Wimille, la soucoupe roulante
Le pilote Jean-Pierre Wimille (1908-1949) a tenté de produire une voiture au style futuriste entre 1946 et 1949, mais cette tentative a échoué. Sa mort accidentelle en janvier 1949 a évidemment nui à la poursuite du projet. L'engagement de ses collaborateurs à faire vivre son oeuvre n'a pas été suffisant. Ford SAF, en cessant la fourniture des moteurs et des éléments mécaniques a condamné cette belle aventure. L'homme et l'automobile qu'il a conçu étant indissociable, nous nous attarderons dans un premier temps sur la carrière et la personnalité de Jean-Pierre Wimille. Jean-Pierre Wimille, l'homme et le pilote Jean-Pierre Wimille est né en 1909 dans une famille aisée. Son père, Auguste Wimille, est un journaliste de talent, spécialiste de l'automobile et de l'aviation. Il est chef de rubrique au " Petit Parisien ", avant de rejoindre les bureaux parisiens du " New York Herald ". Ainsi, le jeune homme côtoie très jeune à la table familiale des constructeurs, des ingénieurs, des confrères journalistes, parmi lesquels le " pape " Charles Faroux. On ne s'étonnera donc pas que le fils de la maison s'intéresse très tôt aux sports mécaniques. Après s'être essayé à la moto et à l'avion, c'est finalement vers l'automobile que Jean-Pierre Wimille se dirige. Cette activité semble offrir plus de débouchés. Le jeune homme entretient un corps d'athlète. S'il a bien des muscles, il a aussi une tête bien faite. Il fait des études brillantes, apprend avec facilité les langues étrangères, présente une ouverture d'esprit et fait déjà preuve d'une sûreté d'analyse, même si sa jeunesse peut parfois lui jouer quelques tours. Quand il se lance un défi, il le poursuit avec une détermination sans faille. Ses débuts En 1930, sans doute avec l'appui amical de Charles Faroux, il prend possession à Molsheim d'une Bugatti 37A. C'est la moins chère des " pur sang ". Sa première course à son bord se déroule à Péronne, dans la Somme. S'il part en tête, il est aussi l'un des premiers à abandonner sur une panne mécanique. Il a tout de même établi le record du tour !
Jean-Pierre Wimille en 1930 sur Bugatti au pesage. Il va se constituer tout au long de la décennie un palmarès fort enviable. Ce résultat encourageant l'incite lui et ses amis qui l'assistent à s'engager sur le déjà très réputé Grand Prix de l'Automobile Club de France (ACF) de 1930. Celui-ci se tient cette année-là à Pau. Sur les 25 voitures engagées, 17 sont des Bugatti ! Philippe Etancelin remporte la course sur Bugatti T35C, devant la Bentley de Tim Birkin, l'un des fameux Bentley boys ... Jean-Pierre Wimille abandonne sur une panne de compresseur. Si c'est un échec sur le plan sportif, le pilote a vécu là une expérience exceptionnelle. Ce néophyte vient de s'opposer à des pilotes de renom. Cet engagement lui permet de rencontrer Jean Gaupillat, industriel réputé dans le domaine des cartouches de chasse, et pilote passionné, qui va préparer avec lui la saison 1931. Il l'aide à financer l'acquisition d'une très coûteuse Bugatti 51, plus performante. Entre temps, Jean-Pierre Wimille qui veut élargir son périmètre d'action, s'engage avec Marcel Lesurque sur le Monte-Carlo 1931, à bord d'une Lorraine Dietrich 3,5 litres à carrosserie Weymann. Donald Healey remporte la course de peu, devant Wimille et Lesurque. La performance de Jean-Pierre Wimille fait du bruit dans le petit monde automobile, et c'est déjà auréolé d'une petite réputation que l'on retrouve le jeune pilote parisien à Monza, avec son coéquipier Gaupillat.
