Opération portes ouvertes


 

Les premières automobiles n’avaient pas de carrosserie et par conséquent pas de portière. Quand une carrosserie les habilla dans la première décennie du vingtième siècle, pour grimper à leur bord, des portes identiques à celles des fiacres furent rajoutées. A l’arrière, pour améliorer l’accessibilité, celles-ci s’ouvraient fréquemment d’avant en arrière. On montait à bord en s’aidant du marchepied.
 

De nombreuses voitures de cette époque, comme la Citroën 5HP ou les premières Ford T qui étaient extrêmement dépouillées ne comptaient qu’une unique portière située à l’avant droite. Pourquoi ? Etant donné que la colonne de direction qui pointait agressivement dans l’habitacle limitait l’accessibilité sur le côté gauche, il était plus logique de monter à bord de l'auto à partir du trottoir à droite avant de se glisser à gauche sous le volant. La roue de secours extérieure, proposée généralement en option, prenait la place de la portière.

 

 

Citroën 5 HP, avec une seule porte latérale

 

Sur d’autres voitures, pour jouer la symétrie esthétique, des plis de tôlerie imitaient le dessin de la porte qui n’existait pas. C’était le temps où sur les façades des immeubles, il y avait aussi de fausses fenêtres. En effet, le calcul des impôts fonciers s'appuyait sur le nombre de vraies fenêtres, mais il s’agit bien là d’une autre débat.

 


Par derrière, par devant


 

De nos jours, les portes de nos berlines s'ouvrent communément d'arrière en avant. Mais avant guerre, ce n'était pas aussi simple. Deux pratiques coexistèrent. L'une consistait à ouvrir les portes avant d'arrière en avant, tandis que celles de l'arrières s'ouvraient dans le sens opposé. Ce fut le cas pour la Citroën C6, la Rosalie, la Simca 8 1100, les Salmson ....  Cette méthode libérait une large ouverture centrale facilitant l’accès à bord. Mais pour être totalement efficace, elle aurait exigé la suppression du pied milieu vertical situé entre les portes qui jouait un rôle non négligeable sur la rigidité de la carrosserie.

 

 

Ouverture des portes avant d'AR en AV sur cette Citroën C6, et inversement pour les portes arrière 

 

L'autre pratique était à l'opposé. Les portes avant s’ouvraient d’avant en arrière, rotation favorisant l’accès à bord. On rentrait par derrière en tournant le dos à l’habitacle avant de se laisser tomber sur le siège. C’est le cas de la Traction dont les portes postérieures s’ouvrent en revanche classiquement d’arrière en avant comme sur les voitures modernes.

 

Après guerre, les premières Ford Vedette, avec portes avant s'ouvrant d'arrière en avant, et portes arrière s'ouvrant d'avant en arrière, avaient conservé ce pied milieu qui enlevait une part de l'intérêt à cette cinématique, par ailleurs largement utilisée aux Etats Unis. Ce n'était pas à un luxe car l'auto manquait de rigidité.

 

Toujours en France, la Facel Vega Excellence de 1958 utilisa ce principe, mais en se passant avec beaucoup d'élégance de ce support central. Ce sens d'ouverture des portes avant fut finalement interdit dans notre pays au cours des années 60, en raison notamment du risque d'ouverture en marche.

 

 

La Facel Vega Excllence, sans pied milieu

 


Contre le vent


 

La mode des portières s’ouvrant d’arrière en avant est venue des USA vers le milieu des années 30. Cette disposition était jugée plus sûre car elle autorisait des charnières plus rigides fixées sur la structure de la carrosserie. La portière ne risquait plus de s’ouvrir en marche comme cela était assez fréquent à cette époque. La force du vent la refermait ou du moins la plaquait automatiquement contre son ouverture.

 

Dans le sens inverse il n’était pas rare que les occupants assis à l’avant soient éjectés par la porte arrachée parfois par la prise au vent. La route tuait beaucoup dans les années 50. Tristement célèbres étaient les 4 CV Renault et surtout la Dyna Panhard dont les portes s’ouvraient dans " le mauvais sens "  comme l'écrivait la bimensuel l’Auto Journal en guerre contre ce sens d’articulation. En 1955, Panhard fit même breveter un double cliquet de sécurité sur la serrure de sa nouvelle Dyna.

