Duesenberg


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Les origines


Frederik Duesenberg voyait le jour le 6 décembre 1876 à Lippe en Allemagne. Son frère August naissait le 12 décembre 1879 dans la même ville. Leur famille émigrait aux Etats Unis en 1885. Encore adolescent, les deux frères ouvraient leur premier commerce de réparation de bicyclettes, et se distinguaient en compétition cycliste. En 1906, les frères Duesenberg créaient la Mason Motor Car Compagny, avec l'appui financier de l'avocat Edward R. Mason. Ils quittaient cette société en 1912, tout en continuant à lui fournir des moteurs. L'entreprise périclitait en 1914.

La Duesenberg Motors s'établissait en 1912 à St Paul dans le Minnesota. Frederik était le dessinateur. Il se tailla rapidement une belle réputation de génie de la mécanique. La légende dit qu'il était capable de donner les cotes d'un piston au 1/10 de millimètre d'un simple coup d'oeil. August réalisait les projets de son frère en y apportant les modifications qu'il estimait nécessaires. Leur entente était exemplaire. Leur entreprise construisait des moteurs de bateaux et de voitures pour différents petits constructeurs, ainsi que des voitures de course, sous leur propre nom.


L'après guerre


Le sens technique des frères Duesenberg fut mis à contribution pour participer à l'effort de guerre des Etats Unis à partir de 1915, notamment pour les fabrications aéronautiques. Après le conflit, l'entreprise jouissait déjà d'une vraie renommée. Ses premiers succès en compétition avant la guerre puis la qualité de ses fabrications pour les militaires avaient établi sa réputation. Après avoir cédé leurs premières installations industrielles, fort d'une certaine autonomie financière, les Duesenberg s'installaient à Indianapolis en 1920.

Duesenberg en course, 1925. Copyright

Désormais, la marque se lançait dans deux activités parallèles, mais associées : la production d'une automobile de très grand luxe, la type A, et l'engagement de voitures de course spécialement dessinées pour le Grand Prix d'Indianapolis, mais aussi aptes à disputer d'autres épreuves marquantes sur le sol américain. C'est effectivement à Indianapolis que les Duesenberg se distinguèrent par leurs performances et leur endurance, flirtant à plusieurs reprises avec la victoire absolument - 1916 et 1920 - avant de triompher trois années de suite, en 1924, 1925 et 1926.


Les années folles


Les Etats Unis venaient de se remettre de la passagère dépression née de la première guerre mondiale. Malgré de graves problèmes sociaux causés par la persistance d'îlots de pauvreté, le " capital " américain se portait bien. Le fantastique effort d'équipement du monde entier, dans lequel tous les produits " made in USA " tenaient le premier rang, avait constitué, reconstitué ou conforté des fortunes qui, même à l'échelle du nouveau continent, déconcertaient par leur étendue.

Frederick Duesenberg. Copyright

Pour la plupart des grandes entreprise, le mot d'ordre était " en avant toute " dans la course au profit. Dans ce contexte, la toute puissante industrie automobile, elle aussi, se portait bien. Un tel climat d'opulence favorisait tout naturellement la vente des voitures de très grand luxe. La signature de bons de commandes fermes allait bon train chez Cadillac, Lincoln, Packard, Stutz, Pierce Arrow, etc ...


La Duesenberg type A


En 1920, la Duesenberg de tourisme type A était présentée. L'entreprise avait opté pour un modèle unique, rapide, puissant pour l'époque (100 ch), luxueux, perfectionné dans une multitude de détails, et par conséquent cher. Cette voiture, dérivée de la technique des engins de course, fut fabriquée entre 1921 et 1927 à environ 600 exemplaires. Il s'agissait de la première automobile dotée d'un huit cylindres en ligne produite aux USA. Les carrosseries étaient toutes assemblées par des entreprises extérieures. La Duesenberg tranchait sur le flot plutôt terne des voitures américaines d'alors.

Duesenberg Model A Phaeton, 1923. Copyright

Duesenberg Model A Opera Coupe par Schutte, 1926. Copyright

En 1927 et 1928, Duesenberg liquidait ses derniers châssis du type A en commercialisant à une douzaine d'exemplaires une éphémère type X, une version réactualisée dérivée de la type A.


Gagner de l'argent, une nécessité, mais pas une évidence


Même dans un contexte économique extrêmement favorable, une telle voiture d'exception ne pouvait se vendre qu'à une petite élite d'enthousiastes fortunés, ce qui représentait un volume insuffisant pour assurer l'existence de la firme. Pire encore, la vente de chaque type A ne rapportait rien à son constructeur, en dépit des tarifs élevés. Les frères Duesenberg, s'ils excellaient dans la technique automobile, s'intéressaient peu aux tâches de gestion. Ils se montraient plus aptes à accumuler les victoires que les bénéfices.

Depuis de nombreuses années, l'entreprise était sous perfusion, multipliant les changements d'actionnaires. En 1926, elle était au bord du gouffre. Les actionnaires, des capitalistes puissants, mais peu au fait des subtilités du marché automobile, cherchaient un repreneur.

August et Frederick Duesenberg. Copyright


Les débuts d'Errett Lobban Cord


Erret Lobban (EL) Cord, fut un personnage clé dans l'histoire de Duesenberg. Revenons d'abord à ses premières armes dans l'automobile. Avant même d'avoir atteint sa majorité, EL Cord, né en 1894, fils d'un épicier d'origine écossaise, avait déjà expérimenté ses capacités de négoce, en ouvrant dès l'âge de 17 ans un petit commerce. Il transformait des Ford T en speedsters qu'il revendait avec un bénéfice substantiel. Ses différentes affaires prospéraient, puis périclitaient. La vie avait pour lui une saveur de Monopoly grandeur réelle. Il avait ainsi assimilé très tôt les lois du système capitaliste.

Errett Lobban Cord. Copyright

En 1919, le jeune homme épuisé financièrement mais d'un optimisme à toute épreuve proposait ses services à un concessionnaire de la marque Moon installé à Chicago. Payé à la commission, il s'imposa comme un vendeur hors pair. Son salaire annuel atteignait en 1923 la somme de 30 000 dollars (+/- la valeur de 100 Ford A). Mais EL Cord ne pouvait se satisfaire de ce statut de salarié, même confortable. En 1924, il rejoignait la firme Auburn, créée en 1900, au plus mal à ce moment là. Le constructeur n'avait pas su rajeunir à temps sa gamme. Les stocks d'invendus s'accumulaient dans la cour de l'usine, pourtant dans un marché en plein essor. Les actionnaires ne voulaient plus renflouer les caisses, faute de perspective d'avenir.

