Jensen, le créateur de la GT à transmission intégrale
La firme britannique Jensen a été créée en 1935, par les frères Alan et Richard Jensen. Elle se spécialise dans les années 30, 40 et 50 dans la fabrication de voitures de classe, au même titre que Jaguar, Alvis ou Lagonda, mais elle est restée surtout célèbre pour sa fabrication dans les années 60 et 70 de coupés de Grand Tourisme (Interceptor et FF), concurrents des Aston Martin, mais dotés d’une transmission aux quatre roues. La marque disparaît en 1976. Les débuts de Jensen Les frères Jensen commencent leur carrière dans l’automobile en transformant des voitures de tourisme de marques britanniques - Morris, Singer, Standard ou Wolseley - en coupé et en cabriolet. Au départ, la firme Jensen est donc une entreprise de carrosserie. En 1934, les frères Jensen ajoutent à leur catalogue la transformation d'une Ford V8 produite en Angleterre sur le site de Dagenham. Ils élaborent sur ce modèle une version torpédo (Tourer) et une version cabriolet (Drophead). Jensen vend en 1936 à l'acteur américain Clark Gable une Ford V8 habillée en Tourer. Celui-ci souhaite quelque chose de différent. Il lui est suggéré de s'adresser à Jensen. Cette vente permet à l'entreprise de se faire connaître au niveau international.
En 1936, Jensen réalise une Ford V8 Tourer spécialement aménagée pour l’acteur américain Clark Gable. L'entreprise aurait produit une vingtaine de Ford V8 transformées conformément à ce modèle initial. Quoi qu'il en soit, ces premières Jensen sont considérées comme des Ford à carrosseries spéciales, et non comme des produits d'une nouvelle marque. Cela n'est plus être le cas des voitures commercialisées à partir de 1936. Au lieu d'habiller uniquement les châssis d’autres marques, Jensen fait réaliser ses propres châssis adaptés aux lignes des carrosseries souhaitées. Cela permet d’apposer le nom Jensen sur ces voitures, ce qui matérialise la création de la marque. Le premier modèle de marque Jensen produit en série est la Type S lancée en 1936. 1936 : Jensen Type S La Jensen Type S est basée sur des éléments de châssis Ford UK. Surnommée White Lady, la voiture n’a rien pourtant visuellement rien d’une Ford, puisque sa carrosserie s'inscrit dans la tradition britannique, avec un long capot se terminant par une calandre verticale, proche dans l'esprit de celui des Alvis. Les frères Jensen n’ayant pas les moyens financiers et techniques pour créer un moteur à partir d’une page blanche, ils dotent leur Type S d'une V8, au choix un 2 227 cm3 ou un 3 622 cm3. On retrouve d’ailleurs ces moteurs dans la gamme française des Matford. Il fera aussi les beaux jours des Ford Vedette et Simca Vedette jusqu'au début des années 60. Jensen réussit à faire passer la puissance du 3,6 litres à près de 120 ch ce qui n'est pas un luxe, dans la mesure où la Type S pèse près de 180 kg de plus qu'une Ford de série. Elle est disponible en trois versions : cabriolet deux portes, tourer trois portes et berline quatre portes. Au total, 50 Type S sont produites par Jensen dans l’usine de West Bromwich entre 1936 et 1940. 1938 : Jensen Type H La Jensen Type H qui est encore plus élitiste apparaît en 1938. Comme la Type S qu’elle ne remplace pas, elle est basée sur un châssis Ford modifié, et son moteur est un huit cylindres en ligne de 4 279 cm3 d’origine Nash, qui développe près de 120 ch, soit la même puissance que la Type S, mais cette fois sans intervention sur le moteur. Le moteur Ford était bon marché mais peu adapté aux améliorations, pouvant engendrer des ruptures de joints de culasse. De plus, son bruit d'échappement irrégulier et désagréable jurait sur une voiture de luxe.
