Delaunay-Belleville, l'élite automobile


Delaunay-Belleville était un constructeur français de voitures de luxe, créé en 1904, et implanté à Saint-Denis, au nord de Paris. Au début du 20e siècle, les voitures de la marque figuraient parmi les plus prestigieuses et les plus chères au monde. La marque Delaunay-Belleville entama un déclin inexorable après la guerre de 1914/1918. Elle s’éteignit en 1948.


Les origines


Julien Belleville (1823/1896) est depuis le milieu du 19e siècle un fabricant de chaudières à vapeur. Il dirige les Ateliers et Chantiers de l'Ermitage, implantés rue de l'Ermitage, à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Plus puissantes, plus fiables, et surtout d'un encombrement réduit par rapport aux modèles concurrents, les chaudières de Julien Belleville équipent de nombreuses usines, des locomotives, des yachts ... Plusieurs marines de guerre à travers le monde dotent leurs navires de machines fabriquées par Julien Belleville, c'est tout dire de la crédibilité des produits qui sortent de ses ateliers.

Julien Belleville s'associe en 1867 avec son gendre Louis Delaunay (1843/1912), qui participe d'emblée activement à la direction de l'affaire. C'est un diplômé de Polytechnique et de l'Ecole d'Application du Génie Maritime. C'est un homme brillant et intelligent, qui va faire grandir l'entreprise. Son beau-père lui confie totalement les commandes à la fin des années 1880. Si l'affaire marche si bien, c'est parce que les deux hommes ont su s'entourer, chaque fois que nécessaire, de collaborateurs compétents, capables de systématiquement relancer la machine.

Louis Delaunay (1843/1912), ingénieur et industriel français. C'est un homme influent. Il assume à partir de janvier 1893 la présidence de la Chambre de commerce de Paris où il est réélu cinq fois. Il est par ailleurs administrateur de la Compagnie des chemins de fer d'Orléans, membre de la Commission centrale des machines à vapeur, membre du conseil d'administration du Conservatoire des arts et métiers, et régent de la Banque de France. En 1900, il est nommé directeur général de l'Exposition Universelle, et décoré la même année du titre de Grand Officier de la Légion d'Honneur.

Louis Delaunay développe les activités d'usinage de pièces mécaniques de précision, dans le domaine de l'automobile. L'entreprise compte en 1902 près de 1 000 ouvriers dans la vaste usine de Saint-Denis. Notre homme entreprend de s'intéresser au secteur de l'automobile en plein développement, mais il est conscient qu'il ne possède pas toutes les compétences requises pour aborder ce marché. C'est ainsi qu'il recrute Marius Barbarou (1876/1956), un ingénieur de 28 ans, afin qu'il prenne en charge cette nouvelle activité. La position du groupe industriel Delaunay-Belleville est bien solide, et sa réputation bien établie. Il n'a aucun mal à convaincre le jeune homme de travailler pour lui. Il y restera jusqu'en 1914.

Marius Barbarou a auparavant travaillé pour le constructeur Adolphe Clément au poste de chef du bureau d'études, puis pour Benz en tant qu'ingénieur en chef. Les Delaunay-Belleville seront évidemment des voitures à pétrole, la vapeur appartenant désormais à l'histoire ancienne. La Société Anonyme des Automobiles Delaunay-Belleville est fondée en 1904. C'est une filiale de la maison mère qui indépendamment de la fabrication des automobiles, poursuit ses autres activités industrielles. Louis Delaunay est président du conseil d'administration. Ses fils Robert et Pierre sont administrateur et administrateur délégué. En quelques mois, Marius Barbarou conçoit trois châssis dotés de moteur 4 cylindres.


Les débuts automobiles


Delaunay-Belleville est présent pour la première fois au Salon de Paris en 1904. Exposés sous la nef centrale du Grand Palais, les trois châssis Delaunay-Belleville impressionnent par la qualité de leur réalisation. Les éloges fusent de toute part. La presse spécialisée est enthousiaste. L'usine de Saint-Denis commence la fabrication des trois modèles. Il y a une 16 HP, une 24 HP et une 40 HP. La longueur des empattements varie de 2,86 à 3,11 mètres, ce qui permet d'adapter de vastes carrosseries.