EL Cord, informé des difficultés du constructeur, et fort de sa réputation de vendeur de haut niveau dans l'industrie automobile, prit contact avec la firme. Il passa un accord en vertu duquel il prenait la vice présidence de l'entreprise, sans toucher de salaire. Mais en cas de réussite de son plan de sauvetage, il en prendrait le contrôle financier. Il imposa dès lors un plan de réorganisation draconien. Les voitures invendues furent repeintes dans des coloris plus en phase avec la demande du marché, puis écoulées dans le cadre d'une vaste campagne promotionnelle.

Grâce au nouveau modèle présenté en 1925, les ventes remontèrent significativement. Auburn vendait 5600 voitures en 1925 et plus de 20 000 quatre ans plus tard. En 1926, conformément à l'accord initial, EL Cord accédait à la présidence d'Auburn. Il rachetait l'ensemble des actions, et devenait propriétaire de la compagnie en 1928.

Les Auburn de 1927 étaient devenues des voitures attrayantes. Copyright


Errett Lobban Cord sauve Duesenberg


Le prestige dont jouissait la marque Duesenberg ne laissait pas insensible EL Cord. Elle était synonyme de qualité et de sophistication. Mais le niveau d'activité de la firme était loin d'être en phase avec sa réputation prestigieuse. La type A se vendait peu, et le programme sportif était ruineux. EL Cord rachetait Duesenberg en 1926, en se consacrant personnellement à la gestion financière et à la promotion des ventes. Comme chez Auburn, il élaborait un programme de redressement. S'adapter au marché encore très porteur de la seconde moitié des années 20 était une nécessité.

Il ne restait plus qu'à confier aux frères Duesenberg la réalisation du rêve d'EL Cord : construire la plus belle, la plus perfectionnée, la plus puissante et la plus grande voiture du monde, sans se soucier du prix de revient. La future Duesenberg se devait d'avoir plusieurs années d'avance sur la concurrence en place. L'objectif était de surpasser tous, absolument tous ses concurrents, qu'ils soient américains (Cadillac, Packard, Lincoln ...) ou européens (Rolls Royce, Isotta Fraschini ...).

Une fois les frères Duesenberg déchargés des préoccupations de gestion, Frederik fut nommé vice président chargé de la technique. Il était assisté par son frère August, et par l'ingénieur PA Watson. En 1926, EL Cord, président de Duesenberg, n'avait encore que 32 ans. Fred (1876-1932) et August Duesenberg (1879-1955) avaient respectivement 50 et 47 ans. Grâce à leur engagement régulier en compétition, ils avaient su maintenir un état d'esprit jeune.

EL Cord en ces années d'expansion constitua un véritable empire industriel florissant. Parallèlement à Duesenberg, il se porta acquéreur du fabricant de moteurs (automobile et aviation) Lycoming en Pennsylvanie, des ateliers de carrosseries Limousine Body Corp dans le Michigan, du fabricant de taxis Checker, du constructeur aéronautique Stinson Aircraft, et de la compagnie aérienne American Airways (bientôt renommée American Airline).


Naissance de la Duesenberg type J


Le savoir faire des deux frères dans la conception de châssis et de moteurs de compétition fut mise à profit pour l'étude de celle qui devait succéder à la type A. Ils avaient initialement envisagé un châssis à peine plus grand que celui de cette dernière, mais EL Cord avait insisté pour que soit présentée une plus grosse voiture capable de se déplacer à 160 km/h. L'étude du moteur fut menée en partant du 8 cylindres de la type A. Le splendide bloc moteur de la nouvelle type J mesurait 120 centimètres de long. Il affichait une cylindrée de 6,9 litres et une puissance annoncée, mais semble t'il un peu optimiste, de 265 ch. Il était produit en Pennsylvanie par Lycoming Motors, autre compagnie du groupe d'EL Cord. A l'époque, une telle démesure avait de quoi impressionner le commun des mortels (comme la Bugatti de 1001 ch de nos jours). Les meilleures voitures de prestige se contentaient le plus souvent de la moitié de cette puissance. La Chrysler Imperial par exemple, qui était jusqu'alors la voiture américaine de série la plus généreuse, n'offrait que 112 ch.

James Cagney et sa Duesenbreg Type J. Copyright

Duesenberg annonçait une vitesse de pointe de 190 km/h, un résultat impressionnant si l'on retient que le châssis et le moteur pesaient à eux seuls 2050 kg. Ces performances n'étaient approchées que par des voitures dotées de carrosseries sportives et légères. Les autres voitures habillées plus traditionnellement se contentaient au mieux de 160 km/h, une performance déjà remarquable. Le choc psychologique provoqué par la présentation de la type J au salon de New York le 1er décembre 1928, dont l'élégance presque européenne des proportions ne révélait pas immédiatement l'énormité, fut considérable auprès des personnalités les plus en vue du tout New York, de Hollywood, et de toutes les contrées où se retrouvait la clientèle des voitures de grand luxe. Instantanément, la Duesenberg éclipsa toutes ses rivales.

Ses dimensions, son apparence de monstre tranquille masquant sa force sous des contours presque européens, les courbes gracieuses de ses pare chocs et ses fantastiques roues entièrement chromées montraient même au profane qu'il y avait désormais deux sortes de voitures de luxe, la Duesenberg et ... les autres. Son prix à lui seul défrayait la chronique. Il n'y avait rien de plus cher aux Etats Unis. Aux yeux d'EL Cord, le tarif constituait en soit un argument de vente. Le châssis nu valait deux fois le prix d'une Cadillac V8 habillée par Fleetwood.

L'élégance féminine est indissociable de l'image Duesenberg, 1934/35. Copyright


Les premières livraisons de la type J


Après d'ultimes retouches, les premiers clients américains prirent livraison de leur Duesenberg en mai 1929. La prospérité était encore d'actualité pour quelques mois, et l'accueil fut franchement enthousiaste. La clientèle huppée se bousculait dans les premiers magasins d'expositions loués à grands frais par EL Cord dans les beaux quartiers.