La Lorraine Dietrich utilisée par Jean-Pierre Wimille n'est pas un modèle très récent. C'est pourtant la voiture qu'il choisit pour participer au Monte-Carlo 1931. Déjà, sa compétence et une auto fiable et efficace lui permettent de terminer deuxième. Un exploit vu son jeune âge.Au fil des années, dans un milieu de la course très relevé, le jeune pilote parisien acquiert la maturité qui a pu par moment lui faire défaut à ses débuts. Le chien fou qui s'attirait des remarques peu amènes de ses camarades s'assagit, et gagne naturellement en efficacité. En 1932, il remporte sur Bugatti 54 la course de côte Nice - La Turbie, une institution depuis 1897. Trois semaines plus tard, il remporte son premier Grand Prix à Oran en Tunisie. Il pilote ensuite une Alfa Romeo. A défaut de victoire, JPW, comme on commence à le surnommer, améliore sans cesse ses chronos. A Monaco en 1933, où la grille est désormais composée à partir des temps des essais, Jean-Pierre Wimille est en troisième ligne. Hélas, il abandonne. A 25 ans, il s'approche de l'élite des pilotes français, composée notamment par Philippe Etancelin (1896/1981), Louis Chiron (1899/1979), René Dreyfus (1905/1993) et Raymond Sommer (1906/1950). Bugatti, pilote officiel A Molsheim, Ettore Bugatti est bien renseigné par son fils Jean. Jean-Pierre Wimille est une authentique graine de champion. Encore trop jeune, il ne peut prétendre à de mirobolants contrats. C'est le moment ou jamais de l'attirer. En cet hiver 1933/34, chacun prépare l'entrée en vigueur de la nouvelle formule dite des 750 kg, poids maximum à vide et sans roues des voitures de Grand Prix. Contacté par Jean Bugatti, Wimille répond favorablement à l'offre qui lui est faite pour la saison à venir. Le voilà désormais pilote officiel Bugatti.
Jean-Pierre Wimille devient pilote officiel pour la célèbre maison Bugatti de Molsheim. C'est une très belle preuve de reconnaissance pour ce jeune sportif bâti en athlète. Si les victoires ne sont pas toujours au rendez-vous, Jean-Pierre Wimille ne détonne pas face à ses concurrents. Quand à partir de 1936, les constructeurs français un peu las de devoir lutter contre de véritables écuries d'Etat - Auto Union et Mercedes notamment - délaissent pour un temps les Grand Prix, Wimille peut enfin plus que jamais faire éclater son talent.
Jean-Pierre Wimille et Raymond Sommer viennent de remporter le GP de l'ACF en 1936 à bord de leur Bugatti type T57G. A ses dons naturels de pilote, Jean-Pierre Wimille ajoute des connaissances techniques qui tranchent souvent avec la méconnaissance mécanique de quelques-uns de ses rivaux, pour qui la course se résume au seul pilotage. Il tend toujours à s'imposer avec panache. Jean-Pierre Wimille, associé à Robert Benoist, inscrit à son palmarès une brillante victoire aux 24 Heures du Mans de 1937. En 1939, il gagne de nouveau dans la Sarthe, mais cette fois avec Pierre Veyron, autant de pilotes qui ont forgé le mythe Bugatti.
Après un premier succès en 1937 avec Robert Benoist, Wimille court de nouveau au Mans en 1939 avec Pierre Veyron. Au premier plan, la Bugatti numéro 1 au départ de l'épreuve en 1939. La guerre Quand la France entre en guerre, Jean-Pierre Wimille n'a que 32 ans. Il court depuis déjà dix saisons et est resté fidèle à deux marques, Bugatti et Alfa Romeo. Il a disputé environ 70 courses, et remporté une quinzaine de victoires. Pour tous, il est l'incontournable numéro un de l'équipe de Molsheim. Sa notoriété est à son sommet. La valeur de l'homme, sa personnalité, la confiance que lui témoignent Ettore et Jean Bugatti, et la manière qu'il a de mener sa vie et ses courses imposent le respect. La guerre met un coup d'arrêt à ses exploits. Lieutenant aviateur de réserve, Jean-Pierre Wimille ne peut comme tous que s'incliner face à la puissance de la Luftwaffe. Mais l'homme a trop de caractère et d'esprit patriotique pour abandonner la partie. Il s'engage dans la résistance. Après un détour par Londres, on le retrouve d'abord dans la région de Nantes affecté à un service de renseignement, puis en Seine-et-Oise, où responsable de nombreux parachutages, il veille sur les transferts d'armements. Peu après le débarquement, il échappe de justesse à une arrestation. Son ami Robert Benoist n'aura pas la même chance. Grillé en région parisienne, Jean-Pierre Wimille devient officier de liaison dans une division blindée américaine. La libération progressive de la France ne peut le satisfaire. Il reste sur la côte Atlantique des villes où s'accroche un ennemi toujours résolu. Le voilà engagé comme aviateur. Au sein du groupe Périgord, il mène quarante missions, qui lui vaudront en plus de la médaille de la Résistance une Croix de Guerre et deux citations. Le 8 mai 1945, c'est enfin la paix en Europe. La reprise des courses automobile En septembre 1945, l'AGAGI organise