Delaunay-Belleville au Salon de Paris 1904

Ce sont probablement les premières automobiles à avoir des arbres à cames lubrifiés par pression. Ce système a été breveté en 1897 par Delaunay-Belleville pour ses machines à vapeur. Il a depuis équipé des centaines de machines avec une totale satisfaction. Les voitures Delaunay-Belleville ne sont pas pour autant exemptes de reproches, notamment pour ce qui est de la transmission par chaîne, de l'allumage à basse tension ou des moteurs à cylindres séparés, des solutions déjà désuètes pour l'époque. La calandre est en forme de disque, et rappelle les ouvertures donnant accès à l'intérieur des chaudières. Cela permet au moins de reconnaître immédiatement une Delaunay-Belleville.

La carrosserie se fixe au châssis par quatre boulons. Le client peut disposer s'il le souhaite d'une caisse fermée en hiver, et d'une caisse ouverte en été. Au dire du constructeur, 20 minutes suffisent pour mener à bien le changement d'habillage. Toutes les pièces des voitures, sauf les magnétos, manomètres, batteries et pneus sont fabriquées à Saint-Denis, y compris les châssis qui sont emboutis à l'usine. Les Delaunay-Belleville sont produites avec des outillages neufs, et sont vérifiées minutieusement, ce qui garantit, fait rare à cette époque, une interchangeabilité absolue. Evidemment, ce niveau de précision séduit les clients les plus exigeants, et permet à la firme de Saint-Denis d'intégrer immédiatement la cour des grands.

Baudry de Saunier, influent rédacteur en chef de " La Vie Automobile ", ne tarit pas d'éloges pour ce nouveau constructeur dans son numéro du 7 janvier 1905. Il vante d'abord la notoriété de Delaunay-Belleville dans ses autres activités industrielles. Il est persuadé que ce nouveau constructeur saura en matière automobile être à la hauteur de cette réputation. Un des premiers clients est le roi d’Espagne Alphonse XIII (1886/1941), un passionné d'automobile et par ailleurs fervent soutien de la marque Hispano-Suiza.

La sortie des Etablissements Delaunay-Belleville. Au début du 20e siècle, une grande partie de l'industrie automobile française est concentrée en région parisienne.

La gamme évolue d'année en année, sans rien sacrifier à l'image de qualité acquise dès les débuts. Un démarreur est proposé en option à partir de 1908. C'est une année charnière dans l'histoire de la marque, avec la commercialisation des premiers châssis à moteur 6 cylindres qui répondent parfaitement aux exigences de Louis Delaunay, qui veut des voitures souples, puissantes et silencieuses.

Au début du siècle, la page de couverture des magazines automobiles est couramment illustrée par une publicité. Delaunay-Belleville s'offre ce luxe dans le numéro 198 d'Omnia du 16 octobre 1909. Comme c'est souvent le cas en pareille circonstance, un article rédactionnel en pages intérieures s'intéresse aux nouveautés du constructeur. Ici, nous découvrons un développement de huit pages au sujet de l'une des voitures livrée au tsar de Russie.

C'est pour la marque le préambule d'un âge d'or, qui va durer jusqu'en 1914. La gamme comporte en 1908 trois 4 cylindres (10/12 HP, 28 HP et 40 HP) et trois 6 cylindres (10/12 HP, 15 HP et 40 HP). Pour 1909, on y ajoute une 6 cylindres 25 HP. En 1910, l'ensemble de ces modèles sont reconduits au catalogue.

Cette publicité de mai 1910 montre que Delaunay-Belleville a bien la capacité, même si la production est réalisée de manière artisanale, de fournir une flotte entière de véhicules, dans le cas présent destinée aux Syndicat des Hôteliers de Nice.

Les Delaunay-Belleville deviennent les voitures de référence en 6 cylindres. Le constructeur de Saint-Denis privilégie le soin apporté à la fabrication et la fiabilité, par rapport à l'innovation à tout prix. Jusqu’en 1914, les Delaunay-Belleville sont estimées par beaucoup comme les meilleures voitures du monde, avant que ce slogan ne soit repris par Rolls-Royce.

Delaunay-Belleville, 1911. En quelques années, la marque s'est imposée auprès de l'aristocratie européenne. " Aucun propriétaire de Delaunay-Belleville ne conduit lui-même sa voiture, pour la simple raison que cela ne se fait pas " aurait déclaré le coureur et constructeur Fernand Charron.

Comme c'est l'usage aux débuts de l'automobile, la carrosserie et l'habillage intérieur sont confiés à des carrossiers indépendants.