EL Cord s'attacha les services de plusieurs designers de talent, qu'il s'agisse d'Alex Tremulis (1914-1991, le styliste de la Tucker), d'Al Leamy ou de Gordon Buehrig (1904-1990). EL Cord participait lui même à l'élaboration des dessins, et mettait à profit son sens aigu de l'esthétique, et son flair exceptionnel quant à l'attente et aux désirs de sa clientèle.

Huit dessins de carrosseries furent sélectionnés pour le catalogue. Ils émanaient de cinq grands noms de la carrosseries américaines : Derham, Holbrook, Rollston, Le Baron et Murphy. Les châssis leurs étaient livrés avec les ailes, les marchepieds, la calandre, le capot moteur, les phares, les pare chocs, les feux arrière et le tableau de bord, autant d'éléments d'identification qui donnaient aux Duesenberg un style et une personnalité commune. D'autre grands noms de la carrosserie américain furent contactés par l'usine ou directement par des clients.

La lettre ci-dessous était jointe à un catalogue de la marque. Source : http://forums.vwvortex.com


Gordon Buehrig


Gordon Buehrig (1904-1990) avait découvert le châssis de la Duesenberg type J au salon de New York. Ce fut pour lui une véritable révélation. Employé comme styliste chez Stutz, après un passage chez Packard puis au sein de la General Motors où il fit partie de la première équipe de Harley J. Earl, il n'eut alors de cesse que de rejoindre l'équipe qui participait à l'aventure de la type J. EL Cord fut séduit par la motivation et le talent du jeune homme. En juin 1929, il fut effectivement recruté chez Duesenberg en tant que responsable du bureau de style, une activité alors inconnue chez ce constructeur, puisque sous traitée à des carrossiers. Buehrig n'avait que 25 ans. Ainsi donc aux créations déjà existantes venaient se substituer des modèles créés ou retouchés à l'usine par Gordon Buehrig. Après la guerre, Buehrig travailla avec Raymond Loewy avant d'être engagé par Ford en 1952. Il se retirait en 1965, tout en continuant à donner des cours à l'Art Center College of Design de Los Angeles jusqu'en 1970.

Gordon Buehrig. Copyright


Le krach de Wall Street


Sur les 472 Duesenberg type J fabriquées, une cinquantaine franchirent l'Atlantique pour recevoir leur robe en Europe. Il semblait ne pas y avoir de limite à la création sur un tel châssis. Tout était possible, tissus, matières, équipements ... Aux Etats Unis et à l'étranger, les Duesenberg se positionnaient face aux Renault 40 CV, Panhard 35 CV, Maybach, Bucciali, Isotta Fraschini, Rolls Royce, Hispano Suiza, Minerva, Bugatti ou Bentley ... Elles attiraient des hommes d'Etat, des artistes, des stars de la finance et de l'industrie, etc ...

La krach financier d'octobre 1929 faisait toutefois ses premiers ravages, d'abord aux Etats Unis. Un secteur de l'économie résistait particulièrement bien, celui du cinéma. Le parlant supplantait le muet, et rajeunissait le genre. Le public avait besoin de s'évader et de rêver à moindre frais. De nouvelles stars brillaient sur grand écran : Clark Gable, Gary Cooper, Greta Garbo, Mae West, etc ... Fortune faite grâce à leur gloire naissante, cette clientèle de prestige avait les moyens de s'offrir une Duesenberg, la voiture à la mode.

Gary Cooper et sa Duesenberg Type J, vers 1931. Copyright

Même si les ventes de voitures destinées aux classes populaires et aux classes moyennes chutaient, il demeurait une catégorie de la population, certes extrêmement limitée, dont la fortune n'était pas exclusivement basée sur des titres financiers, et qui résistait sans trouble majeur aux évènements. Pour l'instant, grâce à cette clientèle, Duesenberg faisait face. Pour EL Cord qui s'était engagé sur un programme de 500 châssis, sans préciser le délai dans lequel ces voitures devaient êtres vendues, le cap était maintenu. La production s'adaptait à la demande. En mai 1930, plus de 250 châssis avaient été livrés, soit plus de la moitié du programme initial. L'engouement du départ pour la Duesenberg type J ne se démentait pas. Les ventes se maintenaient à un bon niveau en 1930 et 1931, malgré le contexte.


L'Europe et son homme providentiel, Edmond Z. Sadovich


L'Europe découvrait bientôt cette voiture exceptionnelle née à Indianapolis. Cet intérêt des européens s'éveillait au moment même où EL Cord, satisfait du succès de sa voiture aux Etats Unis, souhaitait investir le Vieux Continent et concurrencer ses plus illustres rivaux. En Europe, EL Cord avait trouvé l'homme de la situation, capable de toucher la clientèle blasée et jugée inaccessible du grand luxe, capable aussi de justifier le prix de vente astronomique des Duesenberg, et suffisamment expérimenté pour aboutir à la signature effective des bons de commandes. Son nom : Edmond Z. Sadovich. Pendant huit ans, celui-ci allait être le bras armé des marques du groupe d'EL Cord en Europe. Grâce à lui, Duesenberg allait parvenir à s'imposer face aux vieilles marques européennes.

Sadovich au pied de sa Duesenberg carrossée par Figoni sur le Paris Nice 1932. Copyright

D'origine yougoslave, Edmond Z. Sadovich avait quitté l'Europe pour les Etats Unis, avec pour seul bagage une farouche envie de réussir. Très au fait des techniques bancaires, il parvint à se constituer un pactole qu'il investissait avec succès dans l'immobilier sur le Vieux Continent. De retour aux Etats Unis au cours des années 20, il utilisa sa fortune pour mener une vie très confortable, s'offrant quelques très belles automobiles. Ses aptitudes à gérer l'argent des autres l'amenèrent vers Hollywood, où il côtoyait les plus célèbres stars du grand écran. A plusieurs reprises, Sadovich retrouvait, pour ses affaires ou pour son plaisir, le chemin des hauts lieux de l'aristocratie mondiale : Cannes, Deauville, Monte Carlo, Biarritz ... En dehors des vedettes du cinéma, il y rencontrait les plus grands magnats de l'industrie, les têtes couronnées du monde entier, les riches héritiers ...

