Bucciali, l'atypique
Buc est une marque automobile française fondée à Courbevoie en 1922 par les frères Bucciali. Rebaptisée Bucciali en 1927, ses modèles sont de conception d’avant-garde, mais leur diffusion demeure anecdotique. Les Bucciali sont souvent dotées de moteurs américains, comme ceux montés sur les Stutz, Marmon, Franklin, Peerless ou Pierce Arrow. La dernière est dotée d’un 12 cylindres Avions Voisin. La marque Bucciali disparaît en 1933 durant les années de la Grande Dépression. Les origines de Buc Les frères Angelo Bucciali (1887-1946) et Paul-Albert Bucciali (1889-1981) sont les enfants du compositeur et organiste Joseph Bucciali, d'origine corse, titulaire des grandes orgues des cathédrales d'Arras et de Boulogne-sur-Mer. La famille s'est installée à Boulogne-sur-Mer. Paul-Albert acquiert sa propre automobile dès l'âge de 21 ans, en 1910. Pendant la guerre, il sert dans la fameuse Escadrille des Cigognes, où se sont aussi illustrés René Fonck, Georges Guynemer et Roland Garros. Il dessine et réalise sa première Buc à moteur Ballot 3 litres alors qu'il est encore détaché au Ministère de l'Air. Les deux frères passionnés de course automobile participent à quelques épreuves locales, avec une automobile de leur conception, mais sans grands résultats. Pour autant, cela leur donne le goût de poursuivre dans cette voie. Des amateurs s'intéressent à leur automobile. Il devient alors question d'en produire et d'en vendre. Pour cela, l'affaire doit se structurer. Ils ouvrent un atelier à Courbevoie. Angelo a le sens du commerce, tandis que Paul-Albert est épris de technique. Leur première création est une petite voiture de sport au capot étroit de forme carrée, dotée d’un bicylindre deux temps de 1 340 cm3, conçu par le spécialiste français de ce type de mécanique, l'ingénieur Marcel Violet (1886-1973). Ce moteur est assez performant pour pouvoir terminer en troisième position aux mains des deux frères lors du Grand Prix des voiturettes organisé au meeting de Boulogne le 29 juillet 1922, derrière la " La Perle " de Louis Lefebvre et une Bugatti.
La première Buc construite par les frères Bucciali qui a participé au Grand Prix de Boulogne le 29 juillet 1922 Les frères Bucciali ne souhaitent pas se cantonner à la catégorie des voiturettes de course. Ils ont l'ambition de commercialiser des conduites intérieures. En novembre 1922, ils dévoilent une berline AB1, dont l'un des exemplaires participe au Tour de France Automobile en avril 1923. Elle abandonne après que le carter moteur ait été défoncé. Elle affiche effectivement une allure plus " tourisme " que leur premier modèle, mais doit se contenter du même bicylindre deux temps que sa devancière, le 4 cylindres qui lui était destiné n'étant pas encore prêt.
La conduite intérieure Buc AB1 sur le Tour de France Automobile 1923 Les frères Bucciali engagent à Boulogne en 1923 leur nouvelle voiture équipée du 4 cylindres en V à compresseur, un 2 temps de 1 496 cm3, de nouveau mis au point par Marcel Violet. Elle ne donne pas les résultats escomptés. En 1924, la décision est prise de revenir au bicylindre comme en 1922. La Bucciali remporte cette année-là à Boulogne la victoire dans la catégorie des moins de 500 kilos. Vers une production en petite série En 1925, les frères Bucciali présentent la Buc AB4-5. Elle est dotée d’un 4 cylindres en ligne d'environ 40 ch pour 1 616 cm3, conçu par la Société de Construction Automobile Parisienne (SCAP). C'est le plus grand succès commercial de la firme, avec un peu plus d'une centaine d'exemplaires construits et vendus jusqu'en 1927. Plusieurs carrosseries sont disponibles : torpédo 4 places, torpédo luxe 2 et 4 places, conduite intérieure 4 places, torpédo sport, coupé ville, camionnette et même taxi. Elles adoptent toutes le radiateur en V, un peu à la manière des Mercedes contemporaines. Le constructeur revendique 100 km/h en pointe, une valeur variable selon les carrosseries. Trois voitures sont inscrites au tour de France 1925, qui terminent toutes à des places honorables. La AB4-5 ne satisfait pas totalement les frères Bucciali qui se rappellent de leur succès à Boulogne deux ans auparavant. C'est ainsi que, toujours en 1925, ils proposent la Buc 4E Spéciale, une