Goliath, pour y aller par quatre chemins
Carl Friedrich Borgward (1890/1963) constitue dans les années 30 le groupe qui porte son nom composé des quatre marques Lloyd, Goliath, Hansa, Borgward. Goliath représente la marque de milieu de gamme qui est rebaptisée Hansa en 1958. La faillite du groupe Borgward en 1961 entraîne la disparition des marques Goliath et Hansa. L’homme d’affaires Carl Friedrich Borgward, dont les activités sont concentrées dans la production d'équipements de cuisine et de machines agricoles, se porte acquéreur du groupe automobile allemand Hansa-Lloyd en 1929. Ce groupe est né en 1914 de la fusion de deux marques, Hansa (créée en 1906) et Lloyd (créée également en 1906), cette dernière étant au départ une filiale de la Compagnie de Navigation Nord deutsche Lloyd qui avait démarré la fabrication automobile par les voitures électriques Krieger. La marque Lloyd se détourne très vite de la voiture électrique pour concentrer ses fabrications sur les voitures à essence qui sont davantage demandées par la clientèle. La production est néanmoins modeste et Lloyd doit se résoudre à fusionner avec Hansa en 1914, les modèles étant désormais commercialisés sous la marque Hansa-Lloyd. De son côté, Hansa produisait initialement des petites voitures qui connurent un certain succès, ce qui amena la firme à se développer et à se diversifier, au point de devenir l’un des principaux constructeurs allemands. Les Hansa acquièrent alors une renommée enviable, grâce à leurs qualités techniques et leur bonne finition. Après la fusion, l’affaire prospère jusqu’à la crise économique mondiale de 1929 qui permet à Carl Borgward de s’en emparer. Une troisième marque, Goliath, vient rejoindre les deux autres en 1931. Cette marque est spécialisée dans les véhicules utilitaires à trois ou quatre roues. Mais elle fera aussi une incursion dans le domaine de la voiture, avec la Pionier, une voiturette à trois roues et moteur de 200 ou 250 cm3 qui s’écoulera à près de 4 000 exemplaires entre 1931 et 1934.
Le Goliath Atlas 1932 à 1935 dispose d'une charge utile d'une tonne. L'accès à bord se fait par une porte frontale, principe qui sera adopté dans les années 40/50 par quelques microcars. La colonne de direction fixe impose à l'éventuel passager de sortir en premier.
En 1931, Goliath accueille la Pioner, également disponible sous forme d'utilitaire, qui est bien adapté au contexte économique difficile de la période. Une quatrième marque, Borgward, du nom de son propriétaire, rejoint l’ensemble en 1939, pour se situer au sommet de la hiérarchie en produisant un modèle de grosse cylindrée. Carl Borgward choisit le losange comme emblème, les quatre pointes du losange représentant les quatre marques du groupe : Borgward, Hansa, Lloyd et Goliath. La mission assignée à chaque marque est la suivante : Lloyd doit produire les modèles de petite cylindrée, Hansa les modèles de moyenne cylindrée, Goliath les véhicules utilitaires à trois ou quatre roues et Borgward les modèles de grosse cylindrée.
Le logo Borgward est constitué de quatre triangles placés en quinconce. Les couleurs des triangles sont le rouge et le blanc. Elles sont une référence symbolique au drapeau de Brême où est né Carl Borgward. Les usines du groupe sont regroupées à Brême, dans le nord de l’Allemagne, à mi-chemin entre Hambourg et Hanovre. Pendant la guerre, les usines Borgward travaillent toutes pour l’armement. Outre des camions, les usines produisent des torpilles et des chenillettes. En octobre 1944, les bombardements alliés détruisent une grande partie de ces usines. 1949 : la marque Goliath ressuscitée Après la fin des hostilités, l’Allemagne est en ruines. Pourtant, la population se met lentement à reconstruire le pays et certaines usines commencent à démarrer une production limitée de véhicules utilitaires et plus rarement de voitures particulières. Goliath relance dès 1949 la fabrication de ses petits utilitaires à trois roues, concurrents des véhicules Tempo, et celle de voitures particulières reprend un an plus tard.
Le Goliath GD750 produit de 1949 à 1955 est le principal concurrent du Tempo Hanseat, car lui aussi est doté de trois roues et présente une silhouette très semblable. Les deux véhicules se différencient surtout par leur système d’ouverture des portes, celui du Goliath s’ouvrant d’arrière en avant. Cette marque qui a abandonné la production de voitures de tourisme depuis 1934 dévoile la nouvelle GP700 (GP pour Goliath Personenwagen, et 700 pour la cylindrée), proposée en break, berline et cabriolet, dotée d’un moteur deux cylindres deux temps de 688 cm3 développant 25 ch. Cette quatre places s’adressant aux classes moyennes est vaste et confortable pour sa cylindrée. Sa carrosserie deux portes de style ponton imaginée par Carl Borgward est tout en acier et le châssis est à tube central. La cylindrée passe à 886 cm3 en 1955, la Goliath étant alors rebaptisée GP900.