EL Cord, le constructeur à la recherche de débouchés pour ses productions, et Sadovich, l'homme au puissant carnet d'adresse, rompu aux finesses des traditions du Vieux Continent, mais aussi au mode de vie parfois extravagant des grandes fortunes américaines, étaient fait pour travailler ensemble. Sadovich était convaincu qu'une clientèle immensément riche mais blasée pouvait se laisser tenter pour la Duesenberg. Pour devenir le distributeur exclusif des marques Auburn, Cord et Duesenberg, Sadovich s'attelait à la tâche. L'ampleur du travail n'effrayait pas notre aventurier. Il était nécessaire dans un premier temps de définir les caractéristiques des modèles exportés vers l'Europe, puis de mettre en place un magasin d'exposition, et des ateliers de préparation, d'entretien et de réparation. La société " Motor de Luxe " voyait le jour en octobre 1929, et installait son show room à Paris, rue de Berri, à quelques pas des Champs Elysées.

Durant l'été 1929, un premier " lot " de sept voitures, sous forme de châssis, ou déjà carrossées aux Etats Unis, prenait le chemin de l'Europe pour les salons de Paris et de Londres. La " première " européenne avait lieu dans la capitale française en octobre, où la Duesenberg s'affichait simplement comme la voiture la plus chère du monde. Elle ne manquait évidemment pas d'atouts : des lignes courbes qui contrastaient avec bonheur avec la raideur des lignes de la concurrence, une exclusivité suprême, un nom inconnu chez nous qui à lui seul fascinait, etc ... Les premières grandes fortunes d'Europe manifestaient leur intérêt.

Dès la fermeture du Salon de Paris, Sadovich commandait à pratiquement tous les carrossiers français de renom un nombre conséquent d'esquisses et de gouaches. Destinés à décorer les stands de la marque lors des grands salons, ou à orner les murs du magasin d'exposition de Paris (puis plus tard de Cannes), ces dessins, tous très séduisants, contribuèrent à drainer vers les carrossiers français bon nombre de clients. Accessoirement, ils permettaient de transformer les lieux d'exposition en véritable galerie d'art.

A l'échelle européenne, le succès de la Duesenberg était considérable. A Paris, une voiture fabriquée à Indianapolis valait le prix de huit Hotchkiss ou de deux Hispano Suiza. Il y avait un marché pour les voitures de luxe, et au dessus, un marché pour les Duesenberg ! Le printemps de 1930 vit éclore une multitude de Duesenberg dans les concours d'élégance européens, lieux privilégiés où s'associaient la mode féminine, les cercles mondains et la beauté automobile. Le mariage de ces immenses châssis fabriqués aux USA et des somptueuses carrosseries réalisées en Europe créait une rupture avec les usages du moment. Au final, il y eut sept carrossiers français à travailler effectivement sur la trentaine de châssis nus livrés à Paris par Duesenberg : Letourneur et Marchand, Franay, Hibbard & Darrin, Fernandez & Darin, Saoutchik, Figoni et Kellner.

Parmi la cinquantaine de Duesenberg diffusées par l'intermédiaire de Sadovich jusqu'en 1935, plusieurs prirent la direction des quatre coins de l'Europe. En dehors de l'hexagone, d'autres carrossiers illustres s'attachèrent à habiller ces châssis : d'Ieteren et Vanden Plas en Belgique, ainsi que Hermann Graber en Suisse. Duesenberg d'Indianapolis traita directement avec Castagna en Italie, et fit habiller par le carrossier des châssis qui repartaient directement vers les Etats Unis.

Duesenberg Type J par Graber, 1932. Copyright

Sadovich ne limitait pas la promotion des Duesenberg aux grands salons et aux concours d'élégance. Il s'engagea personnellement, en incitant certains de ses clients à faire de même, dans les compétitions routières, comme le Paris Nice de 1931 à 1933. L'objectif était de prouver s'il en était encore besoin que la Duesenberg était une véritable " grand tourisme ", avec toutes les qualités requises de puissance, de tenue de route, de freinage, etc ... L'atelier Duesenberg était implanté rue de Sablonville à l'orée de Neuilly. Il accueillait à la fois les limousines des clients fortunés, mais aussi les voitures de course produites à Indianapolis, pilotées en Europe par des champions, contribuant ainsi à développer une image de sportivité et de prestige autour de la marque.

Sans atteindre les chiffres de vente de 1930, les années 1931 et 1932 demeurèrent satisfaisantes pour l'aventure européenne de Duesenberg, dont la concession " Motor de Luxe " constituait le point névralgique. Néanmoins, pour demeurer proche de sa clientèle méditerranéenne, Sadovich ouvrait une succursale à Cannes au nom de " New York Garage ". En 1932, Sadovich complétait son offre avec les modèles des marques Cord (récemment créée en 1929) et Auburn. Il compensait la baisse des ventes des Duesenberg en mettant en avant la modernité réelle des voitures des deux autres marques du groupe. Un nouveau show room fut installé au 93 Avenue des Champs Elysées par la Sadova (Société Anonyme Distributrice Officielle de Voitures Américaines).


La Duesenberg type SJ


Bien que la Duesenberg type J ait bénéficié tout au long de sa carrière de diverses améliorations, l'usine éprouva le besoin de présenter en avril 1932 un modèle plus puissant, le type SJ, une variante à compresseur, qui annonçait 320 ch et 200 km/h quand il était équipé des carrosseries les mieux profilées et les plus légères. Ce modèle avait vu le jour par la volonté d'EL Cord de présenter quelque chose de nouveau, de remarquable, alors même que son groupe vivait les premières difficultés de sa courte histoire. Vendu à un prix largement supérieur à celui de la type J, le châssis de la type SJ ne parvenait à séduire que trente deux acheteurs de mai 1932 à octobre 1935.


Le déclin


Les conséquences de la crise de 1929 se ressentaient à tous les niveaux de la société américaines au cours de l'année 1930. La dépression frappait l'ensemble des classes sociales, de nombreuses familles américaines étaient en proie à la pauvreté, surtout celles qui avaient converti toutes leurs économies en actions. Le ciel commençait à s'obscurcir sérieusement pour le groupe d'EL Cord. Celui ci vendait 23297 voitures en 1929. Les ventes chutaient légèrement en 1930, mais la nouvelle Auburn présentée cette année là permettait de redresser la barre avec 34045 voitures en 1931. Le groupe qui gagnait encore de l'argent en 1931 annonçait un déficit dès 1932. La production chutait à 6000 voitures en 1933. Avec quelques dizaines de ventes annuelles, la marque Duesenberg résistait tant bien que mal.