version plus sportive, dont le moteur est conçu par la Compagnie Industrielle des Moteurs à Explosion (CIME). Il s’agit d’un 4 cylindres à compresseur, doté d’un arbre à cames en tête, de 1 456 cm3, développant 65 ch, autorisant une vitesse de 150 km/h sur un châssis de 2,48 mètres d’empattement, contre 2,85 mètres pour la AB4-5. Trois exemplaires sont assemblés. Bucciali, sans ambages, précise que ces châssis, construits et montés avec un soin qui ne permet pas la série, sont destinés à l'élite des sportsmen et des connaisseurs. Mais en raison de son poids excessif de 720 kg, la 4E Spéciale peine à rivaliser avec l'importante concurrence qui règne alors dans la catégorie des 1 500 cm3. Face au manque de compétitivité de la Buc 4E Spéciale, les frères Bucciali se tournent vers l’ingénieur Némorin Causan (1881-1937) qui réalise pour la Buc AB6 un moteur 6 cylindres de 1 496 cm3 avec simple ACT, un vilebrequin à sept paliers et deux carburateurs Solex en lieu et place du compresseur Cozette. Les 70 ch permettent d'atteindre 170 km/h. Trois voitures sont produites, dont une sur un châssis spécial surbaissé, et sont engagées sur de nombreuses épreuves sportives, en France et à l'étranger.
La version surbaissée de la Buc AB6 à moteur 6 cylindres dessiné par Némorin Causan. Cette voiture prend part à de nombreuses courses, en France, en Espagne, en Algérie ... Les quelques ventes de Bucciali ne permettent pas de rentabiliser l'entreprise. Plus d'un constructeur aurait depuis longtemps jeté l'éponge. Les deux frères affichent pourtant un joli palmarès sportif. Mais pour Angelo et Paul-Albert, c'est la passion qui l'emporte. Ne pouvant compter sur aucune fortune personnelle ou familiale, pour concrétiser leurs projets, et ceux-ci ne manquent pas, ils s'appuient sur les quelques banquiers qui acceptent encore de les soutenir. 1927 : Buc devient Bucciali Depuis ses débuts, Buc a vendu environ 200 automobiles (les données sont très variables selon les sources), le plus souvent habillées par le carrossier Paul Audineau de Levallois. La marque Bucciali est déposée en janvier 1927. Elle offre une attraction toute particulière pour les authentiques amateurs. En effet, nombre de voitures de sport de ces années 20 ne sont qu'un mélange d'éléments construits à l'extérieur de l'usine, et assemblés sur un châssis très classique, dont la seule originalité n'est souvent que la calandre. Les conceptions et réalisations des frères Bucciali, au contraire, sont toujours pleines de surprises et d'innovations. La seconde période de la vie de l'entreprise des frères Bucciali prend une toute nouvelle orientation. Il en est fini de la technique des Buc, de la course automobile, et de la production en petite série. La rupture est nette, brutale. Bucciali adopte une conception totalement novatrice, celle des roues avant motrices. Mais il s'agit plus d'un travail de bureau d'études que de production suivie. Les quelques voitures qui seront réellement finies seront des oeuvres uniques. Il s'agit surtout pour les deux frères de démontrer leur savoir-faire aux autres constructeurs, et de vendre des licences, plutôt que développer industriellement et commercialement une affaire de construction automobile. Alors qu'ils ne produisaient encore que des voitures à propulsion arrière, les frères Bucciali ont effectué de nombreux voyages aux Etats-Unis, et ils ont acquis de multiples informations sur les essais de voitures à traction avant effectués localement. Ils en découvrent les avantages, et s'estiment capables de corriger leurs quelques défauts. Ce qui anime désormais la petite entreprise de Courbevoie, c'est de mettre au point un châssis inédit adapté à ce mode de transmission. Pour se faire assister, les Bucciali s'adressent à l'ingénieur Edmond Massip et au chercheur franco-brésilien Dimitri Sensaud de Lavaud. Ce dernier travaille pour Bucciali sur un châssis absolument non conventionnel, avec une plateforme en Alpax coulé, des suspensions avant à balancier, une direction symétrique, et une transmission entièrement automatique. L'Alpax est une marque déposée par Aladar Pacz en 1921, qui désigne un alliage d'aluminium-silicium. L'Alpax permet d'obtenir en fonderie des pièces légères.