Les élégantes courbes de la carrosserie de la Jensen Type H, que ce soit en version berline ou en version cabriolet, évoquent irrésistiblement certaines voitures de luxe allemandes contemporaines, comme les Mercedes. Au total, seulement 15 exemplaires de la Type H quittent l'usine de Jensen entre 1938 et 1940. Avant la Seconde Guerre mondiale, Jensen est donc un nain comparé à d’autres marques de luxe britanniques. C'est la raison pour laquelle elle reste pratiquement inconnue du grand public. Cette situation va évoluer après la guerre. 1946 : Jensen Type PW Pendant le conflit, l'entreprise participe à l'effort de guerre en fournissant des tourelles de chars et des ambulances. En 1946, Jensen présente une nouvelle voiture, la Type PW (PW pour Post War). Cette grande berline austère qui adopte la ligne " razor edge " typiquement britannique, est dotée initialement d’un V8 de 3 993 cm3 produit par la société d'Henry Meadows. Mais la mise au point de cette mécanique est désespérément longue, et lorsqu'elle est enfin prête, elle souffre encore de régimes vibratoires irrémédiables, si bien que Jensen se tourne de nouveau vers la mécanique Nash plus fiable utilisée juste avant la guerre. Les derniers exemplaires de la Jensen Type PW sont équipés du six cylindres 3 993 cm3 de l’Austin Princess, suite à un accord avec Leonard Lord, patron d'Austin. Au total, cette lourde berline est produite à 20 exemplaires de 1946 à 1952 sur le site de West Bromwich.
La Jensen Type PW commercialisée en 1946 poursuit la lignée des anciennes Type S et Type H. Son style " razor edge " s’inscrit parfaitement dans la mouvance des berlines britanniques de très haut de gamme de cette époque. A la même époque, toujours dans le cadre des accords avec Austin, le cabriolet Austin A40 Sports lancé en 1950 est fabriqué chez Jensen, à 4 011 exemplaires entre 1950 et 1953. Cette nouvelle activité permet à Jensen de garantir une part majeure de son chiffre d'affaires, et de poursuivre la production de ses propres voitures de sport et de luxe moins rentables. La diversification de l’entreprise Jensen L’usine de West Bromwich ayant été au départ une usine de carrosseries de camions du nom de W.J. Smith & Sons, Jensen produit depuis les années 30 des camions légers sous la marque Smith & Sons puis JNSN (abréviation de Jensen) à partir de 1935. Ces camions représentent la principale source de revenus de l’entreprise jusqu’en 1955, date à laquelle la firme préfère se concentrer sur la fabrication de voitures de luxe. L'accord avec Austin se prolongera sous l’ère de la British Motor Corporation (BMC) née de la fusion d’Austin avec le groupe Nuffield, dont la marque Morris est la principale composante. C’est ainsi que Jensen est chargé de l’assemblage des Austin-Healey de 1953 à 1967.
La société de carrosserie Smith & Sons devient Jensen Motors Ltd en 1935. Elle produit des carrosseries de camion. Cette activité se poursuit jusque dans les années 50. Remarquez les lettres JNSN qui forment les ouvertures de la calandre. A côté de cela, Jensen est contacté par Volvo pour assembler son coupé 1800, activité menée de 1959 à 1963. Jensen assemble également des Sunbeam Alpine pour le compte du groupe Rootes de 1963 à 1967. Enfin, Jensen fabrique des pick-up sur base Austin Hampshire de 1949 à 1951, les breaks sur base Austin Westminster de 1956 à 1958, les 4x4 Austin Champ de 1951 à 1956 et Austin Gipsy de 1958 à 1961, et quelques centaines de camionnettes Tempo d’origine allemande de 1958 à 1961. Au total, plus 100 000 véhicules sont assemblés par Jensen entre 1946 à 1967, hors modèles portant la marque Jensen. 1949 : Jensen Interceptor Jensen dévoile une nouvelle voiture de grand tourisme en 1949, baptisée Interceptor. Ce modèle entre en fabrication en 1950. Disponible en cabriolet puis en coupé à partir de 1951, ce modèle long de 4,65 mètres est doté du six cylindres de 3 993 cm3 monté sur les Austin Princess et sur la Jensen PW depuis quelques mois. Il développe ici 130 ch. Dessinée par Eric Neale, la carrosserie ponton est moderne et élégante. Elle repose sur un châssis d’Austin A70 Hereford modifié. La silhouette et la calandre en particulier sont inspirées de l’Austin A40 Sports que Jensen va assembler de 1950 à 1953. L’Interceptor peut être ainsi assimilée à la grande sœur de l’A40 Sports. Toutefois, soixante centimètres séparent les deux voitures.