Il se trouvait encore quelques milliardaires qui avaient les moyens de payer leur Duesenberg l'équivalent de cinquante Ford A. Outre les vedettes du grand écran déjà citées, quelques dizaines de diplomates, de politiciens, de têtes couronnées, de maharajahs, d'affairistes avisés, voir d'individus peu recommandables liés à la mafia étaient encore capables de débourser de tels montants. EL Cord qui était avant tout un homme d'argent, profitait à fond du système financier américain, allant jusqu'à spéculer sur ses propres titres. Sa technique était rudimentaire. Il vendait ses titres en grosse quantité afin de faire chuter les cours, et quand ceux ci étaient suffisamment bas, il les rachetait. Puis il lançait de grandes campagnes médiatiques, ce qui avait pour effet de faire remonter les cours, puis revendait ses titres et ainsi de suite. Ces opérations publicitaires attiraient de nouveaux clients séduits par le dynamisme et l'esprit d'innovation (traction avant, V12, compresseur, records de vitesse) des marques du groupe Cord.

En 1932, Frederik et August étaient sur le point de se séparer définitivement. Frederik ne voyait plus d'avenir en compétition, et préférait se consacrer aux voitures de luxe, tandis qu'August demeurait passionné par la course. Le sort précipita les choses. Frederik eut un accident grave en 1932 alors qu'il essayait un prototype, et mourrait quelques jours plus tard. Le cap de l'année 1935 marquait définitivement le début du crépuscule des marques de grand luxe. De nombreux modèles furent étudiés avant la crise, et leurs constructeurs n'eurent pas d'autre choix que d'accélérer leur commercialisation pour récupérer une partie de leurs investissements. En 1930, Cadillac dévoilait sa V16, il en fut de même pour Marmon en 1931. Lincoln, Packard et Pierce Arrow rejoignaient le club fermé des multicylindres de grand prestige en 1932.

Le grand rêve d'EL Cord touchait à sa fin. Il consacra ses dernières ressources à relancer ses deux autres marques. Une nouvelle Cord futuriste, la 810, fut lancée à grand frais en 1936. Les outillages de production n'étaient pas encore prêts pour satisfaire les premières commandes. Ce fut un fiasco commercial. La gamme Auburn ne parvenait pas davantage à inverser la tendance.

Les nouvelles Cord et Auburn au style moderne ringardisaient immédiatement les Duesenberg. Copyright

Duesenberg tentait vainement de relancer la type J entre 1935 et 1936, par le biais d'une modernisation prudente du châssis et des carrosseries. Les dernières Duesenberg étaient désignées JN et SJN. Esthétiquement, ce n'était pas une réussite. Très peu d'exemplaires furent assemblés. La Cord Corporation fut volontairement liquidée en août 1937, et les usines vendues. Le show room de Champs Elysées et l'atelier de Neuilly furent repris par la General Motors. Au final, il fut vendu 478 Duesenberg en sept années, soit un nombre proche de l'objectif initial de 500 voitures.

EL Cord parvenait à tirer son épingle du jeu par quelques opérations spéculatives de la dernière heure. Il se consacra par la suite à l'immobilier, avant de prendre en main les destinées d'une chaîne de radio. Dans les années 50, il fit fortune dans l'uranium, puis fut élu sénateur du Nevada. Il mourrait en janvier 1974 à l'âge de 79 ans, laissant derrière lui l'image d'un mégalomane un peu solitaire. L'histoire a retenu qu'il possédait une incroyable énergie, qu'il était doué d'un sens inné des affaires, et d'une capacité à découvrir puis fédérer autour de lui les meilleurs talents de son époque, afin de mener à bien ses projets, voir d'assouvir sa folie des grandeurs.

Bien que les historiens des trois marques qu'il dirigea n'aient pas toujours chanté ses louanges, force est d'admettre qu'avec son panache et ses prises de risques qui dépassaient ses capacités financières, il a laissé quelques chefs d'oeuvres à l'histoire automobile.


Une courte période d'oubli


La marque Duesenberg tombait quelques années dans l'oubli, avant d'intéresser les nouvelles générations américaines de l'après guerre qui découvraient dans les garages des riches familles ces monstres âgés de seulement un quart de siècle. Ceux-ci étaient d'un luxe à couper le souffle, et redémarraient le plus souvent au quart de tour. Dans leur pays d'origine, il ne fut pas nécessaire d'attendre bien longtemps pour que ces voitures soient sauvegardées de la destruction, et atteignent des valeurs très élevées en collection, en rapport à leur prestige passé.

En France, la prise de conscience fut plus lente, sans doute en raison d'un contexte économique d'après guerre plus difficile. Face à l'ignorance, il y eut d'aveugles destructions chez des casseurs plus sensibles au poids du métal qu'à celui du prestige de ces objets du passé. Heureusement (pour l'histoire, pas pour la France), quelques Duesenberg prirent la direction des musées américains.

Avec le recul du temps, il est surprenant de constater que la firme Duesenberg ait atteint pour toujours le firmament des voitures immortelles en à peine quelques années. Aussi surprenant est le taux de survie de ces voitures jusqu'à nos jours. Il en reste environ 300 à travers le monde, qui témoignent de la remarquable fiabilité et de l'impressionnante qualité de construction de celles-ci.


1947, premier projet de renaissance


La nostalgie était si forte pour cette marque que diverses tentatives furent menées pour faire revivre Duesenberg. En 1947, un groupe financier de Chicago acquit les droits de la marque et engagea August Duesenberg avec l'intention de produite un nouveau modèle. Faute de rentabilité possible, le projet fut abandonné. August Duesenberg disparaissait en 1955.


1966, deuxième projet de renaissance


L'idée de faire renaître Duesenberg fut de nouveau d'actualité durant les années 60. Fritz Duesenberg, le fils d'August, était à la manoeuvre. Virgil Exner fut engagé comme styliste sur le projet. Un de ses premiers dessins fut repris par le fabricant de jouets Renwall.

Un des dessins d'Exner repris par Renwall. Copyright

La suite des travaux aboutissait à la réalisation d'un prototype sur un châssis de Chrysler Crown Imperial raccourci de trente centimètres. Ce prototype fut présenté en grandes pompes au Sheraton Lincoln Hôtel d'Indianapolis le 29 mars 1966. La nouvelle Duesenberg possédait des lignes majestueuses, soulignées de nombreux chromes. Si la poupe était assez sobre, la proue était plus voyante, avec une calandre verticale et des traits agressifs. Le prototype avait été habillé par Barreiros, société espagnole qui fabriquait alors la Dodge Dart pour la péninsule ibérique. Ghia devait être chargé d'en assurer, en petite série, l'assemblage final en Italie.