Dimitri Sensaud de Lavaud, né le à Valladolid en, mort le est un ingénieur français naturalisé brésilien, dont les activités s'étendent dans de nombreux domaines, aéronautique et automobile. Il conçoit notamment une transmission automatique pour automobile. En 1927, à Paris, il crée une marque qui porte son nom pour présenter ses produits. Plutôt que d'étudier ses propres moteurs, Bucciali laisse ce travail à d'autres. Il achète donc des moteurs existants, notamment aux marques américaines Continental et Lycoming. Continental fournit de nombreux fabricants indépendants d'automobiles, de tracteurs, de camions et d'équipements fixes (tels que des pompes, des générateurs et des entraînements de machines industrielles) depuis les années 1900. Lycoming construit aussi des moteurs automobiles depuis le début du siècle. C'est le motoriste des marques Auburn, Cord, Duesenberg, Georges Irat et ... Bucciali. L'entreprise est rachetée en 1929 par son principal client, Cord. Mais Continental prend progressivement le dessus sur Lycoming, qui se tourne alors vers la production exclusive de moteurs pour l'aviation. Bucciali TAV faux-cabriolet, Salon de Paris 1926 Les frères Bucciali participent pour la première fois au Salon de Paris en octobre 1926. Ils sont installés sur un petit stand caché sous un escalier du Grand Palais. Un faux cabriolet y est exposé. Bucciali s'enorgueillit de présenter une traction avant, une technique qui n'a alors été envisagée que par quelques pionniers. Le différentiel se trouve devant la boîte de vitesses qui précède elle-même le moteur. La plate-forme comporte un système d'assistance au freinage Dewandre-Repusseau. Le moteur de cette Bucciali type TAV (pour Traction AVant) est un modeste 4 cylindres SCAP de 1 700 cm3.
Publicité pour le servo-frein Dewandre Repusseau La TAV est habillée d'une assez banale carrosserie type faux cabriolet réalisée par le carrossier Paul Audineau. Avec son radiateur bien reculé et ses roues en Alpax, elle suscite immédiatement la convoitise des visiteurs. Mais ce n'est qu'un prototype statique, car la transmission de Sensaud de Lavaud demeure au stade embryonnaire. Les journalistes, déçus, devront attendre pour essayer l'auto. L'opération de communication échoue en partie, car la presse ne se prive pas de critiquer une voiture certes exposée au Grand Palais, mais qui ne " marche pas ". La première Tracta de Jean-Albert Grégoire, apparue lors de la Coupe de l'Armistice le 11 novembre 1926, détiendra ainsi à jamais l'antériorité de la traction avant moderne. Le prototype exposé au Salon sera totalement démonté à l'usine vers 1929.
Dessin d'un coach surbaissé destiné au premier châssis Bucciali TAV Bucciali TAV 2, châssis nu, Salon de Paris 1927 Un stand Bucciali est de nouveau réservé pour le Salon de Paris 1927. On y retrouve la voiture de 1926, ainsi qu'un châssis inédit doté d'un empattement de 3,47 mètres. Cette traction avant se caractérise par son train-moteur à essieux oscillants doté d'une boite de vitesses transversale. Le 4 cylindres SCAP a cédé sa place à un 6 cylindres à soupapes latérales de 2 443 cm3, d'une puissance de 55 ch. Celui-ci est probablement fourni par Continental. Sensaud De Lavaud n'a pas été sollicité sur ce projet, et expose au Grand Palais ses propres développements sous son nom. Dans les années 30, il entraînera André Citroën dans une aventure hasardeuse en étudiant une transmission automatique pour la fameuse Traction. Selon toute vraisemblance, le châssis exposé au Salon aurait été dépecé chez Bucciali après utilisation.