La Goliath GP700 lancée en 1950 reprend le style de la Borgward Hansa 1500 mais dans un format de 4,05 mètres de long, intermédiaire entre la Lloyd LP300 de 3,20 m et la Borgward Hansa 1500 de 4,45 mètres. Comme la Lloyd, il s’agit d’une traction avant.
En Kombi, en cabriolet ou en coach, la GP700 ne peut pas rivaliser en performances et en prix de vente contre la DKW Meisteklasse et la Volkswagen. Une version GP700 Sport apparaît en 1952 avec un système d'injection de carburant Bosch. Elle n'est produite qu'en nombre très limité, mais peu de temps après, l'injection de carburant est également disponible sur la berline GP700 - appelée GP700 E, E pour einspritzung ou injection - comme alternative à la version équipée d'un carburateur.
La GP700 Sport est produite a deux exemplaires par le carrossier Rudy de Delmenhorst et à vingt quatre autres chez Rometsch à Berlin. Lorsque la GP900 est proposée en 1955, elle est disponible en deux versions : 900 V de 38 ch (V pour Vergäser ou carburateur) et 900 E de 40 ch. Cette injection mécanique Bosch devient une caractéristique spécifique de la marque Goliath, qui sera reprise dans l'industrie automobile au cours des décennies suivantes.
La Goliath GP900 est une évolution de la GP700. Son moteur un peu plus gros est aussi disponible avec l'injection Bosh, ce qui en fait une des premières voitures de série à injection directe. Il est intéressant de souligner que la Goliath GP700 E à injection est apparue cinq ans avant la Mercedes 300 SL à injection. Encore une autre innovation, disponible à partir de 1952 sur la GP700, et qui deviendra par la suite généralisée à l’ensemble des constructeurs, c'est la boîte de vitesses à quatre rapports entièrement synchronisés. Les Goliath GP700 et GP900, malgré leur modernité, ne trouvent que 44 500 clients entre 1950 et 1957, date de leur remplacement par la Goliath 1100 dotée cette fois d’un quatre cylindres à plat de 1094 cm3 qui voit l’abandon du deux temps. L'image de Goliath est forte dans le domaine des petits utilitaires, mais insuffisante dans celui des voitures de tourisme. Cette situation liée à des tarifs élevés est préjudiciable à la carrière de ces voitures.
La Goliath 1100 succède à la GP900 en 1957. Son moteur est cette fois un quatre cylindres à plat à quatre temps et non plus un deux cylindres à deux temps. La carrosserie évolue par petites touches (nouvelle calandre).
La Goliath 1100 est disponible en version Kombi dont la ligne s’inspire du break Borgward Isabella, ce qui n’aide pas ce modèle à faire une grande carrière. Toutes les Goliath 1100 sont rebaptisées Hansa 1100 en 1958. 1958 : la marque Goliath devient Hansa En 1953, Goliath complète sa gamme d’utilitaires avec l’Express, une camionnette à cabine avancée et à quatre roues, contrairement au GD750 à trois roues, rebaptisé Goli en 1955 après avoir été modernisé. Le moteur quatre temps de l’Express sera repris en 1957 sur la berline Goliath qui deviendra Goliath 1100.
Le Goliath Express (1953-1961) à traction avant est un concurrent du Tempo Wiking. Sa silhouette et sa technique sont assez proches. En outre, il propose un choix de carrosseries équivalent. Il est doté d’un moteur de 1 100 cm3 comme son concurrent Tempo. En 1958, la Goliath 1100 devient Hansa 1100, ce qui permet subrepticement au modèle de monter en gamme car le nom Goliath traîne encore cette image peu valorisante de véhicules utilitaires. Les utilitaires Express et Goli conserveront la marque Goliath jusqu’à leur extinction en 1961.
Le Goliath Goli succède au GD750 en 1955, sous une silhouette modernisée avec phares intégrés, carrosserie plus large et plus aérodynamique. Le Goli sera commercialisé jusqu’à la faillite du groupe Borgward en 1961. Près de 10 000 exemplaires ont trouvé preneur. Il est ici illustré en plateau et fourgon. La berline Hansa 1100 évoque une Borgward Isabella en réduction, d’autant plus qu’elle est disponible elle aussi en version break et coupé, mais la Hansa contrairement à l'Isabella ne connaît pas le succès. Son prix est supérieur à celui de la Volkswagen qui est sa rivale directe, et son habitabilité est inférieure à celle des DKW concurrentes vendues pratiquement au même prix. Seulement 28 000 exemplaires des Goliath et Hansa 1100 sont écoulés entre 1957 et 1961, soit moins de 10 000 par an, alors que la Borgward Isabella dépasse les 30 000 ventes par an.