La 70 HP


Delaunay-Belleville est le premier constructeur automobile français à proposer un moteur 6 cylindres de si forte cylindrée : 11 846 cm3. La 70 HP qui en est dotée est commercialisée entre 1909 et 1912. Delaunay-Belleville n'a que quelques années d'existence dans la construction automobile, mais sa réputation a déjà traversé les frontières, notamment celle de la Russie. En effet, Nicolas II (1868-1918) équipe déjà ses yachts de moteurs fabriqués à Saint-Denis. L'une des premières 70 HP est justement acquise par le tsar de Russie, d'où la désignation de type SMT (Sa Majesté le Tsar) couramment attribuée à la 70 HP. Nicolas II a régné sur la Russie de 1894 à 1917, avant d’être assassiné le 17 juillet 1918.

Pour sa deuxième commande, le tsar exige que la voiture puisse démarrer depuis le siège du conducteur, sans que l'on entende la moindre explosion. Un démarreur à air comprimé est mis au point. Ce type de démarreur va devenir dans les années 1910 la norme dans le secteur automobile. Nicolas II va posséder jusqu'à sept Delaunay-Belleville en 1912. L'une d'entre elles sera équipée de chenilles pour ses déplacements sur la neige. Cette transformation sera réalisée par le chef mécanicien des garages impériaux, Alphonse Kégresse, bien connu des amateurs de Citroën ...

En septembre 1911, le tsar Nicolas II visite le lycée Kaiser Alexander de Kiev. Il se déplace avec sa voiture préférée, la Delaunay-Belleville 70 HP. Avec la Rolls-Royce Silver Ghost (1907/1926), la 70 HP est ce qui se fait de mieux au monde.

Cette Delaunay-Belleville 70 HP est l’un des exemplaires appartenant à Nicolas II. On remarque la forme très particulière de la calandre, qui permet jusqu'en 1921 de différencier la marque de Saint-Denis.

Le tsar de Russie Nicolas II dispose d'un parc automobile conséquent, mais ce sont les Delaunay-Belleville qu'il préfère. Les plus spectaculaires sont évidemment les imposantes 70 HP.

Cet autre exemplaire de la Delaunay-Belleville 70 HP a appartenu au tsar Nicolas II. Le prestige d'un client de cette renommée rejaillit évidemment sur la notoriété de la marque de Saint-Denis.

Cette Delaunay-Belleville 70 HP appartient au roi du Monténégro Nicolas 1er (1841-1921), qui a régné sur son pays de 1910 à 1918. Il a terminé sa vie dans la région du Cap d’Antibes, après avoir été démis de ses fonctions par les représentants du royaume en 1918, lors du vote du rattachement à la Serbie.

Delaunay-Belleville affirme son succès à travers le monde, et le constructeur ne s'endort pas sur ses lauriers. En 1912, la Delaunay-Belleville SMT est remplacée par la Delaunay-Belleville O6 équipée d’un 6 cylindres de 8 litres.


Les dernières belles années


Louis Delaunay décède le 10 février 1912, à l'âge de 68 ans, des suites d'une grippe. Il est inhumé dans le caveau familial à Longjumeau. Ses deux fils, Robert et Pierre, lui succèdent, et appliquent à la lettre la devise des débuts : " Le mieux, en tout ! ". Delaunay-Belleville vend environ 1 000 voitures par an, et se maintient dans le cercle restreint des constructeurs de grand luxe. L'offre est déjà très variée, en 4 ou 6 cylindres.

Comme la plupart des voitures de luxe de cette époque, les Delaunay-Belleville sont vendues sous forme de châssis nus, puis carrossées à l’extérieur. Elles sont disponibles sur demande avec un châssis surélevé, dit " Américain", destiné aux pays au réseau routier insuffisamment développé. En 1913, on observe un léger tassement des ventes. Marius Barbarou quitte l'entreprise en 1914, pour rejoindre Lorraine Dietrich. Ce départ marque une rupture pour la marque.

Pour redorer son blason, la firme investit en 1913 dans de luxueuses brochures publicitaires imprimées chez Draeger, et n'hésite pas à faire appel à des artistes de renom pour les illustrer, et à des auteurs de talent pour rédiger les textes.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, avant l’arrivée des Hispano-Suiza et Farman, les Delaunay-Belleville sont considérées à juste titre comme les plus prestigieuses des voitures françaises. Dans le monde entier, Delaunay-Belleville évoque l’aristocratie. La firme compte parmi ses clients, outre le tsar Nicolas II et le roi du Monténégro Nicolas Ier déjà cités, le roi d’Angleterre Edouard VII (1909), le président américain Théodore Roosevelt (1910), le président de la République Raymond Poincaré (1913) et le roi de Grèce Georges Ier . Plusieurs membres du gouvernement et de nombreux aristocrates et personnalités du spectacle sont également des fidèles à l'usine de Saint-Denis. Rouler en Delaunay-Belleville, une automobile identifiable entre toutes grâce à son radiateur rond, est un signe évident de réussite sociale.

