Sunbeam 80, 90, Alpine (1ère)
Avant guerre Etablie à Wolverhampton, et en activité depuis le début du vingtième siècle, la Sunbeam Motor Car Co s’est vite construit une image sportive grâce à son engagement et ses victoires en compétition. En 1920, la marque est intégrée au groupe Sunbeam Talbot Darracq (STD). En 1935, alors que groupe STD est financièrement en déroute, les marques Sunbeam et Talbot tombent dans l’escarcelle des frères William et Reginald Rootes. Le site Talbot de Suresnes est pour sa part repris en main par Antony Lago, mais ceci est une autre histoire. Ces habiles concessionnaires automobiles londoniens se sont forgé une solide réputation dans les années vingt. Les importants moyens financiers dont ils disposent leur permettent ainsi, après avoir repris dès 1925 le carrossier Thrupp & Maberly, d’entrer en 1928 dans le capital de deux constructeurs importants qui viennent de s’associer : Hillman et Humber. En 1931, la crise frappe ceux-ci, et entraîne une réorganisation de leurs usines. Les frères Rootes deviennent actionnaires majoritaires en 1932, et désormais, de nombreux éléments vont être partagés entre les modèles des deux marques, Hillman visant plutôt la grande diffusion, et Humber une clientèle assez aisée. En 1934, les utilitaires Karrier intègrent le groupe, avant Sunbeam et Talbot en 1935, puis la carrosserie industrielle British Light Steel Pressing en 1937. En comptant les utilitaires Commer, propriété de Humber depuis 1926, le Rootes Group est maintenant devenu un véritable empire. Le nom de Sunbeam est abandonné en 1935, pour réapparaître à l’automne 1938, quand les frères Rootes décident d'associer Sunbeam et Talbot sous une seule marque : Sunbeam Talbot. Les automobiles produites sous ce nom puisent largement dans la banque d’organes du groupe et dérivent donc étroitement des Hillman et Humber. Il leur revient d'occuper un créneau où la clientèle éprise à la fois de sport et de confort pourra trouver ce qu’elle recherche. Les marques du groupe couvrent ainsi un large éventail du marché.
William Rootes en 1937 La production de certaines Sunbeam Talbot d'avant-guerre reprend en juillet 1945. Parallèlement, la succession se prépare activement dans les bureaux d’études du groupe Rootes, et cette remarque est valable pour les marques automobiles Sunbeam Talbot, Hillman et Humber. Les frères Rootes ont décidé de faire appel au célèbre " french designer " Raymond Loewy , dont les studios, établis aux Etats-Unis, possèdent une antenne à Londres, placée sous la responsabilité de Clare Hodgman. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la filiale londonienne du studio Loewy travaille pour Rootes, puisque le premier contrat date de 1938. C’est essentiellement aux études de ce consultant extérieur que l’on doit les nouvelles Hillman Minx et Humber Hawk, et le restylage de la Super Snipe. Sunbeam Talbot 80 et 90 En revanche, en ce qui concerne les Sunbeam, le travail de style émane des bureaux d’études que la marque possède toujours à Londres, avec à sa tête Ted White, ancien responsable de la carrosserie chez Talbot. Seul le style intérieur, et en particulier le tableau de bord, résulte des propositions du studio Loewy. Les frères Rootes, en particulier Reginald, attachent une grande importance au style extérieur et suivent de près les travaux du bureau d’études. Il est donc probable qu’ils soient intervenus avant le gel du style définitif. A la fois sportif, original et élégant, le " Streamstyling " (dixit la publicité Rootes) des nouvelles Sunbeam Talbot 80 et 90, présentées au mois de juin 1948, a peu de points communs avec le style des autres modèles du groupe, mais on y décèle en revanche certains gênes propres à la jeune marque, et en particulier, sur les berlines, l’absence de montant entre la porte arrière et la troisième glace latérale. La carrosserie des 80 et 90 conserve une calandre verticale imposée par les frères Rootes ; les ailes bien marquées, les phares proéminents et les cache roues arrière ajoutent à leur personnalité. Ted White n’a jamais caché avoir été influencé par le style aéronautique et l’école américaine. Chaque modèle existe en deux carrosseries : une berline quatre portes et un cabriolet quatre places.
