L'action automobile, de 1934 à 1939


La vocation de l'Action Automobile


Le premier numéro de l'Action Automobile (AA) paraît le 15 janvier 1934. L'idée de sa création revient à Alex Lacroix, secrétaire général de l'Automobile Club du Gard. Celui-ci se bat depuis des années pour imposer son projet de création d'un organe de presse commun destiné aux membres des Automobiles Clubs répartis sur tout le territoire. L'AA est en effet la publication officielle de la Fédération Nationale des Clubs Automobiles de France, qui regroupe en 1934 pas moins de 250 000 automobilistes. Il sort des ateliers de l'Imprimerie des Dernières Nouvelles de Strasbourg.

La page de couverture du premier numéro représente le siège de l'Automobile Club de France (ACF) et de la Fédération Nationale. Celui-ci  n'est pas installé en province ou dans un quartier reculé de la capitale. Non, l'adresse de l'ACF est depuis 1896 au 6 et 8 Place de la Concorde à Paris. Rien de moins ! En page deux et trois de numéro 1, on découvre les visages de " quelques-uns des collaborateurs " de l'AA, ainsi que celle du Vicomte de Rohan, troisième président de l'ACF depuis sa création.

Le Vicomte d Rohan, troisième président de l'ACF depuis sa création.

Le numéro 1 de l'AA définit le cadre dans lequel s'inscrit ce magazine. En voici un extrait :

" Sous le patronage officiel de la Fédération Nationale des Clubs Automobiles de France que lui a accordé notre dernière Assemblée Générale, " L'Action Automobile " voit aujourd'hui le jour. Pourquoi un nouvel organe ? Notre intention n'est pas de faire concurrence aux journaux déjà existants et qui depuis la naissance de notre Fédération ont toujours réservé bon accueil à nos communiqués et rendu compte avec sympathie de nos manifestations. Notre intention n'est pas non plus de faire oublier les bulletins de nos Clubs qui comptent une clientèle de lecteurs fidèles.

Mais notre Fédération dont les assises sont solides et qui a conscience de son importance, estime qu'elle a le devoir de posséder maintenant un organe à elle, dans lequel elle puisse avec toute l'ampleur, la fréquence, et l'indépendance désirable, exposer ses idées, rendre compte de son action, mener les enquêtes utilises, exprimer ses doléances et plus généralement défendre les intérêts de ses adhérents, en même temps que ceux des usagers de l'Automobile. "

L'Action Automobile s'engage, et n'hésite pas par exemple à publier dans son numéro 4 du 1er mars 1934 une lettre ouverte au Président Doumergue. Plus de 80 ans plus tard, nombre de thèmes pourraient être traités quasiment de la même manière : l'industrie automobile française naguère aussi florissante et si glorieuse qui se débat désormais dans le marasme, la voracité toujours insatisfaite d'un fisc jamais repu, etc ... 

Le magazine s'engage aussi pour des actions de sécurité routière, notamment en mettant en avant certaines problématiques récurrentes (passages à niveaux, éclairage ...) ou à l'inverse en montrant des exemples de réalisations qui sont de nature à sécuriser les routes. L'AA ouvre même ses colonnes aux organisations ou comités, indépendants de l'Automobile Club, dont la vocation est de défendre les intérêts des usagers.

Publicité du Comité National de Défense de l'Automobile, 1936

En avril 1937, Alex Lacroix, rédacteur en chef, s'adresse à M. Léon Blum, Président du Conseil, pour réclamer une baisse des taxes sur les carburants : " non pas avec cette parcimonie qui, en apportant à l'usager un allègement insensible, sera sans contrepartie pour le Trésor, mais largement, jusqu'au point où la part de fardeau ôtée au patient lui permet de retrouver l'élasticité de ses muscles et le goût de l'effort. "


Sa forme


L'AA est à ses débuts un magazine de 28 pages, qui va progresser à 32, 36 ... jusqu'à 60 pages, toujours au format 232 x 300. Il est imprimé sur un papier économique de faible grammage. La couleur est un luxe que l'AA ne s'offre pas, sauf pour les numéros spéciaux. L'impression se limite donc au noir et blanc ou à une teinte sépia. C'est un bimensuel jusqu'en octobre 1936, puis un mensuel à partir de cette date (son prix passe alors à 2 francs, contre 1,50 franc auparavant).