Exner s'approche des formes définitives. Copyright

Le nouveau projet de Exner, plus réaliste, en 1966. Copyright

L'ambition de ce projet était de déboucher sur une production en quantité dans le giron d'un grand constructeur auquel l'ensemble de l'étude aurait été vendue " clé en main ". Le dossier de presse annonçait 300 voitures en 1966, pour un rythme annuel pouvant atteindre 2000 voitures. Ce grand constructeur, Chrysler en l'occurrence, aurait proposé une Impérial " série spéciale " baptisée Duesenberg, vendue dans son réseau, à une clientèle très aisée en quête d'exclusivité.

Aucune option n'était prévue. Le luxe était omniprésent, avec les plus beaux matériaux (cuir et acajou) et les meilleurs équipements disponibles à cette époque (air conditionné, régulateur de vitesse, compteur altimètre (!), console avec radio pour les occupants arrière ...). Il était inutile d'en rajouter. Le moteur Chrysler de 7,2 litres de 350 ch devait être poussé à 400 ch. Le prix de vente était trois fois supérieur au modèle qui servait de base.

L'habitacle luxueux de la Duesenberg. Copyright

Le prototype de la Duesenberg sur le circuit d'Indianapolis. Copyright

Les tractations commerciales avec Chrysler n'aboutirent pas. Plusieurs problèmes n'étaient pas véritablement résolus. D'une part, les droits sur le nom Duesenberg ne semblaient pas totalement acquis à l'équipe de Fritz Duesenberg et Virgil Exner. Celle ci avait pourtant en poche l'accord d'un des membres de la famille. Plusieurs autres ayants droits se seraient fait connaître. D'autre part, et c'était encore beaucoup plus grave, l'équipe marketing de Chrysler chargée d'étudier la viabilité et l'impact commercial de l'opération " Duesenberg " rendit des conclusions particulièrement négatives. La nouvelle Duesenberg par ses racines Chrysler trop " prolétaires " n'aurait pas soutenu longtemps la comparaison avec les Rolls Royce Silver Shadow ou Mercedes 600.

Auburn, Cord & Duesenberg, cette couverture de magazine évoque les années glorieuses. Source : Special Interest Autos, February 1983.

Certes, l'idée d'évoquer une marque célèbre et disparue n'était pas mauvaise, mais la clientèle pour ce genre de véhicule fut considérée comme étant trop réduite en nombre. La voiture ne fut finalement jamais produite.

Virgil Exner ne perdit pas espoir, et en tenant compte des conclusions apportées par l'équipe marketing de Chrysler, il décida de pousser plus loin encore le délire néoclassique, en proposant une voiture suffisamment exclusive et luxueuse pour concurrencer les valeurs sûres du marché mondial. Il rencontrait un financier de New York, James O'Donnell, qui lui offrait enfin les moyens de concrétiser son rêve. Le " revival " de la marque Stutz était en route.

En 1966, ce dessin de Virgil Exner pour un cabriolet Duesenberg aurait pu constituer une suite à la berline Duesenberg. Le projet fut présenté à James O'Donnel, à l'origine de la renaissance de la marque Stutz. Ce dernier préféra néanmoins se concentrer sur le coupé Stutz Blackhawk. Copyright


Philippe Pernodet nous communique des informations complémentaires concernant cette auto :

La marque Duesenberg n'a jamais essayé de renaître de ses cendres et l'opération "Duesenberg revival" ne s'apparentait pas vraiment à celles entreprises par Bugatti ou Maybach ... Pour comprendre l'histoire, il faut remonter au début des années soixante et se rappeler comment Virgil Exner s'amusait à " ressusciter " des automobiles : Une Pierce Arrow en 64, qui ne dépassa pas le stade de maquette et qui fut d'ailleurs vendue quelques années plus tard sous forme de jouet chez Renwal, la Mercer Cobra, vision échevelée et " bâtarde" (puisque réalisée sur une base Cobra) de la Mercer de course des année 1911/1912, et enfin (et surtout !) la Bugatti type 101 basée sur un authentique châssis Bugatti (l'un des tous derniers produits à Molsheim, acheté par Exner lui même).

Ce châssis, notre homme essaiera en vain de le surbaisser, finira par le raccourcir de presque cinquante centimètres, et fera carrosser le tout par Ghia selon son dessin : Un cabriolet assez élégant nanti d'une calandre placée " en avant " (une constante chez lui ...). La belle ressuscitée sera présentée à Turin en 1965, dans une livrée bleue, comme il se doit pour une Bugatti " bien née " ! Les puristes feront la fine bouche, mais tous les autres (américains surtout!) vont encourager le styliste à poursuivre ... Mais poursuivre quoi ? La Bugatti 101 qu'il vient de dévoiler n'est rien d'autre qu'une véritable Bugatti recarrossée de façon néo classique, il ne reste plus de châssis à "revisiter", l'aventure est bel et bien terminée.

C'est en travaillant sur ces voitures uniques que lui vient une idée, celle de recréer l'esprit d'une marque disparue à travers une série spéciale basée sur l'un ou l'autre des modèles de série américains. Commence alors le projet « Duesenberg » dont le but n'est autre que de déboucher sur une production en grand nombre dans le giron d'un grand constructeur auquel le projet aura été vendu « clé en main ». Le prototype sera réalisé chez Ghia et présenté en grandes pompes au Sheraton Lincoln Hôtel d'Indianapolis le 29 mars 1966.

Pour des raisons de publicité et de prestige, une série « limitée » est proposée à prix d'or, et l'on annonce les noms de quelques stars comme étant les premiers clients (Elvis Presley, Jerry Lewis etc.) mais, derrière l'écran de fumée médiatique Exner est en pleine tractations commerciale avec Chrysler, le but étant de faire accepter au constructeur de produire une Impérial " série spéciale " baptisée Duesenberg qui serait vendue par le réseau Chrysler à une clientèle plus aisée et en quête d'exclusivité.