La Jensen Interceptor lancée en 1949 marque une rupture dans l’évolution de la gamme du constructeur, puisqu’il s’agit pour la première fois d’une deux portes. L’Interceptor n’est pas à proprement parler une voiture de sport, en raison d’un poids élevé de 1 420 kg, et de dimensions imposantes, mais elle est capable d’atteindre 153 km/h ce qui est fort correct pour l’époque. Malheureusement, son prix plus élevé que celui d’une Jaguar XK120 la rend peu compétitive sur le marché. Au total, 88 exemplaires sont assemblés de 1950 à 1957. Jensen reste un très petit constructeur. La Jensen Interceptor à moteur Chrysler de Briggs Cunningham En 1955, le célèbre pilote américain de voitures de course, Briggs Cunningham, passe commande d’une Jensen Interceptor à conduite à gauche dotée d’un moteur V8 Chrysler " Firepower " de 5,4 litres développant 180 ch. Avec une vitesse de pointe de 233 km/h, c'est la deuxième voiture de série la plus rapide du monde derrière la Mercedes 300 SL et ses 240 km/h. Le modèle est le tout premier de la marque à adopter - presque par hasard - un moteur Chrysler V8. Les futures Jensen C-V8, Interceptor et FF des années 1960 et 1970 seront également dotées d’un V8 Chrysler. 1953 : Jensen 541 Jensen dévoile en octobre 1953, au Salon de Londres, la 541, un nouveau coupé de grand tourisme. Dessiné par Eric Neale, ce modèle entre en fabrication en 1954. Plus courte (4,47 mètres) et plus légère (1 220 kg) que l’Interceptor grâce à sa carrosserie en fibre de verre, la Jensen 541 dotée du même moteur Austin 3 993 cm3 est plus rapide (175 km/h). C’est cette fois une vraie voiture de sport, capable de soutenir la comparaison avec les plus performantes des voitures britanniques, comme les Aston Martin DB2 ou Bristol 404. C'est aussi une voiture de luxe, avec un intérieur bien doté, notamment de sièges en cuir en série. La Jensen 541 est produite à 226 exemplaires de 1954 à 1959. En 1957, la 541 R s’ajoute à la 541 avec quelques améliorations techniques et une nouvelle calandre. Son moteur développe 152 ch. Elle roule jusqu'à 190 km/h. Ce modèle s’écoule à 193 exemplaires jusqu'en 1960.
La Jensen 541 lancée en 1953 est une voiture de sport de haut de gamme, dans la mouvance des AC Aceca, Bristol 404 et surtout Aston Martin DB2. En 1960, la 541 S succède à la 541 R avec une carrosserie plus large de dix centimètres, et une nouvelle calandre inspirée cette fois de la BMW 507. Le moteur est toujours le 3 993 cm3 Austin, mais certains exemplaires sont testés avec des moteurs Chrysler Hemi V8. Aucun n’est pourtant commercialisé. Par contre, un exemplaire appartenant à Donald Healey est équipé d’un V8 Chevrolet 327. 127 Jensen 541 S sont produites de 1960 à 1963 dans l'usine de West Bromwich, la plupart étant équipées d'une boîte de vitesses hydramatiques Rolls-Royce sous licence GM. Cet équipement est rare à l'époque, car les voitures de grand tourisme sont essentiellement dotées de boîtes manuelles. La Jensen 541S est également la première voiture britannique à disposer de ceintures de sécurité en équipement standard. Une autre première est l'utilisation de freins à disque sur les quatre roues. La production de la 541 S prend fin en 1963 lorsqu'elle est remplacée par la C-V8.