La page de couverture


Sur la page de couverture, on découvre parfois un paysage typique comme le pont du Gard, la cathédrale d'Orléans, les ruelles de Sarlat, le port de Brest, une vue depuis les hauteurs d'Epinal, ou des photos prises lors de Grand Prix à Monaco, Montlhéry, Pau, Reims, Comminges ... ou pendant des courses de côte comme celle du Mont Ventoux. D'autres fois, cette première page permet d'afficher le portrait d'un pilote, un cliché pris lors d'un concours d'élégance ou une scène de sport d'hiver. Le thème est dans tous les cas lié à l'automobile ou au tourisme.

Raymond Sommer triomphe au GP de Comminges 1935, en couverture de l'AA

Mlle Lassalle, Miss France 1936, lors d'un concours d'élégance, en couverture de l'AA

Départ du Grand Prix automobile de Pau 1936, en couverture de l'AA

Cette jeune femme tient à la main le numéro spécial Salon de 1936


Le contenu


L'AA est constitué d'un socle commun à toutes les éditions, puis de pages supplémentaires correspondantes à des bulletins régionaux. Celles-ci sont insérées et agrafées dans la partie commune avant diffusion aux adhérents. Les bulletins régionaux comptent quatre ou huit pages, puis douze quand l'AA devient mensuel. Cela permet à chaque club de région de s'exprimer sur son actualité, et aux annonceurs locaux de viser un public mieux ciblé que dans la presse nationale.

D'année en année, de nouvelles rubriques prennent place pour s'installer plus ou moins durablement, même si elles ne sont pas présentes dans chaque numéro : les échos et potins, les conseils pratiques, la rubrique juridique ou fiscale, la photo, le cinéma, la pêche, les livres, la mode, la gastronomie, les vins de France, le camping, le caravaning, l'actualité des sports mécaniques, etc ...

" Aujourd'hui, les femmes délaissant la paresse au profit du sport, n'hésitent pas à quitter la tiédeur d'un lit douillet pour courir, dès le matin, dans l'air frais et la rosée ... "

L'AA est un magazine d'informations générales sur l'automobile. A cette époque, il n'est pas encore question de proposer des essais et encore moins des comparatifs aux lecteurs. La presse automobile est ainsi faite. Ce type de pratique ne verra le jour qu'à la fin des années quarante et au début des années cinquante, avec de nouveaux titres comme l'Auto Journal ou l'Automobile.

Le principe même de la parution d'un tableau récapitulatif de tous les modèles français avec les tarifs n'en est qu'à ses balbutiements. Pour la première fois, L'AA en propose un à ses lecteurs en novembre 1938. Les deux voitures les moins coûteuses du moment sont la Rosengart Super Cinq et la Simca Simcacinq, à respectivement 13 950 et 13 980 francs. Renault dispose d'une large gamme qui débute à 20 900 francs avec la Juva 4, et qui culmine à 90 000 francs avec la Suprastella. Dans ces prix proches des 100 000 francs, on trouve aussi la Bugatti 57 S, les Delahaye 168 et 165, plusieurs Talbot et les Voisin.

S'il est un rédacteur de l'AA qui sort du lot, c'est bien l'inoxydable Charles Faroux. Parmi les thèmes qu'il aborde, citons : vers la voiture économique, pourquoi l'industrie automobile est-elle en régression, le problème des courses, les avantages de la lumière jaune ...  D'autres rédacteurs sont en charge d'une rubrique régulière, comme Curnonsky, spécialiste de la gastronomie et du tourisme.