Mais plusieurs problèmes se profilèrent à l'horizon. Premièrement, les droits sur le nom Duesenberg ne semblent pas totalement acquis à l'équipe de Virgil Exner qui avait pourtant en poche l'accord d'un des membres de la famille. Plusieurs autres ayants droit se seraient fait connaître et (si mes renseignements sont exacts) l'on allait assister à une de ces belles empoignades juridiques dont l'Amérique a le secret ! D'autre part, et beaucoup plus grave : l'équipe marketing de Chrysler chargée d'étudier la viabilité et l'impact commercial de l'opération " Duesenberg " rend des conclusions particulièrement négatives. Certes, l'idée d'évoquer une marque célèbre et disparue n'était pas mauvaise, mais la clientèle pour ce genre de véhicules est trop peu nombreuse, se situant entre ceux qui n'ont pas réellement les moyens de payer plus cher que le modèle de base, et ceux vraiment riches pour lesquels la version " Duesenberg customisée " trop proche d'une Impérial de série ne pourrait soutenir la comparaison avec une Rolls, une Bentley ou une Mercedes 600. Trop cher pour les uns, pas assez exclusif pour les autres : Aux oubliettes, la Duesenberg !

Dés lors, il ne fut plus question de perdre du temps à produire la série initiale de cinquante exemplaires qui n'avait pas d'autre but que de faire fantasmer les foules en attendant d'introduire la " Duesenberg de série ". Sur le plan de la publicité pourtant, la mission était assez bien remplie ... Il suffit pour s'en convaincre de lire le commentaire dithyrambique du journaliste de l'Auto Journal . Celui ci va même jusqu'à ajouter des centaines de kilos à la voiture : " près de trois tonnes ", alors qu'en fait, la Duesenberg de 1966 pesait à peu de choses près le même poids qu'une Chrysler Impérial : 2400 kg environ !

Pour la petite histoire il faut savoir que Virgil Exner ne perdit pas espoir, et tenant compte des conclusions apportées par l'équipe marketing de Chrysler, il décida de pousser plus loin encore le délire néoclassique et de proposer une voiture suffisamment exclusive et luxueuse pour concurrencer les valeurs sûres du marché mondial. Cette voiture devant être produite en très petite quantité ... Il rencontrera un financier de New York (James. O Donnell) qui lui permettra de concrétiser son rêve et de déboucher sur l'aventure Stutz, qui elle, s'apparente d'avantage à une entreprise de « renaissance » vaguement comparable à la réapparition de Bugatti.

Sans exagérer, l’ensemble de la production Stutz (de 1971 à 1995) représente une " gamme " particulièrement " bordélique " face à laquelle l’arbre généalogique des Maserati Biturbo (pourtant gratiné, au demeurant...) pourra paraître d’une clarté limpide ! !

Ce flou artistique est du en grande partie aux différentes bases mécaniques utilisées successivement (du début 70 à la fin des années 80, les voitures servant de base de travail aux différent modèles ayant été remplacées) et au désir de conserver à la gamme Stutz (sans cesse agrandie !) une certaine cohérence esthétique. Ajoutez à tout cela les problèmes rencontrés avec les différents carrossiers italiens, les modèles " spéciaux " carrossés pour moitié en Italie et terminés aux USA et d’autres encore, construits 100% US, et vous aurez une petite idée du portrait de famille " labyrinthique " des Stutz. Dans le désordre, les Stutz berlines, limousines, coupés et cabriolets, seront réalisés à partir de Pontiac Grand Prix (versions 70 et 80), Pontiac Bonneville et Firebird, Oldsmobile Delta, diverses Cadillac, etc ...

Dans le tourbillon de cette production cacophonique (et pourtant assez réduite), on fera même appel au designer Paolo Martin (ex Pininfarina, nous lui devons, entre autre, le prototype Ferrari Modulo) qui sera chargé d’harmoniser la gamme, de dessiner la version limousine " royale " et d’établir une version définitive de la berline ... Martin s’acquittera honorablement de sa tâche en ce qui concerne les deux premières missions, mais en ce qui concerne la berline. Il faut bien avouer que la berline, chez Stutz , c’est de la poésie pure !!!

Toutes les versions trouvent leur signification dans les différentes bases de séries sur lesquelles elles furent développées et dans les différents accords passés avec les carrossiers italiens qui furent consultés ou utilisés comme partenaires.

Beaucoup d’amateurs et de spécialistes reprochent aux Stutz leur côté kitsch, les mieux informés vous dirons que ces voitures n’avaient pas d’existence réelle, dans la mesure où, basées sur des modèles de série sans cesse différents, elles n’avaient pas de « personnalité propre ». Et on ne peux pas donner tort à ces détracteurs. En effet, une Blackhawk de 1974 n’est rien d’autre qu’une Pontiac Grand Prix recarrossée avec les défauts et les qualités (modestes) de ce coupé de grande série. Seule valeur ajoutée à part la carrosserie : une finition intérieure revue à la hausse et un nombre impressionnant d’équipements.

C’est pour cela qu’il est difficile de parler d’une véritable renaissance de la marque. A la limite on pourrait presque dire que les ingénieurs et les artisans qui ont produit les Stutz contemporaines ont, dans la réalité, habilement « maquillé » de confortables voitures américaines de série en " fantasmes néo classiques ".

Mais ce serait trop simple, la qualité de leur travail et la cohérence esthétique des différents modèles qu’ils ont engendrés (surtout après 1975) constitue un véritable « fait unique » dans l’histoire de l’automobile d’après guerre . En effet, qui d’autre pourra prétendre avoir atteint un tel résultat ? Si l’on compare la production Stutz (dans sa cohérence et sa diversité, mais aussi dans sa longévité aux autres entreprises " néo classiques " comme Clénet, Phillips, Knudsen, Johnson, Zimmer et autres Di Napoli ou Cumberford, force est de constater qu’aucun d’entre eux ne peux prétendre soutenir la comparaison, mis à part Excalibur, dans une certaine mesure.

Il faut également reconnaître à Virgil Exner une réelle habileté de dessin : Au delà de l’aspect voyant de l’ensemble , et de certains détails et finitions que certains jugeront outranciers, la ligne générale ne manque pas d’allure, elle est élégante et équilibrée, surtout si l’on tient compte des dimensions du véhicule.

En observant son travail sur les dix dernières années de sa vie on finit par découvrir qu’il a dessiné sans cesse la même voiture : La ligne générale qu’il avait inaugurée sur les Mercer Cobra et Bugatti 101 va être systématiquement adaptée à travers différentes variations, pour tourner à l’obsession . Pierce Arrow, Jordan, Packard et Duesenberg : autant de projets " revivals ", autant de voitures se ressemblant comme des soeurs jumelles !