 

 

Dyna Panhard à " porte suicide "

 

En réponse à la campagne de l’Auto-Journal et à des nombreux accidents comptabilisant les portes ouvertes accidentellement, ce sens d’ouverture fut interdit pas les pouvoirs publics à partir des années soixante. La Panhard PL 17 changea en 1960 de sens des ouvrants avant au grand dam de son créateur Louis Bionier qui trouvait à raison que l’accessibilité était devenue beaucoup moins facile. Elle fut suivie par la 2 CV en 1964, puis par la Fiat 500 en 1965.

 

 

Citroën 2 CV à " porte suicide " d'avant 1964

 


Une, deux ou quatre portes


 

En France, même les petites cylindrées comme la 4 CV comptaient quatre portes. Ce n’était pas le cas dans les autres pays européens où les petites voitures ne possédaient souvent que deux portes, ce qui ne déplaisait pas à la clientèle. Deux portes coûtaient moins cher à produire que quatre, toute en offrant une carrosserie plus rigide, tandis que les enfants assis à l’arrière ne risquaient pas de jouer avec. Ainsi, les Fiat 500, 600 et même 850 n’offraient que deux portes comme la Mini, l’Opel Kadett City ou la VW Coccinelle …

 

 

Fiat 600, deux portes sont jugées suffisantes

 

Renault avait innové dès 1938 avec ce concept deux portes sur la Juva 4, modèle largement copié sur l'Opel Olympia qui n’en comptait que deux aussi. La marque au losange récidiva en 1972 en n’offrant que deux portes sur sa première R5, ce qui ne l’empêcha pas de connaître un énorme succès. Simca qui avait tenté une opération similaire fin 1967 sur sa 1100 avait par contre connu un échec. La petite Renault était déjà une deuxième voiture au sein du ménage ce qui n’était pas le cas de la Simca née cinq ans plus tôt à vocation plus familiale par son gabarit, et surtout la 1100 paraissait bien austère face à la bonne bouille de la Renault.

 

 

La Simca 1100 en version deux portes latérales

 

En Espagne où la situation économique était moins florissante, Seat avait rajouté deux portes supplémentaires aux 600 et 850, comme Renault sur sa Siete, qui était de surcroît affublée d’un coffre.

 

 

Seat 850 Especial 4 puertos

 

De toute façon, depuis que la voiture existe, ses concepteurs ont toujours cherché à résoudre le problème de la porte car c’est un élément de la carrosserie coûteux à produire. Tout en fragilisant la rigidité de la coque, elle doit supporter des contraintes de plus en plus exigeantes en matière de sécurité passive.

 

L’Isetta imaginée par Iso en Italie en 1953 avait déplacé la porte en position frontale. Cet emplacement exigeait déjà une carrosserie mono volume vingt ans avant l’avènement du monospace. Cette microvoiture en forme d’œuf a été produite sous licence en France chez Velam qui a vite mis la clé sous la porte, et en Allemagne chez BMW où elle a rencontré un meilleur accueil grâce à une mécanique à quatre temps plus agréable à utiliser.

 

Cette porte unique à l’avant était une fausse bonne idée. Lourde à manœuvrer malgré un amortisseur, elle se révélait parfois dangereuse à la fermeture surtout en montée. Elle intégrait la colonne de direction montée sur un cardan pour libérer l’accès au volant. Avant de tirer la porte pour la refermer, il ne fallait surtout pas oublier d’écarter les jambes si on ne désirait pas la recevoir dans les genoux.

 

 

BMW Isetta

 

Autre défaut, il était conseillé de garer son Isetta de travers, porte de long du trottoir. Malgré ses petits 238 centimètres, elle dépassait tout de même beaucoup sur la chaussée. En la garant longitudinalement et plus logiquement le long du trottoir, il n’était pas rare lorsqu’on reprenait sa voiture de ne plus pouvoir monter à bord parce qu’un automobiliste en se garant trop près coinçait la porte.

 

BMW l’épaula avec une version 4 places à moteur 600 cm3 qui fut un terrible échec. La fameuse porte frontale était complétée par une seule porte latérale située côté trottoir, qui contraignait le passager de gauche à sortir par la droite. Nous n’étions plus à l’époque de la 5 HP Citroën.

 

 

BMW 600

 

On a vu bien pire avec la Zundapp Janus issue du prototype Dornier. Cette minuscule voiture allemande née en 1957 aux formes pratiquement symétriques avait l’avantage d’accueillir quatre passagers assis dos à dos entre le moteur de 250 cm3. On accédait aux places opposées par une porte frontale à l’avant et une porte à l’arrière. Vous imaginez le résultat ! La Janus qui devait son nom à son visage double fut un formidable fiasco contraignant la marque à revenir à son métier d'origine, la production de moto.