Automobilia N ° 59, octobre 1919. Le constructeur de Saint-Denis assure ses arrières avec une gamme de camions.

Le déclenchement de la guerre marque un arrêt brutal dans la production automobile civile. Alors qu'une grande partie de son personnel est engagée sur le front, Delaunay-Belleville produit surtout des obus, des ambulances, des camions, des automitrailleuses et des moteurs d'avion sous licence Hispano-Suiza. En 1917, près de 2 000 personnes sont employées dans des ateliers qui couvrent 40 000 m2, afin de répondre aux commandes militaires. L'industriel développe ses moyens de production pendant la guerre. Il ouvre son capital à des investisseurs. Cette nouvelle situation va avoir des conséquences à court terme.

A la signature de l'armistice en novembre 1918, les ateliers tournent au ralenti. La production automobile redémarre doucement. Ces sont les dernières voitures à porter la signature de Marius Barbarou, puisque celui-ci a quitté l'entreprise. Il est remplacé par l'ingénieur Renaud. Delaunay-Belleville peut encore se permettre de vendre ses automobiles à des tarifs élevés. L'exclusivité à un prix, et la haute aristocratie le sait.


1920, début du déclin 


En 1920, la gamme se compose d'une 4 cylindres de 4 387 cm3, la 18 HP, et de trois 6 cylindres, les 14/16 HP de 4 005 cm3, 25/30 HP de 5 457 cm3, et 45/50 HP de 8 269 cm3. Les deux premières sont établies sur des empattements de 3,39 mètres, les deux autres sur des empattements de 3,62 et 3,71 mètres. Depuis les débuts, les Delaunay-Belleville sont livrées sous forme de châssis nus équipés de pneumatiques.

Les prix s'échelonnent de 32 000 francs pour la 18 HP à 57 000 francs pour la 45/50 HP. A titre de comparaison, un châssis de Farman 40 HP vaut 48 000 francs, celui d'une Hispano-Suiza H6 50 000 francs. Assurément, Delaunay-Belleville fait partie de l'élite, mais la firme doit rester sur ses gardes. En effet, même des constructeurs comme Renault (40 CV) ou Panhard (35 CV) la talonnent en qualité, à des tarifs moindres.

Les ouvriers de l’usine Delaunay-Belleville en 1919

Face à de nouveaux concurrents plus motivés, comme Rolls-Royce, Cadillac, Hispano-Suiza, Voisin ou Farman, l’étoile de Delaunay-Belleville commence à pâlir. La marque ne produit plus que 60 voitures en 1918, 70 en 1919 et 167 en 1920. Delaunay-Belleville est en train de se faire dépasser par tous. La firme a grandi pendant la guerre de manière exponentielle. Une fois l'armistice signé, les ventes d'automobiles ne sont plus en rapport avec les moyens gigantesques dont elle dispose. Pour marquer un grand coup, à partir de la 45/50 HP, on envisage de produire une puissante version 12 cylindres en V. Mais ce projet trop dispendieux n'aboutit pas.

Delaunay-Belleville, carrosserie Torpedo, vers 1920

Alors, Delaunay-Belleville prend le problème de la mévente de ses autos par l'autre extrémité, et lance l'étude d'un petite 10 HP 4 cylindres de 1,9 litre. Celle-ci symbolise bien la nouvelle stratégie de la marque, qui veut s'immiscer sur le créneau des voitures moyennes accessibles à un plus grand nombre. L'enjeu pour le constructeur de Saint-Denis est de produire des véhicules plus modestes pour en vendre assez, sans pour autant renoncer à ses voitures de luxe et perdre de son prestige. Un travail d'équilibriste ! La nouvelle 10 HP est présentée au Salon de Paris 1921. Hélas, son prix reste dissuasif. Au Salon de Paris 1922, il est de 28 500 francs, contre 13 900 francs pour la Citroën 10 HP. Elle est remplacée peu après par la 12 HP, plus cossue. A cette époque, tous les modèles de Saint-Denis abandonnent la calandre ronde pour des formes ovales plus modernes.

Omnia, numéro 20, janvier 1922. Delaunay-Belleville ne produit pas que des automobiles. Les véhicules industriels et les tracteurs agricoles participent de l'activité globale du groupe.

