Borgward


Avant guerre


Issu d'une famille nombreuse de négociant d'Hambourg, seul garçon parmi ses douze soeurs, Carl Borgward voit le jour en 1890. Jeune homme, il acquiert très vite la réputation d'un bricoleur passionné. En 1906, il devient apprenti mécanicien. Il passe ensuite deux ans à l'Ecole Technique de Construction Mécanique d'Hambourg, puis est recruté dans une entreprise de construction métallique à Hanovre, tout en suivant des cours du soir.

Après avoir été démobilisé, il rentre en 1919 comme associé dans la firme " Reifen Industrie Gmbh ", en apportant sa participation au capital. Cette société de Brême occupe à l'époque une vingtaine d'ouvriers et produit surtout des jantes et des ressorts. Tout de suite, Borgward prend contact avec un nouveau client potentiel, la société de construction automobile Hansa Lloyd AG. Pour leur compte, il va produire des radiateurs et divers éléments. Bientôt, Borgward rachète les parts de son associé et devient le seul responsable de la marche de son affaire. Les rentrées d'argent ne lui servent pas à consolider l'entreprise, mais plutôt à accroître l'étendue du groupe qu'il va constituer pas à pas.

Les commandes croissantes passées par l'industrie automobile l'incitent à réaliser enfin son rêve : devenir constructeur lui-même. C'est d'abord une motocyclette, mais cette première tentative est un échec. Un peu plus tard, en 1924, il produit avec succès en série un engin à trois roues muni d'un petit moteur de 120 cm3. Entre temps, Borgward s'est associé à un certain Wilhelm Tecklenborg. La seconde version de son petit véhicule à trois roues porte le nom de Goliath. La Goliath Werke Borgward & Co est fondée le 10 janvier 1928. La première pierre d'un futur grand groupe automobile vient d'être posée.

 Wilhelm Tecklenborg (à gauche) et Carl Borgward (à droite) devant la Goliath Pioner en 1936

Le succès de la Goliath permet à Borgward et à son associé d'acheter la SA Hansa AG, qui se trouve en difficulté à la suite de la tension économique générale qui règne au début des années 30. Carl Borgward récupère au passage la marque Lloyd. Il s'agit là d'une nouvelle étape décisive dans l'ascension de notre futur capitaine d'industrie. Il a racheté la totalité des actions d'Hansa pour 4,5 millions de marks alors que rien que le magasin de pièces détachées était valorisé à 8,5 millions de marks.

Dès lors, et jusqu'à la Seconde Guerre, Hansa, Lloyd et Goliath vont produire à Sebaldsbrük dans la région des Brême des utilitaires à trois roues à usage de transport de personnes ou de marchandises, des automobiles de tourisme et des poids lourds. En 1937, l'associé Wilhelm Tecklenborg, inquiet par le mode de gestion de Carl Borgward, préfère se retirer.

Nous allons sur cette page nous intéresser essentiellement aux modèles portant le nom de Borgward. Alors que Hansa va devenir un modèle de Borgward, les marques Goliath et Lloyd vont reprendre après-guerre un semblant d'autonomie en commercialisant jusqu'au début des années soixante des véhicules de petite cylindrée. Même si Borgward s'est engagé en compétition durant les années 50, ce qui a contribué à asseoir sa notoriété, ce sujet n'est pas abordé ici. Il mériterait à lui seul un développement complet.

Carl Borgward dans les années 50, un self made man, fils d'un marchand de charbon


Hansa 1500


En 1945, la production de camions reprend en petite quantité à Brême. Dès 1949, Carl Borgward entreprend la reconstruction de l'outil industriel détruit à 80 % pendant la guerre, afin de mener à bien le grand retour de sa firme sur le devant de la scène, avec ses trois marques automobiles (Lloyd, Goliath et Borgward Hansa) et la production de poids lourds. Il ne reste alors à Brême que 400 travailleurs, sur les 8000 que comptait l'entreprise au début du conflit.

L'usine Borgward de Brême, reconstruite après-guerre

Carl Borgward dévoile au Salon de Genève en mars 1949 la Borgward Hansa 1500, 4 cylindres, 1498 cm3, 48 ch (52 ch à partir de 1952). Il s'agit de la première voiture allemande au style ponton intégral, s'inspirant de ce qui se fait alors aux Etats-Unis chez Kaiser Frazer. Mais c'est aussi la première voiture ouest-allemande inédite de l'après-guerre. Deux carrosseries sont initialement disponibles : un coach deux portes et une berline quatre portes.

Borgward Hansa 1500, le coach deux portes

Borgward Hansa 1500, le tableau de bord

Le coach Hansa 1500 est présenté comme une berline 5/6 places sur ce dépliant diffusé par l'importateur français Saint Christophe Motor installé rue Scheffer à Paris (16 ème arrondissement)

Comme tout grand constructeur qui se respecte, Carl Borgward propose sans tarder une gamme complète, avec deux nouvelles versions : un break et un cabriolet. Celui-ci, carrossé chez Hebmüller, existe en versions deux ou cinq places.

Borgward Hansa 1500, le cabriolet

Borgward Hansa 1500, en version Fourgonnette et Station-Wagon

L'Auto Journal, dans son numéro 20 du 15 décembre 1950, décrit ainsi la Borgward Hansa 1500 :

" A la fin de la guerre, Borgward fut la première des usines automobiles d'Allemagne à retrouver une activité pacifique. Négligeant les nécessités du moment qui portaient tous les techniciens à créer une " petite voiture ", ses ingénieurs étudièrent, mirent au point et réalisèrent en série, dès le début 1949, un modèle de cylindrée moyenne, l'Hansa 1500. On comprend alors facilement la place privilégiée qu'occupe actuellement cette marque au sein de la concurrence allemande qui s'apprête à déferler sur le marché mondial. Elle trouvera en face d'elle la Fiat 1400 italienne, l'Austin A40 et la Singer SM 1500 anglaises et, en France, les Simca et Peugeot qui ne sont que des 1200 cm3, et la Frégate Renault, une deux litres. L'Hansa 1500 se présente sous trois aspects : la berline 4 portes, 5 places, le coach 2 portes, et le cabriolet sport. Les deux premiers ne diffèrent que par la carrosserie, tandis que le dernier a son moteur plus poussé. L'habitabilité fut un des soucis majeurs des ingénieurs lors de la création du prototype. Il est à souligner d'ailleurs que, sur les trois modèles, le chauffage, le dégivreur, l'allume-cigare et le poste radio sont montés en série et sans supplément de prix. Nous trouvons des phares puissants, de larges pare-chocs, un vaste coffre à bagages à l'arrière. La berline peut, d'après le constructeur, offrir une place suffisante pour loger six personnes ...