 

 

Jandapp Janus

 


Bizarre, comme c'est bizarre


 

Dans la série des bizarreries, il y a évidemment la fameuse Messerschmitt construite à tout de même environ 50 000 exemplaires par le firme aéronautique allemande. Cette micro car à trois ou quatre roues avait l’originalité d’offrir deux places en tandem. On y accédait en levant un cockpit en plexiglas fortement inspiré de celui d’un avion, après avoir enjambé la carrosserie démunie de porte. En refermant le cockpit, il fallait d’abord faire attention à son crâne si on était grand et ne pas oublier d’entrouvrir la meurtrière de ventilation coulissante pour réduire l’effort dû à la résistance de l’air, afin d’éviter de faire sauter la surpression.

 

 

Messerschmitt KR 200

 

Tout le monde a toujours été tenté de supprimer ces portes très coûteuses. Sur la fameuse Lotus Seven, il n’y avait pas de porte comme sur l’éphémère R4 Plein Air dévoilée en 1968 pour concurrencer la Méhari, qui elle même dans ses premières versions n'en possédait pas.

 

 

Renault 4 Plein Air

 

Rappelez vous aussi des buggy qui ont rencontré un gros succès au début des années 70. Il était nécessaire d’enjamber la carrosserie pour monter à bord. On a beaucoup vu de voitures de rêve à cockpit basculant vers l’avant sur les différents salons automobiles à travers le monde. Citroën a travaillé au début des années 70 sur un véhicule baptisé Urbain qui faisait appel à cette architecture séduisante au plan théorique mais qui n'était pas exempte d’inconvénients. Cette idée a eu un certain succès médiatique grâce au concept car Chrysler Turboflite à turbine exposé au Salon de l’Auto de Paris en 1961. Cette voiture, en plus de ses portières avait la particularité de voir son toit se soulever électriquement, ce qui facilitait l’accès à bord. Une technique très compliquée, évidemment coûteuse et pouvant être dangereuse si le pavillon venait à s’ouvrir contre le vent.

 

 

Chrysler Turboflite

 

Dans la même veine, il y a eu la très réussie Corvair Monza, la plus féminine Corvair Testudo de Bertone,  la  BMW 700 de Luigi Colani ou la Tsé-Tsé Town Car du carrossier turinois Sibona-Basano.

 

 

Chevrolet Corvair Testudo

 

Dans les années 70/80, le coupé sportif Sterling Nova imaginé par deux anglais, Richard Oakes et Phil Sayers, diffusé en France sous la marque Défi, avait la particularité d’avoir un pavillon se relevant électriquement. Il fallait néanmoins enjamber la carrosserie pour monter à bord, tout comme sur le spider Enzmann 506 à moteur Volkswagen construit en Suisse de 1958 à 1968. On grimpait à l’aide d’un marchepied creusé dans les flans après avoir fait coulisser le cockpit vers l’arrière. La voiture fut ainsi nommée car lors de la présentation de l'auto au Salon de Francfort en septembre 1956 par Emil Enzmann, celui-ci fit imprimer des cartes de visites en mentionnant le nom de l'exposant et le numéro du stand : 506 ! 

 

 

Enzmann 506

 


La chasse au papillons


 

En 1952, quand Mercedes est revenu à la compétition avec sa fameuse 300 SL, à cause des tubes de châssis qui gênaient l’accès, la marque allemande eut l’idée d’élaborer des portes à ouverture centrale articulées au milieu du toit. Sur le modèle de série né en 1954, Mercedes reprit ce concept original appelé portes papillon. Aussi séduisant soit-il, il n’offrait pas une accessibilité extraordinaire malgré un volant repliable facilitant l’accès, obligeant les femmes à jupe serrée à effectuer une sacrée gymnastique, avec en prime quelques bosses sur le crâne pour celles qui oubliaient de penser à leur tête en se levant

 

En revanche, la 300 SL autorisait à rouler à faible allure avec une porte relevée, ce qui permettait de faire son petit effet sur les Champs-élysées ou à Saint Trop ! Surtout pour le marché américain notamment Californien très consommateur, Mercedes abandonna ce concept sur la deuxième série de la 300 SL pour un roadster à portes tout ce qu’il y a de classiques.

 

 

Mercedes 300 SL

 

L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. La fameuse C111 à moteur rotatif qui devait être fabriquée en petite série réutilisa ce système, tout comme le proto C112 aperçu en 1991.

