Les woodies


Introduction


Les woodies (un woody, des woodies) connaissent leur heure de gloire entre la fin des années 30 et le début des années 50. Wood signifie bois en anglais, car la construction d'un woody fait appel à ce matériau. La mode des woodies se concentre essentiellement sur le marché nord-américain, bien que d'autres pays européens (la Grande Bretagne, la France, l'Italie, l'Allemagne ... ) se font remarquer à moindre échelle par quelques réalisations enviables. Outre-Manche, on parle de shooting brake, dans l'hexagone de Canadienne ou de break de chasse, en Italie de Giardinetta, et en Allemagne de Kombi. Même si les woodies n'ont aucune prétention sportive, ils s'inscrivent, du moins dans leur versions " utilitaires ", dans la philosophie des breaks de chasse.


Le woody, véritable utilitaire à ses débuts


Aux USA, les woodies débutent leur existence dans les premières années du 20ème siècle. Ils sont fabriqués sur commande à la main par des artisans locaux, qui achètent les châssis et les mécaniques aux grands constructeurs automobiles. Une charpente maîtresse reçoit les panneaux d'habillage cloutés sur les poutres structurelles. La notion d'aérodynamisme n'étant pas encore à l'ordre du jour, les éléments de carrosserie coupés à angles droits sont simples à assembler. Le développement des woodies est parallèle à celui du réseau ferroviaire. En effet, à l'origine, ces véhicules utilitaires ou à usage commercial sont essentiellement destinés à assurer le transport des marchandises et des passagers entre la gare et le centre-ville. C'est à cette époque qu'apparaît le terme " station-wagon ", littéralement " chariot de gare ".

Le woody assure les déplacements collectifs entre la gare et la ville

Les station-wagons ou woodies remplacent les anciennes carrioles et diligences. Les faibles volumes de production n'intéressent pas les grands constructeurs. Fabriquer de tels véhicules est déjà incompatible avec les contraintes de la grande série. Ces premiers woodies sont rudimentaires. Ils sont souvent sans portières, avec un simple toit permettant de s'abriter des intempéries, et des sièges quasiment sans rembourrage. La partie avant est empruntée à un véhicule de série, tandis que l'arrière peut être allongé pour augmenter le volume utile. Les banquettes sont facilement démontables pour permettre une polyvalence entre le transport de passagers et de marchandises. Au début des années 20, la Ford T, particulièrement bien adaptée à toutes les transformations possibles, constitue l'essentiel du parc des woodies, jusqu'à son retrait du catalogue en 1927. D'autres marques, comme Chevrolet ou Dodge, font aussi le bonheur d'une kyrielle d'artisans.

Ford T Cantrell Suburban, 1922


Le woody se démocratise


Marginal à ses débuts, le marché des woodies croit de manière régulière, jusqu'à susciter l'intérêt des géants américains de l'automobile. Ford est en 1929 le premier à proposer dans sa gamme un woody sur la base du modèle A.

Ford A Station Wagon, 1929

En 1930, le géant de Deaborn, avec environ 4000 woodies assemblés, mène déjà la vie dure aux petits carrossiers, et rafle la plus grande part de ce marché. Ces indépendants sont contraints de se reconvertir, voire le plus souvent de cesser leur activité. En 1933, Dodge et Plymouth suivent Ford, mais ce dernier demeure le leader sur ce créneau, en raison de l'excellent compromis de son offre entre prix, performances et agrément esthétique. Chevrolet réagit tardivement en 1939 en proposant à son tour un woody dans son catalogue.

Ford V8 Deluxe Station Wagon, 1938


Le woody s'embourgeoise


Petit à petit, durant les années 30, le woody s'embourgeoise. Les premières vitres coulissantes sont proposées pour remplacer les rideaux latéraux, le confort s'améliore avec l'offre de garnitures plus accueillantes, les courbes douces succèdent aux lignes à angles droits, cédant aux canons esthétiques du streamline naissant ...  Le woody, d'utilitaire rustre façon caisse à savon, devient plus civilisé.

Ford 1939, époque Streamline (voyez la locomotive)

La clientèle de ces automobiles commence à évoluer. Quelques riches particuliers osent acquérir un woody. Dans les classes sociales favorisées le woody est devenu, sans doute un peu par snobisme, un moyen de se démarquer de son voisin, propriétaire d'une Packard, Cadillac ou Lincoln. Des châssis de marques plus prestigieuses reçoivent des carrosseries en bois; Buick, Hudson, Pontiac, Studebaker sont concernés. Même Packard franchit le pas. Certains constructeurs font néanmoins de la résistance, et il n'y aura jamais de woodies Imperial, Cadillac ou Lincoln.

Studebaker Dictator Suburban par U.S.B.&F, 1934

Packard 120 Station Wagon par Monart Motors, 1937

A la fin des années 30, le woody est devenu tendance, il est plébiscité jusqu'à Hollywood par quelques stars du cinéma. C'est le véhicule idéal pour se rendre dans sa résidence secondaire ou pour transporter chiens et fusils à la chasse. Même dans les classes moyennes, il fait le bonheur du père de famille nombreuse qui souhaite se distinguer du commun des mortels.