Près de 10000 ouvriers travaillent dans les trois usines (Goliath, Lloyd, Borgward) de Brême, qui appartiennent toutes au groupe Borgward. Mais seule Borgward proprement dit produit des Hansa. Elle en sort actuellement 60 par jour. Cette cadence est insuffisante pour répondre à la demande et l'accroissement de la production est la principale préoccupation des dirigeants. En France par exemple, où le contingent vient d'être augmenté, il est nécessaire d'attendre trois mois la livraison des véhicules. Le prix de vente dans notre pays atteint 885 000 francs pour le coach 2 portes, 895 000 francs pour la berline 4 portes et 1 375 000 francs pour le cabriolet. "

Borgward Hansa 1500, la berline quatre portes

L'Auto Journal soumet au banc d'essai des 2000 km la Borgward Hansa 1500 dans son numéro 65 du 1er novembre 1952. André Costa apporte les commentaires suivants concernant l'esthétique de la voiture : " Bien que la carrosserie de la Hansa soit d'un dessin relativement récent, il nous paraît difficile de la ranger parmi les créations réellement très réussies. L'aspect général est lourd, les proportions n'ont pas toujours été respectées et les lignes manquent de délié et de légèreté. En revanche, la finition est de bon aloi mais on retrouve souvent - dans le dessin du tableau de bord par exemple - la même lourdeur que dans la caisse .... ".

Il conclut son essai dans les termes suivants : " Au terme de cette étude et compte tenu de tous les détails de sa personnalité, la Hansa Borgward peut être rangée malgré quelques faiblesses importantes parmi les 1500 cm3 de classe internationale, catégorie où l'on compte les élus sur les doigts d'une main. Cette voiture n'est certes pas parfaite, mais elle présente un ensemble de caractéristiques susceptibles de la faire apprécier par une assez large clientèle ".

Dévoilée en mars 1951 au Salon de Genève, la version 1800 (1758 cm3, 60 ch) seconde la 1500, suivie peu de temps après par un modèle diesel (1758 cm3, 42 ch).

Borgward Hansa 1800, le coach deux portes

A partir de 1953, les nouveaux modèles proposés par la concurrence menacent les positions de la berline Hansa. L'Opel Olympia Rekord offre pour 30 % moins cher presque autant de place et des reprises à peine inférieures. En ajoutant 15 % en sus du prix de la Hansa 1800, l'acheteur potentiel peut voir briller l'étoile de Stuttgart au bout du capot de sa nouvelle Mercedes 180.

Les versions 1500 et 1800 cohabitent au catalogue

Borgward Hansa 1800, en version " Kombiwagen "


Goliah et Loyd


Dans le groupe Borgward, Goliath et Lloyd sont aussi très actifs. En mars 1950, Goliath présente la GP 750, dotée d'un moteur deux temps de 700 cm3. En avril, c'est Lloyd qui propose la LP 300, une sorte d'automobile minimum qui répond à un besoin important dans un pays en pleine reconstruction. A cette époque, la Volkswagen est encore extrêmement chère et souffre de très longs délais de livraison. Carl Borgward entend bien en profiter.

Goliath GP 700

Sorte de Trabant avant la lettre, la Lloyd possède une carrosserie en contreplaqué fixée sur une structure en bois qui lui vaudra le surnom de Leukoplasbomber, autrement dit " la bombe Sparadrap ".

Lloyd LP 300

A ces deux modèles s'ajoutent différents utilitaires à trois ou quatre roues, avec différents types de carrosserie. Ce programme de développement industriel très ambitieux permet à Borgward de couvrir presque tous les besoins du marché, de la petite voiture au poids lourd. Un tel programme peut malgré tout surprendre pour le cinquième constructeur allemand, face aux gammes plutôt réduites proposées par ses concurrents.

Goliath GD 750 apparu en mai 1949

Mais malgré cela, l'offre étendue du groupe Borgward présente aux yeux de son dirigeant une lacune importante, à savoir l'absence d'une automobile statutaire capable de rivaliser avec les BMW et Mercedes, voire avec la plus populaire Opel Kapitän.


Hansa 2400


Après une présentation à la presse au mois d'octobre 1952, c'est au Salon de Bruxelles de janvier 1953 que la version définitive de la Borgward Hansa 2400 fait ses débuts officiels. Face à l'Opel Käpitan très américanisée, à la classique Mercedes 220 ou à la BMW 501 très typée, la Borgward se démarque par son design très aérodynamique, susceptible de séduire les tenants d'une certaine originalité. Celui-ci rappele les Tatra d'avant-guerre. Il n'y a rien de surprenant à cela, puisque la 2400 a été conçue sous la conduite de l'ingénieur Ubelacker, ancien de la firme tchèque.

Borgward 2400, 1953/1958

Opel Kapitän, 1951/1953

Mercedes 220 (W187), 1951/1955

BMW 501, 1952/1958

Le nouveau six cylindres de 2337 cm3 développe une puissance de 82 ch. Il permet une vitesse de pointe de l'ordre de 150 km/h, de quoi soutenir la comparaison avec ses rivales désignées. L'acheteur peut choisir l'option Hansa-Matic, la première transmission automatique figurant au catalogue d'un constructeur allemand, et même la première du genre en Europe. Sur les marchés où la concurrence internationale s'exprime librement, c'est-à-dire ceux sans production automobile nationale significative, la Borgward 2400 se situe en général au niveau des 8 cylindres américaines, parfois sous les tarifs de la Mercedes 220, mais 30 % au-dessus du prix d'une Citroën 15 CV.

La Borgward Hansa 2400 n'est pas une réussite esthétique, et semble plutôt dater de l'époque où l'on assistait aux premiers balbutiements de l'aérodynamique.

Hélas, l'originalité, la technique et les performances ne constituent pas forcément des arguments suffisants pour séduire une clientèle importante. Sans doute trop typée, trop aérodynamique, manquant d'image, la Borgward 2400 ne convainc guère. Et ce n'est pas l'arrivée au mois de mars 1953 d'une version à malle arrière saillante, baptisée Pullman, qui permet de changer la donne.

