Ford Consul, Zephyr et Zodiac
La guerre a imposé aux firmes automobiles européennes de concevoir des gammes empruntes de rigueur et d’économie. La fin du conflit sonne le début d’une remontée en puissance des constructeurs, mais les moyens manquent après l’effort de guerre. La clientèle est pourtant demanderesse malgré les difficultés financières. Les premières anglaises à réapparaître sur le marché ne sont guère que des modèles d’avant-guerre hâtivement remaniés pour pallier aux défauts majeurs et à une ligne devenue obsolète. Mais bien vite, le public, conditionné par la présence américaine, génératrice d’un autre mode de vie, en veut davantage. A Dagenham, siège de la filiale anglaise du groupe, le bureau d’études songe à revoir sa gamme pour attaquer les années 50. Mk 1, 1951/56 Consul, 4
cylindres 1508 cm3, 47 bhp En octobre 1950 apparaissent les berlines Consul et Zephyr, dont la carrosserie ponton tranche indubitablement avec les modèles concurrents sans grande originalité, même si cette ligne nouvelle inspirée des Ford US de 1949 n’est pas franchement élégante. Le renouveau de Ford s’exprime aussi du côté de la mécanique, avec des moteurs à soupapes en tête, un 4 cylindres 1508 cm3 pour la Consul, et un 6 cylindres 2262 cm3 pour la Zephyr, une suspension avant à roues indépendantes, ou encore des freins hydrauliques. La Consul ne remplace à dire vrai aucun modèle, tandis que la Zephyr succède plus ou moins à l'antique berline V8 Pilot.
Ford Consul Mk I L’accueil du public et de la presse est enthousiaste, en particulier pour la Zephyr dont la tenue de route, l'habitabilité et les performances surprennent agréablement ceux qui l’essayent, puis l’adoptent. Avec 1300 cm3 de moins que la V8 Pilot, la nouvelle venue égale à peu de chose près les performances de sa devancière, tout en se révélant beaucoup moins gourmande, et plus agréable à conduire. La Zephyr se place sur le marché britannique dans la catégorie moyenne supérieure, où elle vient notamment concurrencer les Humber Hawk, Vauxhall Velox, Standard Vanguard et Austin A70. En 1952 apparaît un cabriolet doté d’une capote électrique, qui peut adopter la position intermédiaire " Mylord " alors très prisée en Grande Bretagne. La fabrication de cette version est confiée à la firme Carbodies de Conventry.
Cabriolet Zephyr Mk 1 Un break fabriqué en petite série par le carrossier Abbott installé à Farnham dans le Surrey renforce aussi la gamme. Mais c'est à la fin de l'année 1953 que Ford surprend véritablement sa clientèle traditionnelle en présentant la Zodiac. Dérivée de la Zephyr, dont elle reprend la carrosserie, la Zodiac est plus puissante – 68 bhp pour la première et 71 bhp pour la seconde -, et bénéficie d’une finition plus recherchée : peinture bicolore, pneus à flancs blancs, intérieur cuir, montre et allume-cigares, antibrouillard, etc ...
La Ford Zodiac Mk 1 se présente plus luxueusement que la Zephyr Les Consul, Zephyr et Zodiac cohabitent ainsi dans la gamme Ford Angleterre jusqu’en janvier 1956.
" La suspension impeccable transforme les plus mauvaises routes en billard "
" Même dans les plus fortes descentes, la stabilité de ces voitures force l'admiration ! "
" Montagnardes de nature, les Consul et Zephyr montent allègrement à l'assaut des cols "
" Les virages sont pris dans le " grand style " des meilleures voitures de sport " Mk 2, 1956/62 Consul, 4
cylindres 1703 cm3, 59 ch Din, 61 ch SAE Au début de 1956, la gamme est entièrement remaniée. Tout comme en France où vient de naître la Vedette nouvelle mouture, Ford Angleterre présente à son tour les Consul, Zephyr et Zodiac dans de nouveaux atours. Issue du même bureau d’étude que la Ford Simca Vedette, le lien de parenté est évident. Visant la même catégorie des 13/15 CV, les Zephyr et Zodiac proposent des performances voisines et procurent un agréable confort de marche. La Consul quant à elle apparaît un peu comme l'équivalent de l'Ariane française, avec son petit 4 cylindres installé dans une caisse largement dimensionnée.