la première course d'après-guerre. Il faut à quelques hommes énormément de détermination pour vaincre toutes les réticences et toutes les pénuries pour organiser cet évènement. L'épreuve phare, c'est la Coupe des Prisonniers, que Jean-Pierre Wimille remporte au volant de la Bugatti avec laquelle il a couru la saison 1939. Le grand Ettore Bugatti qui a fait le déplacement à bord d'une Royale assiste à l'ultime succès d'une voiture de sa marque. La Bugatti pilotée par Wimille a été préservée pendant la guerre par Robert Benoist, exécuté en septembre 1944 par les Nazis. Les deux hommes appartenaient au même groupe de résistants. Alfa Romeo, de nouveau La vie se réorganise progressivement. En 1946, Jean-Pierre Wimille récupère une Alfa Romeo 308 C d'avant-guerre. Au bois de Boulogne le jour de l'Ascension, il gagne devant Chiron. Il n'a rien perdu de son talent. Giovanni Battista Guidotti, directeur technique d'Alfa Romeo, reprend contact avec lui, car il le sait sans volant officiel, et l'invite à participer en juin au Grand Prix de Saint-Cloud. Cette épreuve, organisée à l'occasion de l'inauguration du premier tronçon de l'Autoroute de l'Ouest, emprunte le nouveau tunnel routier. Le constructeur italien confie à Wimille une des fameuses Alfetta apparue en 1938, modèle 8 cylindres 1,5 litre à compresseur due au génie de l'ingénieur Colombo. Pour le pilote français, c'est à la fois une récompense et une joie. Mais hélas Jean-Pierre Wimille abandonne sur une panne mécanique. Il en est de même pour l'autre Alfetta pilotée par Nino Farina.
Le 6 juin 1946, Jean-Pierre Wimille s'affiche à bord d'une Alfa Romeo Alfetta au Grand Prix de France à Saint-Cloud. Il abandonne sur une panne mécanique. Sa femme Christiane de la Fressange (1909/2009), sportive accomplie et skieuse réputée, cousine germaine du père d'Inès de la Fressange, vient de mettre au monde un petit François (1946/1993), du prénom de son parrain, le pilote François Sommer. Fin juillet 1946, pour le GP des Nations à Genève, quatre Alfetta sont alignées. Outre Jean-Pierrre Wimille, on compte la présence de Giuseppe Farina, Felice Trossi, et Achille Varzi. Tous sont de véritables gentlemen, et l'entente est cordiale entre ces pilotes qui s'estiment et se respectent. Depuis la disparition des Auto Union et des Mercedes (et pour cause ...), la concurrence se trouve surtout chez Maserati. Jean-Pierre Wimille se contente d'une troisième place. Il a dû se plier à la discipline imposée par l'écurie. Sa voiture est moins puissante de 40 ch que celle des autres pilotes italiens, ce qui ne l'empêche pas d'être meilleur que ses coéquipiers aux essais ... Le 1er septembre 1946 à Turin, il a été convenu en interne que la victoire irait à Achille Varzi. En effet, pour ce premier Grand Prix en Italie depuis la fin de la guerre, les dirigeants d'Alfa Romeo souhaitent que la victoire revienne à un pilote italien. Dès le départ, Jean-Pierre Wimille distance tout le monde et survole la course. Le pilote français est très à l'aise sous la pluie qui s'est invitée. Giuseppe Farina et Felice Trossi sont rapidement hors course. Au cinquantième tour, Wimille reçoit l'ordre du stand de laisser gagner Achille Varzi. Il ralentit et se contente de suivre le champion italien, en s'inclinant sur la ligne d'arrivée d'une seconde. A la question des journalistes quelques semaines plus tard, Jean-Pierre Wimille déclarera que si l'on ne veut pas respecter les ordres, il faut rester indépendant ... Gordini / Alfa En 1947, Jean-Pierre Wimille rejoint l'écurie d'Amédée Gordini, lorsque le calendrier le lui permet, sans donc pour autant interrompre ses engagements envers Alfa Romeo. Les deux hommes ont souvent eu l'occasion de se croiser sur les différents circuits à travers le monde. Ils ont appris à s'apprécier et partagent de manière évidente la même passion. Jean-Pierre Wimille ne se formalise pas de l'organisation quelque peu chaotique qui règne dans les rangs de l'équipe française, où depuis toujours, on fait avec les moyens du bord. En fin de saison, Jean-Pierre Wimille montre qu'il est aussi brillant sur une petite Simca Gordini de 60 ou 70 ch que sur une grosse Alfa de 270 ch. En 1948, les accords bipartites Alfa Romeo et Gordini sont reconduits. La nouvelle Gordini pilotée par Jean-Pierre Wimille donne du fil à retordre à des écuries plus nanties et mieux outillées. Le pilote français rencontre cette année-là celui que les argentions considèrent déjà comme un dieu, Juan Manuel Fangio. Lui aussi pilote une Simca Gordini. Jean-Pierre Wimille ignore tout du champion argentin, alors que le futur champion du monde connaît tout de la carrière du français, qu'il considère comme le meilleur pilote du moment. En effet, Jean-Pierre Wimille a une telle aura auprès des pilotes que son style de conduite devient le modèle à imiter.