La Jensen 541 S proposée en 1960 possède une carrosserie plus large de dix centimètres qui avantage à la fois l’habitabilité et la tenue de route. Avec ce modèle, la Jensen 541 est arrivée à maturité. Au total, 546 exemplaires de la famille 541 ont été produites par Jensen de 1954 à 1963, ce qui à cette date en faisait le plus gros succès de la marque, même si la production moyenne n’a pas dépassé les 60 unités par an, soit un chiffre proche de celui réalisé par son concurrent Bristol. Heureusement que l’assemblage de véhicules pour d’autres marques maintenait l’entreprise à flot. 1962 : Jensen C-V8 Dévoilé en octobre 1962, au Salon de Londres, le coupé Jensen C-V8 entend succéder à la famille des coupés 541. Ce nouveau modèle qui entre en fabrication en 1963 est un coupé de grand tourisme à quatre places, habillé d’une carrosserie en fibre de verre. Le nom C-V8 indique le fait qu'il est équipé d’origine d’un moteur V8, en l’occurrence un Chrysler 5,9 litres développant 305 ch, qui sera remplacé en octobre 1963 par un 6,3 litres de 335 ch. Les performances sont un net progrès par rapport à la Jensen 541. La vitesse maximale est de 210 km/h pour la 5,9 litres et de 220 km/h pour la 6,3 litres. Cela en fait une des quatre places les plus rapides de son époque. La plupart des voitures sont dotées d’une transmission automatique Chrysler Torqueflite à trois vitesses, mais quelques exemplaires reçoivent une boîte manuelle à quatre vitesses. Le moteur est entièrement en retrait derrière l'essieu avant, ce qui fait de la C-V8 l'une des premières voitures à moteur avant central.
La Jensen C-V8 lancée en 1962 est une évolution de la Jensen 541. Elle adopte pour la première fois en série un V8 d’origine Chrysler, comme les Bristol et les Facel Vega contemporaines. Côté carrosserie, la C-V8 dessinée par Eric Neale reprend la silhouette de la Jensen 541 étirée sur 4,67 mètres de long, en raison d’un capot allongé et d’une partie arrière entièrement redessinée. L’acteur écossais Sean Connery en a possédé un exemplaire, alors que dans les films où il interprétait l’agent secret James Bond, il conduisait des Aston Martin. Les doubles phares avant sont disposés en diagonale, comme sur les Chrysler des années 1960-1962. L'avant de la Jensen C-V8 a été conçu initialement avec des phares couverts, similaires à ceux de la Ferrari 275 GTB ou de la Jaguar Type E. Mais par crainte de réduire l'efficacité des phares, les protège-phares ont été supprimés pour les voitures de série. En conséquence, l'apparence de l'avant de la C-V8 a été modifiée et s'est avérée controversée pendant des décennies.