D'autres articles signés Maurice Philippe, Henri Petit, Philippe Girardet, Marcel Etienne Grancher, Hervé_Lauwick, Marcel Berger, Maurice Henry, J. Falcoz-Vigne, Géo Leclercq, Philippe Bontoux, etc ... s'intéressent à une multitude de sujets variés. Sans chronologie ni hiérarchie particulière, citons : l'éclairage des routes, le développement de l'auto-camping en France, la corvée du rodage, le progrès et les grandes vitesses, les secours routiers du dimanche, les poids lourds usent-ils les routes, la suspension par roues indépendantes, la présentation de la Micheline 100 places.

La première Micheline a été mise en service sur la ligne Paris Deauville en 1931. Bien qu'elles soient depuis longtemps retirées de la circulation, leur nom est longtemps resté en usage dans le langage courant pour désigner un autorail.

Poursuivons cet inventaire à la Prévert : la signalisation routière, celle des passages à niveau, le mirage de l'assurance obligatoire, la protection des coureurs et du public lors des épreuves de vitesse, les avantages et les inconvénients de la carrosserie aérodynamique, la voiture populaire SIA, les origines de la presse automobile, l'histoire du Code de la route, le choix entre la traction avant et la propulsion arrière, la naissance du pneu Pilote de Michelin, de la boîte Cotal, les exploits de François Lecot que ne manquent pas d'exploiter sur un plan publicitaire les entreprises ayant participé à l'aventure ...

Le 22 juillet 1935, François Lecot, 57 ans, s’élance au volant de sa Traction Avant pour un raid 400 000 kilomètres, parcourant quotidiennement les 1170 km du trajet Paris - Lyon - Monte Carlo. Conduisant 10 heures de suite et dormant à peine 4 heures par jour, il boucle l’équivalent de 10 tours du monde - soit la distance de la terre à la lune - le 26 juillet 1936.

Certains sujets sont plus passionnants que d'autres, comme celui traitant de l'alliance entre Mathis et Ford donnant naissance à l'éphémère marque Matford, celui consacré " à la déconfiture " de la société d'André Citroën, ou celui évoquant en juin 1935 la relation d'Hitler avec l'automobile.

On se délecte à la lecture des deux pages écrites par J. Falcoz-Vigne pour le numéro 62 de 1936 consacrées à la visite de l'usine Bugatti de Molsheim. Extrait : " parfois apparaît une silhouette bien connue des initiés, revêtue d'une ample blouse de toile, coiffée d'un chapeau de feutre à bords rabattus. D'elle, on n'aperçoit que le dos, car la tête est penchée tout contre les rouages d'une machine, tel un docteur auscultant un malade. Quel est ce personnage ? ... Ettore Bugatti, " Le Patron " tout simplement. "

Sympathique est la découverte d'un sujet sur le port du béret, accessoire alors très à la mode. La presse s'intéresse aussi à une innovation majeure de l'époque : le développement de la TSF à bord des automobiles " qui n'est plus du domaine de la fantaisie ". En janvier 1937, Antonio Lago (Talbot), Charles Welffenbach (Delahaye), Louis Delage, Ettore Bugatti et Marcel Sée (Amilcar) dévoilent leurs projets sportifs pour la nouvelle année.

Antonio Lago, Charles Weiffenbach, Louis Delage et Ettore Bugatti en 1937

La compétition automobile est omniprésente dans l'AA, qu'il s'agisse d'articles de fond, d'annonces ou de comptes rendus de compétitions. Evènement majeur, l'épreuve des 24 Heures du Mans en est en 1934 à sa douzième édition depuis ses débuts en 1923 sous la présidence de l'Automobile Club de l'Ouest. Evidemment, tous les ans, de nombreux articles sont consacrés à cette course d'endurance. D'autres compétitions comme le Grand Prix de l'ACF, le Rallye de Monte-Carlo ou le Grand Prix de la Marne font également l'objet de reportages complets.

