Eagle, le dernier avatar du groupe AMC
Eagle est une marque automobile américaine qui succéda à la marque AMC en 1987, alors que celle-ci venait d’être rachetée par le groupe Chrysler. La marque Eagle ne parvint pas à s’imposer au sein du groupe Chrysler, coincée entre Plymouth et Dodge, et elle disparaissait dès 1998. Les débuts de la firme Eagle Le groupe American Motors Corporation, créé en 1954 par l’association des marques Nash et Hudson, est racheté par le constructeur français Renault en 1982 à la suite de graves difficultés financières. Renault propose alors à AMC de produire les R 9 et R 11 dans son usine de Kenosha dans le Wisconsin, mais le manque de réussite commerciale de ces modèles outre-Atlantique oblige le constructeur français à céder AMC au groupe Chrysler en 1987. Cette année-là, le volume de production d’AMC est tombé à 29 000 unités, sans inclure les Jeep, le nombre le plus faible enregistré par le quatrième constructeur américain depuis le début de son existence. Il est évident que Chrysler n’attache pas la moindre importance à la gamme des berlines AMC, et qu’il a réalisé l’opération dans le seul but d’acquérir et de développer la marque Jeep, propriété d'AMC depuis 1970. Cependant, les accords entre Renault et Chrysler lors du rachat d’AMC obligent le constructeur américain à produire le modèle Premier qui vient d’être finalisé, et qui vient d’arriver sur les lignes d’assemblage de l’usine AMC de Brampton au Canada. Ce modèle est dérivé de la Renault 25 lancée en Europe en 1984, mais dispose d’un coffre en lieu et place d’un hayon bulle. La Premier est censée récupérer la clientèle des anciennes AMC Matador et Ambassador. 1987 : Eagle Premier L’Eagle Premier est le dernier vestige des Renault américaines. La R 5 " Le Car " produite en France avait ouvert le bal en 1977, et avait connu un petit succès d’estime jusqu’en 1983. Renault avait ensuite importé des Renault 18 et Fuego en 1979 et 1980, mais c’est surtout l’arrivée en 1982 de l’Alliance dérivée des R 9 qui marqua la mainmise de Renault sur le groupe American Motors Corporation. La présentation en 1983 de l’Encore dérivée des R 11 enfonça le clou. La Premier dérivée de la R 25 doit être l’étape suivante indiquant une montée en gamme, mais celle-ci est tuée dans l’œuf par la vente d’AMC à Chrysler. Chrysler se retrouve donc en 1987 avec un modèle dérivé de la R 25 qu’il n’a pas envie de vendre, auquel se rajoute la Medallion issue de la R 21 lancée en Europe en 1986, mais qui elle est produite en France et exportée vers les Etats-Unis. La Medallion n'est diffusée que sur deux millésimes, 1988 et 1989, alors que la Premier parvient à se vendre à 139 000 exemplaires entre 1987 et 1992, nombre incluant la version Dodge Monaco. La Premier est une berline de 4,90 mètres de long sur 1,78 mètre de large dotée d'un moteur PRV de 3,0 litres ou d’un quatre cylindres 2,5 litres d’origine AMC Jeep abandonné dès 1989.
L’Eagle Premier est le premier modèle de la marque conçu sous l’ère AMC-Renault. Commercialisé en 1987, il reprend le châssis et le moteur de la Renault 25, mais sa carrosserie reçoit un coffre au lieu d’un hayon bulle, et ses portes sont autoclaves. Outre le coffre proéminent, la Premier se différencie de la R 25 par ses portes autoclaves et son aménagement intérieur entièrement revu. Elle est considérée comme une des plus sportives des berlines vendues sur le marché américain, du fait de sa précision de conduite et de sa tenue de route, des qualités directement héritées de la Renault 25. Le design de la voiture est dû à Giorgietto Giugiaro qui a travaillé sur la Renault 21, et qui s'active à ce moment-là sur la future Renault 19, un modèle lancé en Europe en 1988. Le dessin final de la Premier est retouché par Richard Teague, qui signe là sa dernière réalisation chez AMC. Une gamme complète de modèles est prévue pour le lancement de la Premier : une berline, un break et un coupé deux portes nommé Allure, mais le break et le coupé ne seront jamais commercialisés. Le dérivé Dodge Monaco Dans le cadre de l’accord d’achat, Chrysler est non seulement obligé de vendre la Premier, mais il est en plus contraint d'en vendre un nombre défini à l’avance, en l'occurrence 260 000 exemplaires. Or, comme le constructeur américain en a vendu moins de 100 000 unités les deux premières années, il cherche à remplir ses obligations envers Renault en commercialisant une version rebadgée sous la marque Dodge. La Dodge Monaco est passée en 1977 et 1978 de la catégorie des " full size " qu'elle occupait depuis 1965 à celle des " intermédiaires ", en remplacement de la Coronet. Puis la désignation commerciale est abandonnée de 1979 à 1989. La nouvelle Monaco de 1990 arrive à point nommé pour remplacer la Dodge Diplomat, une grande berline classique et luxueuse produite de 1977 à 1989.