Delaunay-Belleville reste un nain comparé aux deux mastodontes de Javel et de Billancourt. L'entreprise ne dispose pas de la même surface financière que ceux-ci pour investir massivement, et s'enferme petit à petit dans un vieillissement de ses moyens de fabrication. Grâce toutefois à une démocratisation relative de l'offre, la production annuelle rebondit aux environs de 650/700 voitures en 1921 et 1922. Mais c'est insuffisant, et le constructeur enregistre ses premières pertes. La marque est en porte-à-faux : plus assez prestigieuse pour les ultra-riches, et trop chère pour la petite bourgeoisie.

On travaille à Saint-Denis dans des locaux déjà vétustes, le bureau d'études semble s'être endormi. Les ateliers en sont encore au stade de la fabrication artisanale, les modèles sont toujours assemblés à la main, alors que partout ailleurs l'industrialisation et les chaînes de montage gagnent du terrain. L'exercice 1922/23 est encore plus largement déficitaire, et ce n'est qu'au prix de complexes opérations comptables avec la maison mère que l'activité automobile se maintient à flot. Delaunay-Belleville en dehors des automobiles produit toujours des générateurs, des groupes électrogènes, des machines frigorifiques marines, des moteurs diesel sous licence, des chalutiers, remorqueurs et chalands ...

La gamme 1923 compte une 4 cylindres 12 HP de 2,6 litres, et deux 6 cylindres 14/16 HP de 4 litres et 25/30 HP de 5,5 litres. La longueur des empattements varie de 3,39 mètres à 3,62 mètres. La 12 HP a remplacé la 10 HP à la carrière éphémère. Ce modèle plus cossu correspond mieux à l'image du constructeur. Les tarifs s'échelonnent de 28 000 à 45 000 francs. Cette même gamme est reconduite en 1924 et en 1925.

Cette publicité presse de 1923 cite les trois modèles qui constituent l'architecture de la gamme Delaunay-Belleville, une 4 cylindres 12 HP et deux 6 cylindres 14/16 HP et 25/30 HP. Elle illustre un coupé de ville 25/30 HP.

Il n'y a pas de Salon de Paris en 1925, car le Grand Palais est réquisitionné pour l'Exposition des arts décoratifs. La firme de Saint-Denis choisit donc celui de Bruxelles pour exposer sa gamme 1926, avec la nouvelle 11 CV, à moteur 2,1 litres à soupapes en tête. Ce modèle se distingue des précédents par sa calandre plate sensiblement modernisée. Le reste de la gamme 1926 est inchangé, et tous les autres modèles arborent bientôt cette calandre plate.

La 11 HP n'est pas encore disponible quand apparaît cette publicité dans la presse spécialisée en octobre 1925. Delaunay-Belleville met en avant son fameux slogan " La voiture qui dure ".

En octobre 1925, alors que Chenard et Walcker, Peugeot, Renault, Voisin, Unic, De Dion Bouton, Berliet ou Mathis s'offrent une pleine page de publicité dans le numéro annuel spécial " Automobile et Tourisme " de l'Illustration, chez Delaunay-Belleville, on compose avec un encart de moins d'une 1/2 page, mais à la tonalité assurément décalée. Sans mention d'un quelconque nom de modèle ou d'une adresse de magasin d'exposition, cette réclame porte simplement sur le nom de Delaunay-Belleville.

Dans la gamme 1927, la 11 CV remplace la 12 HP. Les versions 6 cylindres sont abandonnées. Une 4 cylindres 15 CV de 2,6 litres seconde la 11 CV. La confusion reste de mise concernant les appellations, tantôt exprimées en HP, tantôt en CV. La première d'origine allemande définit la puissance nécessaire pour soulever une masse de 75 kg d'un mètre en une seconde. La seconde, inventée par l'écossais James Watt, se base sur une masse de 76 kg pour le même exercice. Delaunay-Belleville se convertit aux CV à partir de 1927.

Pour 1928, après une année d'abstinence, Delaunay-Belleville propose de nouveau un moteur 6 cylindres dans sa gamme. Il s'agit d'un 17 CV de 3,2 litres. Les versions 4 cylindres 11 CV et 15 CV sont inchangées. En 1929, la 11 CV et la 17 CV sont toujours là. La 4 cylindres 15 CV est remplacée par une 14 CV de 2,4 litres. La pléthore de modèles s'explique par une politique commerciale qui veut laisser croire à une vaste gamme, pour des automobiles au final très proches les unes des autres, seule la course ou l'alésage du moteur étant parfois modifiés.