En 1933, Charles Faroux, directeur de la course, arrête Raymond Sommer à la fin des 24 heures.

L'AA reste un magazine essentiellement franco-français, même si quelques articles s'intéressent à ce qui se passe à l'étranger : les routes italiennes, la construction automobile britannique, le même type de reportage sur l'automobile en Allemagne ... L'AA n'est pas encore l'AAT (Action Automobile et Touristique). Pourtant, chaque numéro comporte au moins un article lié au tourisme. On part ainsi à la découverte de villes et villages - Belfort, Bourg-en-Bresse, Nancy, Tours, Sélestat, Nîmes, Metz, Annonay, Chaumont ... -, de départements - Côtes-du-Nord, Finistère, Mayenne, Landes ... -, ou de régions. On ne s'interdit pas quelques escapades de tourisme industriel, comme quand il s'agit de visiter les conserveries de sardines en Bretagne. Plus rarement, on s'échappe à l'étranger pour découvrir Tunis et la Tunisie, la Suisse, la Tchécoslovaquie ...

La découverte des régions de France a toute sa place dans l'Action Automobile

Parfois, les journalistes de l'AA proposent un sujet sur (déjà) les voitures anciennes et leur histoire. L'histoire automobile, dans la seconde moitié des années 30, fait référence aux précurseurs - Messieurs Bollée, Levassor, De Dion, Bouton, Peugeot, Serpollet, Darracq, etc ... -, aux accessoires du " bon vieux temps " quand toutes les carrosseries étaient ouvertes, aux héros des premières courses, ou à l'histoire du Salon de l'automobile.

L'AA revient dans son numéro du 15 juillet 1935 sur le Grand Prix des vieilles voitures à l'autodrome de Montlhéry. L'auteur précise que la France en tant que précurseur était première dans l'industrie automobile en 1900, et qu'en 1935 sa présence est devenue  insignifiante. Dans ce même numéro, bien qu'il  s'agisse d'un thème totalement différent, un hommage est rendu à André Citroën qui vient de disparaître.


La publicité


D'assez nombreuses publicités en quart, demi ou pleine pages sont présentes dans l'AA. D'une manière générale, ces encarts font dans la sobriété, et ils ne concernent pas toujours l'automobile. Le constructeur Mathis s'est offert la couverture verso de plusieurs des premiers numéros. Parmi les autres annonceurs qui peuvent financer une pleine page, on peut citer Peugeot, Rosengart, Hotchkiss (avec des illustrations d'Alex Kow ou de Jean Jacquelin), Renault (pour ses automobiles, ses moteurs ou ses huiles), Panhard, etc ... A partir de 1936, on assiste par le biais de la publicité et de plusieurs articles rédactionnels à la naissance de Simca.

Publicité Hotchkiss, numéro 80 de décembre 1936

Avant-guerre, Renault était avant tout un constructeur de voitures haut de gamme. Présentée en 1934, la Viva Grand Sport permet l'installation de trois personnes de front. Elle est dotée d'un 6 cylindres en ligne de 4,1 litres.

Parmi les annonceurs proposant des fournitures ou accessoires pour l'automobile, on note la présence des pneumatiques Bergougnan, Dunlop, Goodrich et Dunlop (avec pour ce dernier des illustrations remarquables de Pierre Delarue Nouvellière). Les pétroliers et leurs huiles sont aussi des annonceurs majeurs, qu'il s'agisse des marques Kervoline, Castrol, Azur, Veedol, BP, Shell ou Esso.

Les crics SD, les produits d'entretien pour carrosseries automobiles Tumbler,  l'assureur La Foncière (omniprésent car il s'agit de la compagnie de la presque totalité des AC régionaux), les batteries Fulmen, les phares et avertisseurs sonores Marchal, les " poste-auto " Mustel, les accessoires Robri, etc ... sont autant de sociétés qui mettent régulièrement en avant leurs produits dans l'AA.

