Corre La Licorne, trop faible face aux grands


La Licorne est une marque automobile française créée en 1907 sur les restes de la marque Corre, elle-même née en 1901 à l'initiative de Jean-Marie Corre. Après des débuts prometteurs, La Licorne ne peut résister à la puissance des grands constructeurs français comme Renault, Peugeot et Citroën. La marque disparaît en 1949.


Corre


Coureur cycliste, puis fabricant de bicyclettes et revendeur d’automobiles Peugeot, Renault et De Dion-Bouton, Jean-Marie Corre (1864-1915) comprend que les premières voitures mises sur le marché ne répondent pas totalement aux souhaits de la clientèle, notamment en matière de robustesse et de fiabilité. Mais ses idées ont bien du mal à convaincre les industriels qui tâtonnent encore sur un marché qu'ils ont tous du mal à appréhender. C'est ce qui le décide à fonder sa propre entreprise en 1901, la Compagnie Française des Automobiles Corre, qu'il installe à Levallois-Perret.

Jean-Marie Corre, né le 21 mai 1864 à Trémel dans les Côtes-du-Nord, et mort le 18 septembre 1915 à Guingamp, est surtout connu pour sa carrière de cycliste. Avant de s'intéresser à la production automobile, il a fabriqué des bicyclettes de 1891 à 1914 dans ses ateliers à Paris, puis à Rueil.

Comme beaucoup d’autres marques à cette époque, le premier modèle Corre, une voiture de course, est doté d’un moteur De Dion-Bouton. Pour faire connaître ses automobiles auprès du public, Jean-Marie Corre participe à des compétitions. Ses premiers engagements témoignent d'un manque de préparation. Mais le patron s'accroche, et les échecs successifs ne font que renforcer sa motivation. A force de remettre son ouvrage sur le métier, sa première victoire intervient fin 1902 sur le Circuit des Ardennes en catégorie " voiturettes ".

Les Corre de tourisme à moteur De Dion-Bouton sont des fabrications de qualité. Toutefois, elles ressemblent beaucoup aux Renault, avec leur capot alligator et leurs radiateurs latéraux. Louis Renault attaque Corre pour plagiat, et le coûteux procès qui s’ensuit dure cinq ans, se terminant par la ruine de Jean-Marie Corre. Cela l'oblige à trouver un repreneur. Corre a produit environ 1 100 voitures sous son nom depuis ses débuts.


Corre La Licorne


Le constructeur est racheté en 1907 par Firmin Lestienne (1847-1913), un homme d’affaires qui a fait fortune dans le textile. C’est le père de l'un des ingénieurs travaillant pour Corre, dénommé Waldemar Lestienne. L'entreprise est rebaptisée Corre La Licorne, puis simplement La Licorne, cet animal mythique figurant sur les armoiries de la famille Lestienne. Firmin Lestienne aime les défis plus que tout, et l’automobile est à ses yeux le pari le plus ambitieux qu’il lui soit donné de relever. Il pense aussi que le potentiel de ce nouveau type de transport est gigantesque, et qu’il faut être présent dans cette industrie naissante le plus tôt possible.

Jean-Marie Corre, après son départ, reprend à son compte la fabrication à Rueil de petites voitures 4 cylindres 8, 10 et 12 HP, sous les marques Corre, Le Cor ou JC, et ce, jusqu'en 1914.

Chez Corre La Licorne, on a compris que la publicité est nécessaire pour se faire connaître. Et pour asseoir une réputation, rien ne vaut la course automobile. Dans cet encart publié dans Omnia en juillet 1907, on a fait appel à la photographie, alors que des marques plus importantes comme Peugeot, Darracq, Hotchkiss ... s'en tiennent à des encarts mentionnant juste leur raison sociale avec leur adresse, et au mieux un simple dessin et/ou un slogan. Joseph Collomb (avec un b et non un p comme mentionné ici) sera le pilote officiel de Corre La Licorne pendant près de 20 ans.

A peine la firme rachetée, Firmin Lestienne devient directeur général de la nouvelle société et nomme son fils Waldemar (1878-1969) au poste de directeur du bureau d’études. Ce dernier prend la direction de l'entreprise à la mort de Firmin en 1913.

Waldemar Lestienne au volant d'une La Licorne sur le Circuit des routes pavées à Pont-à-Marq en 1924.