Parallèlement à Alfa Romeo, Jean-Pierre Wimille (1908/1949) court pour Amédée Gordini (1899/1979). On voit ici les deux hommes en pleine conversation lors du GP de Perpignan de 1947. Quand Wimille reprend le volant d'une Alfetta, il devient intouchable. En 1948, il s'impose à Reims, Turin et Monza. Les tifosis tout en admirant sa classe admettent aussi sa supériorité sur les autres pilotes italiens. C'est un calculateur qui donne une véritable dimension tactique à la course. On a l'habitude de dire qu'il passe à chaque tour au même endroit dans chaque virage. A défaut d'être spectaculaire, il est terriblement efficace. Concentré, il intériorise la course, la court d'avance. Il n'apparaît sur la grille de départ qu'au dernier moment. Distant avec les autres, il peut passer pour un homme froid, hautain, et son comportement peut susciter de l'incompréhension. En fait, il est simplement réservé, voire timide. Ce n'est pas un de ces pilotes qui mène grand train sur la piste et dans la vie. Il tire sa force d'un équilibre physique et psychologique qui semble quasi parfait.
Le Grand Prix d'Italie se déroule sur le circuit du Parc Valentino à Turin le 5 septembre 1948. Sous une pluie battante, Jean-Pierre Wimille de l'écurie Alfa Corse remporte la victoire sur l'Alfa Romeo 158 numéro 52 devant Luigi Villoresi sur Maserati et Raymond Sommer sur Ferrari. Au petit matin du 28 janvier 1949, Jean-Pierre Wimille sur le circuit de Palermo de Buenos Aires tente d'améliorer son temps de la veille. L'épreuve doit avoir lieu le lendemain. Sa femme Christiane est comme à son habitude rivée au chronomètre. Exceptionnellement, il accepte de se munir d'un casque de protection. Il accélère sa cadence, jusqu'à passer dans les virages au maximum de l'adhérence de sa monoplace. Des spectateurs imprudents empiètent sur le circuit pour mieux voir le champion. Obligé de changer de trajectoire pour les éviter, il dérape et se met en travers. Sous l'effort, une fusée se tord. Il perd tout contrôle de sa monoplace. La voiture se dresse à la verticale avant de retomber. Il meurt dans l'ambulance qui l'emporte vers l'hôpital. Partout la stupeur est totale. Avec un tel talent, on croyait Jean-Pierre Wimille invincible. Son corps est rapatrié en France par avion. Son épouse et Amédée Gordini escortent une dernière fois leur champion. Ses obsèques officielles se déroulent à Paris en l'église Saint-Philippe-du-Roule. Il est enterré au cimetière de Passy.