La partie arrière de la Jensen C-V8 est plus allongée que celle de la Jensen 541. On a affaire cette fois à un vrai coupé trois volumes. Un prototype de C-V8 FF (Ferguson Formula) est équipé de quatre roues motrices. Cette version n'est pas commercialisée, mais elle a été utilisé pour le développement de la future Jensen FF, qui deviendra en 1966 la première voiture de Grand Tourisme équipée de quatre roues motrices. Au total, la Jensen C-V8 a été produite à 520 exemplaires de 1963 à 1966. Le départ des frères Jensen de leur entreprise En 1959, les frères Jensen cèdent leurs parts au groupe financier américain Norcros, qui devient de fait l'actionnaire principal de l’entreprise. Richard Jensen (1909-1977) démissionne en 1967, suivi un an plus tard de son frère Alan (1906-1994). L’entreprise conserve jusqu'à cette époque l'image d'un constructeur aux ventes confidentielles, en raison notamment de prix supérieurs à ceux d’Aston Martin. Jensen est un constructeur brillant, à défaut d'être cohérent dans ses choix. Depuis ses débuts, Jensen a utilisé différents moteurs : des V8 américains Ford, Nash et Chrysler, ainsi que le six cylindres britannique Austin. Ses ingénieurs sont inventifs, mais ses dirigeants peu doués pour les affaires. Les productions sous la marque Jensen ne suffisent pas pour la survie de l’entreprise, qui tient grâce à ses tâches moins nobles de sous-traitance. Malheureusement, en 1966, Jensen a la confirmation que cette sous-traitance va cesser en 1967 du fait de l’arrêt des contrats en cours. La situation parait désespérée.
Pour remplacer, la C-V8, Eric Neale dessine en interne un cabriolet (dit P66) pourvu d'un plus petit moteur Chrysler de 4,5 litres. Après le cabriolet, Neale propose un coupé. Sans que l'on puisse le qualifier de laid, on ne perçoit pas en celui-ci le dessin du modèle capable d'assurer à lui seul l'avenir de Jensen. Par chance, un tout nouveau modèle va changer la situation. Les dessins initiaux du styliste Eric Neale étant peu concluants (prototype P66), Jensen s'adresse à Touring en Italie. Ce n'est pas le premier constructeur britannique à s’adresser à un designer italien. Avant lui, Austin a fait appel à Pininfarina, Aston Martin à Touring, Triumph à Michelotti et Bristol à Zagato. Mais le grand carrossier milanais, alors en proie à de graves difficultés financières, se voit bientôt contraint de passer la main à son confrère Alfredo Vignale. Ce dernier habille le châssis de la C-V8 selon le procédé Supperleggera breveté par Touring. L'Interceptor, deuxième du nom, est présentée au Salon de Londres en octobre 1966. 1966 : Jensen Interceptor L’apparition de cette nouvelle Jensen Interceptor provoque un vrai choc auprès du public présent au Salon de Londres. Ce coupé de Grand Tourisme de 4,77 mètres de long dessiné par Touring affiche une silhouette peu commune, caractérisée par des lignes tendues très modernes, presque avant-gardistes, avec un long capot plat et une énorme bulle vitrée à l’arrière formant hayon. Cette particularité qui a dû demander de gros efforts aux fabricants verriers sera reprise quelques années plus tard sur la Citroën SM (1970), puis sur les Renault Fuego (1980), Renault 11 (1983), Renault 25 (1984) et Peugeot 309 (1985). Les Britanniques baptisent cette bulle vitrée du nom de " goldfish bowl ", qui peut se traduire par aquarium. La nouvelle Jensen Interceptor se démarque ainsi fortement de la concurrence, et cette bulle restera l’élément le plus facilement identifiable au cours de ses dix années de carrière.
La Jensen Interceptor (deuxième du nom) lancée en 1966 présente une ligne moderne due à Touring et Vignale. Sa caractéristique principale : la bulle vitrée arrière formant hayon, une véritable trouvaille. La partie avant est plus simple, avec une calandre rectangulaire à barres horizontales entourée de doubles phares ronds disposés également à l’horizontale. La carrosserie est d’une réelle élégance, évoquant un peu la Maserati Mistral, et la finition de l’habitacle est d’un très haut niveau, avec du cuir Connolly, des tapis de laine Wilton et du bois verni. Le V8 Chrysler de 6,3 litres de 335 ch était déjà monté sur la C-V8. A la même époque, Bristol et Monteverdi montent également des moteurs Chrysler dans leurs voitures de Grand Tourisme. Facel Vega en a fait autant entre 1954 et 1964. Ces gros moteurs puissants n’ont pas la noblesse d’un moteur Ferrari ou Maserati, mais ils présentent l’avantage d’un faible coût car produits en grande quantité, de la disponibilité d'un service après-vente au niveau mondial, d'une fiabilité éprouvée, d'un couple imposant (grosse cylindrée et puissance importante) et d'une grande robustesse car ils tournent plutôt lentement.