Dès 1908, une nouvelle gamme est lancée, avec pas moins de huit modèles : deux monocylindres 5 et 8 HP, et six quatre cylindres 5, 8, 10, 12, 18 et 30 HP. Ils sont toujours dotés de moteurs De Dion-Bouton. Ces châssis se caractérisent par une mise au point extrêmement soignée, à l'origine d'une très bonne réputation pour la marque.

Cette publicité pour la 12 HP La Licorne est diffusée à partir de 1911. Le motif de la licorne est omniprésent. La raison sociale est toujours la " Compagnie Française des Automobiles Corre ".

La Licorne rappelle dans cette publicité de 1913 ses valeurs fondamentales : solidité, simplicité, souplesse et silence. Cela ne l'empêche pas d'être une " jolie voiture ".


L’essor de la marque La Licorne 


A partir de 1911, La Licorne lance ses premiers modèles dotés de moteurs conçus en interne, les 8 HP, 10 HP et 12 HP. La Licorne devient alors l’un des plus grands constructeurs français, reconnu pour la robustesse et la fiabilité de ses modèles. En l’espace de cinq ans, La Licorne revient même taquiner Louis Renault sur son terrain, lui qui pensait s'être débarrassé d'un concurrent dangereux ! Certes, les détracteurs de la marque se moquent des performances un peu faibles des La Licorne. Mais le public ne s’y trompe pas, qui préfère largement une voiture sans souci à une auto sportive dont on ne peut se servir qu’occasionnellement, car trop fragile et nécessitant un entretien incessant. Les successeurs de Jean-Marie Corre maintiennent une politique qui a réussi au créateur de la marque.

La guerre de 1914/1918 met un terme brutal à l’expansion de l’automobile, et La Licorne se met alors à produire du matériel de guerre jusqu’à la fin du conflit. A ce moment-là, la production redémarre doucement avec une petite voiture équipée d’un moteur Ballot de 1,2 litre. Puis la gamme se développe avec des modèles plus puissants, de 8 HP à 15 HP. La Licorne se diversifie en se consacrant à la production d'utilitaires, de camions et d'autobus.

Publicité parue dans Automobilia en novembre 1920. Outre des automobiles de tourisme, La Licorne propose des camions deux tonnes, des omnibus et des cars alpins.

Publicité parue dans Omnia, février 1921

Publicité parue dans Omnia, juin 1921

La Licorne ne cherche pas à se battre contre les grands constructeurs. Il produit des automobiles sans originalité particulière, mais bien construites et donnant satisfaction à leurs utilisateurs. Toutefois, une gamme déjà bien étendue et des volumes de production limités conduisent automatiquement à des prix de vente plus élevés que la concurrence.

Joseph Collomb sur Corre La Licorne sur le Circuit de Boulogne-sur-Mer le 3 juillet 1921 remporte l'épreuve.

Au début des années 1920, la marque invente la camionnette " Normande " dont la carrosserie est dotée d’une armature en bois apparente derrière les portes avant. Ce type de carrosserie sera copié par de nombreux constructeurs français. Ces automobiles à mi-chemin entre la camionnette et la torpédo de tourisme rencontrent un réel succès auprès des fermiers et des commerçants ruraux.

A l'égal des grands (Panhard & Levassor, Peugeot, Delage, Berliet ...), La Licorne finance durant les années 20 de pleines pages de publicité dans la presse automobile. Celles-ci sont datées de mai 1922 et d'avril 1925. On y découvre notamment le modèle à succès dit " Camionnette Normande ".

Décrire la gamme des La Licorne des années 20 serait s'aventurer dans un fastidieux et long inventaire, tant l'offre est déjà étoffée, avec une multitude de moteurs 4 cylindres, d'empattements, de carrosseries, de niveaux de finition, d'équipements ... Plus intéressant est l'état d'esprit qui règne dans cette entreprise. Le journaliste E. Pépinster rend compte de sa visite chez Corre La Licorne dans le magazine Automobilia de novembre 1923 :

" La marque La Licorne possède la discrétion de son emblème : elle se cache sous les arbres de la rue de Rouvray, dans un quartier fort tranquille qui n'est plus Neuilly, mais qui n'est pas encore Levallois. Elle n'a jamais couru les grandes aventures. Née petite, elle n'a pas cherché à grandir vite, se contentant de progresser régulièrement, d'année en année, sans s'illusionner jamais sur ses possibilités. Résultats de cette ligne de conduite sage, suivie fidèlement pendant vingt ans : La Licorne est, aujourd'hui, à la veille d'occuper une place très honorable parmi les grandes marques.