Sunbeam Talbot 80/90, la berline 4 portes Sur la berline, les portes antagonistes permettent d’améliorer l’accès, en particulier aux places arrière. Cette solution originale connaît une certaine vogue à l’époque. Quant au cabriolet, qui sort des ateliers du carrossier Thrupp & Maberly, propriété du groupe Rootes, il possède des portes en aluminium et une capote à trois positions : fermée, ouverte, ou partiellement ouverte, en " coupé de ville " .
Sunbeam Talbot 80/90, le cabriolet quatre places Sous sa carrosserie moderne, la nouvelle Sunbeam cache des dessous hérités des anciens modèles, notamment la suspension à essieu rigide et ressorts à lames tant à l’avant qu’ à l’arrière qui commence franchement à dater. Les freins à tambours Lockheed et la direction à vis et écrou viennent eux aussi en droite ligne des modèles d'avant-guerre, et seule la commande des vitesses au volant apporte une touche de modernité. Les deux modèles diffèrent sur la plan mécanique : un 1185 cm3 de 47 ch pour la 80, et un 1944 cm3. de 64 ch pour la 90. Heureusement, ces mécaniques déjà anciennes ont été modernisées grâce à une nouvelle culasse et l’adoption de soupapes en tête et de pistons en alliage léger. Le supplément de puissance et les qualités aérodynamiques de la carrosserie permettent à ces voitures pourtant plus lourdes que leurs devancières d’offrir des prestations supérieures : environ 120 km/h pour la 80 et 132 km/h pour la 90. La presse britannique va faire bon accueil aux deux modèles grâce à leur style moderne, leur excellente finition et un comportement routier plutôt agréable. En fait, la Sunbeam Talbot 90 va rapidement gagner ses lettres de noblesse. Dès le mois de juillet 1948, en effet, deux 90 sont engagées à la Coupe des Alpes. Celle de George Murray-Frame remporte sa catégorie, alors que celle de Norman Garrad termine, mais plus loin dans le classement, en raison d’un petit incident.
Sunbeam Talbot 80/90, l'habitacle Norman Garrad, agent Clément Talbot en Ecosse depuis 1934, avait déjà tâté de la compétition avant 1940. Il va désormais participer à chaque édition de la Coupe des Alpes, et c’est cette épreuve en particulier qui va rapidement forger la réputation sportive des Sunbeam Talbot, mais aussi le Rallye de Monte-Carlo, où des voitures sont engagées dès 1949. Cette année-là, curieusement, ce sont trois 80 qui prennent part à la célèbre épreuve. Elles termineront toutes les trois, mais sans faire d’étincelles. Désormais, seule la 90 va être habilitée à représenter la marque en compétition. Les éditions 1949 et 1950 de la Coupe des Alpes permettent de renouer avec la victoire dans la classe 2 litres. Sunbeam Talbot 90 Mk II Ces bons résultats ne doivent pas faire oublier la conception ancienne du châssis et fort heureusement, le constructeur saura s’en souvenir. Présentée au mois de septembre 1950, la version Mk II va permettre de corriger le tir. Seule la 90 reste au programme, mais elle hérite d’un nouveau châssis cruciforme et surtout d’une suspension avant à roues indépendants et ressorts hélicoïdaux, d’un pont arrière modifié, de nouveaux freins et d’une nouvelle direction. Le moteur a lui aussi fait une cure de vitamines. La cylindrée passe de 1944 cm3 à 2267 cm3, par augmentation de l’alésage et la puissance de 64 à 70 ch.