L'Interceptor mérite plus que toute autre son qualificatif de Grand Tourisme. Son vaste coffre aisément accessible permet en effet d'emporter de confortables valises pour des voyages au long cours. Annoncée au prix de 4 500 livres sterling, soit presque deux fois le tarif d'une Jaguar Type E, l'Interceptor chasse sur les terres de l'Aston Martin DB6. Au total, 6 406 Jensen Interceptor sont produites sur le site de West Bromwich, de 1966 à 1976, ce qui traduit un vrai succès de cette voiture d’exception, et éloigne la marque des volumes de production plus faibles de Bristol ou Alvis. Jensen produit même plus qu’Aston Martin à cette époque. Au départ vendue surtout en Grande-Bretagne, l’Interceptor commence à s’exporter, surtout aux Etats-Unis, à partir de 1970, date du rachat de Jensen par un consortium américain. Mais cette situation a un revers, car le constructeur doit respecter les nouvelles normes américaines sur la sécurité et la pollution. C'est une contrainte majeure pour une entreprise de taille moyenne. 1966 : Jensen FF Lancée en 1966, la Jensen FF reprend la carrosserie et le moteur de l’Interceptor, mais elle est équipée de la transmission aux quatre roues (FF= Ferguson Formula) mise au point sur le prototype C-V8 FF l’année précédente. Il s’agit de la première voiture de série à recevoir une telle transmission, qui va se développer à partir des années 80, notamment chez Audi puis chez de nombreux autres constructeurs. Alourdie de 160 kilos par rapport à l’Interceptor, la Jensen FF ne dépasse pas les 210 km/h contre 220 km/h pour l’Interceptor, mais comme toutes les Jensen Interceptor, la FF est une formidable machine à voyager : l’habitacle douillet où règne une intense luminosité, le confort des quatre sièges en cuir Connolly, la boîte automatique, la direction assistée, les quatre freins à disques, le moteur puissant, l’insonorisation poussée et la tenue de route exemplaire en font un vrai palace roulant.
Vendue 30 % plus chère que l'Interceptor, et uniquement avec le volant à droite, la FF est coûteuse à produire et ne fait que creuser le déficit de Jensen. Elle a eu le mérite d'ouvrir la voie à l'Audi Quattro de 1978, plus accessible, qui rencontrera un véritable succès commercial appuyé par un excellent programme sportif. La FF ajoute à toutes ces caractéristiques l’avantage de la transmission intégrale qui permet une conduite encore plus sûre, même à grande vitesse. La Jensen FF est produite à 320 exemplaires de 1966 à 1971. Sa carrière commerciale a donc été plus courte que celle de l’Interceptor, et sa diffusion bien plus restreinte. Les dernières versions de la Jensen Interceptor En 1971, alors qu’est supprimée la Jensen FF, le constructeur de West Bromwich lance une version plus puissante de l’Interceptor baptisée SP, équipée d’un V8 Chrysler de 7,2 litres développant 385 ch, qui permet de filer jusqu'à 235 km/h. On peut reconnaître la SP à ses quatre rangées de fentes sur le capot moteur, et à partir de l'automne 1973 à son pavillon en vinyle. La Jensen Interceptor SP séduit 232 clients entre 1971 et 1973. Le choc pétrolier d’octobre 1973 met fin à la carrière de ce modèle, le plus rapide de la marque Jensen. Parallèlement, les moteurs de l’Interceptor voient leur puissance baisser sensiblement en réponse à de nouvelles réglementations américaines.