Les ailerons arrière de la Hansa 1100 anticipent ceux de la Lloyd Arabella lancée l’année suivante et changent totalement la physionomie du modèle. L’ensemble n’a toutefois ni la grâce ni le charme de la berline Isabella.
La Hansa 1100 est disponible en version coupé. Hélas, l'ensemble des efforts réalisés pour dynamiser les ventes de ces voitures ne sont pas couronnés de succès. Pour Carl Borgward, le cercle vertueux s'est transformé en un cercle vicieux qui conduira à sa perte. Le groupe Borgward perd constamment de l’argent avec la Hansa 1100. Au total, la production du constructeur de Brême atteint 88 000 unités en 1957, 89 000 en 1958 et 90 000 en 1959, grâce au succès de la performante Isabella TS, mais la concurrence s’est réveillée et Borgward abandonne sa troisième place et glisse au cinquième rang, supplanté par Mercedes et Ford. Mercedes accroît sans cesse son audience avec ses 180 et 190, tandis que Ford a renouvelé sa gamme de Taunus. 1961 : faillite du groupe Borgward L’année 1960 se termine sur un volume de 85 507 voitures produites par le groupe Borgward. La gamme bien étagée du constructeur se compose alors des Lloyd Arabella, Hansa 1100, Borgward Isabella et Borgward P100. C’est la gamme la plus diversifiée des constructeurs allemands, bien plus que celle de Volkswagen, Opel, Ford, Mercedes ou DKW. Mais justement cette diversification s’avère coûteuse, d’autant plus coûteuse que les quantités produites pour chacun de ces modèles sont insuffisantes pour les rentabiliser. En outre, le modèle le plus produit et le plus rentable du groupe, l’Isabella, est devenu le plus ancien de la gamme, et la clientèle attend sa remplaçante avec une certaine impatience. Peut-être aurait-il fallu lancer la remplaçante de l’Isabella avant la remplaçante de la Hansa 2400. Celle qui doit succéder à l’Isabella existe bien. Elle est signée Frua, et elle est en phase d’études avancées, mais elle doit attendre encore un an ou deux pour parfaire sa mise au point. En janvier 1961, coup de tonnerre, un quotidien allemand titre " Borgward stoppe ses paiements ". La nouvelle relayée à la radio fait l’effet d’une bombe, cette annonce donnant le coup de grâce au constructeur automobile déjà fragilisé. En effet, Carl Borgward s’était trouvé obligé les années précédentes à recourir à l’emprunt, sous la caution du Sénat régional, ce qui lui avait permis notamment de financer les coûteux lancements des Arabella et P100. Ce recours au pouvoir politique est fatal à Carl Borgward, car alors que les premières rumeurs alarmistes courent sur la fragilité financière de son entreprise, il est contraint de la céder au Land de Brême. Le commissaire aux comptes justement nommé au Land étant administrateur de BMW, autre constructeur en grande difficulté à l’époque, la mise en liquidation d’un concurrent gênant lui paraît s’imposer comme étant la meilleure des solutions. C’est ainsi que le groupe Borgward est acculé à la faillite. L’année 1961 se termine par un volume catastrophique de 22 231 voitures produites. Epilogue Après la démarche avortée auprès de la ville de Brême pour renflouer l’affaire, une autre tentative de redressement est engagée avec le groupe américain Chrysler - alors troisième constructeur mondial - qui cherche à s’implanter en Europe. Si les rapprochements avec Simca et Rootes se concrétisent dans les faits, Chrysler renonce finalement à prendre le contrôle de Borgward, à cause de sa santé jugée fragile et de son endettement trop important. La Borgward P100 ne sera jamais située au-dessus de la Simca P60 dans une même gamme d’un groupe à capitaux américains, où la remplaçante de l’Isabella aurait pu prendre l’appellation P80. Cet ultime accord manqué sonne le glas du constructeur de Brême dont le naufrage devient alors inévitable.
Ravagé par le pillage de son groupe industriel après sa mise en cessation de paiement, Carl Friedrich Borgward se retire des affaires, et décède à Brême, sa ville d'adoption, en 1963. L’activité industrielle prend fin en 1962, année au cours de laquelle seulement 663 voitures sont assemblées. La remplaçante de la Hansa 1100 programmée pour 1962 ne verra jamais le jour. Dessinée par le styliste italien Pietro Frua, ce modèle prévu pour recevoir un nouveau moteur de 1300 cm3 sera repris après quelques modifications par le constructeur Glas qui en fera sa berline 1500 dévoilée au Salon de Francfort 1963, et dont la production débutera en 1964 dans sa version 1700 définitive. Sans doute très affecté par la déconfiture de son entreprise, Carl Borgward meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 72 ans le 28 juillet 1963. Voir aussi sur ce site : http://leroux.andre.free.fr/alrborgward.htm
Texte : Jean-Michel
Prillieux |
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