Jean-Pierre Wimille est le champion incontesté. Super Boy, revue de petit format de l'éditeur Impéria, le met à l'honneur en page de couverture, par le bais d'une illustration signée Géo Ham. Voiture de route, 1er prototype, 1946 La guerre a embrasé le monde, et la France vit sous la botte allemande. Sans essence, les rares personnes autorisées à circuler utilisent des moteurs fonctionnant à l'aide d'un gazogène. Le gaz de ville en ballon ou en bouteille, l'électricité et l'acétylène ont aussi leurs adeptes. Quelques engins à vapeur réapparaissent. C'est dans ce climat qu'à partir de 1943 Jean-Pierre Wimille, son ami et ingénieur Pierre Leygonie, ainsi que L. Viel, ancien directeur technique de Bugatti, se retrouvent pour réfléchir à une voiture de grand tourisme pour des jours meilleurs. C’est Jean-Pierre Wimille lui-même qui s'attelle au dessin de la carrosserie du prototype. La pénurie de matériaux durant ces années sombres ne leur permet pas de construire le véhicule. Jean-Pierre Wimille attend la fin de la guerre pour que son projet puisse prendre forme. Son prototype est achevé au printemps 1946, et le véhicule type JPW est présenté le 9 juin 1946 au bois de Boulogne, juste avant le départ du Grand Prix de France. Le carrossier Chapron de Levallois a réalisé la carrosserie.
Le premier prototype JPW est présenté le 9 juin 1946 au bois de Boulogne, en ouverture du GP de France. Sa carrosserie futuriste étonne et intrigue les visiteurs. La voiture est ensuite exposée au Salon de Paris 1946, premier Salon automobile d'après-guerre. La JPW est un coupé deux portes à châssis tubulaire, aux formes arrondies et très aérodynamiques, avec un vaste pare-brise panoramique qui apparaît huit ans avant sa généralisation sur les voitures américaines, un capot très bas offrant une excellente visibilité au conducteur, de grandes vitres latérales mordant sur le toit pour notamment faciliter l'accès au siège central. En effet, la Wimille dispose de trois places de front, et le conducteur est au milieu comme sur les premières Panhard Dynamic de 1936. Jean-Pierre Wimille, fort de son expérience en course, considère en effet que cette solution est la meilleure pour placer au mieux la voiture dans les courbes, car elle permet de mieux évaluer la position des roues avant. La partie arrière se rétrécit comme un fuselage d’avion. L’ensemble fait penser à une capsule spatiale que l’on voit alors dans les bandes dessinées de magazines pour adolescents. De fait, la visibilité arrière est très limitée, et le refroidissement du moteur s'avère problématique. Le coefficient de pénétration dans l'air de la voiture ne dépasse pas 0,23. L'idée maîtresse de Jean-Pierre Wimille a consisté à partir d'une véritable monoplace de développer l'habitacle de chaque côté du poste de pilotage. L’époque de l’après-guerre est propice aux idées nouvelles en matière automobile, et de nombreux constructeurs ou ingénieurs-artisans tentent leur chance en concevant des véhicules avant-gardistes plus ou moins extravagants, comme les Mathis 333 (1946) et 666 (1948), l'Aerocarène (1947), la Panhard Dynavia (1948), la Claveau Descartes (1948), la Brand Reine (1950), la Symetric (1951) ou la Socema Grégoire (1952). Le prototype JPW s'inscrit dans ce registre, et dans de nombreux pays, des ingénieurs vont user et abuser de leur imagination, le marché les rappelant assez vite aux dures réalités de la vie.
Sous cet angle, les formes de la Wimille apparaissent très pures. L'imposant pare-brise est fortement bombé et offre une visibilité optimaleser . Par contre, la visibilité arrière est médiocre. La voiture est dotée d'un toit ouvrant, mais ses vitres latérales sont fixes. Wimille avait prévu un moteur six cylindres d'1,5 litre pour la JPW, disponible avec trois niveaux de puissance : 70 ch, 105 ch et 220 ch avec compresseur, pour des vitesses de pointe respectives de 170, 200 et 280 km/h. Ce moteur n'est pas prêt à temps, et on peut même s'interroger sur son existence réelle. Tout permet de penser qu'une mécanique spécialement conçue pour la JPW, d'une technique probablement élaborée, aurait coûté très cher à produire, sans offrir pour autant la robustesse d'un groupe de grande série. Les concepteurs se rabattent sur un moteur de 11 CV Citroën d'avant-guerre délivrant 56 ch, monté en position centrale arrière. Grâce à un aérodynamisme poussé, la JPW peut atteindre, voire dépasser les 150 km/h, contre environ 120 km/h pour la 11 CV Citroën de série. Voiture de route, 2ème prototype, 1948 Malgré le bon accueil réservé au bois de Boulogne à son nouveau modèle, Jean-Pierre Wimille n’est pas totalement satisfait de son prototype, et se remet au travail pour la mise au point d'un deuxième modèle qu’il souhaite améliorer sur de nombreux points. Fin mars 1947, il se rend à Nîmes pour courir le Grand Prix. A l'issue de l'épreuve qu'il remporte sur une Gordini, il doit rencontrer Maurice Dollfus, président de Ford SAF à Poissy, pour lui proposer de construire la nouvelle Wimille. Dollfus est intéressé, et fait l'acquisition des droits sur l'auto. Chez Ford SAF, un service autonome est créé pour la circonstance. Sa direction est confiée à Albert Marestaing, pilote d'avion et compagnon de combat de Wimille en 1944/45, qui a participé à l'élaboration du projet. Ford SAF s'engage à fournir les moteurs et les différents composants mécaniques : freins, suspensions, embrayage, etc ... Jean-Pierre Wimille s'entoure de nouveaux collaborateurs, messieurs Bourgeois, projeteur, et Albert, mécanicien. La JPW va être repensée dans l'optique de la grande série. Pour le dessin de la carrosserie, il recrute Philippe Charbonneaux, designer indépendant, dont c'est l'une des premières réalisations.