Le châssis exposé au Salon de Paris 1927, équipé d'un 6 cylindres 2 443 cm3. Bucciali TAV 6, châssis nu, Salon de Paris 1928 Après le premier châssis TAV du Salon de Paris de 1926 (moteur SCAP), puis le second du Salon 1927 (probablement un moteur Continental), on retrouve Bucciali au Salon de Paris 1928 avec un châssis de type TAV 6, non carrossé. Cette nouvelle réalisation à roues avant motrices se singularise par son énorme boîte de vitesse transversale, ses suspensions AV/AR indépendantes, et ses jolies roues à ailettes en Alpax. Elle est dotée d’un 6 cylindres Continental de 2 774 cm3. Sa puissance de 40 ch est cependant un peu faible compte tenu du fait que le 4 cylindres SCAP délivre une puissance comparable, mais le Continental offre plus de couple.
Le châssis Bucciali TAV6 exposé au Salon de Paris 1928 Trois autres voitures auraient été habillées en faux cabriolet. Des roues d'un mètre de diamètre, un capot interminable prolongé par un habitacle abaissé, un luxe extrême, tout dans ces voitures respire la démesure. L'une d'entre elles est présentée au Salon de Paris 1929. Bucciali propose alors au choix un 6 cylindres Mercedes de 4 litres, ou un 8 cylindres Continental de 4,4 litres. La trace de ces voitures a été perdue.
Après avoir révélé un châssis nu au Salon de Paris 1928, la TAV6 revient au Grand Palais en 1929 sous une forme carrossée, avec un pavillon surbaissé. Le modèle exposé se singularise par ses splendides roues en alliage léger à jantes ventilées. Cette voiture est de nouveau exposée en 1930, probablement la même, avec une caisse bicolore qui joue sur une harmonie de nuances claires, et qui est désormais dépourvue de marchepied. Bucciali TAV 8, Salon de Paris 1929 Les résultats encourageants obtenus avec la TAV 6, complétés par de nouvelles améliorations, persuadent les frères Bucciali que leur conception est fiable, et qu'ils peuvent viser plus haut, et même tenter d'imposer leurs idées non seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Au cours de l'été 1929, un nouveau prototype est mis en chantier. Il est là aussi équipé d'un 8 cylindres Continental de 4,4 litres. Cette TAV 8 est sévèrement testée durant l'été 1929. Pour la postérité, elle va conserver le surnom de " La Marie ", en quelque sorte " la bonne à tout faire " ! Immatriculée 2487 W1, cette voiture laboratoire est habillée d'une carrosserie rudimentaire, entièrement découverte, dépourvue de portières, avec quatre baquets abrités derrière un simple saute-vent, et deux roues de secours. La Marie est exposée en l'état au Salon de Paris 1929.
La Bucciali expérimentale TAV 8, munie de simples sièges baquets, et surnommée " La Marie ", aura le privilège de voyager aux Etats-Unis. Elle sera tout de même habillée pour la circonstance d'une carrosserie souple type torpédo. Début 1930, Paul-Albert fait avec " La Marie " un voyage de démonstration aux Etats-Unis et au Canada. Son ambition en démontrant les avantages de sa traction avant est de vendre des licences de fabrication. " La Marie " est pour le voyage habillée de manière plus avenante. En effet, pour affronter l'hiver rigoureux, une caisse souple, fermée, dotée de portières et d'une capote, est hâtivement installée. Le voyage est préparé. Le contact local est un certain Coldwel. S. Johnston, à qui est assignée la promotion de la traction avant Bucciali en Amérique du Nord, au sein de la société Johnston-Bucciali Front Whell Drive American Patent. Une exposition est organisée à l'hôtel Commodore de New York. Le prototype Bucciali rencontre un succès d'estime, plus au niveau des firmes d'importance marginale, mais de grand renom, que des grands constructeurs. Au final, seul le constructeur Peerless se montre suffisamment intéressé pour entamer des négociations, qui aboutissent lors d'un second voyage de Paul-Albert Bucciali aux Etats-Unis l'hiver suivant. Hélas, Peerless, qui est déjà dans une situation financière difficile après les événements d'octobre 1929, doit interrompre toute production automobile. Son dépôt de bilan anéantit les derniers espoirs des frères Bucciali de percer en Amérique du Nord. Le coup est rude. Après son périple américain, " la Marie " fait un retour remarqué au Salon de Paris 1930. Déshabillée, elle est revêtue d'une caisse type torpédo d'allure plus sportive, qui se distingue par le dessin de sa pointe arrière, et par les fentes d'aération alignées en bas de caisse. La carrosserie associe un vert sombre à une dominante crème. Bucciali TAV 8, ex " La Marie ", Salon de l'Automobile au Grand Palais, le 2 octobre 1930. Outre ce modèle, Bucciali y expose le châssis de la " Double Huit ", et un cabriolet TAV 6 carrossé par Labourdette. Ce dernier, basé à Puteaux, est un homonyme sans lien avec le plus connu Henri Labourette de Courbevoie. Après la Seconde Guerre mondiale, cette voiture est dépouillée de sa caisse et stockée dans un garage de Courbevoie. Elle est revendue au début des années 60 à un collectionneur allemand, Uwe Hucke, qui en achève la restauration, et la rend totalement opérationnelle. Elle est alors habillée d'une caisse de roadster initialement réalisée par Saoutchik pour un châssis de Mercedes-Benz SS. Evidemment, une telle " recréation " suscite des avis divergents au sein de la communauté des historiens de l'automobile. Puis la voiture intègre dans les années 80 la collection Blackhawk en Californie.