D'apparence plus statutaire que la berline 2400, la Pullman bénéficie d'un habitacle plus spacieux, en raison d'un empattement augmenté de vingt centimètres, supplément exclusivement dévolu aux occupants de la banquette arrière. Plus chère d'environ 16 % que la berline, cette version Pullman est plus particulièrement destinée à ceux qui peuvent s'offrir les services d'un chauffeur. Une séparation à vitre coulissante est d'ailleurs disponible contre supplément.

Borgward Hansa 2400 Pullmann

Avec 96 voitures fabriquées en 1952, 670 en 1953, 189 en 1954 et 77 en 1955, on arrive péniblement à 1 032 exemplaires en trois ans et demi, soit bien en dessous du seuil de rentabilité. Une paille quand on sait que sur trois ans, de 1951 à 1953, Opel a produit 48 562 exemplaires de sa Kapitän, et Mercedes, de 1951 à 1955, 16 154 berlines 220 de la série W187.

Dans le courant de l'été 1955, même si la 2400 n'est plus la priorité pour Borgward, elle bénéficie d'une petite remise au goût du jour. La berline aérodynamique est retirée du catalogue, et la Pullman adopte des ailes plus saillantes. Sa puissance grimpe à 100 ch. L'aménagement intérieur est revu, avec un nouveau tableau de bord.

Borgward Hansa 2400 Pullmann après le lifting de l'été 1955

Au printemps 1957, la 2400 Pullman reçoit un moteur dont la cylindrée est très légèrement réduite. En réalité, le six cylindres reprend désormais les cotes de celui de l'Isabella 1500 (voir ci-après), ce qui lui procure une cylindrée de 2240 cm3. Les différentes évolutions sont sans effet sur les ventes, et seulement 356 acheteurs signent un bon de commande jusqu'à la fin de 1958. Heureusement, le succès de l'Isabella et le score raisonnable des Lloyd et Goliath permettent au groupe de maintenir sa trésorerie à flot ... pour l'instant.


Isabella


Borgward Isabella

En 1954, les 1500 (1949) et 1800 (1952) sont déjà démodées avec leurs lignes austères héritées de l'après-guerre. Carl Borgward s'empresse de faire étudier un nouveau modèle pour les remplacer, et satisfaire une demande qui se maintient à un niveau élevé. Le public allemand est avide de nouveautés, il a foi en un avenir radieux, et il est bien décidé à consommer sans modération, dix ans après la fin des années les plus sombres de son histoire.

Surtout, une nouvelle clientèle est en train d'émerger, à la recherche d'une automobile qui ne soit pas " de grande série ", tout en demeurant abordable financièrement. Le redressement économique du pays procure du pouvoir d'achat à cette catégorie de la population, qui regroupe pour l'essentiel de jeunes cadres et les professions libérales.

A cette époque, le groupe Borgward se porte bien. Le succès de ses modèles populaires lui apporte une certaine aisance financière, de quoi étudier en ayant les mains libres un modèle plus ambitieux. Mais la vie à Brême n'est pas de tout repos pour les cadres et ingénieurs. Le développement du nouveau modèle est mené en à peine un an. C'est très peu quand on connaît le résultat fourni par le bureau d'études, qui travaille dans des conditions difficiles.

Les journées commencent souvent à 6 heures du matin pour se terminer vers 22 heures, et nombre de salariés emportent du travail à la maison le dimanche ! A l'époque, les contrats de travail chez Borgward, y compris ceux des directeurs, prévoient un délai de préavis d'un mois ... On imagine aisément la tension qui doit régner au sein de l'usine.

Les premiers prototypes de la nouvelle voiture font leurs premiers tours de roues au mois de janvier 1954. Les essais ne sont pas de tout repos. Plusieurs prototypes sont victimes d'accidents, plus au moins importants, au point que certains d'entre eux sont totalement détruits. Finalement, la Borgward Isabella est présentée en juin 1954.

" Au volant de l'Isabella, on a cette agréable sensation d'être le maître absolu de sa voiture. La position du volant - sportive, presque verticale - fait qu'on l'a immédiatement bien en main ".

Carl Borgward s'est personnellement investi dans la naissance de l'Isabella. Il en a tracé notamment les lignes, à partir de maquettes au 1/5 ème qu'il a exécuté lui-même. Son dessin est moderne, dans l'air du temps, avec un vaste pare-brise et de fins montants de pavillon.

Borgward Isabella

L'origine de la dénomination " Isabella " peut faire sourire. Tout a commencé au moment où les prototypes ont du affronter leurs premiers kilomètres. Dans le souci de garder le secret entourant la conception de la voiture, on a demandé à Carl Borgward quel nom d'emprunt afficher sur la carrosserie. " Vous n'avez qu'à l'appeler Isabella, cela m'est complètement égal ", aurait-il répondu.

Interrogé bien des années plus tard sur cette question, son fils Claus raconta qu'à l'occasion de vacances en Espagne au cours de l'été 1953, la tenancière de l'hôtel où était descendu le couple Borgward, prénommée Isabella, aurait fait les yeux doux à son père, sous le regard courroucé de son épouse Elisabeth. " C'est certainement la raison pour laquelle ce nom lui est venu spontanément à l'esprit " concluait-il. Discrètement suggéré par certains ingénieurs à la presse spécialisée, le nom d'Isabella séduit plusieurs journalistes qui finissent par convaincre Carl Borgward lui-même de l'adopter.

L'Isabella n'est pas franchement révolutionnaire avec son 4 cylindres de 1493 cm3 d'une puissance de 60 ch. Cela permet tout de même de tenir un vrai 135 km/h, au prix d'une consommation moyenne de 9 litres aux 100 km. Comme c'est souvent le cas en Allemagne et en Europe du Nord (mais pas en France) sur les modèles concurrents, l'Isabella n'est dotée que deux larges portières. Cette disposition permet de réduire le coût de production, tout en offrant plus de rigidité que sur une quatre portes. L'habitabilité est jugée satisfaisante et le coffre de bonne contenance. L'usine s'attache à proposer une qualité de finition au-dessus de la moyenne.

Borgward Isabella

Dans l'ensemble, la presse spécialisée se montre séduite par l'Isabella. L'esthétique, les qualités routières et le rendement du moteur ne suscitent que des éloges. La concurrence allemande prend subitement un coup de vieux. Le succès est au rendez-vous. Chez Opel, Ford, Volkswagen et Mercedes, on n'a pas vu venir l'Isabella. Ceux-ci ne se privent pas pour répandre des critiques sur la robustesse de la voiture. A ce prix, son constructeur a certainement du opérer à des concessions sur la qualité ... laissent ils sous-entendre.

