Aerocar


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L'idée de concevoir un véhicule hybride, capable de se déplacer sur route comme une voiture et de s'élever dans les airs comme un avion, est un rêve qui remonte presque à l'aube de l'automobile. De nombreux inventeurs, souvent animés d'une imagination débordante, mais dont les compétences techniques étaient parfois limitées, ont poursuivi cette ambition. Cependant, la réalisation de la voiture volante a longtemps été cantonnée au domaine du rêve. Le seul lieu où le public avait la possibilité d'admirer une voiture s'élançant dans le ciel était la salle d'un cinéma.

Le cinéma s'empare en effet très tôt de cette idée, illustrant ce qui demeure une chimère pour de nombreux inventeurs et constructeurs automobiles. Contrairement à une croyance répandue, les savants isolés tels que le professeur Tournesol ou Géo Trouvetou ne sont pas les seuls à rêver de cette fusion entre voiture et avion. L'ambition de combiner le meilleur des deux mondes anime également les esprits des ingénieurs et des designers automobiles.

Le grand public se contente des projections cinématographiques et télévisuelles pour assouvir son désir de voir des voitures voler. Des films cultes tels que " L'homme au pistolet d'or ", neuvième opus de la saga James Bond, avec le coupé AMC Matador conduit par Christopher Lee et Hervé Villechaize, la trilogie " Retour vers le futur " avec la DeLorean transformée en machine à voyager dans le temps par le docteur Emmett Brown, ou encore " Fantômas se déchaîne ", deuxième volet de la trilogie française, où Fantômas échappe à ses poursuivants aux commandes d'une Citroën DS volante, alimentent l'imaginaire collectif. Ces exemples, parmi d'autres, témoignent de la fascination du cinéma pour le rêve de la voiture volante.

Chef décorateur réputé, Max Douy conçoit la DS Volante, qui est construite chez Rousseau Aviation à Dinard en Ille-et-Vilaine. Dans le film " Fantômas se déchaîne ", Fantômas ne doit son salut qu'à cette automobile qui lui permet de s'échapper par la voie des airs. Copyright

Combien de spectateurs, après avoir quitté une salle de cinéma ou éteint leur téléviseur à la suite de la projection de l'un de ces films, ressentent une pointe de déception en constatant que ces véhicules restent du domaine de la fiction ? Ils réalisent qu'ils n'auront probablement jamais l'occasion de voir une voiture volante se poser dans leur rue, tout en espérant ou en étant convaincus que leurs descendants auront peut-être cette chance. Au-delà d'une poignée de créateurs visionnaires, mais isolés, d'autres acteurs tentent de concrétiser ce projet. Les débuts de la conquête spatiale, qui voit les États-Unis et l'Union soviétique s'affronter dans une course technologique, ainsi que le développement et la démocratisation progressive de l'aviation commerciale, contribuent à alimenter ce rêve chez les ingénieurs des bureaux d'études de Detroit.

Ceux-ci entament un processus de concrétisation de leurs visions. Ils couchent leurs idées sur le papier, esquissant les contours de leurs futures voitures volantes. Ils passent ensuite à la phase de modélisation, en créant des maquettes qui permettent de mieux visualiser les concepts. Finalement, ils construisent des prototypes à taille réelle, qui incarnent leurs rêves. Certains de ces prototypes sont présentés au public lors d'expositions ou de salons automobiles. Ces évènements suscitent l'admiration du public et alimentent son imagination, tout en servant de vitrine pour les avancées technologiques des constructeurs. Ces derniers n'hésitent pas à faire des déclarations audacieuses, affirmant que dans un avenir proche, dans seulement vingt ou trente ans, chaque automobiliste aura la possibilité de posséder un véhicule unique combinant les fonctionnalités d'une voiture et d'un avion personnel.