Ford Zephyr Regroupées sous le nom de Mk 2, ces trois voitures offrent des lignes plus modernes, inspirées de modèles américains, pour mieux séduire une clientèle portée vers tout ce qui est susceptible de lui rappeler le mythe américain, mais aussi pour se démarquer d’une production trop conformiste et typée anglaise. La ligne générale des trois versions est évidemment identique, mais la face avant et la finition différent. La Consul reçoit un grillage en tôle perforée, une baguette de flanc de caisse tandis que la Zephyr gagne une calandre en tôle emboutie à barrettes horizontales. De plus, sur cette dernière, le pare-chocs dispose de butoirs. En haut de gamme, la Zodiac est équipée d’une calandre encore mieux finie et d’une peinture bicolore avec des motifs en flèche sur les flancs.
Ford Consul Mk 2
Ford Zephyr Mk 2
Ford Zodiac MK 2 Les Zephyr et Zodiac reçoivent des vitamines supplémentaires, le 6 cylindres affiche désormais 2553 cm3 pour une puissance de 85 ch Din. En option la Consul (1703 cm3 et 59 ch Din) peut recevoir un overdrive, et la gamme des 6 cylindres une transmission automatique Borg Warner. Comme pour les Mk 1, la gamme des Mk 2 est proposée sous forme de cabriolet et de break. Ce dernier dispose d’une galerie intégrée et sacrifie déjà à la mode de la standardisation en reprenant les portes arrière de la berline.
Ford Zephyr Convertible Les Zephyr et Zodiac Mk 2 seront produites dans cette configuration jusqu’en 1962, à près de 300 000 exemplaires, pour environ 350 cabriolets Zephyr et 1150 cabriolets Zodiac. Les Consul, Zephyr et Zodiac Mk 2 ont laissé un excellent souvenir auprès de la clientèle, grâce à leur style élégant, leur solidité à toute épreuve, et surtout leur prix serré sans doute conditionné par une concurrence acharnée dans ce créneau. Mais ne dit-on pas que tout à une fin ? Dans le cas de la série Mk 2, elle intervient en 1962 quand elle cède sa place à la MK 3. Mk 3, 1962/66 Zephyr 4,
4 cylindres 1703 cm3, 65 ch Din, 74 ch SAE Si les lignes de la Mk 3 sont nettement plus modernes et gracieuses, la distinction entre la " démocratique " Zephyr et la " bourgeoise " Zodiac se creuse plus nettement. Cette dernière arbore une calandre plus lourde, avec aux extrémités des blocs à doubles optiques, et la " ligne limousine " offre six glaces latérales et des montants de custode réduits à leur plus simple expression. Curieusement, la série Mk 3 adopte de timides ailerons arrière, au moment même où les voitures américaines s'en débarrassent.
Ford Zodiac Mk 3, avec six glaces et quatre phares La Zephyr plus modeste propose un large panneau de custode, deux glaces latérales et de simples optiques. Petite différence côté mécanique : le 6 cylindres de 2553 cm3 dispose de 106 ch Din pour la Zodiac et de 93 ch Din pour la Zephyr. La Zodiac autorise un 160 km/h, quand la Zephyr se limite à environ 150 km/h.
Ford Zephyr 6 Mk 3, avec quatre glaces et deux phares Quant à la Zephyr 4 qui remplace dans les faits la Consul avec le 4 cylindres de 1703 cm3, elle ne peut rivaliser avec ses grandes soeurs, n’offrant qu’un paisible 130 km/h avec une puissance de 65 ch Din. Les modèles de cette gamme se vendent sans trop de difficultés, bien que des signes laissent à penser que le " look " à l’américain ne fera plus recette bien longtemps. Une version Estate est réalisée, toujours par le carrossier Abbott, à 4350 exemplaires. Elle est diffusée essentiellement sur le marché intérieur. Doté d'un hayon arrière en fibre de verre, ce break fut en son temps apprécié en version Zephyr 6 par la police britannique.
Ford Zephyr 6 Estate Car Mk 3, idéale pour les Gentlemen Farmers ou ... la police. Pour les replacer dans le contexte de l’époque, voici ce qu’on pouvait lire en mai 1962 dans " l’Automobile ", à propos des Zodiac et Zephyr : " Ces deux voitures, pour acquérir l’allure internationale, ont emprunté divers éléments aux styles britannique, américain et continental ".