Malgré tout, en fin d'année 1954, Borgward a assemblé 11 298 Isabella en un peu plus de six mois, alors que durant sa meilleure année, en 1951, la Hansa 1500/1800 n'a été produite qu'à 9363 unités. Elle n'est pourtant pas particulièrement bon marché. En 1955, elle coûte dans son pays 7200 DM, contre 4850 DM pour la Volkswagen, 5850 DM pour l'Opel Olympia et 6735 DM pour la Ford 15M. Mercedes avec sa berline 180 se positionne un cran au-dessus, à 9950 DM. Mais même à ce prix, Borgward doit se contenter d'une faible marge bénéficiaire. Il faut donc produire en nombre pour assurer la pérennité de l'entreprise. En Europe, ses autres rivales sont les Fiat 1400, Ford Consul, Vauxhall Wyvern, en attendant la sortie de la Peugeot 403.

Carl Borgward a énormément misé sur sa nouvelle Isabella. Son lancement a mobilisé une bonne partie de ses capacités industrielles, avec pour conséquence le retrait de toute la gamme des Hansa 1800, qui comportait plusieurs variantes de carrosseries. Après des débuts euphoriques, le constructeur de Brême doit cependant déchanter, et ce dès 1955.

Borgward Isabella

Les premiers clients essuient en effet les plâtres d'un lancement trop hâtif et d'une mise au point insuffisante. Sur certaines voitures, la peinture s'écaille prématurément, sur d'autres, les portes ne ferment plus, sur beaucoup l'étanchéité laisse fortement à désirer. L'insonorisation est insuffisante et le câble de frein à main se détend rapidement. Plus grave, des ruptures au niveau de l'essieu arrière provoquent des accidents. L'usine est obligée de rappeler les premières voitures fabriquées pour corriger ces défauts. Et certains moteurs ne sont pas épargnés par de multiples soucis. La concurrence peut dès lors et avec raison se permettre de ricaner. Ces problèmes donnent évidemment pas mal de soucis à Borgward qui va se montrer assez large dans l'application de la garantie. Evidemment, le constructeur s'attache à rendre les voitures sortant de chaîne plus fiables.

En dehors de ces premiers problèmes, il faut retenir l'attention du public en proposant de nouvelles versions, capables de répondre à la multitude des besoins. Il est aussi impératif de répliquer commercialement aux attaques de Ford et d'Opel. En mai 1955, un break dénommé " Combi " avec une surface latérale vitrée ou tôlée vient épauler la berline deux portes, puis très rapidement un cabriolet 2 + 2. Un prototype de berline à quatre portes est projeté, mais sans connaître de prolongation en série.

En décembre 1956 un certain nombre de changements cosmétiques permettent de parler d'évolution du modèle. La grille de calandre perd son quadrillage et le mot " Isabella " remplaçe l'inscription " Hansa 1500 " dans le losange qui fait office de logo. Les trous d'aération sous la calandre sont supprimés, les enjoliveurs de phares gagnent une visière, etc ... A l'automne 1957, Ford et Opel poursuivent leur offensive, et présentent d'une part la Taunus 17M, d'autre part la Rekord P1. Les filiales des deux géants américains n'entendent pas se faire malmener par ce " petit " constructeur régional sans riposter.

" Borgward Isabella, une voiture unique dans sa classe ", ici une version postérieure à décembre 1956

Outre l'usine de Sebaldsbrück près de Brême, sept usines étrangères assemblèrent l'Isabella dans le monde : en Australie, Nouvelle-Zélande, Indonésie, Philippines, Afrique du Sud, Argentine et Belgique. Quelques voitures furent aussi produites au Brésil vers 1955.


Isabella Cabriolet


Le cabriolet n'a pas été imaginé par Borgward, mais par le carrossier Deutsch, dont les ateliers de Braunsfeld dans la banlieue de Cologne se sont spécialisés dans la fabrication de cabriolets en petite série, en particulier sur base de Ford Taunus.

Borgward Isabella Cabriolet

Après avoir acheté dès l'été 1954 un châssis d'Isabella, Deutsch réalise un prototype de cabriolet, qui est présenté à Carl Borgward en fin l'année. Séduit, celui-ci accepte tout de suite de l'intégrer dans sa gamme, assurant ainsi une heureuse succession aux anciens cabriolets Hansa 1500 et 1800 naguère produits chez le carrossier Hebmüller. Le cabriolet sera fabriqué pendant toute la durée de vie du modèle, mais évidemment à cadence réduite en raison d'un prix de vente élevé. Environ un millier d'exemplaires auraient été assemblés en six ans.

Borgward Isabella Cabriolet, la calandre grillagée permet d'identifier un modèle antérieur à décembre 1956.


Isabella TS


Au Salon de Francfort 1955, en septembre, Borgward dévoile l'Isabella TS. Cette désignation TS qui fait référence à " Touring Sport " est à cette époque inédite dans le milieu automobile. Depuis, de nombreux constructeurs en ont usé et abusé. Elle évoque évidemment une évolution sportive.

La Borgward TS, avant (en gris) et après (en bleu) décembre 1956

Avec une cylindrée identique, mais par le biais d'un taux de compression en hausse et d'un nouveau carburateur Solex, sur la TS la puissance passe de 60 à 75 ch, et la vitesse maximale atteint 150 km/h. Par ailleurs, quelques améliorations par rapport à l'Isabella " normale " rendent l'utilisation de la TS plus agréable. Ainsi la banquette avant est remplacée par deux vrais sièges séparés, à dossier réglable dans toutes les positions jusqu'à former couchette, et l'équipement s'enrichit d'un cerclo-avertisseur chromé et d'un retour automatique des clignotants.

Borgward Isabella TS. Visuellement, elle se distingue de la version normale par ses feux de position sur les ailes avant.

Les publicités pour l'Isabella n'ont de cesse de la présenter en compagnie de séduisantes créatures au charme nordique discret.

Sans s'en rendre compte, Borgward, qui fait oeuvre de pionnier, vient de créer un nouveau concept automobile, celui de la familiale sportive et cossue, qui sait rester abordable - 8240 DM pour la TS contre 7265 pour la version " normale " - et dont la polyvalence est susceptible de combler le père de famille adepte de bonnes performances. Seul Alfa Romeo manifeste une présence sur ce segment de marché, avec ses 1900 Ti et Ti Super. BMW pour sa part va s'engouffrer dans cette brèche au début des années 60.