Sunbeam 90 Mk II Pour pallier un risque de surchauffe constaté occasionnellement en rallye, le système de refroidissement est amélioré grâce à une nouvelle pompe à eau avec thermostat. Quelques changements à la face avant permettent de reconnaître la Mk II : les feux additionnels sont supprimés et deux petites grilles horizontales sont installées de part et d’autre de la calandre, la courbe des ailes est légèrement modifiée, les phares sont un peu plus hauts, et des feux de position font leur apparition sous les phares. La 90 Mk IIA succède à la Mk II au mois de septembre 1952, mais les évolutions sont limitées aux tambours de freins de plus grandes dimensions et à une petite modification touchant certains rapports de boîte. Esthétiquement, cette Mk IIA se distingue par la suppression des cache-roues arrière et par ses nouvelles jantes à alvéoles.
Sunbeam 90 Mk IIA La saison sportive 1952 sera pour la Sunbeam Talbot 90 l’une des meilleures de sa carrière. Tout commence dès le mois de janvier, avec l’excellente seconde place au classement général au Rallye de Monte-Carlo remportée par un jeune pilote prometteur, Stirling Moss, associé à Desmond Scannell, dans des conditions hivernales très dures, juste derrière l’inaccessible Allard piloté par Sidney Allard lui-même. Mais, fidèle au Rallye des Alpes, la marque va y remporter cette année sa plus extraordinaire victoire en raflant trois coupes, les trois voitures pilotées par George Murray Frame, Mike Hawthorn et Stirling Moss n’encourant aucun point de pénalisation, alors qu’on note 72 abandons sur les 95 voitures participantes. Et ce sont bien sûr des 90 qui se retrouvent aux quatre premières places de la classe des 2 à 3 litres.
Sunbeam 90 Mk II Sunbeam Alpine (1ère) Compte tenu du créneau assigné par Rootes à Sunbeam, il était étonnant de ne trouver aucune version réellement sportive dans la gamme. Cet oubli est réparé à partir du mois de mars 1953 par le nouveau roadster Alpine, qui donne la réplique aux prototypes dévoilés à l’automne précédent par Austin (Austin Healey 100) et Triumph (la Sports qui deviendra bientôt la TR2). C’est George Hartwell, pilote de rallye et concessionnaire Rootes à Bournemouth, qui suggéra cette version sportive, après avoir modifié pour son usage personnel un cabriolet de série, et lui aussi qui construira de façon artisanale les toutes premières voitures.
Publicité parue dans Motor Sport en octobre 1953 Toutefois, le style définitif est peaufiné par le studio américain de Raymond Loewy. Etroitement dérivé du cabriolet 90, le roadster baptisé Alpine (l’explication coule de source …) s’en distingue par le pare-brise, les portières et toute la partie arrière dont l’aspect surbaissé et fuyant donne tout son caractère à l’auto. Deux rangées de fentes sur le capot permettent au moteur de respirer tout en accentuant l’aspect sportif de la voiture, devenue une stricte deux places dans l’opération. Châssis et suspension ont été modifiés à l’avant, et, sous le capot, le moteur se distingue de celui de la 90 par un certain nombre de détails, notamment la culasse, le carburateur et l’échappement, ce qui lui permet de revendiquer 80 ch. Quant à la boîte, elle ne diffère que par un étagement plus sportif de ses rapports. Le maintien du levier de vitesses au volant étonne pourtant sur un modèle à vocation sportive. Pour son lancement, Bill Rootes souhaite démonter le potentiel de la nouvelle voiture par quelques actions spectaculaires. Dans ce but, il fait préparer une Alpine de présérie par ERA. Le 17 mars 1953, cette voiture forte de 105 ch est envoyée en Belgique où, à Jabbeke, sur une portion de l’actuelle autoroute Bruxelles – Ostende, Sheila Van Damm sera chronométrée à 120,459 mph (plus de 193 km/h). Le lendemain, la même voiture part pour Montlhéry, où elle sera confiée aux mains de différents pilotes, parmi lesquels Stirling Moss, qui accomplira un tour à plus de 186 km/h de moyenne. L’auto est ensuite envoyée aux Etats-Unis pour une tournée promotionnelle, avant de regagner l’Angleterre, où elle existe toujours aujourd’hui.