Quand La Licorne naquit, l'automobile était encore un instrument de luxe. Il était admis que son usage soit réservé aux heureux de ce monde, et que les autres, s'ils ne voulaient pas aller à pied, s'accommodent de la traction hippique. Les créateurs de la marque n'hésitèrent cependant pas à proclamer très franchement leur intention de construire des voitures utilitaires. Ils s'éloignèrent systématiquement de toutes les dispositions que la mode seule inspire et s'attachèrent à établir des voitures de durée, d'après les principes d'une mécanique rigoureuse, mais sobre. Leur construction était rustique, elle était saine. Elle possède encore ces deux qualités, plus toutes celles qu'elle doit à l'expérience, plus toutes les améliorations que se sont imposées les constructeurs avec un incontestable mérite. La Licorne n'a jamais été et ne cherchera jamais à devenir la voiture du petit jeune homme. Elle est et demeurera la compagne agréable du touriste et la sûre collaboratrice de l'homme d'affaires ...

... Nous ouvrirons une parenthèse pour exprimer toute notre satisfaction de rencontrer chez La Licorne, un exemple aussi caractéristique de la manière souple dont, en France, on conçoit le travail en série. De l'autre côté des mers, la série est intangible. La voiture sort équipée de pied en cap, indéfiniment semblable à elle-même, et le client est contraint d'adapter ses goûts à l'objet offert. Le constructeur français, plus subtil, sait extraire du principe de la série tout ce qu'il a de bienfaisant, mais il place au-dessus des exigences de la logique industrielle, le goût de son client. Ce sont là, deux écoles, convenant à deux mentalités très différentes. Au moyen des quatre types de châssis, La Licorne établit une gamme de véhicules dont la nomenclature est impressionnante. "

En 1925, les trois premières voitures à remporter le Tour de France Automobile sont des La Licorne. Elles arrivent l'une derrière l'autre, séparées de quatre mètres ! Sur cette photo, Joseph Collomb est installé au volant d'une Corrre La Licorne en avril 1926 lors de la séance de pesage pour le Tour de France Automobile.

Un événement majeur pour Corre La Licorne se prépare à l'occasion du Salon de Paris 1927. Le constructeur va s'attaquer avec force à la catégorie des 5 CV, pour seconder efficacement les plus grosses cylindrées de la marque et accroître ses volumes.


La 5 CV, 1927


Dans les années 20, les fournisseurs habituels de moteurs de la maison ferment les uns après les autres. Ce sont dans l'ordre De Dion-Bouton, Chapuis-Dornier, Ballot et Scap. Il est temps pour La Licorne de devenir autonome, et de concevoir et produire son propre moteur pour la 5 CV qu'il s'apprête à lancer. L'entreprise à l'aise financièrement investit dans de nouveaux outillages. Le cahier des charges identifie une voiture offrant un emplacement spacieux pour les passagers, un châssis robuste et sans complications inutiles, un prix de revient compétitif et des performances honnêtes. La Licorne quitte Neuilly pour s'installer dans des locaux plus modernes rue Mathilde à Courbevoie. Au Salon de Paris 1927, La Licorne lance sa 5 CV qui sera le modèle le plus diffusé de toute l'histoire de la marque.

Si la 5 CV est la révélation du Salon de Paris 1927, La Licorne rappelle au public qu'il propose toute une gamme de modèles plus puissants. Source : Omnia, novembre 1927.

Les Automobiles La Licorne font parler d'elles en s'inscrivant dans les nombreux concours d'élégance durant les années 20 et 30. En plus d'être des voitures des qualité, les La Licorne sont belles. Source : Automobilia, octobre 1928

La 5 CV La Licorne profite de l’abandon en 1926 par Citroën de la 5 HP jugée insuffisamment rentable. C'est une occasion inespérée pour le constructeur de Courbevoie. En effet, la 5 HP Citroën, produite à 80 759 exemplaires entre 1922 et 1926, est arrêtée en plein succès, ce qui permet à La Licorne de se faire une place sur le marché de la petite voiture, même si Rosengart se manifeste aussi sur ce créneau à partir de 1928. En face, Renault est présent avec sa vieillissante NN (1924-1930), et les 5 CV Peugeot (1924-1929) apparaissent bien légères.