Le succès de cette version TS est manifeste, jusqu'à représenter près de 40 % des Isabella assemblées. La voiture s'exporte plus que n'importe quelle autre Borgward jusque là, au Benelux, en Suède, en Suisse ou en Autriche .... Même aux Etats-Unis, le célèbre importateur new-yorkais Max Hoffman, qui gère déjà la carrière outre-Atlantique des Porsche, Mercedes, BMW, Alfa Romeo ... tombe sous le charme de l'Isabella.

Publicité parue dans L'Année Automobile pour la Borgward Isabella TS

Le cas de la France est un peu particulier. En dehors des moyens financiers conséquents qu'il est évidemment nécessaire de posséder pour s'offrir une voiture étrangère dans un marché très protégé, s'afficher dans un modèle d'Outre-Rhin peut encore susciter à cette époque un certain malaise auprès de ses contemporains. Ce n'est pas encore un signe de réussite sociale.

Pourtant, un importateur indépendant va s'efforcer de faire connaître Borgward dans l'Hexagone. Il s'agissait de la société Saint Christophe Motor, installée rue Scheffer dans le 16ème arrondissement de Paris, qui assure la distribution de la marque jusqu'à sa disparition. Alors que les constructeurs français sont encore réticents à cette époque à prêter leurs nouvelles voitures à la presse spécialisée, chez Saint Christophe Motor, on a pris soin de nouer des contacts étroits avec les journalistes spécialisés, en mettant facilement les nouveaux modèles à leur disposition.

L'automobile N ° 157, mai 1959, publicité parue dans " La rubrique des importateurs "

Le journaliste Claude Vogel décrit ainsi le coach Isabella TS dans le numéro 129 de janvier 1957 du mensuel l'Automobile :

" Il s'agit non pas d'une voiture de sport réservée à une seule élite de conducteurs, mais d'une version améliorée, plus dynamique de l'Isabella. Si l'on veut une comparaison, l'Isabella TS est à l'Isabella normale ce que la 1063 est à la 4 CV de série ... l'Isabella TS est une voiture souple, sobre et confortable, qui permet des déplacements à grande distance sans fatigue ; mais son tempérament impulsif séduira sans nul doute le conducteur sportif préoccupé par la recherche de la performance pour la performance ... La Borgward Isabella n'est pas seulement une voiture de grande classe, elle est aussi fort élégamment dessinée. Seul le losange, signe distinctif de la marque, surcharge quelque peu la calandre .... Il est indéniable que l'Isabella TS, si elle était librement importée en France remporterait un vif succès. Les chiffres d'exportation de la firme Borgward disent d'ailleurs éloquemment l'engouement qu'elle a suscité de par le monde. C'est une voiture très homogène, puissante et racée, qui se prête à de multiples usages. Malheureusement, son prix de vente en France (1 280 000 francs) est tel qu'il n'en permet pas la diffusion. "

A titre de comparaison, en janvier 1957, une 403 s'affiche à 750 000 francs, une DS 19 à 940 000 francs et une Frégate Grand Pavois à 981 500 francs.

Borgward Isabella TS

Afin de combler le vide créé entre l'Isabella TS et le Coupé TS, et de maintenir l'attention du public, une Isabella TS De Luxe fait son apparition en janvier 1957. Le " luxe " réside en l'occurrence dans l'adjonction de chromes, une présentation bicolore et la présence de pneus à flancs blancs.

Les chiffres de production font état de 11 298 Isabella (Berline et Cabriolet, le Combi n'est pas encore disponible) en 1954, 26 333 en 1955 dont 1 760 Combi, 20 656 en 1956 dont 3 129 Combi, 29 736 en 1957 dont 7327 Combi, 27 359 en 1958 dont 7 199 Combi, 35 619 en 1959, dont 8 480 Combi, 33 081 en 1960 dont 7 242 Combi, 9 194 en 1961 dont 2 205 Combi et 23 en 1962 dont 4 Combi. Cela conduit à un total de 193 456 voitures, dont 37 346 Combi.


Coupé Isabella TS


Le Coupé Isabella TS présenté en octobre 1956 entre en production en février 1957. Il s'agit sans aucun doute du modèle le plus singulier jamais proposé par Carl Borgward. C'est aussi incontestablement son chef-d'oeuvre, car notre homme a beaucoup donné de sa personne pour concevoir cette voiture. Celle-ci, et il convient bien d'employer le féminin tant ses lignes, avec ses hanches arrondies, évoquent la féminité, marqua durablement les esprits et demeure de nos jours le modèle le plus emblématique de la marque, une sorte de joyau, mais aussi de cadeau d'adieu.

Borgward Isabella Coupé, L'Année Automobile n° 6 1958/59

La dessin de la carrosserie, décalé par rapport aux canons esthétiques de l'époque, est on ne peut plus baroque. La découpe latérale de la caisse autorise une finition en deux tons de peinture. La longue poupe arrière nous ramène au temps des business coupés américains des années 50, tandis que la générosité des courbes rappele le coupé Karmann Ghia contemporain. La voiture n'offre que deux places, mais un vaste coffre. A ce titre, elle s'inspire dans l'esprit, toute proportion gardée, des
Duesenberg ou Hispano Suiza des années 30, où le vrai chic consistait à n'offrir que deux places sur un immense châssis.

Après la familiale sportive qu'est le coach Isabella, Borgward invente le coupé bourgeois. Cette catégorie d'automobile va elle aussi être appelée à un grand succès à partir des années 60, en particulier chez les constructeurs allemands, qu'il s'agisse de la BMW 2000 CS de 1965, du coupé Mercedes 250 C de la même année, ou plus tard de l'Opel Monza de 1978 ... Le Coupé Isabella va connaître un succès appréciable, malgré un prix de vente supérieur de 30 % à celui d'un coach Isabella TS.