Le tourisme est encore balbutiant, publicité Castrol de 1936

Pierre Marchal a fondé en 1923 sa société pour produire des systèmes d'éclairage pour automobiles. En 1927, il complète sa gamme de produits avec des bougies, puis en 1935 avec des  avertisseurs sonores.

Peugeot, Emile Darl'mat et Marchal s'associent pour le meilleur en 1938

D'autres annonceurs qui n'ont rien à voir avec l'automobile font le choix de se faire connaître par le biais de l'AA. On découvre ainsi les publicités pour les berceaux Dany ou le billard russe Altona. Deux anciennes grandes maisons parisiennes sont visibles de manière très régulière, le magasin Belle jardinière rue du Pont Neuf et Bussoz Sport, fournisseur de vêtements et accessoires pour les activités de loisirs. 

Belle Jardinière, rue du Pont Neuf, 1937

Le numéro 47 de 1935 consacré aux sports d'hiver contient évidemment quelques publicités en rapport avec le sujet


Les numéros Salon


C'est un usage dans le milieu automobile depuis les débuts du Salon de Paris, la parution en octobre d'un numéro spécial avant le Salon lui-même. L'AA ne déroge pas à la règle. Evidemment, la pagination augmente de manière significative, et l'on ose même la couleur. A l'AA, on n'hésite pas à faire appel aux illustrateurs les plus connus - Paul Colin, Géo Ham - pour s'offrir une page de couverture à la hauteur de l'évènement.

Géo Ham signe cette illustration parue en page de couverture du numéro Salon d'octobre 1937

Dans ces éditions d'octobre, L'AA nous propose une vision panoramique des différents modèles des constructeurs français. En 1934, on relève par ordre d'apparition : Renault, Peugeot, Citroën, Rosengart, Chenard, Amilcar, Lorraine, Hotchkiss, Panhard, Delage, Fiat, Salmson, Alfa Romeo, Delahaye, Bugatti, MG et Morris, Villard et Singer. Le panorama va s'élargir les années suivantes.

Page consacrée à Bugatti dans le numéro 78 spécial Salon d'octobre 1937

Des dossiers assez complets sont proposés, qu'il s'agisse de synthèses sur les évènements sportifs de l'année, sur l'évolution des carrosseries, de la sécurité, de la technique automobile, des liens entre la course et les autos du quotidien, etc ... Les industries annexes ne sont pas oubliées : fabricants de pièces et accessoires, de motocyclettes, de poids lourds, etc ....

Les annonceurs sont plus nombreux qu'à l'ordinaire dans ces numéros Salon, diffusion importante oblige. Certains font un effort particulier, et s'offrent les services des plus grands studios de photo ou des meilleurs illustrateurs. Des annonceurs demandent à ce que leurs publicités jouxtent les articles rédactionnels qui décrivent leurs voitures. " Vous rédigez un article au sujet de mes modèles, je vous achète une page de pub ! ". Cette pratique ne date pas d'aujourd'hui !

Les textes décrivant les autos sont dans leur ensemble élogieux, et l'on peut même soupçonner une certaine forme de connivence entre l'AA et les industriels, même si le phénomène est généralisé dans toutes les publications automobiles des années trente. C'est clair, la presse cherche à s'attirer la sympathie des constructeurs, qui sont avant tout des annonceurs aux moyens financiers importants.

Un exemple parmi d'autres d'écrit laudateur, au sujet des nouveautés de Panhard dans le numéro spécial Salon de 1936 : "  Notre vieille maison française - elle date, ne l'oublions pas, de 1886 ! - en lançant la Dynamic donne en effet une fois de plus la preuve et de son incomparable maîtrise technique et de son goût parfait en ce qui  concerne le confort et le bien-être des usages ".