" La Marie " a survécu. Elle a été reconstruite et habillée d'une caisse Saoutchik destinée initialement à une Mercedes. Bucciali TAV 16 Double Huit, Salon de Paris 1930 Avant l'échec américain, le bureau d'études de Courbevoie a déjà entrepris de frapper encore plus fort, en préparant pour le Salon 1930 un nouveau châssis destiné à recevoir un moteur 16 cylindres, dénommé TAV 16 " Double Huit ".
Le châssis Bucciali exposé au Salon de Paris 1930 Le mensuel " La Vie Automobile " décrit dans son numéro de septembre 1930 le châssis qui sera exposé au Salon de Paris. L'article indique (résumé) que " c'est la cinquième année que Bucciali promeut la traction avant, et en développe certains aspects techniques. Les roues avant du prototype sont indépendantes. Grâce à un équilibrage parfait, le shimmy (un louvoiement dans le système de direction) n'existe plus. Le diamètre des roues atteint un mètre, et malgré cela, la carrosserie reste surbaissée. Aucun arbre de cardan ne traverse la partie arrière du châssis, le centre de gravité peut donc être approché du sol. La hauteur maximum de la carrosserie est de 1,45 mètre. Pour équiper ce châssis, Bucciali a étudié un moteur 16 cylindres en ligne, qui offre une puissance de plus de 170 ch. La boîte de vitesses de par sa conception est particulièrement silencieuse. "
En arrière-plan, sur cette vue du stand Bucciali au Salon de Paris 1930, on distingue le châssis de la Double Huit. Au premier plan, à gauche, la TAV 8, ex " La Marie ". Tout ceci n'a au final que peu d'importance, car en dépit du discours journalistique, les magnifiques carters artistiquement bouchonnés abritent en fait une maquette de moteur, grandeur nature, vide de tout organe mécanique, comportant de nombreuses pièces en bois magistralement réalisées. Aucune Double Huit ne sera opérationnelle, et encore moins commercialisée. Le choc suscité par ce moteur double, constitué en théorie de deux 8 cylindres accolés, provoque à l'époque une série de commentaires et de descriptions fondées sur des informations le plus souvent incertaines.
Extrait de la brochure publicitaire Bucciali pour la TAV 16 Double Huit - Victoria 4 places
Extrait de la brochure publicitaire Bucciali pour la TAV 16 Double Huit - Cabriolet 4 places A l'occasion du Salon 1931, les deux frères continuent d'épater la galerie avec leur Double Huit dont le moteur, comme en 1930, est une maquette. La présence à ce niveau de luxe de Bucciali apparaît déphasée par rapport au contexte économique du moment. Qu'à cela ne tienne, les frères Bucciali restent définitivement optimistes, et tablent sur une reprise économique rapide. Toutes les grandes fortunes n'ont pas disparu, et un nombre restreint de clients suffit à faire vivre leur petite affaire. Bucciali entretient de bonnes relations avec Continental pour la fourniture régulière de moteurs. Les quantités envisagées - exagérément optimistes - sont alors de 175 à 300 unités par an, selon un échange écrit daté de février 1931.