Alors que le 6,3 litres de l'Interceptor était nourri par un seul carburateur quadruple corps, le 7,2 litres de la SP est gavé par trois carburateurs double corps. Curieusement, au moment même où la production de la SP débute, l'usage de cette mécanique ne répond plus aux nouvelles normes US. Jensen s'empresse avant rupture chez Chrysler de s'en procurer un stock conséquent. Le cabriolet Interceptor est lancé en mars 1974, huit ans après l'arrivée du coupé. Ce modèle sans arceau de sécurité est un baroud d’honneur pour Jensen, car le choc pétrolier de l’automne 1973 a fait chuter les ventes de tous les constructeurs, et en particulier de ceux produisant des voitures de Grand Tourisme. Ce nouveau modèle qui tente de relancer les ventes de l’Interceptor aurait dû être lancé beaucoup plus tôt. Il séduit en effet 467 clients sur une courte période de deux ans, en pleine période de crise économique, alors que les voitures rapides sont pratiquement prohibées. Le modèle perd évidemment sa bulle vitrée, caractéristique la plus connue de l’Interceptor, mais il demeure d’une grande pureté et d’une certaine élégance. Il évite l’arceau de sécurité présent notamment sur la Triumph Stag, qui casse la ligne.
Le cabriolet Jensen Interceptor est lancé très tard, presque trop tard, en 1974, alors que le constructeur n’a plus que deux ans à vivre. Son moteur reste le V8 d’origine Chrysler. Une nouvelle version de l’Interceptor est dévoilée au Salon de Londres 1975, il s’agit du coupé. Cela s'apparente à un abus de langage, car l’Interceptor de base est déjà un coupé. On a affaire en réalité à un coupé Targa établi à partir du cabriolet, avec un arceau de sécurité bien visible, comme sur la Triumph Stag, une version probablement demandée par les distributeurs américains, suite aux nouvelles réglementations US concernant les cabriolets. Mais la pureté de la ligne de la voiture est complètement gâchée, et cette version au style controversé ne séduit que 46 clients en un an, puisque toute la gamme Interceptor voit sa production s’arrêter définitivement en 1976, avec la faillite de Jensen. 1972 : Jensen Healey Depuis la fin de la production de la " Big Healey " en 1967, Donald Healey reçoit régulièrement des demandes des concessionnaires américains, notamment californiens, concernant le remplacement de ce modèle, voire la reprise de sa production. Le Britannique se laisse peu à peu convaincre que la conception d’un nouveau roadster de gamme moyenne, avec ou sans le groupe BLMC, semble possible. Donald Healey propose à Jensen, avec l’appui des distributeurs américains, de fabriquer une voiture de sport moins chère que ses grands coupés, en complément de ceux-ci. Jensen, passé en 1970 sous contrôle américain, accepte la proposition. En contrepartie, Donald Healey devient Président de Jensen à l’âge de 73 ans. Ses fils Geoffrey et Brian Healey entreprennent la conception de la voiture en un temps record.
La Jensen Healey lancée en 1972 est issue d’un accord entre Jensen et Donald Healey qui souhaite donner une descendance à ses anciennes Austin Healey supprimées en 1967. Elle est équipée d’un moteur Lotus. Le constructeur dévoile la Jensen Healey en 1972. Il s’agit d’un roadster de 4,12 mètres de long, doté d’un moteur Lotus quatre cylindres de 2 litres développant 144 ch, qui permet d’atteindre 190 km/h. Vauxhall fournit des composants de châssis et de direction, Sunbeam se charge de la boîte de vitesses. La Jensen Healey entend concurrencer les productions du groupe BLMC, comme les MG B et Triumph TR6. Le style est signé Hugo Poole et Williams Towns. Après des débuts difficiles, par manque de mise au point, la Jensen Healey est victime de la crise pétrolière de 1973/1974, et les ventes s’effondrent. Début de 1976, sa production cesse. Au total, la Jensen Healey a été assemblée à 10 503 exemplaires en cinq ans, dont 7 634 à destination de l’Amérique du Nord. Au roadster, il faut ajouter les 509 exemplaires de la version coupé dite GT, lancée en 1975, dont le style s’inspire de la Reliant Scimitar GTE. Cette version GT n'a pas empêché la faillite de Jensen.