Le prototype Wimille présenté en 1948 est redessiné par le styliste Philippe Charbonneaux (1917-1998). Le dépliant publicitaire annonce une consommation de 1 litre pour 10 km, et une vitesse qui peut atteindre 160 km/h. La voiture à venir doit être compatible avec une industrialisation. Les solutions de base qui font l'originalité de la voiture seront conservées. L'empattement est allongé de 25 centimètres. Philippe Charbonneaux retravaille l’ensemble de la carrosserie, de la partie avant plus haute à la partie arrière abaissée et élargie, afin d'améliorer la visibilité. Le pare-brise panoramique est inédit. Le style façon fuselage d’avion est abandonné. Un emplacement pour les bagages qui était inexistant sur le premier prototype est prévu. Des ouïes latérales apparaissent pour refroidir le moteur. Il s'agit d'un V8 Ford de 2 158 cm3 de 60 ch, qui équipait les Matford d'avant-guerre et la V8 472 construite à Poissy. L'idée d'un V6 spécifique est définitivement abandonnée. La vitesse maximale atteint 155 km/h. Ce deuxième prototype est finalisé chez un autre carrossier de renom, Faget & Varnet. Celui-ci a à son actif d'heureuses réalisations sur Delahaye. La nouvelle mouture de la voiture de Jean-Pierre Wimille est exposée au Salon de Paris 1948, au même moment que sa demi-soeur la Ford Vedette, mais aussi que la Citroën 2 CV et la Peugeot 203. Ce n'est plus une JPW comme en 1946, mais une Wimille.
Le second prototype Wimille présenté au Salon de Paris 1948 est remarqué pour sa modernité, à une époque où les voitures les plus vendues en France sont les Renault 4 CV et Citroën Traction. L'avant-gardisme du projet sera-t-il à même de séduire ?se Le 28 janvier 1949, coup de théâtre, Jean-Pierre Wimille se tue à seulement 40 ans pendant les essais du Grand Prix de Buenos Aires, au volant d’une Simca Gordini. Voiture de route, 2ème prototype retouché, 1949 Après ce terrible drame, ses plus proches collaborateurs décident malgré tout de poursuivre le projet, et se remettent au travail en vue de la présentation d’un troisième prototype. En fait, il ne s'agira que du second prototype retouché à l’avant avec un seul phare en son centre. La voiture est présentée par Faget & Varnet au concours d'élégance du Bois de Boulogne en juin 1949.
