John Tjaarda
John Tjaarda - Pays-Bas - 1897/1962 Formation
Formation de dessinateur en
aéronautique en Angleterre. 1897 Johan "Jan" Tjaarda van Sterkenburg est né le 4 février 1897 à Arnhem aux Pays-Bas. Ses parents sont Henriette Elisabeth Thieme et Johannes Jan Tjaarda, ce dernier est médecin de profession. Le jeune Tjaarda est formé à la conception aéronautique au Royaume-Uni avant de servir en tant que pilote dans l'armée de l'air néerlandaise. Il commence très jeune à esquisser les premières études de ce qu'il va appeler sa voiture idéale. Son premier emploi, il le trouve chez l'avionneur Fokker. Cette expérience lui sera utile dans sa future profession, où il percevra intuitivement sur un projet automobile les éléments soumis à trop de contraintes, ou au contraire " sous contraints ". Cela l'aidera à concevoir des véhicules légers exempts de vibrations. 1923 L'Amérique des années 1920 est synonyme de croissance, d'innovation, de modernité et de rapidité dans les prises de décisions. Le jeune Tjaarda y émigre en 1923, prêt à en découdre avec ses nombreuses idées dans le domaine automobile. En arrivant à Hollywood, Johan "Jan" Tjaarda devient John Tjaarda. Son premier emploi consiste à concevoir des carrosseries spéciales pour des stars du cinéma. 1925 Il travaille pour le carrossier Locke & Co à Rochester dans l'Etats de New York. Il y dessine des carrosseries destinées à habiller des châssis Duesenberg, Hispano Suiza, Packard, Pierce Arrow ou Stutz. Vers 1926 Il passe deux années chez Duesenberg. 1928 John Tjaarda intègre en tant qu'assistant le studio " Art and Colour " de la General Motors, fondé par Harley Earl en 1927. Si ce passage dans cette structure est très formateur, le jeune designer à d'autres ambitions, et il ne perd pas de vue sa voiture idéale. 1932 Depuis 1926, John Tjaarda a accumulé des croquis de style, des dessins techniques et des maquettes. Son projet de voiture idéale porte désormais le nom de Sterkenburg, en référence à ses origines familiales, la famille Tjaarda van Sterkenberg installée dans le nord de la Hollande. La première ébauche représente une carrosserie assez classique à caisse carrée afin d'éprouver les aspects purement techniques.
La première réalisation de John Tjaarda portant la désignation Sterkenberg Les modèles ultérieurs montrent une nette tendance au développement des formes aérodynamiques. Ses maîtres à penser sont des ingénieurs européens réputés, précurseurs des questions aérodynamiques liées à l'automobile, comme Edmund Rumpler (1872/1940), Hans Ledwinka (1878/1967) ou Paul Jaray (1889/1974). John Tjaarda est convaincu de l'intérêt du moteur arrière qui permet de supprimer dans l'habitacle la fumée, la chaleur, le bruit et les odeurs. Pas à pas, son projet gagne en maturité.