La Jensen Healey GT lancée en 1975 est la version coupé du roadster commercialisé en 1972. Là encore, le lancement de ce modèle apparaît bien tardif, et ne peut empêcher la cessation d'activité de Jensen un an plus tard. 1988 : Première tentative de résurrection de Jensen Une première résurrection de Jensen a lieu en 1988. Jensen qui assure alors la restauration et l'entretien de ses anciens modèles, propose de reproduire l’Interceptor sous ses différentes formes, à savoir le coupé à hayon, le coupé Targa trois volumes et le cabriolet. Cette nouvelle série est motorisée par un V8 Chrysler de 5,9 litres. Mais son prix astronomique (de 1 145 000 à 1 339 000 francs selon les versions) la réserve à une élite fortunée nostalgique de la marque. Seulement une quarantaine d’exemplaires auraient été produites de manière très artisanale entre 1988 et 1993. Le système de transmission intégrale permanente FF était proposé en option moyennant 259 000 francs supplémentaires. 1998 : Deuxième tentative de résurrection de Jensen Une deuxième résurrection intervient en 1998. L’ensemble du potentiel de la marque, y compris les dessins, droits et logos ont été rachetés par la compagnie Creative Group Limited, qui dévoile un projet de roadster construit en polyester. La S-V8, dont le nom rappelle l’ancienne C-V8, est présentée un an plus tard, avec une carrosserie en alliage léger cette fois, et un moteur qui ne vient plus de chez Chrysler - sans doute en raison de la fusion de Daimler avec Chrysler en 1998 - mais de chez Ford. Il s’agit d’un V8 de 4,6 litres développant 330 ch monté alors sur la Mustang. Ainsi équipée, la Jensen S-V8 qui utilise un châssis maison peut atteindre 250 km/h, ce qui en fait la Jensen la plus rapide de l’histoire. Une version coupé est présentée en 2000, mais cela ne modifie en rien le destin de la S-V8 qui est produite à une vingtaine d’exemplaires seulement en 2001 et 2002. Après une nouvelle faillite en 2002, une compagnie appelée SV Automotive assemble en 2003 une douzaine d’unités supplémentaires.
La Jensen S-V8 lancée en 2001 est une tentative ratée de faire revivre la marque. Ce modèle équipé d’un moteur Ford (et non plus Chrysler) est vite abandonné. Source : https://www.efmc.co.nz 2015 : Troisième tentative de résurrection de Jensen Une troisième résurrection a lieu en 2015. Le constructeur Jensen Motors, devenu Jensen Group, revient sur le devant de la scène avec un modèle appelé GT. Cette Interceptor revisitée ouvre la voie à d'ambitieux projets. La Jensen GT est développée en collaboration avec Jensen International Automotive (JIA), une entreprise qui restaure et adapte les Interceptor depuis 2011. Elle est dotée d’un V8 turbocompressé de 6,4 litres turbo développant 675 ch. Des maquettes de la voiture apparaissent dans la presse. La GT se présente sous la forme d’un coupé de Grand Tourisme s’inspirant de l’Interceptor pour la partie avant, mais l'arrière s’inspire plutôt du cabriolet apparu en 1974.
La Jensen GT programmée pour 2015 est une autre tentative ratée de résurrection de la marque. Ce modèle photographié ici en maquette n’a probablement pas atteint le stade de l’industrialisation. Il s’agit donc d’un grand coupé trois volumes. La bulle arrière qui faisait la personnalité de l’Interceptor est jetée aux oubliettes. La voiture a belle allure. Prévue pour être vendue à partir de 2016, la Jensen GT est annoncé au prix de 475 000 euros, soit pratiquement celui de deux Ferrari FF ! Le projet reste malheureusement mort-né. Y aura t'il un jour une quatrième tentative ?
Texte : Jean-Michel Prillieux A voir aussi : http://leroux.andre.free.fr/alrjensen.htm |
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