Les promesses n'engagent que ceux qui les croient. Les projets de voitures à moteur nucléaire, présentés à la même époque par ces mêmes ingénieurs et constructeurs comme les véhicules du futur, illustrent parfaitement cette idée. Ces visions restent des chimères, sans jamais avoir parcouru le moindre kilomètre, que ce soit sur route ou dans les airs. En ce qui concerne les voitures volantes, malgré de nombreux essais et péripéties, dont certains se sont soldés par des accidents graves, voire mortels, un Américain  de l'Etat de Washington, Moulton " Molt " Taylor, réussit là où la plupart de ses prédécesseurs ont échoué.

Moulton " Molt " Taylor. Source : https://airfactsjournal.com

Après avoir servi dans l'US Navy de 1935 à 1939, puis pendant la Seconde Guerre mondiale, où il a supervisé le développement d'avions et d'armements, Molt Taylor, ingénieur en aéronautique, décide une fois les hostilités terminées de se lancer dans la création d'une voiture volante. Cette initiative est motivée par sa rencontre avec Robert Fulton, un inventeur talentueux. Robert Fulton vient de mettre au point l'Airphibian, un véhicule hybride qui se comporte aussi bien comme une voiture que comme un avion. Il est capable de décoller, de voler et d'atterrir de manière conventionnelle. Cependant, Molt Taylor identifie un inconvénient majeur : l'Airphibian conserve ses ailes et son empennage de manière permanente.

Pour Taylor, ancien ingénieur de l'US Navy, la voiture volante idéale doit être un véhicule polyvalent, capable de circuler sur route et de voler avec la même facilité. Il imagine un engin qui puisse être produit en série et qui soit accessible au grand public. Pour atteindre cet objectif, il considère qu'il est indispensable que les ailes et l'empennage soient amovibles ou repliables.

Fulton Airphibian. Source : https://www.thesahb.com

Molt Taylor décide de perfectionner le concept de l'Airphibian de Fulton, dans le but de créer une voiture volante accessible à tous les pilotes brevetés, capable de se transformer en avion à tout moment et en tout lieu. Pour ce faire, il s'entoure d'une équipe compétente : Charlie Kitchell, ingénieur, Art Robinson, ancien cadre de Boeing, et Jeff Minnick, mécanicien polyvalent. En neuf mois seulement, l'équipe conçoit et réalise le premier prototype de l'Aerocar, achevé en 1949.

Loin de se contenter d'une simple amélioration de l'Airphibian, Taylor et son équipe conçoivent l'Aerocar avec une vision ambitieuse. Les éléments détachables et repliables, constituant la partie avion, sont conçus pour former un ensemble unique une fois repliés, formant une sorte de remorque pouvant alors être tractée par la voiture. L'installation de ces éléments pour configurer l'Aerocar en avion est simplifiée grâce à un système de crochets de verrouillage, éliminant le besoin d'outils complexes.

Aerocar I, 1949. Source : https://airandspace.si.edu

Aerocar I, 1949. Source : https://www.autocar.co.uk

Lors de la configuration de l'Aerocar en mode avion, la queue de l'appareil joue un rôle crucial. Une fois la queue fixée à la voiture, le système de freinage des roues avant se désactive automatiquement. Simultanément, les pédales du plafonnier, dissimulées dans le plancher en mode voiture, remontent. La colonne de direction du volant se déverrouille, permettant ainsi de contrôler la profondeur et donc l'altitude de l'Aerocar en vol. Un dispositif de sécurité est intégré pour empêcher le démarrage du moteur en mode avion si l'un des éléments essentiels n'est pas correctement installé. Cette mesure prévient les accidents potentiels dus à une configuration incorrecte.

Une autre innovation majeure réside dans le matériau de la carrosserie : la fibre de verre. Taylor utilise ce matériau novateur quatre ans avant la Chevrolet Corvette, démontrant ainsi sa capacité à exploiter les avancées techniques de son époque. Son expérience en tant qu'ingénieur aéronautique influence considérablement ses choix de conception.

L'Aerocar se distingue aussi de l'Airphibian de Fulton par son système de motorisation unifié. Contrairement à son prédécesseur qui utilisait deux moteurs distincts, électrique de 40 ch sur route et thermique de 165 chevaux en vol, l'Aerocar emploie un unique moteur Lycoming quatre cylindres à plat, tant pour la conduite sur route que pour le vol. Lycoming appartenait jusqu'en 1939 au groupe industriel d'Errett Lobban Cord, célèbre pour avoir produit sous la marque Cord les premières voitures américaines de série à traction avant, et repreneur des marques Auburn en 1924 et Duesenberg en 1926.