La Licorne Riviera 5 CV, 1928. Comme Hotchkiss, La Licorne aime les noms ronflants. Un châssis nu est facturé 13 500 francs, une voiture habillée entre 18 200 et 22 000 francs.

La Licorne La Baule 5 CV, 1929. Contrairement aux Rosengart ou aux Mathis, les La Licorne ne sont pas des automobiles construites avec des matériaux aussi peu coûteux que possible. Elles tentent au contraire de se rapprocher des standards des marques de luxe, type Salmson ou Hotchkiss, mais dans un format moindre.

Le choix de produire une 5 CV est si pertinent qu’il permet à la marque de passer le cap du début des années 30 sans trop de problèmes, la crise économique mondiale condamnant de nombreux autres petits constructeurs. En effet, la 5 CV se vend bien et les utilisateurs en sont satisfaits. Son 4 cylindres de 905 cm3 développe 15 ch à ses débuts, puis 20 et 21 ch par relèvement du taux de compression. La voiture roule à 75 km/h, et ne consomme pas plus de 6,5 litres aux 100 km. La conduite est à droite, une disposition normale à l'époque pour les voitures sortant de la grande série. Cela procure à la 5 CV une petite touche de distinction supplémentaire. Nombreux sont les carrossiers de la région parisienne à travailler pour La Licorne, en produisant des caisses souvent luxueuses. Toutes les carrosseries sont produites à l'extérieur.

La Licorne Cabriolet Week-end Grand Luxe, 1930. On peut supposer que la direction de la marque fait durant ces années tout ce qu'il faut pour être présente dans les concours d'élégance, selon la même méthode employée par Ettore Bugatti dans le domaine sportif. Il s'agit d'être visible sur le marché.

Le 5 CV n'a pas éliminé les autres modèles, et la gamme La Licorne reste toujours aussi pléthorique. La 5 CV est le modèle phare de la marque. Parallèlement à la production des voitures de tourisme, La Licorne poursuit le développement d'une gamme de véhicules utilitaires, camions et bus, ce qui lui permet de devenir en 1930 la première marque française sur le marché des véhicules commerciaux et industriels. La Licorne a su implanter en région un réseau de distribution dense et efficace.


La 6 CV, 1931


Le constructeur de Courbevoie acquiert en pleine crise des machines-outils de qualité pour sortir un deuxième modèle de voiture économique. C'est en mai 1931 que La Licorne annonce sa 6 CV, ou type L-O4. A première vue, c'est une bonne affaire pour les acheteurs, car la 6 CV ne dépasse que de peu le prix de vente de la 5 CV. En fait, elle diffère de celle-ci que par des détails. Chaque point qui a pu être amélioré l'a été. Tous les interstices sont recouverts de caoutchouc, la batterie dispose d'un coupe-batterie (c'est rare à cette époque sur un modèle populaire), etc ...

Par augmentation de l'alésage, on obtient une cylindrée de 1 125 cm3. La puissance n'est pas annoncée, mais elle est estimée à environ 25 ch. L'empattement passe de 2,45 à 2,60 mètres, et la voie est inchangée à 1,25 mètre. Malgré des moments difficiles, la 6 CV se vend honnêtement. Il est vrai que son moteur silencieux plaide en sa faveur, et qu'elle remporte de nombreux prix lors des concours d'élégance. Plusieurs carrosseries figurent au catalogue : Week-end, Opéra, Deauville, etc ... fournies par Duval, Kelsch ou Manessius ...

La Licorne 6 CV lancée en 1931 est capable de rivaliser avec les Renault, Peugeot et Citroën de cette même catégorie. Tous les modèles de la marque se caractérisent par leur calandre plate surmontée d’une partie triangulaire chromée.


La 8 CV, 1933


La marque Corre La Licorne cède progressivement sa place à celle de La Licorne, puis plus tard à Licorne tout simplement. Une certaine confusion règne à ce sujet. Pour compléter sa gamme de voitures de tourisme vers le haut, Licorne lance en 1933 une 8 CV de 1 450 cm3 et 35 ch, le type L760. Elle ne coûte guère plus chère que la 6 CV. Puis arrive une 11 CV en 1935. Une 14 CV sensée s’attaquer au marché des voitures de luxe est même dévoilée au Salon de Paris 1935, mais ce modèle ne rencontre aucun succès. En 1934 et 1935, la 5 CV qui a été supprimée en 1933 refait surface sous une carrosserie modernisée. C'est en réalité une L-O4 avec un alésage des cylindres réduit.