Ford Zephyr 6 Toujours dans ce même article, concernant leur comportement sur route, voici l’avis du journaliste : " Ce sont des voitures confortables dotées d’une suspension très souple. Cette élasticité n’enlève en rien à la tenue de route qui, pour des voitures de ce genre, est bonne même sur sol mouillé. En ligne droite, la trajectoire est rectiligne, seules certaines petites ondulations font décoller le train arrière. La caisse s’incline assez fortement dans les virages pris à bonne allure, mais la voiture reste bien campée sur ses roues extérieures et accroche parfaitement. La position des pédales suspendues nous a paru un peu basse, ce qui ne facilite pas la précision, surtout pour l’embrayage dont la commande revient trop lentement dans certains cas ". A l’intérieur, le style sacrifie aux standards américains, avec notamment un volant très large. Cependant, sur la Zephyr et plus encore sur la Zodiac, la présence de bois et de tissus confortables, hérités de la tradition automobile britannique, apporte une touche de raffinement non dénuée de charme. Les sièges et banquettes sont vastes et accueillants, bien que l’on n'ai pas encore intégré chez Ford les notions de maintien du corps.
Ford Zephyr 6 La série Mk 3 n'a pas battu le record de production de sa devancière, avec tout juste 290 000 exemplaires, dont environ 77 000 Zodiac. Des chiffres honnêtes, sans plus, pas vraiment à la hauteur des espérances du groupe, quand on sait que chez Opel, près de 300 000 Rekord ont été vendues chaque année à la même période. Comment expliquer ce relatif échec ? La concurrence a progressé, et il ne suffit plus de proposer un bon rapport qualité / prix pour emporter la décision, surtout en haut de gamme où la clientèle réclame une certaine image. Il semble aussi que le style américain ne plaise plus autant que par le passé, et ne soit plus la référence absolue. Enfin, le côté hybride d'une voiture qui semble hésiter entre deux cultures automobiles a certainement davantage éloigné que rassemblé les suffrages de ceux qui auraient pu se laisser tenter. Leur principal argument commercial restait un prix de vente compétitif, tandis que l'excellente habitabilité pouvait encore intéresser les pères de famille nombreuse. Mk 4, 1966/72 Zephyr V4,
4 cylindres 1996 cm3, 82 ch Din, 94 ch SAE
Malgré la volonté initiale de conserver des dimensions raisonnables, le projet des Zephyr et Zodiac Mk 4 va prendre de l'embonpoint durant sa gestation et donner naissance à une voiture trop grosse pour le marché européen. Certains décideurs chez Ford, peut-être vexés de voir que les versions Mk 2 et Mk 3 n'ont pas attiré la clientèle des cadres supérieurs ou des dirigeants d'entreprises, plutôt séduit par les Rover 3 L ou les Humber Super Snipe, pensent qu'il faut leur proposer une automobile plus grande. Ford a de grandes ambitions pour la Mk 4, censée ratisser un marché très large. De gros moyens sont déployés lors de son lancement : une première série de 8000 voitures est produite et expédiée à travers le monde pour être visible chez les distributeurs le 20 avril 1966, date de son lancement commercial. 450 tonnes de littérature publicitaire et technique sont imprimées et livrées à la date fatidique. Au premier regard, les Mk 4 apparaissent comme des copies conformes des Ford US ou des Mercury de l'époque. Tout ceci peut paraître plaisant tant que l'on regarde la voiture de face, ou de 3/4 avant ou arrière. De profil en revanche, le déséquilibre entre le très long capot et la malle arrière trop courte saute aux yeux, et l'empattement allongé de 20 cm par rapport à la Mk 3 n'arrange rien. Ce qui est heureux, voire viril, sur une Ford Mustang devient déséquilibré sur une berline de taille respectable. Qui plus est, cette longueur n'est pas vraiment utile, car les moteurs relativement compacts sont perdus au fond du compartiment.