La Dodge Monaco lancée en 1990 est une Eagle Premier à peine modifiée. Elle remplace la Dodge Diplomat, mais son succès ne sera pas au rendez-vous. Elle disparaît dès 1992, en même temps que l’Eagle Premier. Lancée en 1990, la Dodge Monaco ne rencontre qu’un tout petit succès d’estime, avec 21 000 exemplaires vendus jusqu’en 1992. C'est insuffisant pour répondre à l'exigence des accord Renault / Chrysler qui prévoyait 260 000 unités. Chrysler n’en vendra finalement que la moitié … C’est pourtant déjà beaucoup pour Bob Lutz, alors vice-président de groupe, qui juge ces voitures " invendables ", démontrant ainsi l’estime qu’il porte à Renault et AMC … L’abandon des modèles d’origine Renault Au début des années 90, la direction du groupe Chrysler prend conscience qu'elle peut difficilement se permettre de gérer et de promouvoir cinq marques différentes, Chrysler, Dodge, Plymouth, Eagle et Jeep, soit autant que le groupe General Motors, mais avec des volumes de ventes sans aucune mesure avec ceux du numéro un mondial. Le groupe Chrysler l’a pourtant déjà fait dans le passé avec Chrysler, Dodge, Plymouth, De Soto et Imperial. Mais cette politique a rencontré ses limites. De Soto a été supprimé à l'issue du Millésime 1961, et Imperial a connu une existence agitée avec une interruption de 1976 à 1980, puis un abandon définitif en 1984. Dans ces conditions, alors que la marque Jeep bénéficie d’un développement considérable, la direction de Chrysler accorde un sursis à Eagle en lui attribuant deux nouveaux modèles, les Talon et Vision. Par ailleurs, Eagle s’émancipe totalement de la technique Renault et met fin à la carrière des Premier et Monaco. Le constructeur américain peut compter sur son nouveau directeur de l’ingénierie, le français François Castaing, qui a été le maître d’œuvre des Jeep Cherokee (XJ) en 1983 et Grand Cherokee (ZJ) en 1992, après avoir été nommé par Renault directeur de l'ingénierie d’AMC de 1980 à 1987. Celui-ci raccourcit les délais d'études des modèles du groupe Chrysler qui passent de 50 à 39 mois grâce à la conception assistée par ordinateur (CAO), et propose un tout nouveau type de voiture, la berline de la série LH, qui donne naissance aux Chrysler Concorde, Dodge Intrepid et Eagle Vision. En 1996, François Castaing devient directeur des opérations internationales du groupe Chrysler. En 1998, après le rapprochement de Daimler et de Chrysler, il est nommé conseiller technique du président-directeur général du groupe DaimlerChrysler. François Castaing a été un élément clé au sein du groupe Chrysler entre 1987 et 1998. 1989 : Eagle Talon La production de la marque Eagle qui a atteint 59 000 véhicules en 1988, tombe à 46 000 unités en 1989. Cette année-là, Chrysler affecte à la marque en déclin un nouveau coupé sportif à traction avant ou à transmission intégrale, dérivé des Plymouth Laser et Mitsubishi Eclipse. Le troisième constructeur américain s’est associé depuis le début des années 70 à Mitsubishi dans le domaine des voitures subcompactes, que Chrysler ne veut pas, ou ne sait pas faire. C’est seulement à partir de 1978 que le groupe Chrysler a lancé ses propres subcompactes, les Plymouth Horizon et Dodge Omni, à partir d'études menées par ses filiales européennes, Chrysler France, ex Simca, et Chrysler UK, ex Rootes. Pour autant, plusieurs modèles Mitsubishi poursuivent en parallèle leur commercialisation aux Etats-Unis sous les marques Dodge et Plymouth.