Equipé d'un seul phare, le deuxième prototype retouché de la Wimille est présenté par le carrossier Faget & Varnet au concours d'élégance du Bois de Boulogne, cinq mois après la disparition du pilote. Voiture de route, 3ème prototype, 1950 La disparition de Jean-Pierre Wimille a porté un rude coup au projet. Mais ce n'est pas fini. Désormais, c'est Ford à Detroit qui décide de suspendre sa participation à l'étude de cette voiture exclusive, qui selon ses dirigeants n'a rien à voir avec la politique de masse et de bas prix que le constructeur veut promouvoir. Hélas, les Américains de chez Ford n'ont aucune expérience de la voiture sportive et leurs techniciens manquent de compétence pour juger le travail de Wimille et de ses compagnons. Ils sont plus habitués aux lourdes voitures de conception classique, mais à la tenue de route incertaine, qui présentent toutefois l'avantage d'être sans problème. Un peu plus d'une décennie plus tard, cette stratégie sera remise en question avec un fort engagement au Mans, et une orientation de la communication sur la performance. C'est l'époque des GT 40 et Mustang. Grand seigneur, Maurice Dollfus rend sans contrepartie les droits sur le projet à ses créateurs. Une nouvelle structure est créée le 27 juillet 1949, la Société d'Application et d'Exploitation Industrielle et Commerciale (SAEIC), qui décide de construire une nouvelle voiture pour le Salon de Paris 1950. Maurice Dollfus assure Jean-Pierre Wimille de sa collaboration pour la fourniture des moteurs et ensemble de pièces. Ce troisième prototype est mis au point au cours de l’année 1950. Il reprend la carrosserie du précédent, mais la partie avant est une nouvelle fois redessinée, dans un style plus conventionnel. L'empattement et la longueur totale sont réduits de 6 cm par rapport au deuxième prototype. Les surfaces sont lissées, un peu dans le même esprit que la Panhard Dynavia présentée au Salon de Paris 1948. Les deux projecteurs principaux sont accompagnés de feux encastrés de forme ronde.
Présenté au Salon de Paris 1950, le troisième et dernier prototype Wimille à la face avant redessinée revient à des doubles optiques. Ce modèle définitif est de nos jours exposé au Musée Henri Malartre. Le moteur Ford placé au centre est plus puissant, délivrant désormais 66 ch, ce qui permet à la voiture de dépasser les 160 km/h, des performances encore rares à cette époque. Surtout, l'équipe a conservé les préceptes de Jean-Pierre Wimille. Le châssis a fait l'objet d'une étude très poussée permettant de concilier les trois critères autorisant une bonne tenue de route : le poids, la position du centre de gravité et la rigidité du bâti tubulaire. La Wimille est divisée en deux parties bien distinctes. A l'avant, on trouve le réservoir, la roue de secours, la direction et l'habitacle qui offre une visibilité exceptionnelle, et qui est exempt de mauvaises odeurs et de bruit. A l'arrière sont disposés le moteur, la batterie, la transmission et le radiateur relié aux prises d'air extérieures. Après avoir testé différentes solutions, il a été choisi une boîte de vitesses électromagnétique du type de celle brevetée par l'inventeur Jean Cotal en 1931, qui a fait depuis ses preuves chez plusieurs constructeurs français.
Au Salon de Paris 1950, le troisième prototype Wimille est présenté sur le stand du carrossier Faget & Varnet. A la suite d'accords passés avec la SAEIC, la Compagnie Parisienne d'Automobile (CPA), filiale de Faget & Varnet, devient le constructeur des automobiles Wimille. Un outillage est fabriqué pour une production en petite série. La Wimille est affichée à 1 480 000 francs. A titre de comparaison, au même moment, la Citroën 15 CV vaut 628 000 francs, la Ford Vedette 674 000 francs, et un châssis nu de Delahaye 135 MS 1 300 000 francs. La livraison est promise sous six mois. Le refus de Ford SAF et la fin de l'aventure Malheureusement, Ford SAF qui s’apprête à lancer son nouveau coupé Comète annonce son intention de ne plus livrer de pièces à la SAEIC. De même, toute assistance commerciale du réseau des distributeurs Ford est désormais à exclure. Les ordres arrivent de Detroit. Devant l'impossibilité d'assurer financièrement l'étude et la réalisation d'une nouvelle voiture avec d'autres éléments mécaniques, les compagnons de Jean-Pierre Wimille doivent renoncer à poursuivre l'oeuvre qu'il avait initiée. Un espoir renaît en 1951 lorsque les usines Turboméca, à Bordes près de Pau, s'intéressent à la Wimille pour en faire une voiture à réaction. La Rover " Jet 1 " a fait des essais encourageants dans ce domaine, et Turboméca fait étudier l'adaptation de l'un de ses turboréacteurs de 275 ch sur la Wimille. Cette tentative n'a pas de suite. On peut regretter la disparition de la Wimille qui présentait une conception originale et réaliste, et fourmillait d'idées nouvelles. Au total, trois exemplaires de cette voiture jamais réellement commercialisée ont survécu. Trois autres auraient été détruits ou ont disparu. Deux sont visibles au Musée de Reims, ex-Musée Charbonneaux, et le dernier au Musée Henri Malartre à Rochetaillée-sur-Saône.
Texte : Jean-Michel Prillieux / André
Le Roux |
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