Delaunay-Belleville, publicité presse d'octobre 1928. La liste des maîtres carrossiers susceptibles d'habiller les châssis de la marque compte 22 noms.

La gamme 1930 comporte cinq modèles :

- 4 cylindres, 11 CV de 2,1 litres, empattement de 3,10 mètres
- 4 cylindres, 14 CV de 2,4 litres, empattement de 3,25 mètres
- 6 cylindres, 15 CV de 3,0 litres, empattement de 3,25 mètres
- 6 cylindres, 17 CV de 3,2 litres, empattement de 3,64 mètres
- 6 cylindres, 22 CV de 3,6 litres, empattement de 3,64 mètres

Les prix s'échelonnent de 37 500 francs à 97 000 francs. Pour ce qui est des tarifs et du prestige qui y est associé, Delaunay-Belleville est clairement distancé par Bugatti, Bucciali, Farman, Hispano-Suiza ou Voisin. Le constructeur peut mieux se comparer à des constructeurs comme Delage, Delahaye, ou Panhard.

Automobilia Salon N° 297, 1er octobre 1929. Hélas, les Delaunay-Belleville ne sont plus les " Reines de la Route " qu'elles étaient avant 1914. Malgré des ventes confidentielles, l'offre reste conséquente, avec deux modèles 4 cylindres et trois modèles 6 cylindres.

Chez Delaunay-Belleville, on ne sait plus très bien comment se positionner sur le marché. Les conséquences en Europe de la crise de 1929 ne font qu'accentuer les difficultés. La demande en voitures de luxe s'est réduite comme peau de chagrin. La gamme 1931 ne comporte plus que trois modèles : 6 cylindres 17 CV de 3,2 litres, 6 cylindres 21 CV de 3,6 litres, et une nouvelle 8 cylindres 23 CV de 4 litres. En effet, Delaunay-Belleville accède à la catégorie reine des 8 cylindres, type de mécanique qui s'impose désormais sur les voitures de luxe.

Faute de moyens d'études, Delaunay-Belleville achète ces mécaniques aux Etats-Unis, chez Continental. Cette situation prouve encore une fois la fragilité de l'entreprise qui est contrainte de faire appel à des fournisseurs extérieurs. Hélas, la 8 cylindres est un fiasco qui accentue encore un peu plus le marasme dans lequel patauge le constructeur. Certains 6 cylindres viennent du même fournisseur. A défaut de noblesse, ils sont plus silencieux et moins chers que les 6 cylindres maison. Le constructeur de Saint-Denis est condamné à des renoncements douloureux, et son image élitiste ne peut que s'étioler.


Derniers soubresauts


Au début des années 1930, des tentatives de diversification sont menées dans différentes directions. Si la fabrication de voitures se poursuit à faible cadence, Delaunay-Belleville intensifie son programme de poids lourds. L'entreprise étudie à la demande de l'Armée un char d'assaut léger, mais ce programme est vite abandonné. A défaut, elle obtient un marché pour la fabrication de remorques sanitaires et pour le transport de munitions.

Delaunay-Belleville ajoute à la gamme 1932 une 8 cylindres de 26 CV, et en modèle d'accès une nouvelle 4 cylindres 12 CV de 2,3 litres. Le châssis nu de cette dernière est vendu 31 950 francs. A titre de comparaison, une 6 cylindres Citroën type C6G carrossée est facturée entre 30 500 et 42 500 francs. Chez Delahaye, un châssis nu 4 cylindres 12 CV vaut 23 400 francs, et celui d'une 6 cylindres 14 CV 28 600 francs. 

Toutes les voitures bénéficient de petites retouches qui modernisent leur ligne, et d'une nouvelle calandre en coupe-vent plutôt élégante. La gamme du millésime 1933 comporte cinq modèles :

- 4 cylindres, 13 CV de 2,3 litres, empattement de 3,25 mètres
- 4 cylindres, 15 CV de 2,7 litres, empattement de 3,25 mètres
- 6 cylindres, 17 CV de 3,0 litres, empattement de 3,25 mètres
- 6 cylindres, 21 CV de 3,6 litres, empattement de 3,25 mètres
- 8 cylindres, 23 CV de 4,0 litres, empattement de 3,47 mètres