 

 

Mercedes C111

 

La sublime Alfa Stradale de 1968 adopta également le principe des portes papillon, tout comme l’éphémère De Lorean à moteur PRV fabriquée en Irlande dont l’histoire retiendra plus l’escroquerie que son originalité esthétique. Il en fut de même pour la super sport américaine Vector W8, le prototype de salon BMW Turbo de Paul Bracq dévoilé en 1973, ou la Corvette quadri-rotors de 1974 imaginée par les équipes de Bill Mitchell. L'étonnante Michelotti Mizar vue la même année à Turin fit aussi parler d'elle avec ses quatre portes papillon.

 


Michelotti Mizar

 

En revanche, sur les prototypes de compétition, les portes papillon très usitées représentent le compromis idéal accessibilité / rigidité. Quand on ne peut accroître l’accès par le bas, on le prend par le haut. Prenez le cas de la célèbre Ford GT 40 dont les portes étaient largement échancrées sur le pavillon, pour améliorer l’accès à ses pilotes qui se tapaient parfois durement la tête malgré le casque quand ils refermaient cette porte guillotine. Pour tenter d’y remédier, sur la Ferrari 275 LM street version de 1966, Pininfarina avait prévu un toit relevable articulé en son centre au dessus de la portière.

 

 

Ford GT 40

 


Portes coulissantes



Depuis toujours, les portes coulissantes séduisantes sur le papier ont fait fantasmer les constructeurs. En 1963, Pininfarina sur la  PF Sigma avait proposé ce concept qui présente l'avantage d'une ouverture sécurisante pour les autres et un accès facilité surtout dans les parkings où les voitures sont serrées comme des sardines.

 


Pininfarina PF Sigma

 

La porte coulissante n’est pas une nouveauté puisque la Renault Estafette en possédait déjà une à l’avant dès 1959, tandis que de nombreux utilitaires actuels et autres monospaces en sont équipés à l’arrière. Les effets de style avec ce type d'auto sont entravés par la nécessité de disposer d'une surface plane pour accueillir le rail coulissant. Peugeot s'essaya aux portes coulissantes sur une citadine, la 1007, mais avec peu de succès entre 2005 et 2009. En effet, elle ne dépassa pas les 124 100 exemplaires produits, ce qui est peu à ce niveau de gamme.

 

 

Peugeot 1007

 

Plus réaliste semble être le procédé vu sur la Renault Avantime. Mais la mise au point de cette technique a été fort laborieuse. Il s’agit de la porte à double cinématique. Outre une excellente résistance aux chocs, ce procédé ajoute au premier mouvement de pivotement un second qui écarte la porte de la carrosserie et facilite l’accès à son bord lorsqu’il n’y a pas beaucoup de place entre les voitures.

 

 

Renault Avantime

 

A ce sujet, le rôle de la porte s’est rudement compliqué au fil du temps car son poids s’est notablement accru à cause des renforts de sécurité qu’elle doit intégrer, avec en prime de nombreux accessoires électriques. Il n’est pas rare qu’elle avoue une cinquantaine de kilos et exige de ce fait des charnières de plus en plus massives et parfois même une assistance électrique d’ouverture.

 


Portes en élytre


 

Quelques voitures ont adopté le principe des portes en élytre qui s’inspirent des ailes de l’insecte du même nom Ce type d'ouverture vers le haut présente l’avantage de réduire l’encombrement latéral, une préoccupation récurrente sur les coupés GT, et évite tout contact avec le sol et les trottoirs quand ces voitures sont très basses. 

 

On a découvert ce type de porte sur la sublime Carabo de Bertone réalisée sur une base Alfa Romeo 33 en 1968. Cet étonnant concept car dessiné par Marcello Gandini faisait songer à un scarabée par ses formes cunéiformes et sa fascinante teinte verte aux reflets fluorescents.

 

 

Bertone Carabo

 

Dès 1971, la Lamborghini Countach fut la première voiture de petite série à adopter des portes en élytre, cinématique que reprendra la Diablo vingt ans plus tard, suive par le coupé Mc Laren F1 de 1992 et la regrettée Bugatti EB 110. Dernière originalité : une seule voiture de série osa les portes coulissant par le bas, il s’agit de la BMW Z1 de 1988.

 

 

BMW Z1


Texte : Patrice Vergès, 2001 - Adaptation 2014 / Carcatalog
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