Les angles commencent à s'arrondir sur cette berline Licorne 8 CV Longchamps de 1933. Elle suit la mode naissante de l’aérodynamisme.

Coach Deauville 10/14 CV Licorne carrossé par Autobineau, filiale de Letourneur et Marchand, 1936. Ce coach se singularise par ses baies latérales panoramiques à joint " glace sur glace ". L'image de marque de Licorne s'appuie sur une très belle qualité d'exécution des carrosseries, et sur un bon niveau d'équipement.

Cabriolet 10/14 CV Licorne avec pare-brise rabattable, 1937. La qualité des matériaux sélectionnés et le niveau de finition justifient un prix de vente légèrement supérieur à celui des voitures concurrentes de taille équivalente.

Dans les années 30, la gamme Licorne est aussi complexe que dans les années 20. Elle résulte encore d'innombrables mélanges entre moteurs, boîtes, carrosseries et finitions .... auxquels s'ajoute des options, notamment une boîte Cotal. Au total, le catalogue Licorne 1936 ne compte pas moins de onze modèles principaux. Pour ajouter un peu à la confusion, les services commerciaux de Licorne baptisent du même nom des modèles complètement différents.

Cette offre surabondante n'est pas faite pour simplifier le choix des acheteurs. Licorne continue de faire appel à des carrossiers pour habiller ses voitures. Dubos, Duval, Labourdette, Antem ou Autobineau sont sollicités. Toutes ces voitures visent une clientèle qui fait passer le confort, l'élégance et l'économie bien avant les performances. En effet, toutes les Licorne sont équipées de paisibles moteurs quatre cylindres.

La couverture du catalogue Licorne édité pour le Salon de Paris 1935 est dessinée par Alex Kow, avec curieusement un volant à gauche qui n'existe pas dans la gamme du constructeur. Les traits des voitures sont largement exagérés, comme c'est encore l'usage à l'époque.


Citroën à la rescousse


Face aux difficultés naissantes, on réfléchit chez Licorne à une nouvelle stratégie pour poursuivre le développement de l'entreprise. Il s'agit de minimiser les investissements tout en proposant de nouveaux modèles. C'est dans ce cadre qu'en 1936 Licorne passe un accord avec Citroën. En fin d'année, au Salon de Paris, Licorne présente les types LSV 415, 418 et 420, qui reçoivent une carrosserie de Citroën 11 Légère, une voiture lancée par la marque de Javel deux plus tôt. Le premier chiffre du type indique le nombre de vitesses, et les deuxième et troisième la cylindrée.

La Licorne 11 CV Rivoli reçoit en 1936 une carrosserie de Citroën 11 CV Légère. Notez la calandre et les marchepieds spécifiques à la marque Licorne.

La carrosserie Citroën est montée sur un châssis Licorne traditionnel, qui est toutefois allongé pour s'adapter aux dimensions imposées par cette construction particulière. Les voitures sont équipées de moteurs 8, 10 ou 11 CV d'origine Licorne, conçus dans l'esprit maison, c'est-à-dire peu fougueux, mais fiables et silencieuses. Elles portent le nom de Rivoli, une appellation déjà utilisée par Licorne.

La Rivoli donne le sentiment d'un nouveau modèle préparé à la hâte. En effet, les moyens de Licorne manquent pour mener à bien l'étude complète d'une nouvelle voiture.

Seule la calandre typiquement Licorne, la présence de marchepieds, la conduite à droite, la finition et le logo permettent de différencier une Rivoli d'une 7 CV Légère. Vu de l'arrière, il est plus difficile de différencier les deux voitures. On comprend bien les motivations des dirigeants de Licorne qui sont parvenus à réaliser à moindres frais une berline équilibrée et moderne. Leur préoccupation première a été de maintenir leur compétitivité face aux grands constructeurs. On comprend moins celles de Citroën, propriété depuis peu de Michelin, qui a curieusement autorisé la vente de coques à un concurrent.

