Triumph Stag
L'idée de ce grand coupé revient au carrossier italien Giovanni Michelotti, qui collabore avec Triumph depuis la fin des années 50. A cette époque, le constructeur britannique souhaite échapper à certaines traditions, et donner à ses productions une esthétique plus continentale. Le premier fruit de cette collaboration est l'Herald en 1959, suivie dès 1961 par la TR 4. Cette coopération va se prolonger durant les années 60 et au début des années 70 avec les berlines 2000, 1300, Toledo et Dolomite. Le style de Michelotti se traduit par des carrosseries plutôt larges et basses, et la présence d'une ceinture de caisse parallèle au sol. On retrouve également sa griffe sur les berlines BMW 1800, Daf 55 ou Hino Contessa.
La Stag, classique des seventies Dans le cas présent, Michelotti s'est fixé pour objectif de proposer à Triumph un luxueux coupé d'allure sportive sur la base de la berline 2000. L'étude de ce projet commence en 1965. Une berline, qui a été utilisée par l'usine en tant que voiture à tout faire pour les 24 Heures du Mans 1965, est fournie au carrossier par Harry Webster, le directeur des études de Triumph. Une des conditions de cette fourniture est que le résultat des travaux de Michelotti soit présenté en primeur à Triumph, avant toute exposition publique. Lors de l'une de ses visites en Italie, Webster découvre la voiture que vient de concevoir Michelotti. Il est fortement impressionné par ses lignes, et la fait expédier sans délai en Angleterre à l'usine Triumph de Canley. Il s'agit pour l'instant d'un élégant cabriolet 2 + 2 sans arceau.
On retrouve sur la Stag de nombreux traits caractéristiques des berlines 2000 et 2.5 PI. Webster n'a pas trop de difficulté à vendre l'idée de cette voiture à sa hiérarchie. Mais entre les premières ébauches et le début de la commercialisation, il va s'écouler quatre années durant lesquelles de nombreux changements vont intervenir chez Triumph, et d'une manière plus générale au sein du groupe Leyland. Standard Triumph appartient à Leyland Motor Corporation depuis 1961. Cette entité fusionne en 1968 avec la British Motor Corporation afin de former la British Leyland. Les équipes changent. Webster se retrouve chez Austin Morris. Il est remplacé chez Triumph par Spen King. En pleine période de fusion et d'acquisition, le groupe a d'autres priorités que la commercialisation d'un coupé de luxe. L'essentiel des investissements porte sur les berlines de la marque qui assurent le gros des volumes. L'étude se poursuit pourtant à petits pas, avant mise en production en 1970. Les matrices des éléments de carrosserie ont été fabriquées par Karmann en Allemagne, et la fabrication des emboutis est confiée à l'usine Triumph de Speke près de Liverpool, avant le montage final réalisé à Canley. Onze ans après la présentation de l'Herald, le style de la Stag (cerf en français) n'est plus particulièrement innovant, et la concurrence propose déjà à cette époque des automobiles aux lignes plus contemporaines. Enfin, le concept même de la quatre places décapotable est en train de passer de mode, et les modèles existants disparaissent des catalogues des concurrents.
La Triumph Stag, simplement bourgeoise La presse française spécialisée ne marque pas un enthousiasme évident. Elle est présentée sous la rubrique " nouveautés " du mensuel l'Automobile au mois de juillet 1970 : " la carrosserie, sans recherche d'originalité particulière, si ce n'est la volonté de rester dans le classicisme le plus pur est l'oeuvre du styliste italien Michelotti. ... la Stag représente pour nous la continuité du style anglais cher à Triumph, avec, en plus, la volonté de la part du constructeur de fournir une voiture de Grand Tourisme confortable et convertible ". Bernard Carat pour L'Auto Journal est plus critique dans le numéro 12 de juin 1970 : " ... on peut reprocher à la ligne un certain manque de simplicité et aussi un côté très classique qui ne permet pas à la Stag de frapper l'imagination au premier coup d'oeil : elle semble dater de plusieurs années et avoir été déjà vue ". Il est intéressant de noter que le dessin de l'avant et de l'arrière de la Stag plaît tellement à Triumph que le constructeur l'adapte pour sa nouvelle berline 2000 Mk 2, qui fait son apparition en octobre 1969, plusieurs mois avant la Stag. Les deux voitures partagent d'ailleurs un certain nombre de panneaux de carrosserie intérieure (23 pièces précisément).