La firme de Molsheim n'est pas moins encensée : " Avoir une Bugatti, pour les connaisseurs, c'est avoir la certitude non seulement d'être le roi de la route, mais encore d'exercer cette souveraineté avec le minimum de risques. Tenue de route extraordinaire, possibilité de virer étonnante, précision admirable de la conduite, confiance absolue dans le freinage, telles sont quelques-unes des qualités et sensations que l'on apprécie au volant d'une voiture de cette marque ".

Signalons enfin l'existence sur cette période de quelques numéros spéciaux hors Salon. Le n° 23 du 15 décembre 1934 est quasi exclusivement consacré à la gastronomie, le N° 31 du 15 avril 1935 au tourisme, le N° 47 de décembre 1935 aux sports d'hiver. Là aussi, la pagination est sensiblement plus importante, et la présentation plus luxueuse.


Au loin, on entend des canons


Les années trente ne sont pas toujours joyeuses, et l'on peut par exemple s'inquiéter à la lecture de l'article consacré dans le n° 6 du 1er avril 1934 aux formalités du recensement militaire des véhicules automobiles.

Dans le n° 52 du 1er mars 1936, J. Falcoz-Vigne note après sa visite au Salon de Berlin : " ... car l'exposition du Palais de Kaiserdamm n'a pas seulement pour but de présenter de nouveaux modèles à l'acheteur. Mieux que cela, elle est pour le gouvernement du Reich - et pour tout son peuple massé avec foi derrière lui - l'occasion éclatante affirmer publiquement la qualité de sa fabrication automobile et l'importance qu'il attache au problème de la motorisation en général, sous quelque forme qu'elle se présente. L'on peut dire en définitive qu'en Allemagne ... l'Etat a pris lui-même la tête du mouvement automobile et entend placer la prospérité et la diffusion de la voiture allemande au premier rang de ses préoccupations nationales ". 

Le journaliste est de nouveau dans la capitale allemande en 1937, et écrit au sujet de la voiture populaire promise par Hitler (la future Coccinelle) : " Certains font remarquer qu'on ne rencontre pas encore à ce Salon la fameuse voiture populaire de 1000 marks tant annoncée l'an dernier par le Führer. A cela nous répondrons qu'Hitler, dans son discours d'ouverture, a effleuré le sujet, n'hésitant pas à proclamer publiquement que si les constructeurs allemands ne se mettaient pas de suite à cette étude, il saurait bien, lui, les y obliger ! Ce sont là évidemment les paroles d'un dictateur, mais quand elles savent, comme celles-ci, comprendre et défendre les intérêts des usagers, il ne fait pas de doute qu'il faut y applaudir parce qu'elles constituent en fin de compte une bonne chose, profitable au pays tout entier. "

Le Général Serrigny, président de la Chambre Syndicale de l'Industrie du Pétrole, aborde un sujet critique en novembre 1938, quelques semaines après la signature des accords de Munich : celui de l'automobile dans l'armée moderne, en particulier dans le cas d'un éventuel conflit européen. Il explique notamment que depuis toujours l'homme en cas de guerre utilise le mouvement et la manoeuvre pour surmonter ses adversaires. L'automobile a donc de plus en plus un rôle majeur à tenir dans ce contexte. Si la France à quelques atouts, notamment un réseau routier dense, elle doit aussi composer avec l'étroitesse des grandes voies, la fragilité des ouvrages d'art, les difficiles traversées des agglomérations, l'âge moyen élevé du parc de véhicules commerciaux, la faiblesse du parc de camions de petits tonnages les plus nécessaires lors d'une mobilisation - alors que nos voisins allemands ont presque triplé le leur depuis 1932 -, etc ... Le Général Serrigny incite les pouvoirs publics à libéraliser tant que possible la politique des transports du pays, en précisant que l'industrie automobile française ne demande qu'à produire le matériel nécessaire.

D'un mois à l'autre, la menace de la guerre devient de plus en plus perceptible. Le Comte de Chambure explique en décembre 1938 que dans le plus grand secret des plans d'évacuation sont prévus dans les principales villes. La capacité des routes à absorber un flux important et immédiat d'automobilistes est l'une des préoccupations majeures des autorités. Il n'est pas question de dévoiler les axes prévus pour cette éventuelle évacuation, car cela ferait connaître à l'ennemi par déduction ceux affectés aux transports militaires.