La Bucciali TAV 16 à moteur 16 cylindres (en fait deux huit cylindres placés en U) présentée en 1930 arbore le style de carrosserie caractéristique de la marque : ligne surbaissée, capot très long, roues de grand diamètre, absence de marchepieds, pare-brise très bas, phares placés au-dessus des pare-chocs, cigogne stylisée sur chaque côté du capot. La voiture mesure 5 mètres de long. Le châssis découvert en 1959 après avoir été récupéré par l'AAHA (Association des Amis de l'Histoire de l'Automobile, nous y reviendrons) est exposé au Conservatoire national des arts et métiers, à l'occasion d'une exposition organisée pour le centenaire de l'invention du premier moteur à allumage commandé par bougie par Etienne Lenoir, de fin 1961 à février 1962. Puis il séjourne au Musée des 24 Heures du Mans, avant d'être vendu à William Harrah (1911-1978), grand collectionneur, qui le fait remettre à neuf, avant de l'exposer à son tour dans son musée.
La Bucciali Double Huit dans les réserves de Montlhéry après sa découverte par Serge Pozzoli Bucciali TAV 30, Salon de Paris 1931 Parallèlement à la mise au point de la TAV 16 Double Huit, l'équipe de Courbevoie présente sur ce même Salon 1931 une autre voiture tout aussi extravagante, de type TAV 30, réalisée sur un empattement de 3,74 mètres. Techniquement, elle reprend l'architecture de la TAV 8, avec une évolution des dimensions, et la présence de renforts en vue du montage d'un moteur plus puissant. C'est un 8 cylindres en ligne Lycoming de 5 219 cm3 et 130 ch. Contrairement aux moteurs Continental, il existe en version traction avant. Le travail d'adaptation est ainsi supprimé, avec une économie de moyens, de temps et de coût appréciable. La TAV 30 rentre dans la catégorie fiscale des 30 CV, d'où son nom. La voiture est si impressionnante que le président Paul Doumer, d'ordinaire pas spécialement intéressé par le style automobile, s'arrête longuement sur le stand Bucciali pour féliciter les deux frères. Tout le vocabulaire cher à Paul-Albert Bucciali est lisible à travers ces lignes exacerbées : le profil extra-plat exagéré par l'habitacle écrasé, l'empattement long et le capot démesurément allongé, les immenses roues serties dans des ailes rondes et lourdes, la calandre resserrée et les phares fixés au ras du pare-chocs ... L'ensemble mesure 5,75 mètres de long et 2,07 mètres de large.
La Bucciali TAV 30 est de nouveau présentée en 1932 au Salon de Paris. Carrossé par Saoutchik, il s'agit d'une des quatre TAV 30 produites. Les roues d'un mètre de diamètre sont en Alpax coulé, selon un brevet de Bucciali. En 1931, les frères Bucciali emménagent dans de nouveaux ateliers à Angers. C'est là qu'ils confient aux établissements Guillet la confection pour la TAV 30 d'une carrosserie de roadster décapotable deux places avec spider. Extrêmement surbaissée, dessinée par Jacques Saoutchik, la voiture (dite TAV8-32) accuse 20 cm de moins en hauteur que la Cord L29 contemporaine, la première voiture américaine de série à traction avant, produite à 5 010 exemplaires de 1929 à 1931. Ce roadster, qui a grande allure, accomplit de nombreux voyages entre Paris et la Côte d'Azur. Il sera ultérieurement transformé en berline.