Pour le millésime 1934, Delaunay-Belleville, qui plus que jamais éprouve des difficultés à écouler ses grosses 4, 6 et 8 cylindres de conception ancienne, présente une nouvelle 6 cylindres, 11 CV de 2 litres de prix plus abordable, la type 11 R. Elle est dotée d'une inédite suspension indépendante produite selon un brevet Mercedes-Benz. On la découvre au Grand Palais habillée d'une carrosserie surbaissée issue de la gamme Chenard & Walcker. De nouveau, pour Delaunay-Belleville, il est moins onéreux de faire ses emplettes chez ses confrères que de développer en interne. La relative modernité de la 11 CV met par contre en lumière l'allure surannée des grandes Delaunay-Belleville de l'ancienne génération. La gamme du millésime 1934 est ainsi présentée :

6 cylindres, 11 CV de 2,0 litres, 42 ch, empattement de 2,70 mètres (11 R)
4 cylindres, 13 CV de 2,3 litres, 50 ch, empattement de 3,10 mètres
4 cylindres, 15 CV de 2,7 litres, 55 ch, empattement de 3,25 mètres
6 cylindres, 17 CV de 3,0 litres, 65 ch, empattement de 3,25 mètres
6 cylindres, 21 CV de 3,6 litres, 75 ch, empattement de 3,25 mètres
8 cylindres, 23 CV de 4,0 litres, 80 ch, empattement de 3,47 mètres
8 cylindres, 25 CV de 5,1 litres, 100 ch, empattement de 3,64 mètres

Cette gamme pléthorique peut faire croire à la bonne santé du constructeur, mais dans les faits l'étendue de l'offre est devenue inversement proportionnelle au volume des ventes. L'exercice 1933/34 se solde par une perte d'un million de francs, pour un chiffre d'affaires de 7,6 millions, contre 10 millions pour l'exercice précédent. Il est facile de comprendre qu'il devient urgent de reconsidérer la politique commerciale de l'entreprise.

Pour le millésime 1935, la gamme de 1934 est officiellement reconduite. Mais il s'agit d'épuiser les stocks, car plusieurs modèles ne sont plus produits. La 11 R est remplacée par la 13 CV 2,3 litres type RI-6, qui dispose des mêmes atouts techniques. Dans les faits, seuls trois modèles sont encore fabriqués :

6 cylindres, 13 CV de 2,3 litres, 50 ch, empattement de 2,85 mètres (RI-6)
6 cylindres, 17 CV de 3,0 litres, 65 ch, empattement de 2,96 mètres
8 cylindres, 23 CV de 4,0 litres, 80 ch, empattement de 3,20 mètres

Au Salon de Paris 1934, la Delaunay-Belleville RI-6 adopte l'habit bourgeois et néanmoins roturier d'une Chenard & Walcker. Quelques détails, notamment le nombre de volets d'aération du capot, permettent de distinguer les deux marques. La mécanique reste d'origine Delaunay-Belleville.

La RI-6 ne dispose que de 50 ch. C'est un point faible quand on compare cette puissance avec celle de ses concurrentes dans la même catégorie fiscale : 60 ch pour la Matford V8, 62 ch pour la Talbot Minor, 70 ch pour la Hotchkiss 864, 72 ch pour la Salmson S4-E, etc ... La RI-6 est vendue 56 000 francs, quand ses concurrentes valent respectivement 33 900 francs, 54 950 francs, 48 900 francs, et 54 950 francs.

Delaunay-Belleville RI-6. La réalité n'est pas aussi belle en photo qu'en dessin. Cette RI-6 va assurer le quotidien de la marque jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

A l'occasion du Salon de Paris 1935, pour le millésime 1936, les 17 CV et 23 CV sont encore officiellement inscrites au catalogue. Mais c'est vraiment pour faire bonne mesure, car dans les faits, seule la 6 cylindres de 13 CV est encore disponible. Mais ses ventes patinent. Son prix est prohibitif, son esthétique est désormais dépassée, et sa motorisation n'a pas évolué. L'immobilisme est de mise pour les millésimes 1937 et 1938. On observe juste, une fois n'est pas coutume, une baisse significative des tarifs pour 1937. Cela sent le sauve qui peut.

La société des Automobiles Delaunay-Belleville est mise en liquidation judiciaire en mai 1935. Elle obtient un concordat en 1936, mais elle est finalement dissoute le 23 mars 1937, et absorbée par sa maison mère, la Société des Etablissements Delaunay-Belleville, qui décide malgré tout de ne pas renoncer à l'automobile. C'est donc sous les couleurs de cette entité que sont produites les dernières RI-6, l'activité automobile ne représentant plus qu'une proportion infime dans le chiffre d'affaires du groupe. Delaunay-Belleville est écrasé par ses concurrents Delage, Delahaye, Hotchkiss ou Talbot, qui sont eux-mêmes en sursis, sans toujours s'en rendre bien compte. Hispano-Suiza et Farman ont déjà disparu.