Projet Sterkenburg, environ 1926 1932 Walter O. Briggs, fondateur en 1908 de la Briggs Manufacturing Company, industriel de la carrosserie automobile, notamment pour Ford et Chrysler, est le premier à vraiment prendre en considération les travaux de Tjaarda. Celui-ci est à la recherche d'un soutien financier pour concrétiser ses idées. Tjaarda y est recruté en tant qu'ingénieur-conseil. Certes cette compagnie fabrique des caisses, mais elle dispose aussi d'un bureau d'études qui est force de proposition pour les constructeurs. Cette entité est née à l'initiative d'Edsel Ford, fils unique d'Henry Ford, un homme épris de formes nouvelles. A l'opposé, le style automobile est une science totalement négligeable pour Henry Ford, qui a vendu plusieurs millions de Ford T sans se soucier de leur aspect. C'est chez Briggs que Tjaarda fait la connaissance d'Edsel Ford. Cette rencontre va bouleverser son destin. Dans le prolongement du projet Sterkenburg, Tjaarda montre au président de Ford les dessins préliminaires d'une voiture monocoque de sa conception, qui pourrait être fabriquée avec le moteur à l'avant ou à l'arrière. Ford lui suggère de poursuivre ses travaux, mais en toute confidentialité, car Briggs travaille aussi pour le concurrent Chrysler. Celui-ci a d'ailleurs dans ses cartons un projet tout aussi révolutionnaire qui va donner naissance en 1934 à l'Airflow sous les marques De Soto et Chrysler. Alexander Klemin, ancien professeur de John Tjaarda, a d'ailleurs été recruté comme consultant sur ce projet. 1933 Briggs réalise une maquette grandeur nature en bois et Plastiline, qui est présentée sous le nom de " Briggs Dream Car " à New York dans le cadre de la " Ford Exhibition of Progress " en décembre 1933, puis et à la " Century of Progress ", une exposition qui se tient durant la foire internationale de Chicago en juin 1934. Les acteurs du projet veulent tester les réactions du public, le sonder, et pourquoi pas l'habituer à des formes nouvelles. Il en ressort que le principe d'une Lincoln de format plus modeste séduit. L'allure du prototype ne choque pas. Seule l'implantation arrière du moteur ne recueille pas l'adhésion.
Briggs Dream Car, 1933 Mais pourquoi la Ford Motor Company se lancerait-elle dans un tel projet. Le contexte est particulier. Les marques américaines de prestige ont souffert plus encore que les généralistes des conséquences de la crise de 1929. Peerless a disparu en 1932, Marmon en 1933, Franklin et Stutz en 1934, Duesenberg en 1937, Pierce Arrow en 1938. Packard grâce à une démocratisation de son offre et en faisant le dos rond résiste sans trop de difficultés. Cadillac et Chrysler avec son modèle Imperial, même si elles perdent de l'argent, parviennent sans céder un pouce de leur prestige à passer le cap, grâce à leur appartenance à un grand groupe (respectivement General Motors et Chrysler). La marque Lincoln, division prestige du groupe Ford depuis 1922, est logée à la même enseigne que ses confrères. Edsel Ford a fait un choix qui s'est avéré risqué au début des années 30. Il a conforté le positionnement très haut de gamme de Lincoln, en abandonnant la motorisation V8 au profit d'un unique V12, et les châssis courts au profit des châssis longs. Résultat, en 1935, la marque ne vend plus que 1 419 voitures. On hésite alors entre la fermeture ou le maintien de la division. Le maintien est finalement décidé, mais cela doit passer par une refonte complète de la gamme. Briggs joue alors de tout son poids. La compagnie ne veut pas perdre les liens qui l'unissent avec Lincoln, et met en avant les idées défendues par John Tjaarda. Les points de vue des uns et des autres finissent par se rejoindre. Le public ne veut pas de moteur arrière. Le patriarche Henry Ford non plus, qui observe de loin ce projet dont l'idée ne lui appartient pas. Charles Sorensen qui est en charge dans le groupe Ford de la planification de la production exige que le projet s'il doit aboutir reprenne pour être rentable un maximum d'éléments déjà existants, ce qui écarte d'emblée la solution du moteur arrière. Le public s'est dit prêt pour une Lincoln plus abordable, même s'il n'est pas question pour Edsel Ford d'abandonner le 12 cylindres. Le projet de Tjaarda répond à toutes ces attentes. Il va permettre de combler le vide abyssal qui existe entre le haut de gamme Ford - la marque Mercury ne sera créée qu'en 1939 - et la plus démocratique des Lincoln. La General Motors a avec ses cinq divisions résolu cette question depuis longtemps en positionnant les trois marques Oldsmobile, Pontiac et Buick entre les économiques Chevrolet et les prestigieuses Cadillac. Lincoln va certes descendre en gamme, mais avec panache. 1935 Lincoln présente la Zephyr en novembre 1935. La voiture fait l'effet d'une bombe, tant elle diffère de ce que toute l'industrie automobile américaine propose par ailleurs. Si les idées de Tjaarda concernant l'esthétique générale sont retenues, Edsel Ford a demandé à son designer Eugene Gregorie de rendre la Zephyr industrialisable, sans lui faire perdre son âme. Le président de Ford s'il reconnaît l'originalité du dessin de la Chrysler Airflow présentée en février 1934 constate aussi les limites d'un trop-plein d'audace. Et effet, l'Airflow trop novatrice est boudée par le public.