Immatriculée 534 W8, le roadster TAV8-32 participe à des concours d'élégance, où sa silhouette ne passe pas inaperçue. Une seconde TAV 30 est produite à Angers. Il s'agit d'une carrosserie dite de type limousine à sept places. La voiture est présentée sur le stand Bucciali du Salon 1933, le dernier auquel participe le constructeur, mais elle est retirée après seulement une journée d'exposition. A t'elle été jugée démodée face à la déferlante des caisses aérodynamiques, sa finition hâtive l'aurait t'elle rendu indigne de sa présence, ou aurait elle simplement été vendue et enlevée ... le mystère demeure. C'est la dernière Bucciali produite. Aucune TAV 30 n'a survécu jusqu'à nos jours. Bucciali TAV 12, Salon de Paris 1932 Bucciali, qui ne cesse de penser au marché américain, considère que l'attrait du moteur 8 cylindres va s'amoindrir. La TAV 12 se situe chronologiquement à une époque où, contre toute logique, les constructeurs américains commercialisent un nombre surprenant de voitures à 12 et même 16 cylindres ! Auburn, Cadillac, Lincoln, Packard, Pierce Arrow et Franklin proposent des 12 cylindres. Cadillac, Marmon et Peerless lancent même des 16 cylindres. En réalité, les constructeurs misent sur la clientèle fortunée épargnée par la crise, sur les stars du cinéma, et surtout sur l'espoir d'une prompte reprise générale. La démarche de Bucciali s'inscrit dans cette logique. Gabriel Voisin porte un intérêt aux recherches non conventionnelles des frères Bucciali, et admire la façon chevaleresque avec laquelle ils se battent pour imposer leurs immenses tractions avant. Il accepte de leur fournir trois moteurs de Voisin C18, des 4 886 cm3 sans soupapes annoncés pour 180 ch. Courant 1931, une première TAV 12 est assemblée. Elle sert de prototype, et est littéralement martyrisée au cours d'essais. La deuxième TAV 12 connaît une carrière plus glorieuse. Sa production débute en novembre 1931. Destinée à recevoir une carrosserie à quatre portes, l'empattement atteint 4,09 mètres (3,74 sur la TAV 30). Saoutchik réalise la caisse tracée par Paul-Albert Bucciali. La voiture est terminée en juin 1932. Le résultat est plus délirant que jamais, du fait des quatre portes, de l'empattement allongé et de la laque noire qui dramatise la silhouette.
La Bucciali TAV 12 à moteur Voisin a fait l'objet d'essais intensifs aux mains d'Alberto Bucciali avant sa présentation au Salon de Paris 1932. La TAV 12 mesure 6,36 mètres de long avec son capot moteur sans fin, et ses deux énormes roues de secours prolongeant la malle arrière. Son point le plus haut culmine à 1,48 mètre, alors que la norme est plutôt aux environs de 1,85 mètre à l'époque. Ce sont six centimètres de moins que la Traction Citroën qui apparaîtra trois ans plus tard. La seule voiture produite est vendue à un certain Georges Roure qui en prend livraison courant 1932. Il accepte de la confier à Bucciali le temps de l'exposer au Salon de Paris. Un autre client se manifeste, le comte de Rivaud. Conquis par la beauté de l'auto, il est aussi impatient qu'enthousiaste, et s'effraye du délai de construction annoncé par Bucciali. Il propose à Georges Roure de lui racheter sa voiture, qui accepte la proposition. Après quelques années d'utilisation, la TAV 12 est vendue et démantelée. La caisse est montée sur un châssis de Bugatti 46. Le moteur Voisin est retrouvé en 1959 par Serge Pozzoli. Un collectionneur américain du nom de Ray Jones fait l'acquisition de la Bugatti 46 à caisse Bucciali, et du moteur Voisin. La voiture reconstituée est vendue en 1983 à l'homme d'affaires et collectionneur Tom Perkins (1932-2016), et fait l'objet d'une minutieuse restauration qui va durer onze ans. Elle est exposée au Rétromobile de 2001 par Christie's, et vendue peu après à un autre collectionneur qui a souhaité garder l'anonymat.