L’Eagle Talon lancée en 1989 est un coupé compact à tendance sportive qui est dérivé des Plymouth Laser et Mitsubishi Eclipse. C’est d’ailleurs Mitsubishi qui a conçu ce modèle et le produit dans son usine américaine située dans l’Illinois. Les trois coupés Plymouth Laser, Eagle Talon et Mitsubishi Eclipse qui sont identiques au niveau esthétique et technique sont produits sur le site américain de Mitsubishi, à Normal dans l’Illinois. La longueur de ces modèles est de 4,33 mètres pour une largeur de 1,69 mètre. Leur moteur est un quatre cylindres de 1,8 litre délivrant 92 ch, ou de 2,0 litres pour 135 ch. Une version turbocompressée et à transmission intégrale développe 195 ch. Le coupé Eagle Talon s’écoule à 145 000 exemplaires entre 1989 et 1994, ce qui est un bon score pour un modèle à tendance sportive, d’autant plus que le coupé Plymouth Laser n’a pas dépassé les 116 000 unités. La seconde génération de l’Eagle Talon apparaît donc en 1994, en même temps que la nouvelle Mitsubishi Eclipse, mais Chrysler a décidé de ne pas en dériver une version Plymouth. Sans doute parce que la Laser n’a pas connu un grand succès, et que la marque Plymouth se concentre progressivement sur la production du monospace Voyager. Ce choix modifie l’image de la marque, qui devient plus familiale, alors qu'Eagle sans monospace à son programme est plutôt positionnée dans la catégorie " Sport ", même si Dodge n'a pas totalement renoncé à ce segment.
L’Eagle Talon a droit à un restyling en 1994 alors que la Plymouth Laser ne bénéficie pas de cet honneur. Le modèle dérivé de la Mitsubishi Eclipse de nouvelle génération connaîtra une diffusion confidentielle. Il est supprimé en 1998. L’Eagle Talon de 1994 qui est dotée d’un quatre cylindres de 2,0 litres de 140 ch ou 210 ch voit donc sa carrière commerciale grandement facilitée en théorie, en raison de l’absence de la concurrence d’une Plymouth équivalente, et pourtant les chiffres de ventes ne sont pas à la hauteur des espérances. Seulement 54 000 exemplaires sont écoulés entre 1994 et 1998. Cette année-là, le groupe Chrysler supprime la marque Eagle, et entend porter tous ses efforts sur la marque Jeep dont les ventes progressent. La dernière Eagle Talon sort d’usine le 10 février 1998. 1992 : Eagle Vision La production d'Eagle qui atteint 50 000 unités en 1990, retombe à 46 000 en 1991 et 44 000 en 1992. Ces chiffres sont insuffisants pour pérenniser la marque. Chrysler lui offre cependant une dernière chance en lançant en 1992 l’Eagle Vision, qui succède à l’Eagle Premier. C’est une version rebadgée des berlines Chrysler Concorde et Dodge Intrepid basées sur la plateforme LH, une extrapolation de la plateforme B traction avant des Eagle Premier et Dodge Monaco. Le design avant-gardiste de ces voitures est directement issu du concept Lamborghini Portofino, la marque italienne de voitures de sport rachetée par Chrysler en avril 1987, quelques semaines avant la reprise d’AMC. Ce concept se caractérise par une carrosserie aérodynamique dite " à cabine avancée » avec un pare-brise long et bas, et des porte-à-faux relativement courts, tranchant avec les réalisations du groupe Chrysler des années 80 aux formes carrées presque caricaturales.
La Lamborghini Portofino est un concept-car développé pour Lamborghini par Chrysler. Présentée au Salon de l'auto de Francfort en 1987, il s'agit d'une berline sport quatre portes et quatre places entièrement fonctionnelle. Les roues de la Vision sont poussées vers les quatre coins de la voiture, créant un habitacle plus vaste qu'à bord des voitures concurrentes. C’est François Castaing, nommé vice-président de l'ingénierie des véhicules du groupe Chrysler en 1988, qui convainc la direction du constructeur de produire ce véhicule. Seule concession acceptée par le Français, le châssis reçoit une architecture flexible capable de prendre en charge la traction avant ou la propulsion, sous les désignations respectives de LH et LX. L’Eagle Vision lancée en 1992 est dotée d’un 6 cylindres en V de 3,5 litres et 214 ch, plus compact qu’un six cylindres en ligne. Son Cx de 0,31 est l'un des meilleurs de la catégorie, et procure un silence de conduite exceptionnel. L’Eagle Vision qui mesure 5,12 mètres de long sur 1,89 mètre de large est toutefois moins richement équipée que sa sœur jumelle la Chrysler Concorde et moins sportive que la Dodge Intrepid, si bien qu’elle aurait pu s’appeler Plymouth Vision, puisque cette marque ne bénéficie pas de cette carrosserie dans sa gamme. D’ailleurs, on peut se demander si la première idée du groupe Chrysler n’était pas de commercialiser ce modèle sous la marque Plymouth, ce qui est probable.