Bien que le moteur soit placé en porte-à-faux arrière , une architecture qui n'est pas sans rappeler celle d'une Simca 1000 ou d'une Coccinelle, c'est une traction avant, une disposition alors peu courante en Europe et encore plus aux Etats-Unis. Ce choix technique est motivé par les exigences du mode avion, où les roues arrière absorbent l'essentiel des contraintes à l'atterrissage. Cependant, le poids du bloc moteur rend la conduite sur route délicate. L'esthétique de l'Aerocar, avec ses formes arrondies évoquant un melon ou une pastèque, ne se traduit pas par des performances exceptionnelles. Malgré une aérodynamique prometteuse, sa vitesse maximale sur route ne dépasse guère les 110 km/h, et chute à 80 km/h lorsqu'elle tracte la remorque contenant les éléments de la partie avion.

Quatre Aerocar I ont été assemblées. L'une d'entre elles, de teinte jaune et vert, est exposée au Kissimmee Air Museaum en Floride. Elle a appartenu à l'acteur Robert Cummings, qui l'a utilisée dans sa sitcom télévisée " The new Bob Cummings show ". Copyright

Le défi majeur rencontré par Molt Taylor lors du développement de l'Aerocar concerne l'arbre de transmission, responsable de la liaison entre le moteur et l'hélice située à l'arrière de l'appareil. Les vibrations générées par cet arbre s'avèrent si intenses lors des premiers essais qu'elles menacent de désintégrer l'Aerocar en plein vol. La résolution de ce problème de vibrations est cruciale pour la sécurité et la viabilité de l'Aerocar. Molt Taylor et son équipe doivent impérativement trouver une solution technique fiable afin d'obtenir l'homologation de l'appareil par l'Aviation Civile américaine et, par conséquent, assurer son avenir commercial.

Taylor résout presque par hasard le problème des vibrations grâce au système d'accouplement hydraulique sec dénommé Flexidyne. Ce dispositif de transmission et d'embrayage contient de la grenaille d'acier compressée dans un conduit épais, agissant comme un arbre de transmission. Fabriqué par Dodge aux États-Unis sous licence d'un brevet français, ce système minimise le jeu entre les billes, réduisant ainsi considérablement les vibrations. Un autre élément original est le klaxon, qui sert également d'avertisseur de décrochage en mode avion. Ce dispositif entraîne une situation cocasse, car l'Aerocar klaxonne à chaque atterrissage.

En 1949, l'Aerocar de Molt Taylor est prête à rouler et à voler. Les essais en vol se déroulent sans incident, validant ainsi la conception et les solutions techniques de Taylor. Cependant, les nombreuses innovations de l'Aerocar, tant dans le domaine automobile qu'aéronautique, combinées aux contraintes budgétaires, compliquent l'homologation de l'appareil. Ce processus va exiger sept années d'efforts.

Une fois la certification de son Aerocar obtenue fin 1956, Molt Taylor entreprend une tournée promotionnelle à travers les grandes villes des Etats-Unis afin de présenter les capacités et les avantages de son invention. Il cherche également par ce biais à attirer des investisseurs pour une production en petite série. La version II est construite, légèrement améliorée sur le plan esthétique. Une Aerocar coûte quatre à cinq fois le prix d'une Cadillac. 

Aerocar II, 1956. Un seul exemplaire a été produit. En vignette, l'Aerocar I. Source : https://wallup.net

Plus de quatre ans après l'homologation de son appareil, Molt Taylor trouve enfin un groupe d'industriels texans, mené par Roy Hyde, qui accepte de financer la production de l'Aerocar. Un partenariat est établi avec la société Ling-Temco-Vought, spécialisée dans l'aéronautique et l'électronique, et la firme Aerocar International est créée à Longview, dans l'État de Washington. Ce partenaire s'engage à fournir son expertise logistique et son soutien financier, à condition qu'un minimum de 500 commandes soit atteint avant le lancement de la production de l'Aerocar.