Cette coopération avec Citroën prend de l'ampleur. En effet, Licorne adopte au printemps 1937 la caisse de la Citroën 11 Normale montée sur le châssis de la Licorne 10/14 CV. La nouvelle venue prend de nom de Normandie, comme le fameux paquebot lancé à Saint-Nazaire en 1932.

La berline Normandie emprunte la carrosserie monocoque de la Citroën 11 Normale, mais elle conserve son châssis traditionnel Licorne et sa direction à droite.

Au Salon de 1937, on découvre les types 316 et 319, qui sont des berlines Rivoli dotées de moteurs Citroën 7 C (1 628 cm3, 36 ch, 9 CV fiscaux) et 11 Légère (1 911 cm3, 46 cv, 11 CV fiscaux). A partir de ce moment, on ne se fait guère plus d'illusions sur l’avenir de la marque Licorne. Le niveau de finition supérieur des Licorne par rapport à Citroën impacte logiquement le prix de vente. Ainsi, une Licorne Rivoli vaut 29 500 francs, contre 24 700 francs pour une Citroën 11 Légère. Au Salon de 1938, la Normandie est également proposée avec les carrosseries des Citroën 11 Familiale et Commerciale.

Licorne n'est pas la seule marque à faire appel à plus grand que lui. Entre 1935 et 1939, le constructeur de Javel cède des caisses à Delage et des moteurs à Rosengart et Chenard & Walcker. Berliet habille sa berline Dauphine d'une carrosserie de Peugeot 402. Matford vend des moteurs à Chenard & Walcker, et autorise son fournisseur Chausson à livrer le constructeur de Gennevilliers des mêmes carrosseries qu'à lui-même pour son modèle Aigle.


La dernière Licorne, la 6/8 CV


La gamme 1939 de Licorne, bien que légèrement simplifiée par rapport aux années précédentes, s'enrichit d'une voiture entièrement nouvelle, le coach 6/8 CV doté d’un moteur maison de 1 125 cm3 (type A-114), ou d’un moteur Citroën 7 CV de 1 628 cm3 (type A-163). La première ne dépasse pas les 88 km/h, tandis que la seconde atteint 110 km/h.

Lorsqu'elle apparaît au Grand Palais, la Licorne 6/8 CV se fait remarquer pas ses volumes bien proportionnés. Les lignes rompent brutalement avec le style ampoulé des anciennes Licorne, en abandonnant la calandre façon " temple grec ", et privilégient la recherche de formes aérodynamiques.

La 6/8 CV offre un bon rapport encombrement/habitabilité. A l'intérieur, la visibilité est exceptionnelle. Pour améliorer l'insonorisation, le plancher plat est doublé de feutre. Les sièges sont placés sur la tôle elle-même afin d'abaisser le centre de gravité. Les suspensions ont fait l'objet d'études poussées. Un seul essuie-glace central balaye le pare-brise, comme sur la Citroën CX de 1974 ... L’équipement intérieur comporte certains éléments empruntés à Citroën, comme la planche de bord de Traction.

La Licorne 6/8 CV de 1938 présente une carrosserie moderne et attrayante. La carrière de ce modèle est écourtée par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Avec l'Amilcar Compound, la Peugeot 202 et la Renault Juvaquatre à laquelle elle ressemble, la 6/8 CV forme une nouvelle génération de voitures françaises économiques de moyenne cylindrée. Sans la déclaration de guerre, la 6/8 CV aurait certainement connu un développement industriel plus important.

La Licorne 6/8 CV est toutefois handicapée par son offre limitée à une carrosserie à deux portes. Les constructeurs français comprennent tardivement que sur ce créneau, quatre portes sont indispensables. Peugeot n'a pas ce problème avec sa 202 bien née, et Renault qui dispose de gros moyens réagit en 1939 (un peu tard ...) en dotant sa Juvaquatre de ces quatre portes. La Licorne connaît une diffusion limitée. Il n'est décidement pas facile de s'imposer face à la très grande série. Rosengart et Matford se battent avec les mêmes difficultés. Cela sera aussi le cas de Panhard après la guerre.

En 1939, Licorne s’apprête à lancer une nouvelle 11 CV dotée du 4 cylindres Citroën de 1 911 cm3, mais le déclenchement du conflit empêche le projet d’aboutir. Au terme de cette dernière décennie, la plus prolifique pour la marque, il s'est vendu environ 25 000 véhicules La Licorne et Licorne.