Lincoln Zephyr Sedan 4 doors
Lincoln Zephyr Sedan Coupé Commercialement, Edsel Ford est rassuré à l'issue du premier millésime. Il s'est vendu 17 715 Lincoln en 1936, dont 15 528 Zephyr. La clientèle a répondu favorablement, et Lincoln gagne quatre places au classement des marques américaines, passant de la 22ème à la 18ème place, une position jamais atteinte dans son histoire. Ce sont 25 243 Zephyr qui trouvent preneur en 1937, et Lincoln gagne encore deux places. Moyennant quelques concessions, John Tjaarda est parvenu à concrétiser sa vision de la voiture idéale. Cela restera l'oeuvre majeure de sa vie de designer. 1938 En Allemagne, les travaux de Ferdinand Porsche aboutissent à des résultats assez proches de ceux de Tjaarda. Le célèbre ingénieur s'est rendu à deux reprises aux Etats-Unis en 1936, officiellement pour étudier les méthodes de conception des voitures de course, mais officieusement pour étudier les techniques de production américaines. Il souhaite alors les adapter à la future voiture populaire voulue par Hitler. Il est accueilli un peu partout, chez Packard, Ford, la General Motors, Budd ..., toujours avec les égards dus à son rang, notamment chez Briggs où il ne manque pas d'observer les prototypes de Tjaarda, qui s'il avait été le seul décisionnaire se serait bien abstenu de dévoiler quoi que ce soit. Présentée publiquement le 26 mai 1938, la KdF Wagen évoque immanquablement les travaux de Tjaarda pour la Zephyr, à la différence que la voiture allemande a adopté un moteur arrière. Il est pour autant difficile de déterminer si Porsche s'est effectivement inspiré du travail de Tjaarda, et si oui dans quelle proportion. Nombreux sont en effet de par le monde les ingénieurs à travailler sur des projets similaires. Quoi qu'il en soit, cela n'a rien enlevé au respect qu'éprouvait l'ingénieur néerlandais pour son homologue allemand, de 22 ans son aîné. 1945 Toute l'industrie automobile américaine s'est mise en veille pour se consacrer à l'effort de guerre. John Tjaarda occupe différents postes en tant que designer industriel et consultant. 1951 Le New York Museum of Art décerne à la Lincoln Zephyr le titre de première voiture aérodynamique produite aux Etats Unis. Après-guerre, le monde a changé. Les fortes personnalités ont plus de mal à imposer leur point de vue. Les premières études de marché prennent le dessus. Il faut proposer au public ce dont il a envie. Ce n'est plus l'ingénieur qui propose. Tjaarda se désole de constater que cette politique conduit à fabriquer des automobiles qui se ressemblent toutes. Peut-être ses idées auraient-elles été mieux accueillies en Europe à ce moment-là. Il a préféré rester aux Etats-Unis, et ouvrir son propre studio, en travaillant sur une grande variété de produits, jusqu'à sa disparition en 1962. John Tjaarda a été un précurseur et un créatif. Durant toute sa carrière, il a lutté contre le conservatisme et n'a eu de cesse de convaincre les grands constructeurs d'une nouvelle vision de l'automobile. Etre anticonformiste, vouloir imposer des idées qui peuvent déranger, et en même temps vivre dans cette société qui vous nourrit, mais qui a ses règles et ses codes, n'est pas forcément une situation confortable. Parfois qualifié de présomptueux et distant, mais reconnu pour son courage et sa ténacité, John Tjaarda ne s'est adapté que du bout des lèvres aux contraintes rigides de la vie en entreprise. Sa perspicacité lui a parfois été renvoyée à la figure, et il a durement payé sa volonté de rupture avec les usages. 1962 Décès de John Tjaarda.
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