Oldsmobile Deluxe Station Wagon, 1940

Le public aime son allure rustique, et apprécie l'heureux mariage entre les reflets des boiseries et les teintes vives des carrosseries. Le chariot de gare s'est mué en un élégant véhicule, dont on apprécie les aspects pratiques pour le voyage, et que l'on laisse en stationnement avec une certaine fierté dans les allées de son pavillon de banlieue.


Le cas " Town and Country "


En 1941, les USA se tiennent encore à l'écart du conflit qui sévit en Europe. Les Américains consomment sans arrière-pensée. Pour les woodies, c'est une année charnière. Chrysler, qui est resté jusqu'alors en retrait en laissant ses marques plus roturières exploiter ce marché jette un pavé dans la mare en présentant sa Town and Country, véritable objet de luxe. L'aménagement de la Town and Country (Ville et campagne) est très cossu. Son toit en acier lui apporte la rigidité et la sécurité qui font jusqu'alors défaut à la plupart des woodies. Elle symbolise une période d'avant-guerre tranquille et bienheureuse. La Town and Country n'est pour l'heure disponible qu'en berline.

Chrysler Town and Country, 1941

L'entrée en guerre des USA après l'attaque de Pearl Harbor en décembre 1941 conduit à la suspension de toute production automobile civile en février 1942. Pendant trois ans, les constructeurs automobiles vont produire des bombes, des chars et des canons.


L'après-guerre


La construction automobile ne reprend ses droits que durant le second semestre 1945. Les modèles 1946 succèdent simplement à ceux de 1942. Bien que quelques prototypes aient été étudiés durant la guerre, il est impératif d'amortir les études et les moyens industriels mis en place pour les modèles 1942. Le public, privé pendant quatre ans, va s'en contenter. Au mieux, un léger lifting permet de distinguer une avant-guerre d'une après-guerre. Chez Chrysler, la Town and Country reprend du service, mais elle est maintenant disponible en berline quatre portes et en cabriolet. La possession de ce cabriolet classe son propriétaire dans la catégorie des " very happy few ", au même titre qu'un propriétaire de Packard ou de Cadillac.

Chrysler Town and Country, 1946

Chrysler Town and Country, 1949

Ford innove dès le mois de juillet 1946, en lançant la Sportman, un woody conçu sur la base d'un cabriolet standard, et ceci quelques mois avant que Chrysler ne dévoile sa nouvelle gamme Town and Country. Comme chez Chrysler, l'assemblage final est réalisé à la main dans des ateliers annexes, à la cadence d'une dizaine de voitures par jour. La Sportman est la Ford la plus chère à l'achat, et aussi la plus coûteuse à l'entretien.

Ford Sportsman, 1947

Si les Town and Country et la Sportman vont marquer durablement les esprits en donnant définitivement leurs lettres de noblesse aux woodies, le station-wagon à usage commercial ne disparaît pas pour autant des catalogues. Tous les grands constructeurs reprennent la production de woodies, que cela soit Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick, Plymouth, Mercury, etc ... Le marché est porteur, les familles aisées qui s'installent dans les banlieues en plein développement recherchent une voiture fiable, élégante et pratique pour assurer les liaisons vers la gare ou pour se rendre au supermarché.

Oldsmobile Special 66 Station Wagon, 1946

Les woodies répondent à ces attentes. Ils séduisent nombre d'acquéreurs que ne rebute pas encore le coût d'entretien des carrosseries. Il faut en effet revernir les bois très régulièrement et refaire complètement les panneaux au bout de quelques années d'usage. Le moindre choc coûte une petite fortune en réparation. La demande soutenue impose aux industriels de l'automobile de remettre en question leurs procédés industriels. Les woodies, complexes à fabriquer, impossibles à assembler en grande série, et qui requièrent un personnel très qualifié, deviennent victime de leur propre succès. Ils vivent leurs dernières années.

Chevrolet DeLuxe Styleline Station Wagon, 1949


Le déclin des woodies


En 1949, la majorité des constructeurs dévoilent leurs nouveaux modèles d'après-guerre. Le style ponton supplante définitivement les formes issues des années 30. Les station-wagons s'adaptent à cette nouvelle donne.

Oldsmobile Station Wagon 1948, aux formes bientôt démodées

Oldsmobile Station Wagon 1949, au style ponton

Plymouth est le premier constructeur américain à proposer un " all steel wagon ", ou break tout acier, simple à produire en grande série. Pour ne pas heurter les derniers clients conservateurs, la version woody est encore disponible au catalogue durant quelques mois. Chevrolet, Pontiac et Oldsmobile ne tardent pas à faire de même. Eux aussi commercialisent en 1949 parallèlement des woodies traditionnels et des station-wagons tout acier, pour satisfaire à la fois les acheteurs attachés au passé, et ceux plus progressistes. Les quelques vrais woodies qui survivent voient leur surface en bois diminuer. Ce matériau perd sa fonction structurelle. Au mieux, il habille encore les panneaux latéraux, au pire il ne joue plus qu'un rôle décoratif extrêmement restreint. L'avertissement est clair, une époque touche à sa fin. Dès 1950, Chevrolet, Oldsmobile et Pontiac renoncent à l'utilisation du bois, suivis par Plymouth et Chrysler en 1951. Seul Ford et Mercury maintiennent cette tradition jusqu'en 1953.