La Bucciali TAV 12 dite " Flèche d’or " présente un empattement de 4,09 mètres, soit juste quelques millimètres de moins que celui de la Bugatti Royale. La carrosserie dessinée par Paul-Albert Bucciali a été réalisée chez Saoutchik. Une cigogne stylisée figure sur les ouïes de ventilation latérales du capot. Elle évoque l’Escadrille des Cigognes, en référence aux exploits passés de Paul-Albert Bucciali. On observe l'absence de marchepieds. Epilogue Les frères Bucciali n’ayant que peu d'intérêt pour la notion de rentabilité, on pressent la fermeture inévitable depuis plusieurs années déjà. Pourtant, rien ne laisse transparaître dans la presse spécialisée cette issue. Ainsi, La Vie Automobile rapporte en septembre 1932 : " ... On sait les difficultés de tout ordre, industriel aussi bien que financier, dont se hérisse la route des novateurs. Mais le mérite arrive toujours à triompher, et nous avons appris que le châssis Bucciali, resté jusqu'ici à l'état de prototype, va entrer maintenant dans la voie des réalisations. Une puissante société est maintenant constituée et nous sommes heureux de voir les frères Bucciali récompensés de leur belle persévérance. " Bucciali ferme définitivement en 1933. Si les frères Bucciali ont annoncé régulièrement vouloir produire en série leurs modèles à traction avant, le sérieux de cette intention est mis en doute, compte tenu de leur désintérêt à concevoir leurs propres moteurs. On suppose qu’ils cherchaient plutôt à vendre leurs brevets aux grands fabricants qui s’y intéresseraient. La production arrêtée, la passion pour la recherche reste vive chez les Bucciali. En 1934, ils étudient une petite sportive aérodynamique animée par un huit cylindres suralimenté, à quatre roues motrices. Mais le manque de moyens ne permet pas de mener à bien ce projet. En 1936, les deux frères s'attellent à la réalisation d'une automitrailleuse à huit roues motrices équipée de deux moteurs Daimler-Benz type 500 K suralimentés. Les quatre roues des essieux extrêmes sont directrices, et les quatre des essieux centraux sont relevables. Le choix de cette mécanique surprend à un moment où les relations franco-allemandes se tendent. Cette étude répond à un appel d'offres du Ministère de la guerre. Mais le Service Technique de l'Armée ne retient pas ce projet. Le châssis a réellement été construit. Certaines idées seront reprises par d'autres industriels, notamment les 8 roues que l'on reverra après-guerre sur divers engins. Angelo Bucciali disparaît en 1946. Paul-Albert créé alors la Société de Mécanique et des Brevets Bucciali. Il tente avec courage de faire valoir ses droits sur les multiples brevets qu'il a déposés : compresseur à palette, bougie d'allumage à circulation d'air, boîte de vitesses transversale, gazogène fonctionnant à la tourbe, transmission électromagnétique ... Mais il fait face à des parties adverses aux moyens énormes, qui utilisent sans états d'âme les idées brevetées par les Bucciali. Cela ne l'empêche pas de poursuivre d'autres recherches, et même de mettre au point des voitures pour son usage personnel, dont un châssis surbaissé à propulsion arrière doté d'un moteur Mathis et d'une calandre de TAV 30. Dans les années 50, seuls quelques amateurs s'intéressent aux ancêtres du début du siècle. Les modèles des années 20 et 30 connaissent pour la plupart les affres de la destruction et des broyeuses, sans que quiconque se soucie du passé prestigieux et de l'intérêt technique de ces automobiles arrivées en fin de vie. Pourtant, un début de prise de conscience s'opère à la fin de la décennie. Quelques " illuminés " tentent de sauver ce qui reste des productions des grandes marques, des voitures abandonnées car démodées, dépassées techniquement et difficilement utilisables au quotidien. Jacques Rousseau et Serge Pozzoli sont de ceux-là. Ils découvrent en 1959 par le plus grand des hasard le châssis de la " Double Huit " et de " La Marie " dans un vieux garage en voie d'expropriation près du quartier de la Défense. Dans leur chasse au trésor, ils trouvent également un moteur Voisin, un pavillon, deux malles contenant une quantité impressionnante de documents, des modèles de fonderie pour l'essieu Bucciali, une Cord L29, et le cabriolet à moteur Mathis mis au point par Paul-Albert Bucciali pour son usage personnel. Cette découverte est suivie par une rencontre avec Paul-Albert Bucciali alors âgé de 70 ans. Celui-ci est surpris de constater que deux jeunes hommes connaissaient parfaitement le détail de ce qu'il a conçu et fabriqué avant guerre avec son frère. Il a conservé ces automobiles afin de faire valoir ses droits sur ses brevets. Face à l'expropriation imminente, Pierre-Albert Bucciali consent à s'en défaire. La SIA, l'UTAC et l'AAHA, l'Association des Amis de l'Histoire de l'Automobile, fondée par Jacques Rousseau et Serge Pozzoli en 1954, réunissent leurs efforts pour sauver ce patrimoine. Certaines des voitures seront ultérieurement revendues à des collectionneurs, qui entameront une restauration digne du prestige de la marque. Paul-Albert Bucciali s'éteint le 1er juillet 1981 à l'âge de 92 ans. La portée commerciale des automobiles Bucciali s'est avérée minime au regard des volumes produits, mais le souvenir de cette marque restera à jamais ancré dans l'esprit des amoureux de belles automobiles.
Publicité, Omnia numéro 149, octobre 1932.
Texte : Jean-Michel Prillieux / André
Le Roux |
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