La pilote de rallye Sheila Van Damm En fait, la Sunbeam Alpine (le nom de Talbot n’est plus retenu pour ce modèle) est plus une voiture de grand tourisme qu’une pure sportive, mais dans ce registre, elle apparaît particulièrement efficace. Roger Darteyre, qui l’essaye en 1955 pour la revue belge Auto-Touring (15 mars 1955) résume ainsi ses impressions : " Elle a été admirablement conçue pour répondre aux desideratas de ceux qui aiment joindre les manifestations de vitesse instantanées aux agréments des déplacements très rapides quel que soit le profil de la route. On a ici une direction rappelant celles des meilleures machines de grand sport, une boîte aux combinaisons bien échelonnées et qui passent avec vitesse et précision, des freins sûrs (…), une tenue de route de grand ordre, une suspension agréable et jamais sèche, enfin, une mécanique éprouvée à laquelle on peut demander beaucoup et qui ne paraît guère susceptible de défaillance. Avec cette voiture, les " joies de la conduite " ne sont pas un vain mot ". Construite dans les ateliers du carrossier Mulliner à Birmingham, la Sunbeam Alpine est dans un premier temps réservée à l’exportation, en particulier vers l’Amérique du Nord où pourtant elle ne parviendra pas à s’imposer face aux Triumph TR2 et Austin Healey plus rapides, moins chères et plus typiquement sportives. Sunbeam 90 Mk III La Sunbeam Talbot 90 continue évidemment sa carrière. Après avoir vu la puissance de son moteur portée à 77 ch, et reçu de nouveaux pare-chocs pendant l’été 1953, elle apparaît dans une définition Mk III à l’occasion du Salon de Londres d’octobre 1954. Culasse, cylindres et soupapes ont fait l’objet de quelques perfectionnements et, grâce au taux de compression porté de 7,42 à 7,5, et au nouveau carburateur Zenith Stromberg, la puissance atteint cette fois 85 ch. A l’extérieur, il est facile de reconnaître les Mk III aux nouvelles grilles qui garnissent les prises d’air de part et d’autre de la calandre, et aux trois petites entrées d’air chromées façon Buick, qui ont poussé au sommet des ailes avant près des portières. Des combinaisons de peintures bicolores font leur apparition en option sur les berlines, tout comme l’overdrive déjà proposé sur l’Alpine. Sur ces modèles, la marque Talbot passe définitivement à la trappe, et il n’est plus question maintenant que de Sunbeam Mk III.
Sunbeam 90 Mk III La carrière sportive de ces Sunbeam se poursuit jusqu’en 1956. Les saisons 1953 et 1954 verront encore des victoires de classe au Rallye de Monte-Carlo, au Rallye des Alpes et au RAC en Angleterre. Mais la cerise sur le gâteau, c’est évidemment la victoire au classement général de la berline Mk III de l’équipage norvégien Per Malling - Gunnar Fadum à Monte-Carlo au mois de janvier 1955. L’année suivante, une Mk III conduite par Peter Harper sera encore quatrième dans cette épreuve mythique, mais la carrière sportive de l’auto touche maintenant à sa fin. En effet, le style évolue rapidement dans le courant des années cinquante, et avec l’apparition de la Sunbeam Rapier à l’automne 1955, la carrosserie de la Mk III commence à afficher quelques rides. Sans doute pour faire place à leur jeune soeur, le cabriolet Mk III et le roadster Alpine ne sont donc pas reconduits pour le millésime 1956. La berline reste pour sa part en production, pendant encore un peu plus d’un an, s’éteignant doucement début 1957.
Sunbeam 90 Mk III Assez méconnues, particulièrement en France, ces Sunbeam ont prouvé en leur temps qu’une base saine pouvait engendrer des autos de qualité. |