Licorne Mildé-Krieger


Pendant la guerre, Licorne s’associe avec deux sociétés, Mildé-Krieger d'une part, et Aerie d'autre part, spécialisées dans les voitures électriques. Ce type de véhicules se développe alors en France, car le carburant attribué d'abord aux véhicules militaires allemands se fait rare. Seules les professions considérées comme prioritaires, telles que les médecins, vétérinaires ou commerçants, peuvent encore espérer en obtenir.

Charles Mildé (1851-1931) et Louis Krieger (1868-1951) ont été dès la fin du 19ème siècle des pionniers de la voiture électrique. Le fils de Charles Mildé a succédé à son père en 1931. Mildé et Krieger décident d'unir leurs compétences en 1940 afin de vaincre les restrictions du moment. Le projet est mené davantage par défi pour permettre à leurs compatriotes de rouler malgré tout, que par appât du gain.

La Licorne 6/8 CV de 1939 sert de base. Elle est désignée par le type AEK (K pour Krieger). L'AEK est commercialisée à partir de 1941 par Mildé-Krieger, qui veut produire vite et sur une base éprouvée une automobile plus solide que les voiturettes électriques concurrentes, les Pierre Faure Electra, Bréguet A1 et A2, Satam et autre Peugeot VLV. Les ateliers sont installés à Courbevoie, comme ceux de Licorne. Cette proximité facilite la mise en oeuvre du projet. Acquérir la voiture est une chose, disposer du fameux " ausweiss " permettant de circuler en zone occupée en est une autre.

La brochure Milde-Kriéger éditée en 1941 pour le lancement de la Licorne électrifiée. En même temps, Mildé-Kriege construit une camionnette 1000/1200 kg dont le châssis provient également d'une Licorne.

Vue de l'avant, seul le signe " Electrique Mildé-Krieger " permet de différencier la voiture électrique de la Licorne originale fonctionnant à l'essence. L'emblème Licorne demeure néanmoins en place au sommet de la grille. Les batteries sont disposées pour partie à l'extrême avant sous le capot moteur légèrement rallongé et à la calandre proéminente, et pour partie dans le coffre arrière doté d'une malle bombée. L'amortissement et la structure sont renforcés pour faire face à l'augmentation de poids de 500 kg. L'autonomie est d'une centaine de kilomètres à 40 km/h, la vitesse maximale de l'AEK. On estime que 100 à 150 exemplaires de la Licorne Mildé-Krieger ont été produits durant ces sombres années.

Le passage au tout électrique a poussé le capot de la 6/8 CV d'origine vers l'avant. Notez la présence d'un essuie-glace central unique. La Licorne Mildé-Krieger a le mérite d'offrir quatre places avec un bon niveau de confort.

Les autorités mettent fin à ce type de production en octobre 1942, en interdisant la fabrication de toute voiture électrique, les matières premières devenant bien trop précieuses pour être attribuées à la production civile. Après la guerre, un certain nombre d'AEK seront réadaptées au moteur thermique, plus pratique d'usage.

La société Aeric, installée à Levallois, initialement spécialisée dans le chauffage et la ventilation des locaux industriels, propose selon le même principe que Mildé-Krieger une motorisation électrique sur la base de la 6/8 CV. Il s'agit du type AEA (A pour Aeric). Ses performances sont proches de celles de la Mildé-Krieger. Ces voitures intéressent surtout une clientèle d'entreprise. Elle seront vite oubliées après-guerre, tant elles évoquent les années sombres de l'occupation.

Dans ses publicités parues à la fin de la guerre, le constructeur " Automobile La Licorne " fait encore allusion aux versions électriques.


Licorne ne se relève pas après la guerre


Sous la pression de plusieurs membres de sa famille, ruinés par l’effondrement du marché du textile, Robert Lestienne qui a succédé à son frère Waldemar dans les années 30, est contraint de vendre Licorne à Ettore Bugatti en 1942. La famille Lestienne reste néanmoins actionnaire minoritaire. Ettore Bugatti pressent qu’il aura des difficultés à récupérer son usine de Molsheim réquisitionnée par les Allemands, et il cherche une solution de repli. Robert Lestienne est assassiné par les Allemands en 1944, ce qui fragilise encore un peu plus la survie de Licorne.