Déçus par la faible diffusion de la RI-6, les dirigeants de Delaunay-Belleville, que rien ne semble pouvoir abattre, frappent un grand coup en présentant une toute nouvelle 6 cylindres de 3,2 litres à l'occasion du Salon de Paris de 1938. Leur ambition est de renouer avec la catégorie du très grand luxe qui leur a si bien réussi jadis. C'est ainsi que l'on découvre au Grand Palais un châssis à quatre roues indépendantes d'une rare technicité, associé à une boîte électromagnétique Cotal. Malheureusement, cet ensemble est quelque peu gâché par la présence du vieux 6 cylindres de la RI-6.

Mais l'entreprise n'a pas les moyens d'assurer le développement de ce projet. A l'approche de la guerre, le constructeur se reconvertit définitivement dans la production de matériel pour l'Armée, notamment des chars légers Renault. La RI-6 demeure seule au catalogue pour 1939.

Exposée sous la forme d'un châssis au Salon de Paris 1938, la nouvelle Delaunay-Belleville devait revenir un an plus tard revêtue de sa carrosserie. La déclaration de guerre a contrarié ce projet.


La guerre


Sous l'occupation, Delaunay-Belleville, comme bien d'autres, fabrique des véhicules électriques. Le premier est une voiture à trois roues, avec une roue motrice à l'avant. La carrosserie peut comporter deux sièges amovibles ou un seul siège laissant un emplacement disponible pour des marchandises à côté du conducteur. Son autonomie est d'environ 80 kilomètres à 35 km/h, pour une charge utile de 160 kg, conducteur compris.

En ordre de marche, la voiture électrique de Delaunay-Belleville type E3R pèse 620 kg, dont 280 kg de batteries, qui sont placées à l'arrière.

L'autre véhicule est une conduite intérieure, qui permet d'emporter 400 kg ou 5 personnes, conducteur compris. Les deux roues avant sont motrices et directrices. La batterie, placée à l'arrière du véhicule, pèse 465 kg. Le poids à vide en ordre de marche est de 1 200 kg. Le rayon d'action est aussi de 80 kilomètres environ, mais à la vitesse de 28 km/h.

Delaunay-Belleville E4R. Nombreux sont au début de la guerre les constructeurs automobiles à étudier des alternatives au moteur à pétrole, ce carburant devenu introuvable. Mais les Allemands mettent fin à tous ces projets.

Après la libération, l'usine de Saint-Denis relance timidement la production de la RI-6, habillée d'une carrosserie modernisée. L'avant caréné semble s'inspirer de celui des Buick 1939. Les ailes et le capot sont aussi retouchés, mais la caisse centrale conserve le style désuet d'avant-guerre. La Delaunay-Belleville coûte encore trop cher, et surtout, elle est franchement démodée. Les acheteurs redoutent à juste titre que le constructeur ne mette la clef sous la porte, compromettant ainsi l'après-vente.

Delaunay-Belleville ressort la berline RI-6 en 1946, dotée d’une carrosserie avec une calandre séparée en deux parties par un bossage central tôlé, façon Buick 1939. Mais cette berline ne convainc que treize acheteurs entre 1946 et 1948.

Ce châssis RI-6 est habillé d'une carrosserie présentée par Antem lors du Salon de Paris 1947. Elle se distingue par ses baies vitrées latérales sans montant. Sa silhouette est incontestablement plus agréable que celle de la berline usine. C'est la seule RI-6 " hors série " répertoriée.

Après avoir produit environ 7 200 châssis, et près de 70 modèles différents, l'aventure de " la voiture qui dure ", selon le slogan de la firme, s'achève. Delaunay-Belleville n'a malheureusement pas réussi à s'adapter aux mutations de l'industrie automobile. Il n'a évidemment pas été de seul constructeur dans ce cas.

Une dernière fois, l'espoir renaît avec l'arrivée en 1947 d'un nouvel actionnaire, Robert de Rovin. Mais l'époque n'est plus favorable aux automobiles de prestige. Ce sont désormais des microcars qui sortent de l'usine de Saint-Denis. Les six Rovin exposées au Salon de Paris 1947 le sont sous un panneau qui comporte encore le nom de Delaunay-Belleville, même si la RI-6 n'y est plus exposée. La production des De Rovin durera dix ans, assurée en partie par des anciens de chez Delaunay-Belleville, qui veilleront à une finition particulièrement soignée !

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
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