Ce designer qui fut employé au bureau de style Pontiac avant guerre et chez Studebaker jusqu’en 1949 ne parvint pas à s’adapter au modernisme affiché par les états majors "consuméristes" d’une industrie automobile américaine en pleine expansion. Sa conception classique et sa recherche d’une élégance d’avant guerre vont peu à peu l’éloigner du "pragmatisme" ambiant. Beaucoup d’amateurs d’aujourd’hui se complaisent à décrire Virgil Exner comme un mégalomane épris de gloire et de publicité, parti fonder son studio de style, s’enfermer dans sa tour d’ivoire et laisser libre cours à sa folie créatrice ... C’est une vision réductrice !

En 1961, Exner quitte le poste important de décideur qu’il occupait au sein du groupe Chrysler... Parce qu’il n’est plus en phase avec la direction de l’époque et qu’il sent son pouvoir et ses prérogatives se réduire de plus en plus. C’est un homme plutôt isolé qui fonde son studio de style cette même année. Cette nouvelle position va lui permettre, de développer ses projets avec une liberté et des moyens que Chrysler n’a pas jugé opportun de lui accorder. C’est dans cette ambiance d’outsider qu’il va entreprendre ses différents projets de " résurrection " et c’est à la porte de Chrysler qu’il reviendra frapper cinq ans plus tard, persuadé cette fois que son projet " Duesenberg " finalisé remportera tous les suffrages ...

L’aventure Stutz des années 70 n’est rien d’autre qu’une radicalisation d’une vision que notre homme défend depuis le début des années soixante. C’est aussi, en quelque sorte, un constat d’échec sur le plan professionnel pour l’homme d’industrie qu’était Exner : Les Stutz ne seront produites qu’au compte goutte et resteront des voitures marginales (c’est un euphémisme !).

Ironie du sort : Aujourd’hui Chrysler propose des automobiles néo classiques de grande série (sans compter les prototypes nostalgiques Phaeton, Atlantic...), et de nombreux industriels s’acharnent à faire revivre des marques disparues (Bugatti, Isotta Fraschini, Maybach...).

Exner, mégalomane et " psycho-rigide " certes ! Trop en avance ou trop passéiste ? Les événement d’aujourd’hui tendraient à prouver qu’il avait eu, au moins, une intuition aux accents prophétiques. Lui qui déclarait en 1970 " le style américain est en train de mourir à petit feu ". Nous connaissons la suite, et il suffit par exemple d’évoquer la longue crise d’identité stylistique traversée par Cadillac pour comprendre qu’il n’avait pas tout à fait tort. Ses propositions trop radicales et son refus de " composer " avec son temps sont également pour beaucoup responsables de sa marginalisation.

Restent les Stutz, voitures de luxe exubérantes au parfum de show biz... J’ai pour ces mastodontes un regard amusé et amical. Elles marquent la trace laissée par un créateur un peu fantasque, talentueux et singulier qui essaya, sous d’autres cieux et en d’autres temps de faire accepter sa vision à une industrie froide et, déjà à l’époque, peu encline à laisser libre court aux délires originaux.


1979, troisième projet de renaissance


En 1979, les descendants des fondateurs Frederik et August Duesenberg reprenaient le flambeau, au nom d'une certaine légitimité. Leur interprétation moderne de la Duesenberg n'était pas autre chose qu'une Cadillac Fleetwood habillée dans un style baroque.

Cadillac Fleetwood habillée façon Duesenberg. Copyright


2007, quatrième projet de renaissance


Une nouvelle tentative de renaissance de la marque fut initiée en 2007. La Torpédo Coupé devait prendre pour base le châssis de la Mercedes CL 500, et utiliser son V12. Jeff Teague s'inspira du style des années 30 pour dessiner cette nouvelle Duesenberg. Ce designer était passé par de grandes entreprises comme Volkswagen, Mitsubishi et Ford. En 1998, il créait sa société Teague Design Inc. Son père n'est autre que Richard A Teague, ancien patron du style chez AMC, créateur des Gremlin, AMX et Pacer. En 2007, un site internet dédié à ce projet annonçait l'arrivée de la voiture pour 2008, le temps de parfaire la mise au point .... Depuis, le projet s'est évaporé !

Duesenberg revival vu par Jeff Teague. Copyright


La réplique de Duesenberg Motor Corp


Nous ne sommes plus ici dans le cadre de ce chapitre consacré aux " revival ", mais évoquons tout de même l'existence dans les années 70 et 80 de deux répliques Duesenberg. Entre 1971 et 1978, la Duesenberg Motor Corporation proposait une première version. La mécanique était un 8 cylindres Dodge de 6,3 litres.

Plus durablement, Elite Heritage, société créée par Richard Braud, commercialisait à partir de 1979 une autre réplique à moteur Lincoln 8 cylindres de 5 litres. Face à la multitude des carrosseries Duesenberg imaginées durant les années 30, Braud avait fait le choix d'une version SJ Speedster, réalisée par Weyman et dessinée en 1933 par Gordon Buehrig. Cette voiture n'était pas sans rappeler le style des Auburn de 1935, avec un immense capot avant contrebalancé par un arrière en pointe. Braud avait un souci quasi maniaque du détail et de l'esprit d'origine. A titre d'exemple, faute de trouver un fournisseur aux Etats Unis et refusant de se satisfaire d'une reproduction en plastique, il fit fabriquer les phares en métal au Moyen Orient. De même, bien que son prix soit exorbitant, Braud utilisait du fil d'acier carré (et non rond) pour former le grillage des ouïes de capot. Quelques concessions furent faites au modernisme. La carrosserie qui était en polyester n'avait cependant rien à envier côté finition à ce qui se faisait avant guerre. Le volant était imposé par de nouvelles normes de sécurité. La chaîne stéréo et l'air conditionné n'étaient pas vraiment d'époque. Elite Heritage prévoyait de produire environ une voiture par mois. Certains des premiers clients étaient des propriétaires d'une authentique Duesenberg. Cela leur permettait de rouler en Duesie tous les jours sans se soucier de la mécanique de leur auto.

Duesenberg II, Elite Heritage Motors Corp. Copyright

La côte des " vraies " Duesenberg atteint de nos jours des sommets inaccessibles, identique à celle des Bugatti. Le mal est pire si l'objet est doté d'un pedigree, s'il a appartenu par exemple à une star du cinéma hollywoodien. Cette rareté des originaux a permis à la Duesenberg d'Elite Heritage de rentrer elle aussi dans le domaine de la voiture de collection.

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