Fin 1946, Ettore Bugatti décide de revendre ses parts dans Licorne, car il entrevoit une reprise de ses activités à Molsheim, site sur lequel il est parvenu à faire valoir ses droits. Licorne est vendu à la famille Lebon, propriétaire d’importantes usines à gaz à Saint-Denis, qui viennent d'être nationalisées. Disposant de moyens conséquents, cette famille prend différentes participations dans d'autres affaires, notamment Chausson. Le siège de Licorne est une nouvelle fois transféré, cette fois dans les locaux de l’EUSD (Emboutissage et Usines de Saint-Denis), sur les quais de Seine à Saint-Denis.

Le coach Licorne 8 CV réapparaît au Salon de Paris 1946, mais dans une version commerciale de 250 kg de charge utile. Cette fourgonnette est toute indiquée pour les petites livraisons rapides ainsi que pour le démarchage commercial.

La Licorne 8 CV revient au Salon de Paris de 1946 à 1948, avec une calandre redessinée. Le modèle doit composer avec les Renault 4 CV et Panhard Dyna X plus modernes de conception. Du coup, il s'en vend peu. Source : AAT, octobre 1948

Parallèlement, Licorne propose un utilitaire de 1000 kg de charge utile, avec le même moteur 8 CV. Ce véhicule à cabine avancée tout en acier est disponible en fourgon entièrement tôlé, ou en plateau.

Le Fourgon tôlé Licorne propose une économie de marche intéressante. Même sur les utilitaires, Licorne soigne sa réputation de constructeur de véhicules résistants.

En proposant un utilitaire, les dirigeants de Licorne se sentent mieux armés pour obtenir les fameux bons de matières premières dans le cadre du plan Pons qui réglemente l’industrie automobile française après la Libération.

Hélas, ce plan ignore totalement les petits constructeurs au profit des plus grands. Par ailleurs, Michelin qui dirige Citroën ne souhaite plus fournir les constructeurs indépendants, que cela soit en carrosseries ou en moteurs. Licorne est donc contraint de pousser dans ses derniers retranchements son vieux moteur 8 CV, jusqu'à 34 ch, contre 25 ch avant-guerre. Malgré les difficultés, Licorne est présent au Grand Palais en octobre 1947. A côté du coach, le constructeur déjà moribond expose un petit cabriolet équipé du même moteur 8 CV. Il ne sera jamais commercialisé.

Au Salon de Paris 1948, outre la version commerciale de 250 kg connue depuis 1946, Licorne expose un imposant cabriolet 14 CV. Hélas, celui-ci ne correspond ni aux besoins du moment, ni à la clientèle traditionnelle du constructeur. Tout espoir d'exportation est par ailleurs illusoire, le Licorne ne disposant d'aucun relais commercial à l'étranger, ni de la moindre réputation sur le marché du grand luxe. Le projet s'arrête là. On peut d'ailleurs s'interroger sur le bien-fondé du développement d'un tel modèle, qui a inutilement réduit les derniers moyens financiers dont disposaient Licorne.

Baroud d’honneur de la firme Licorne, un somptueux cabriolet 14 CV est présenté au Salon de Paris 1948. C'est une tentative désespérée pour venir concurrencer les produits de Hotchkiss ou de Salmson, deux firmes elles aussi en perte de vitesse. Elle ne débouche sur rien de concret. Le moteur est un quatre cylindres de 2 438 cm3 développant 70 ch. Cette voiture de 1400 kg roule à 120 km/h. Le dessin des ailes semi intégrées évoquent les Buick contemporaines.

La réussite échappe à Licorne. La conception de son coach est déjà ancienne, et il ne dispose que de deux portes, les coûts fixes pèsent sur une production de plus en plus limitée, et la récente tentative d'aborder le très haut de gamme avec la 14 CV s'est soldé par un abandon. La marque est contrainte de cesser ses activités. Licorne ferme définitivement ses portes en 1949 après avoir fabriqué un peu plus de 200 modèles différents et 33 000 véhicules depuis 1901.

Les usines Licorne sont reprises par Berliet, le plus grand constructeur français de poids lourds, qui a mis fin lui-même à la production de ses voitures de tourisme juste avant la guerre. Berliet tente avec un certain succès de reprendre la clientèle des camions Licorne. Ces ateliers demeureront en service jusqu'en 1960.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
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