Malgré l'obtention de la certification, la production de l'Aerocar se heurte à des obstacles majeurs. Les commandes, cruciales pour lancer la fabrication en série, n'atteignent que la moitié du nombre requis. Cette déception est aggravée par une découverte troublante : les investisseurs, menés par Roy Hyde, ont détourné les acomptes versés par les clients, soit 1 000 dollars par commande. Ce détournement a lieu avant même l'installation du moindre équipement de production dans l'usine.

Ling-Temco-Vought se retire de l'affaire. Ce retrait sonne le glas de toute perspective de production pour l'Aerocar. Bien que Molt Taylor engage des poursuites judiciaires contre ses anciens investisseurs, il ne parvient pas à sauver son rêve. Son espoir de voir l'automobiliste américain moyen s'envoler à bord de son Aerocar depuis son propre garage s'évanouit définitivement.

Aerocar II, 1956. Source : https://wallup.net

Malgré l'échec de la production de l'Aerocar, Taylor reste déterminé à mener à bien son projet. Il relance ses efforts et conçoit l'Aerocar II en 1967, une version améliorée du modèle original. Conscient de la nécessité d'un soutien industriel conséquent, il cherche à s'associer à un grand constructeur automobile. En 1970, il présente son projet à Ford, alors deuxième constructeur américain. Sa démarche stratégique vise à obtenir l'expertise et les ressources nécessaires pour donner vie à sa vision. Ses interlocuteurs, notamment Lee Iacocca, expriment un intérêt marqué, et on détermine même un marché annuel potentiel de 25 000 véhicules.

De nouveau, le projet de nouvelle version de l'Aerocar échoue, au grand dam de Ford et de Molt Taylor, en raison des objections des autorités fédérales de l'aviation et des transports. Ces dernières, alarmées par le projet de production en série d'une voiture volante par un géant automobile américain, expriment immédiatement leurs inquiétudes face à la perspective de voir des milliers de particuliers s'envoler quotidiennement avec leur véhicule personnel.

Les responsables fédéraux s'inquiètent de l'encombrement et des difficultés de gestion du trafic aérien qui en découleraient. Ils redoutent également les risques de collisions aériennes, avec des conséquences potentiellement désastreuses au sol et en vol, notamment en cas d'accident impliquant un avion de ligne. Les autorités exercent alors des pressions sur Ford pour que le constructeur renonce à la production en série de l'Aerocar. Officiellement, Ford justifie son abandon par des études de faisabilité qui concluent à une rentabilité insuffisante du projet.

Le sixième Aerocar construite est en fait une Aerocar I reconditionnée, rachetée par Molt Taylor à un client qui l'a endommagée. Connue sous la désignation d'Aerocar III, la cabine d'origine a été remplacée par un ensemble plus moderne. Les roue sont rétractables en vol. Source : https://www.auto-bild.ro

Bien que l'approbation du Ministère des Transports et de l'Aviation Civile aurait pu permettre la production en série de l'Aerocar, celle-ci serait demeurée  marginale pour Ford. En effet, le géant automobile produit chaque année des millions de véhicules en Amérique du Nord. La production de l'Aerocar n'aurait représenté qu'une infime fraction de ce volume. La récession économique des années 70, marquée par les crises pétrolières, éloigne le rêve de la voiture volante pour de nombreux Américains. Les nouvelles réglementations en matière de pollution et de sécurité, applicables à la fois aux voitures et aux avions, alourdissent considérablement l'Aerocar, compromettant ses performances en vol.

Malgré ces échecs, Molt Taylor, visionnaire et optimiste, demeure convaincu de l'avenir de l'Aerocar. Il persévère, travaillant sur de nouveaux modèles basés sur la Honda CRX et la Geo Metro. Bien que des investisseurs se montrent intéressés, ces projets n'aboutissent pas. Le décès de Taylor en 1995, à l'âge de 83 ans, met un terme à cette aventure.

Sur une idée originale de Thomas Urban
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