Chef d'euvre personnelle de Carl Borgward, le coupé Isabella représentait son rêve accompli

En août 1959, le journaliste P. Nierdermann essaye le coupé Borgward TS pour le magazine l'Automobile :

" Le coupé Isabella n'est nullement une voiture de sport. Le constructeur n'a d'ailleurs aucune prétention à ce sujet. Il faut d'emblée considérer cette 1500 comme une voiture de tourisme rapide et cette opinion nous a été confirmée au cours des quelque 6000 km que nous avons eu l'occasion d'effectuer ... De prime abord, on se rend compte que le coupé Isabella n'est nullement une voiture populaire bien que son prix d'origine n'ait rien d'excessif. L'aménagement extérieur peut être qualifié de luxueux à tous les points de vue ... Quant aux sièges du coupé Borgward, ils méritent vraiment des éloges. Il s'agit de véritables sièges couchettes avec un rembourrage très généreux et qui permettent une conduite très relaxée. La petite banquette arrière permet à la rigueur de transporter un passager sur un petit trajet, mais un coupé sera toujours une voiture d'égoïste ... Les ingénieurs de Borgward ont réussi à tirer 75 ch de leur 4 cylindres 1500 cm3 et cela n'est pas superflu car, compte tenu du poids de 1050 kg, les accélérations restent honnêtes, sans plus ... En conclusion, le coupé Borgward est certainement une des plus jolies voitures que l'on puisse trouver actuellement en Allemagne. Le prix en France de ce modèle est de 2 170 000 francs ce qui est évidemment beaucoup. Mais on connaît la part du lion que l'Etat se réserve sous forme de taxes et de douane sur le prix des voitures étrangères. Nous dirons encore une fois que ce coupé ne veut pas être un modèle de sport, mais qu'il faut le considérer comme une voiture de tourisme rapide. A ce titre, il est très agréable à conduire et non moins agréable à l'oeil ".

" Les conducteurs et conductrices sportifs qui malgré la fatigue de la vie d'affaires, ont su garder un coeur jeune, trouvent la voiture de leur choix dans l'Isabella Coupé. Son élégance de bon goût, sa sportivité et le choix de l'équipement font de cette voiture à deux places un régal pour amateur des voitures de race. "

Le coupé Isabella est produit en 9357 exemplaires, selon la répartition suivante : 4 en 1956, 1115 en 157, 2351 en 1958, 2622 en 1959, 3039 en 1960 et 406 en 1961. Ces chiffres s'ajoutent à ceux des versions berline, cabriolet et break.

En France, le Coupé Isabella TS est affiché à 1 925 000 francs en octobre 1957. Il est vrai que le prix des voitures est grevé de 62 % de frais de douanes. A l'époque une DS 19 coûte 1 069 000 francs, et un coupé Talbot 2 400 000 francs. Dans ces conditions, et malgré la bonne volonté de l'importateur, on comprend que la diffusion du Coupé Isabella soit restée confidentielle.

Consécration ultime, le Coupé Isabella TS aura en 1978 l'honneur d'être exposé au Metropolitan Museum of Modern Art à New York.

L'importateur français persévère avec l'Isabella TS. Il fermera boutique en 1961, entraîné par la chute de Borgward. L'Automobile N° 152, décembre 1958.


Une période d'entre deux


Le groupe Borgward semble ne s'être jamais aussi bien porté qu'en cette fin des années 50. Avec trois marques automobiles encore en activité, et un peu plus de 100 000 voitures produites par an, l'entreprise de Brême se place à la quatrième place des constructeurs allemands, après Volkswagen, Ford et Opel. L'Isabella est à son apogée. Le secteur véhicules industriels répond à tous les besoins, en produisant une flopée d'engins, depuis le triporteur Goli jusqu'à une gamme complète de camions.

Carl Borgward affiche encore un beau sourire, mais bientôt les problèmes vont s'accumuler.

Pourtant, cette prospérité est surtout apparente. Le succès de l'Isabella dissimule les faiblesses du groupe, confronté avec ses différentes marques à des gammes trop étendues, à un volume de ventes limité pour chaque modèle, et donc à une faible rentabilité. Les nuages vont rapidement s'amonceler. Un nouveau modèle va contribuer à faire plonger définitivement la marque Borgward : la 2.3 litre.

S'y retrouver dans le maquis des appellations des modèles sortis des usines de Brême Sebaldsbrück requiert une patience d'archéologue. Les notions élémentaires d'économie d'échelle sont peu connues, ou du moins pas appliquée.


Borgward 2.3 litres


En septembre 1959, au Salon de Francfort, le public découvre cette nouvelle grande berline, dont les lignes tranchent de manière heureuse avec celles de sa devancière, la 2400 disparue en 1958. Dotée d'un pare-brise et d'une lunette arrière généreusement galbée, mais aussi de vastes surfaces vitrées latérales et d'ailerons, le public ne peut que constater la similitude des lignes de la Borgward 2.3 litre avec celles de sa concurrente directe, la Mercedes 220 S.

Sous son capot, on retrouve le 6 cylindres 2240 cm3 de 100 ch déjà proposé en fin de carrière sur l'ancienne 2400, qui lui autorise une vitesse de pointe de 160 km/h. Avec 1275 kg sur la balance, la nouvelle 2.3 est plus légère que la Pullman de près de 300 kg, grâce à sa coque autoporteuse, qui repose sur une plate-forme à poutre centrale suivant une conception semblable à celle de l'Isabella. Carl Borgward semble légitime à fonder de grands espoirs sur cette nouveauté.

Borgward 2,3 litre

Au Salon de Bruxelles, en janvier 1960, la grande Borgward, type P100 pour l'usine, affiche plus que jamais de grandes ambitions. En effet, le modèle exposé est doté d'une suspension pneumatique, et non hydropneumatique comme chez Citroën. " L'air à la place de l'acier " clame le dossier de presse édité pour l'occasion. Il faut en effet prêter garde et contourner les brevets déposés par le constructeur de Javel. Cette innovation est disponible contre un supplément de 800 DM à ajouter au prix de base de 12 350 DM. Véritable vitrine du savoir-faire de Borgward, cette suspension inédite confère un agrément de conduite indéniable, au prix d'une évidente complexité et de répercussions immédiates sur le prix de revient. La 2.3 litres n'entre finalement en production que le 1er août 1960. En Allemagne, Borgward peut se prévaloir d'avoir reçu plusieurs commandes de personnalités en vue.

Le dynamique importateur français Saint Christophe Motor doit composer avec un prix de vente élevé : 26 000 francs en 1961, quand une Kapitän L est facturée 15 870 francs et une DS 19 seulement 15 550 francs. Une Jaguar 2,4 litres au prestige mieux assuré coûte 25 400 francs. Même sa plus directe concurrente, la Mercedes 200 S, est moins chère à 25 300 francs.