Ford maintient la tradition jusqu'en 1953 avec sa Country Squire

Chrysler Town & Country, 1953. Même sur ce modèle emblématique la décoration bois a disparu

Le bois ayant disparu, les boiseries visibles sur les flancs de certains station-wagons ne sont plus que de simples bandes en vinyle imitation bois. Ford et Mercury seront pendant de longues années les seuls à commercialiser des automobiles avec des décorations façon woody, avant que leurs concurrents ne reprennent eux aussi ce thème au cours de la seconde moitié des années 60.

Mercury 1957, décoration façon woody, vous avez dit " break de chasse " ?

Bien que leur production ait été suspendue, les woodies sont encore nombreux sur les routes américaines des années 50. Mais faute d'un entretien suivi, de nombreuses voitures terminent leur vie au fond des casses. Plus personne ne veut se donner la peine d'entretenir ces charpentes fragiles. Quelques collectionneurs avertis s'y intéressent de nouveau à partir des années 60, et entreprennent de sauver les derniers survivants, au prix bien souvent d'une réfection complète des carrosseries.


Les woodies à travers le monde


La mode des woodies traversa l'Atlantique, si l'on en juge par les réalisations illustrées ci-dessous.

Rolls Royce Phantom, 1930

Skoda 1102,1949

Fiat par Moretti

Alfa Romeo 6C 2500 Coloniale by Viotti, 1947

Austin Sixteen Shooting Brake

Certains woodies seront produits à plus grande échelle. Ils font l'objet de chapitres spécifiques dans ces pages : Morris Minor Traveller, Mini Countryman et Traveller, Fiat Giardiniera.


Les woodies en France


En France, quelques châssis prestigieux reçoivent des habillages bois, de manière totalement artisanale. Quatre constructeurs généralistes commercialisent des carrosseries de ce type à la fin des années 40 : Simca, Peugeot, Ford France et Rosengart. L'attrait esthétique se conjugue cependant avec une nécessité impérieuse d'économiser l'acier, matière première difficile à obtenir dans le contexte rude de l'immédiat après-guerre. La Simca 8 revient sur le marché en 1947 avec deux nouvelles versions : une berline découvrable et un break de chasse. Ce dernier est produit en dehors de l'usine chez un carrossier jusqu'en 1949.

Simca 8

La 202 présentée avant-guerre permet à Peugeot de reprendre la production automobile. La gamme se compose de quatre carrosseries : une berline, une berline découvrable, un cabriolet et un nouveau break. Celui-ci reçoit une carrosserie avec des panneaux en contreplaqué, tandis que la structure est réalisée à partir d'une charpente en bois massif. Le toit demeure en acier. Le prix dissuasif de ce modèle explique son manque de succès.

Peugeot 202

Issue des Matford d'avant-guerre, la Ford F472 est en 1946 la seule voiture française de série dotée d'un 8 cylindres. Un châssis est disponible pour les carrossiers. Plusieurs artisans proposent des versions breaks de chasse. Une d'entre elles figure au catalogue de Ford. Plus rare que les Simca 8 et Peugeot 202, on croise plus facilement ces breaks Ford dans les beaux quartiers qu'à la foire du village.

Ford F472

Rosengart propose à partir du Salon de Paris 1949 une version bois du break Vivor. Aucune suite ne sera donnée en production.

Rosengart Vivor

Après 1950, c'en est bien fini ! L'acier a inexorablement remplacé le bois sur tous les breaks français. La grande industrie a supplanté le savoir-faire artisanal. Le terme de " break de chasse " fait une réapparition furtive à partir de 1953, quand Panhard présente son luxueux break sur base Dyna. L'illustration ci-dessous, signée Alexis Kow, justifie sans ambiguïté cette appellation " break de chasse ". 

Panhard Dyna

Dans les années 50, les routes françaises sont peuplées de breaks Renault Juvaquatre, Ford Abeille ou Peugeot 203 sans charme particulier. La fonction prime sur l'émotion, et la notion d'élégance est sacrifiée. En 1960, Simca parvient à nous faire rêver un peu, avec un retour à une certaine élégance grâce à la Ranch sur base Aronde. Aujourd'hui, le thème du break bois semble bien oublié. Seul Chevrolet dans une démarche bien isolée ose un clin d'oeil en 2010 à ce passé révolu avec la Spark Woody Concept, aux origines ... coréennes.

Chevrolet Spark Woody Concept

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