Ce profil fait bien ressortir la disparité entre la longueur du capot AV et du coffre AR La presse spécialisée note l'excellente habitabilité des Mk 4, en net progrès par rapport aux générations précédentes, et l'équipement très complet de la Zodiac. L'aménagement intérieur de la Zephyr est par contre particulièrement spartiate et triste. Les anciennes motorisations en ligne sont remplacées par trois nouveaux moteurs en V, totalement différents des V4 et V6 produits à Cologne pour les Taunus 12M, 17M et 20M. Hélas, ces mécaniques vont décevoir, en particulier le 4 cylindres, réputé mollasson, rechignant à grimper dans les tours, et manquant de souplesse. Dans " l'Automobile ", Jean Thevenet qualifie de pitoyable les performances du V6, compte tenu de sa cylindrée de 3 litres. La fiabilité reconnue de la marque n'est pas toujours au rendez-vous, et nombreux sont les moteurs détruits pour cause de surchauffe.
Ford Zodiac Mk 4, sa ligne banale et maladroite ne favorisera pas son destin Particulièrement dépouillée et austère, la Zephyr 4 a bien du mal à convaincre sur le marché des 2 litres où la clientèle ne court pas après les voitures de 4,70 mètres de long et de 1,79 mètre de large. La Zephyr 6 bien placée en prix est jugée trop grosse et trop peu raffinée par la clientèle capable de s'offrir une 6 cylindres, plus attirée par une Vauxhall Crest de dimension plus standard ou par une Triumph 2000 un peu plus chère mais autrement plus valorisante. La Zodiac quant à elle, positionnée sur le très haut de gamme, manque totalement d'image. Sur ce segment de marché, ce n'est pas forcément un prix compétitif qui permet d'emporter la décision. Pire encore, le très important vivier de fordistes satisfaits de leur Mk 3 ou même de leur vieille Mk 2 se détournent de la Mk 4. Cette clientèle fidèle est aussi découragée par les tarifs en hausse, en moyenne de 15 % par rapport à la Mk 3. De nouveau, Ford décline la Mk 4 en version Estate qui est réalisée par le même carrossier Abbott, comme cela a été le cas sur les trois séries précédentes.
Ford Zephyr V4 Estate Mk 4, identifiable à ses deux phares
Ford Zephyr V6 Estate Mk 4 Quelques centaines de limousines et de corbillards sont réalisés à partir de Zephyr V6 ou de Zodiac, en particulier par le carrossier Coleman Milne, à destination des compagnies de grandes remises, des ambassades et des sociétés de pompes funèbres.
Ford Cardinal Hearse par Coleman Milne Ford UK a manifestement perdu la main, alors qu'à Cologne, les nouvelles Taunus 20M exhibent une robe très seyante, et que les récentes Opel Kapitän et Admiral, concurrentes historiques des Zephyr et Zodiac, proposent un style américain très bien digéré par les stylistes de Rüsselheim. Nombre de voitures croupissent chez les concessionnaires dans l'attente d'un acheteur. Les prévisions de 80 000 exemplaires la première année et de plus de 100 000 les années suivantes sont loin d'être atteintes, avec 49 773 exemplaires en 1966 et seulement 18 406 en 1967. Quelques améliorations de détail permettent aux ventes de progresser à 24 744 unités en 1968. Jusqu'en novembre 1971, 148 347 Mk 4 seront produites. Ce fut l'un des plus cuisants échecs commerciaux dans l'histoire du groupe Ford, avec l'Edsel. La gamme Mk 4 cesse sa carrière en 1972, mettant fin à vingt deux ans d'histoire des Ford Zephyr et Zodiac. Il s'agit de l'épilogue peu glorieux d'une époque où les filiales anglaises et allemandes se sont comportées comme des rivales, en développant chacune leur propre gamme. Dagenham et Cologne devront bientôt se résoudre à produire des modèles semblables, sinon parfaitement identiques. Cette nouvelle politique, favorisant une meilleure rentabilité des filiales, sera inaugurée dès 1968 par le lancement simultané en Allemagne et en Grande Bretagne de l'Escort. L'année suivante, ce sera au tour de la Capri de faire son entrée dans les deux gammes. Les nouvelles Cortina Mk 3 et Taunus vont accélérer ce processus d'intégration. La General Motors fera de même quelques années plus tard avec ses filiales Opel et Vauxhall. Le rapprochement des gammes anglaise et allemande aboutira totalement en 1972 avec la sortie de la série Granada en Allemagne et de la Consul en Grande Bretagne, destinées à remplacer respectivement les Taunus 17M/20M/26M et Zephyr & Zodiac. Il s'agit à quelques détails près de la même voiture, qui permettra aux deux filiales de renouer avec le succès sur le marché des grandes routières.
Ford Consul GT, 1972 |