux portes et cabriolet deux portes. Dessinée avec talent par Gordon Buehrig, la voiture possède une forte personnalité en raison de son gigantisme, de son élégance et de ses quatre flexibles d’échappement latéraux chromés qui sortent du long capot s’achevant par une calandre monumentale.

Duesenberg J 251/2259 Sedan SWB par Weymann, 1929. La Duesenberg J/SJ lancée en 1928 est la voiture américaine de tous les superlatifs. Vendue au prix de trente Ford A ou de cinq Cadillac, elle se situe tout en haut de la hiérarchie des voitures américaines de cette époque.

La voiture est dotée d’un des plus gros moteurs de la construction automobile de l’époque, à savoir un huit cylindres en ligne fabriqué par Lycoming Engines de 6884 cm3 et 265 ch (J) autorisant une vitesse maximale de 160 km/h, et même 320 ch (SJ) à partir de 1932 avec un compresseur, autorisant une vitesse maximale de 187 km/h, ce qui fait de la SJ la voiture américaine de série la plus rapide du moment, malgré un poids largement supérieur à 2 tonnes. Ce moteur à double arbre à cames en tête et 32 soupapes (quatre par cylindre) - dont la puissance est deux fois supérieure à la concurrence - est un dérivé de moteur d’avions, un véritable bijou technologique.

Duesenberg SJ 401/2406 Convertible Coupe SWB par Murphy, 1935. On remarque les flexibles d’échappement latéraux chromés qui seront le signe distinctif des Duesenberg SJ, des Cord 812 et des Auburn Speedster.

Duesenberg SJ 562/2592 Dual Cowl Phaeton LWB par LaGrande, 1935. Ce type de carrosserie Phaeton est magnifique et particulièrement spectaculaire.

La Duesenberg SJ dans sa version phaeton, simplement majestueuse.

Lycoming Engines est une société qui motorise de nombreux avions légers à cette époque. Elle sera le fournisseur exclusif des moteurs pour les voitures Cord qui seront commercialisées de 1929 à 1937. Et c’est compréhensible car Errett L. Cord est propriétaire de Lycoming Engines … La Duesenberg J/SJ devient jusqu’en 1934 la voiture préférée des acteurs de cinéma comme Greta Garbo, Clark Gable ou Gary Cooper. Elle est également appréciée par les gangsters dont Al Capone, le célèbre parrain de la mafia de Chicago. Au total, 481 exemplaires trouvent preneur entre 1928 et 1937, malgré la crise économique des années 30.


 Déclin et disparition de Duesenberg


Le client des Duesenberg peut aussi acheter le châssis-moteur seul au constructeur, tarifé 8 500 dollars, et faire réaliser sa carrosserie à l’extérieur chez un grand carrossier (Holbrook, Dehram, Rollston, etc ...), ce qui peut lui coûter jusqu’à 20 000 dollars. Le total lui revient alors à 28 500 dollars, une somme astronomique que peu de gens peuvent débourser à l’époque.

L’année 1932 est marquée par un drame : Fred Duesenberg se tue au volant d’une Model J, et l’entreprise est très marquée par ce décès qui sera un lourd handicap pour le futur de la marque, car dès lors, personne n’a les épaules assez larges pour concevoir de nouvelles Duesenberg. La firme paraît ainsi condamnée, même si Errett Loban Cord communique en 1935 sur l’arrivée prochaine d’une " petite Duesenberg " qui sera en fait la Cord 810.

En 1934, même les Duesenberg adoptent des angles plus doux, des formes plus aérodynamiques. La faillite de la firme en 1937 ne permettra pas de voir éclore de " vraies " Duesenberg au style ponton. 

Revers de la médaille, la Cord est tellement moderne sur bien des points qu’elle démode d’un coup les Duesenberg au design archi-classique. Plus aucun nouveau modèle portant la marque Duesenberg n'est lancé jusqu’en 1937, date de la faillite du groupe Auburn Cord Duesenberg qui entraîne la disparition des trois marques.


Tentatives de résurrection de Duesenberg


La nostalgie étant si forte pour cette marque que diverses tentatives sont menées pour faire revivre Duesenberg, notamment en 1947, 1966 et 1979. Toutes ont avorté. En 1947, un groupe financier de Chicago acquiert les droits de la marque et engage August Duesenberg avec l'intention de produire un nouveau modèle. Faute de rentabilité possible, le projet est abandonné et August Duesenberg disparaît en 1955.

En 1966, Fritz Duesenberg, le fils d’August, engage Virgil Exner pour dessiner la nouvelle Duesenberg sur la base d’une Imperial Crown du groupe Chrysler. Le prototype possède des lignes majestueuses, soulignées de nombreux chromes. Il anticipe la ligne des futures Stutz dessinées par le même Virgil Exner et qui connaîtront une belle carrière. La nouvelle Duesenberg dotée des plus beaux matériaux (cuir et acajou) et des meilleurs équipements disponibles à cette époque (air conditionné, régulateur de vitesse, console avec radio pour les occupants arrière, etc ...) est prévue pour être commercialisée par le groupe Chrysler comme une version exclusive de sa gamme sous la marque Duesenberg, mais les tractations commerciales avec Chrysler n'aboutissent pas pour diverses raisons. La voiture n'est donc jamais produite.

La Duesenberg de 1966 sur base Imperial Crown est un exemplaire unique. Son dessin est dû à Virgil Exner, le designer des voitures du groupe Chrysler pendant les années 50.

En 1979, les descendants des fondateurs Fred et August Duesenberg reprennent le flambeau, au nom d'une certaine légitimité. Leur interprétation moderne de la Duesenberg est une Cadillac Fleetwood habillée dans un style baroque. Aucune suite n'est donnée à ce projet.

La Duesenberg de 1979 sur base Cadillac Fleetwood est un autre exemplaire unique. Toutes les tentatives de résurrection de la marque Duesenberg ont échoué jusqu’à maintenant.

Mentionnons enfin que, à l’instar des modèles Auburn Speedster et Cord 810/812, plusieurs artisans ont fabriqué des répliques de Duesenberg J/SJ dans les années 70 et 80 sur base Dodge, notamment la version SJ Speedster dessinée en 1933 par Gordon Buehrig qui inspira l’Auburn Speedster de 1935. Grâce à ces répliques, les passionnés de la marque d’Indianapolis peuvent rouler aujourd’hui dans des voitures qui ressemblent à d’authentiques Duesenberg même si leur moteur est un V8 Chrysler.


Texte : Jean-Michel Prillieux
Reproduction interdite, merci.

Voir aussi : http://leroux.andre.free.fr/alrduesenberg.htm

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