Borgward 2,3 litre

Les chiffres de production font état de 6 voitures en 1959, 863 en 1960, 1680 en 1962 et 38 en 1963, soit un total de 2587 exemplaires. C'est beaucoup comparé aux 1388 exemplaires de la Borgward 2400 assemblés de 1952 à 1958, mais ridiculement faible face à la concurrence. Sur la même période, Mercedes a produit 192 456 exemplaires de sa berline 220 et Opel pas moins de 143 846 Kapitän. Même BMW fait mieux, avec 5001 unités de ses antiques 2.6 et 3.2, héritières des 501 et 502.

Borgward 2,3 litre


Epilogue


Le groupe de Brême subit d'importants problèmes de trésorerie. L'échec de la 2400, le coût des études de 2,3 litre, la mévente de la petite Lloyd Alexander en fin de carrière, et pire encore, de la nouvelle Lloyd Arabella commercialisée à l'automne 1959, qui subit durement la concurrence de la DKW Junior, de la VW Coccinelle et de la BMW 700, malgré un prix relativement bas, sont de nouveaux boulets que traîne Borgward.

Le niveau des ventes correct de l'Isabella ne suffit pas à compenser les pertes. Les formes rondes du modèle phare de la marque vont rapidement se démoder face aux assauts de la concurrence, Ford et Opel en tête. Ceux-ci proposent désormais dans la même catégorie des berlines quatre portes, bien plus commodes que les deux portes de l'Isabella. Aux Etats-Unis, marché majeur pour Borgward, les géants de Détroit se sont réveillés, bien décidé à contrer les imports européens, avec de nouveaux modèles compacts, Chevrolet Corvair et Ford Falcon en tête. A la même époque, Renault subit les mêmes déconvenues outre-Atlantique pour les mêmes raisons.

La personnalité de Carl Borgward n'est pas étrangère aux embarras que subit l'entreprise. La réussite extraordinaire des débuts, tout comme les difficultés financières de la fin des années 50 résultent en effet d'une même cause. Carl Borgward est un constructeur passionné, qui se désintéresse de certains aspects de la construction automobile : études de marché, organisation rationnelle de l'entreprise, essais poussés afin de mettre sur le marché un modèle au point ... tout cela le laisse indifférent.

Ce qui compte pour lui, c'est de créer de nouveaux modèles. Borgward est son propre chef, constructeur et styliste. Il passe beaucoup de temps dans son atelier de dessin et de modèles réduits, situé tout près de son bureau. Il s'est même fait installer un atelier dans sa demeure privée. Ceci explique sans doute que le groupe Borgward ait produit plus de nouveaux modèles qu'aucun autre constructeur allemand entre 1945 et 1961.

Le programme de fabrication n'a jamais été le fruit de longues discussions d'un conseil d'administration ou d'un comité de direction avec vote et résolution prise à la majorité. Il résultait de la volonté d'un seul homme, d'une personnalité qui en 1960 avait déjà 70 ans, et qui n'avait pas encore préparé ses deux fils à le remplacer.

Depuis de nombreux mois déjà, Carl Borgward a entamé des pourparlers avec Nordhof, le directeur général de Volkswagen, sans suite. Il en est de même des négociations avec Ford, Chrysler, Mercedes et BMW. Carl Borgward reste seul, sans cercle d'amis dans la finance ou dans la politique. Pendant ce temps là, des milliers de voitures invendues s'accumulent sur les parkings de l'usine.

Carl Borgward fait encore la une de Der Spiegel dans son édition du 14 décembre 1960. Quelques semaines plus tard, l'hebdomadaire n'hésitera pas à contribuer à sa chute.

La situation est telle que Carl Borgward est contraint de prendre une hypothèque sur ses importantes propriétés foncières personnelles, et de licencier 2000 ouvriers sur un total de 20 000 personnes. Le 31 janvier 1961, le journal Der Spiegel, téléguidé par BMW et sans doute Mercedes, deux de ses plus importants annonceurs publicitaires, consacre quatorze pages aux difficultés financières de Borgward, annonçant en titre que l'entreprise est en cessation de paiements. En quelques jours, c'est la panique. Les acheteurs annulent leur commande, les créanciers viennent toquer à la porte de Carl Borgward pour réclamer le règlement immédiat de leurs factures, les salariés cessent le travail et réclament des explications ...

Le 5 février 1961, la banque qui a consenti un nouveau prêt à Borgward se voit refuser la caution du Sénat du land de Brême. Celui-ci décide de cesser de soutenir la société à laquelle elle a déjà consenti par le passé certains allègements fiscaux. La catastrophe éclate. Le groupe Borgward s'écroule. Quelques jours plus tard, un communiqué de presse annonce que l'entreprise va être absorbée par une nouvelle société par actions constituée par le gouvernement de Brême. Cette structure va reprendre l'affaire en main. Carl Borgward doit se résoudre à perdre son fauteuil de président. Il devient simple administrateur de la nouvelle entité. Les autorités allemandes ne font pas grand-chose pour sauver l'un des fleurons de leur industrie automobile.

Avec Carl Carl Borgward disparaît le dernier chef absolu de l'automobile allemande. Pendant 40 ans, il a régné seul et sans contrôle, sur son entreprise qui en 1960 assure encore 9 % de toute la production des voitures de tourisme Outre-Rhin (Volkswagen 33 %, Opel 16,7 %, Ford 8,5 %, Mercedes 7,6 %, Auto Union 6,4 % ...). C'est l'un des rares industriels de l'automobile à être resté de bout en bout à la tête de la firme qu'il a fondée.

L'expert financier qui est nommé pour reprendre en main l'affaire s'est déjà fait un nom en Allemagne en élaborant et en appliquant avec succès un programme d'assainissement chez BMW. Il fait savoir aux médias que la production continue normalement. De vastes placards publicitaires occupant parfois une page entière sont publiés dans la presse allemande, annonçant que Borgward poursuit ses activitsé et que le service après-vente, les réparations et l'entretien sont assurés sans la moindre interruption.

Mais la réalité était plus rude. En 1962, Borgward n'assemble que 38 berlines 2.3 litre et 23 Isabella, avant que n'intervienne la liquidation finale. C'est une triste fin pour une société dont les voitures furent toujours intelligentes, originales et de bonne qualité. Glas et NSU feront la même triste expérience quelques années plus tard. En France, Panhard qui présentait certaines analogies avec Borgward, subira le même sort en 1967.