L’Eagle Vision lancée en 1992 pour succéder à la Premier est dérivée des Chrysler Concorde et Dodge Intrepid, et aurait dû probablement être commercialisée sous la marque Plymouth. Cette grande berline disparaît dans l’indifférence générale en 1997. L’Eagle Vision s’écoule au total à 105 000 unités de 1992 à 1997, et Chrysler prévoit de lui donner une descendance lors la refonte des voitures LH prévue pour 1997. Finalement, le constructeur annonce que la marque Eagle sera abandonnée en 1998 et que la Vision n’aura donc pas de descendance. La dernière Eagle Vision est produite le 5 septembre 1997. Epilogue La production de la marque Eagle qui a atteint 60 000 véhicules en 1993 et 66 000 en 1994 s’est effondrée les années suivantes : 44 000 en 1995, 23 000 véhicules en 1996, 14 000 en 1997 et 3 000 en 1998. Dès 1995, la direction de Chrysler a le sentiment qu’il est devenu impossible de sauver Eagle, en raison d’un volume de ventes nettement trop faible et qui ne progresse pas. La suppression de cette marque annoncée en 1997 est concrétisée en 1998. Elle a lieu au moment même où le groupe Chrysler décide de s’associer avec Mercedes, afin de former DaimlerChrysler. Ce groupe qui doit être " une fusion entre égaux " selon les directions des deux constructeurs devient en fait une prise de contrôle de Chrysler par Mercedes. Les cadres de Chrysler sont rapidement évincés et remplacés par d'autres venant de chez Mercedes. Les méthodes de travail mises en place chez Mercedes deviennent la règle chez Chrysler, ce qui provoque une certaine amertume chez les salariés du constructeur américain. L’une des premières décisions de la nouvelle direction du groupe est de supprimer la marque Plymouth jugée non rentable. Elle est liquidée en 2001. Le grand rêve de Mercedes est en fait de devenir le premier constructeur mondial, grâce à l’apport du groupe Chrysler, mais aussi de Mitsubishi qui à défaut de présence de Chrysler à son capital - cela a été le cas de 1972 à 1995 - continue d'entretenir des relations industrielles avec le troisième groupe automobile américain. Chrysler et Mitsubishi entretiennent par ailleurs des relations dans le domaine des études avec Hyundai et Kia, cette dernière marque ayant été rachetée par Hyundai en 1999 à l'issue de sa banqueroute. Le projet grandiose de devenir le numéro 1 mondial était une construction de prime abord pertinente, avec des implantations à la fois en Europe avec Mercedes, en Amérique du Nord avec Chrysler, au Japon avec Mitsubishi et en Corée avec Hyundai et Kia. Ce groupe avait un potentiel de ventes estimé à plus de 8 millions de véhicules par an. On sait ce qu’il est advenu par la suite. La fusion de Mercedes et Chrysler a tourné au désastre, le scandale des vices cachés chez Mitsubishi a refroidi les ardeurs de Mercedes, quant à Hyundai et Kia, ils n'ont pas voulu devenir un Chrysler coréen aux ordres des Allemands … Du coup, l’affaire a capoté. Mercedes a vendu Chrysler et Jeep en 2007 à une société d'investissement américaine du nom de Cerberus, qui a à son tour cédé ces deux marques à Fiat en 2011. Mitsubishi a été racheté par Nissan en 2016, et Hyundai Kia est devenu l’un des quatre plus grands constructeurs mondiaux, supplantant même les anciens leaders General Motors et Ford. Il est resté curieusement un vestige de ce vaste projet de groupe mondial. Il se situe en Chine, où le constructeur Beijing Automotive Group (BAIC) a produit sous licence pendant au moins deux décennies des Mercedes, Chrysler, Jeep, Mitsubishi et Hyundai dans ses différentes usines.
Texte : Jean-Michel Prillieux |
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