Au centre de la calandre, le dessin d'un cerf (Stag en anglais)
La Stag semble aussi à l'aise dans la circulation parisienne qu'à la campagne. 70 % d'entre elles sont équipées d'une boîte automatique. Côté mécanique, les ingénieurs de Triumph ont conçu un tout nouveau V8 de 2997 cm3, peu avant la formation de la British Leyland. Sa cylindrée unitaire de 375 cm3 est particulièrement basse. Il s'agit en fait de deux 4 cylindres accolés que Triumph produit pour Saab. Il lui permet d'atteindre environ 190 km/h. Ses 145 chevaux SAE paraissent bien faibles, en comparaison des 180 ch Din d'une BMW 3.0 CS ou des 200 ch d'une Mercedes 350 SL. Les débuts commerciaux de la Stag sont encourageants. Durant les premiers mois, la longueur de la liste d'attente pour s'offrir une Stag en Grande-Bretagne ne cesse de s'étirer. Dans son pays d'origine, certains acheteurs arrivent même à la revendre au-dessus de son prix catalogue. Elle est un accessoire de luxe recherché, un peu comme la première série de Jaguar XJ. Elle incarne une certaine forme d'élégance très britannique, à un prix relativement abordable. Le marché américain est aussi très demandeur, dès qu'elle est exportée en 1971. Les premières livraisons interviennent en juin 1970. Lors de sa commercialisation en France courant 1971, elle est affichée à 37 750 francs, à un tarif à mi-chemin d'une part entre une Alfa Romeo 2000 GT Veloce à 26 950 francs, un coupé 504 à 28 000 francs, un coupé Audi 100 S à 28 500 francs, une Lancia Coupé 2000 à 32 265 francs et d'autre part à un niveau plus élevé et plus élitiste une SM à 50 500 francs, une BMW 3.0 CS à 52 000 francs et un cabriolet 350 SL avec hardtop à 61 540 francs. Ce n'est pas une super TR 6 sportive avec deux cylindres en plus. Elle n'a pas non plus la rigueur et le prestige d'un coupé allemand. Modèle intermédiaire, il s'agit néanmoins d'une vraie GT bourgeoise, dotée d'une mécanique douce et d'un aménagement intérieur raffiné et confortable, susceptible d'attirer d'anciens amateurs de TR n'ayant plus vingt ans et avec charge de famille.
Finition bois à tous les étages, la tradition britannique est respectée Mais les nuages vont bientôt s'amonceler. Le V8 hérite en quelques mois d'une mauvaise réputation pour son manque de fiabilité. La British Leyland ne se donne pas vraiment les moyens de résoudre les problèmes connus et identifiés sur ce moteur. Paradoxalement, au sein du groupe, un autre V8 de 3,5 litres, d'origine Buick, équipe déjà les berlines Rover. Mais les techniciens de Triumph préfèrent défendre coûte que coûte le bien-fondé de leur mécanique, bien qu'une harmonisation entre les différentes marques aurait été d'une réelle pertinence économique. La simple adaptation du moteur Rover à la Stag, qui est plus léger, plus puissant, plus fiable aurait sans aucun doute solutionné l'essentiel des problèmes. Mais chez Triumph, on a une fierté à défendre. Produit en trop petite quantité, et exclusivement pour la Stag, ce moteur coûte cher à fabriquer, et nuit à la rentabilité de la voiture. Et quand bien même, l'adoption de la motorisation Rover n'aurait pas automatiquement été une garantie de succès, car au milieu des années 70, la Stag a déjà une allure démodée. Quelques entreprises vont prospérer à la fin de la décennie en remplaçant le moteur Triumph par celui de la Rover. Mais celui-ci pèse 68 kg de moins, et la répartition du poids par essieux s'en trouve modifiée. La carrosserie devient alors soumise à des vibrations. Pour rééquilibrer l'ensemble, il est nécessaire de changer les ressorts de suspensions ou de modifier le freinage.
Une Grand Tourisme au sens premier du terme Mais revenons à sa carrière commerciale. Dès 1973, avec les effets de la première crise pétrolière sur les grosses cylindrées, la Stag éprouve quelques difficultés à maintenir ses positions sur un marché déjà encombré. Les quelques modifications cosmétiques ou celles liées au niveau d'équipement n'empêchent pas une érosion progressive des ventes. En 1973, sa commercialisation cesse sur son premier marché, celui des Etats-Unis où elle ne répond plus aux récentes normes antipollution. Au regard des volumes de ventes sur ce continent, une mise à niveau de la mécanique s'avère trop coûteuse. Et surtout à la moindre rumeur - et, dans le cas de la Stag, il ne s'agit pas de simples rumeurs - relative à des problèmes de fiabilité, les acheteurs se volatilisent. Aux Etats-Unis, près de 2/3 des Stag connaissent des défaillances de moteur provoquées par des écarts climatiques importants. La Stag est maintenue en production jusqu'en 1977. 25 939 exemplaires sont assemblés, bien en deçà des 10 à 12 000 prévus annuellement. 19 097 voitures ont été vendues en Grande-Bretagne. En France, 245 Stag ont trouvé preneur, soit moins de 1 % de la production. Il est vrai que le classement dans la catégorie des 17 CV fiscaux lourdement taxée dans notre pays a été un frein majeur à sa diffusion. Au sommet de son impopularité à la fin des années 70, la Stag hérite du surnom peu enviable de " snag ", que l'on peut traduire par échec ou problème. Heureusement, depuis lors, c'est devenue une classique appréciée par nombre d'amateurs, et pour retrouver leur authenticité, une partie des 10 % (environ) de Stag transformées avec un moteur Rover a retrouvé la mécanique 3 litres d'origine. La Stag aurait pu être fabriquée en parallèle dans une version deux volumes, façon break de chasse, et venir ainsi grappiller quelques parts de marché à la Scimitar GTE de Reliant. L'idée venait de nouveau de Michelotti mais il ne parvint pas à intéresser la direction de Triumph.
Prototype de Triumph Stag façon break de chasse |