Par contre, tandis que Borgward s'écroule, BMW dont on annonçait une potentielle reprise par Borgward en 1957, connaît une nouvelle jeunesse, avec sa berline 1500 présentée au Salon de Francfort en septembre 1961. Celle-ci s'apprête en quelque sorte à récolter l'héritage de Borgward, et bien souvent les clients de son aînée. Mercedes pour sa part rachète l'usine de Brême Sebaldsbrük.

BMW 1500, ce à quoi aurait pu ressembler une Borgward des années 60

Carl Borgward décède d'une insuffisance cardiaque, le 28 juillet 1963, sans doute miné par la déconfiture de son entreprise. Il avait 73 ans.


Le premier " revival "


Une partie des outillages de Brême sont rachetés par un consortium mexicain piloté par Gregorio Ramirez, un magnat de l'industrie du poids lourd, qui prévoit de remettre en production l'Isabella dans une version réactualisée, ainsi que la 2,3 litre. Au final, seule cette dernière est retenue, mais cinq années vont s'écouler avant de pouvoir se porter acquéreur au Mexique de la grande berline Borgward.

C'est en effet fin 1967 que la FANASA (FAbrica NAcional de automoviles SA ) commence à produire son modèle 230 dans une nouvelle usine installée dans la région de Monterrey, à Escobedo. A la fermeture de l'usine de Brême, quelques techniciens ont préféré poursuivre l'aventure en Amérique du Sud, plutôt que de rester dans un pays qui n'avait rien fait pour sauver leur entreprise.

Borgward 230 GL

L'offre de la FANASA est plutôt diversifiée, puisque l'acheteur a le choix entre quatre versions : la 230 Standard sans ailerons arrière dotée d'un équipement simplifié, la GL pratiquement semblable à la voiture commercialisée en Europe en 1961, la 230 RS dont le moteur développe 125 ch grâce à la présence de deux carburateurs, et enfin la 230 Limousine qui ressuscite l'esprit de l'ancienne 2400 Pullman, avec un empattement allongé et six glaces. La 230 perd au Mexique sa complexe suspension pneumatique pour retrouver de plus classiques ressorts hélicoïdaux à l'avant et des lames à l'arrière.

Les objectifs sont ambitieux. Les dirigeants de la FANASA sont persuadés d'atteindre une production mensuelle de 450 unités dès 1969, pour arriver à 1500 voitures à l'horizon 1970. Pour cela, il est impératif de pouvoir en exporter dans les pays environnants, voire en Allemagne. Mais l'expérience ne s'avère guère plus rentable au Mexique qu'en Europe. La nouvelle usine ferme ses portes en 1970, avec un maigre palmarès de production : 2267 exemplaires.

Borgward 230 standard


Le deuxième " revival "


Une nouvelle tentative de ressusciter l'Isabella est le fait d'une petite société établie à Munich, qui propose en 1978 une Borgward Isabella 23. Il s'agit de la curieuse association du moteur 2,3 litre de la Borgward P100 avec la carrosserie d'une AMC Concord américaine, proposée en berline, en coupé et en break. Cette fantaisie ne débouchera sur rien de concret, et un seul prototype semble avoir été construit.

Borgward Isabella 23


Le troisième " revival "


Si Borgward avait poursuivi sa voie, cette marque aurait pu être aujourd'hui l'égale des Audi, BMW et Mercedes. Si le nom demeure connu en France par seulement une poignée d'amateurs d'automobiles anciennes, le public allemand a conservé une réelle ferveur pour la marque. C'est dans cet esprit que depuis de nombreuses années circulent des informations de son éventuel retour sur le devant de la scène.

Projet d'une Borgward pour 2006 paru dans Auto Bild

Christian Borgward, petit-fils de Carl Borgward, s’emploie depuis le milieu des années 2000 à mener à bien sa résurrection. Après plusieurs années d'efforts, l'équipe qu'il a constituée autour de lui a présenté à Francfort en septembre 2015 le BX7, un véhicule qui s'inscrit dans la catégorie des SUV premium, sur un marché où les BMW X3, Mercedes GLC, Audi Q5 et Porche Macan sont déjà bien installés.

Esthétiquement, le BX7 ne fait pas vraiment dans l’originalité. Sa silhouette s’inspire de celle de l’Audi Q5, sa calandre hypertrophiée rappelle les Buick contemporaines, et son arrière évoque plutôt le Porsche Cayenne. Sous le capot, Borgward a annoncé un bloc quatre cylindres essence suralimenté de 224 chevaux, ainsi qu’une version hybride développant 401 chevaux. Ce modèle serait capable de rouler 55 kilomètres sans utiliser le moteur thermique. Le niveau d'équipement de l'habitacle se veut au moins égal à celui de la concurrence, avec des matériaux de qualité, et un design qui s'inspire (notamment au niveau de la console centrale) de celui d'Audi. Tel qu'il se présente, le BX7 pourrait se fondre sans difficulté dans le paysage automobile européen.

Borgward BX7

Selon ses instigateurs, Le BX7 n'est pas un concept car, mais une vraie voiture prête à prendre la route dans les prochains mois. Le lancement de ce Borgward BX7 devrait initialement s’opérer en Chine dès 2016, puis dans d’autres pays émergents. L’Europe sera servie plus tard. Ce choix de la Chine s'explique par l'origine des capitaux qui permettent la renaissance de Borgward. En effet, selon le magazine Auto Bild, derrière ce retour se cache Foton, un spécialiste des utilitaires en Asie, filiale du géant BAIC. Foton aurait acquis les droits sur la marque en 2014. Si le siège de Borgward est installé à Stuttgart, la conception de l'auto est chinoise et sa production sera également assurée en Chine. Il ne s'agit pas d'une coentreprise. Il est dès lors difficile de considérer réellement Borgward comme une marque allemande.

Borgward a aussi présenté une variante TS, au look sportif plus affirmé.

En tout cas, les ambitions sont immenses, et l'on évoque la mise en oeuvre d'une capacité de 500 000 voitures par an. Il ne nous reste plus qu'à imaginer une succession aux grandes berlines 2400 et 2,3 litre, mais surtout au Coupé Isabella.

Christian Borgward (président), Hinar Hareide (design) et Karlheinz Knöss (vice-président)

Principales sources : Marc Antoine Colin, Automobilia n° 50 et 58, Bernard Vermeylen, Rétromania n° 67 et 111, L'Automobile, n° 129 et 180

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