La rencontre entre le Chancelier Hitler et Louis Renault au Salon de Berlin prend dans ce contexte d'incertitude un caractère très particulier. C'est sur ce Salon qu'est enfin présentée la KDF (Kraft Durch Freude ou La Force par la joie), future Volkswagen.

Le Chancelier Hitler s'est arrêté devant le stand Renault, où il s'est entretenu avec Louis Renault.

Dans le n° 95 de mars 1939, la rédaction de l'AA entend rester neutre dans le compte-rendu réalisé par Charles Franck et L.V. Roussel après un séjour de cinq jours à Berlin : " Nous laissons à chacun le soin d'apprécier comme il l'entend les éléments d'information que nous soumettons ci-après à nos lecteurs. Nous ne faisons qu'apporter honnêtement, sans tendance ni parti pris, un témoignage objectif d'impressions d'ordre matériel, sans plus. " La gêne est perceptible, entre d'une part une forme d'enthousiasme et d'admiration au sein de la rédaction de l'AA pour le dynamisme de l'industrie automobile en Allemagne - la nouvelle KDF, le développement du réseau routier, l'appui des autorités pour la compétition automobile ... - et d'autre part une forme de méfiance pour ce régime dictatorial et les menaces qui planent sur la paix.


A l'heure du bilan


Au 18ème numéro, en octobre 1934, le Vicomte de Rohan " fait le point " sur la vie de l'AA. Il reprend les thèmes développés dans le numéro 1, et précise : " L'Action Automobile devait être à la fois un illustré, attrayant mais non luxueux, un journal officiel où seraient enregistrés les évènements auxquels notre Fédération était mêlée, un bulletin d'informations fiscales, administratives, sportives, techniques, enfin un organe de défense et au besoin de combat. Avons-nous réussi ? Sans fausse modestie, je crois pouvoir l'affirmer ... Tous les Clubs reçoivent l'Action Automobile qui est largement diffusé aussi dans tous les milieux : Parlement, Industrie ou Commerce de l'automobile, associations de tourisme, administrations de l'état, des départements et des communes. Ainsi notre journal pénètre dans la grande masse des usagers.  En outre, 13 clubs ont supprimé leur bulletin et abonné tous leurs sociétaires à l'Action Automobile ... ".

En octobre 1937, un nouveau bilan est réalisé concernant les presque quatre années d'existence de l'AA. Alors que le magazine ne tirait qu'à 30 000 exemplaires en 1934, avec 13 clubs affiliés, il est diffusé à 105 000 exemplaires en 1937 avec 21 clubs. Selon Alex Lacroix, " ceux qui doutaient de la pertinence d'un nouvel organe automobile en sont pour leurs frais. L'AA peut mettre en oeuvre par la puissance de son tirage des moyens inaccessibles à une revue régionale, qu'il s'agisse du choix des collaborateurs, de l'usage intensif de l'illustration, de la réalisation graphique par les procédés les plus modernes ou de la constitution de sommaires vivants et substantiels. "


Qu'en retenir


Avec notre regard d'aujourd'hui, que retient-on des numéros de l'Action Automobile d'avant-guerre ? Les textes sont documentés et bien écrits, même si le style paraît maintenant ampoulé, voire désuet. Ce n'est pas du vieux français, mais l'on perçoit bien que l'AA s'adressait à un public d'un certain rang social. La qualité moyenne du papier ne permet pas de tirer le meilleur des photos proposées. Le magazine en lui-même n'est pas vraiment " glamour ", avec une présentation générale assez austère. Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de notre pays, les numéros de 1938 et 1939 sont passionnants, tant on sent la tension monter sur le plan international.

L'entrée en guerre marque un coup d'arrêt immédiat à la parution de l'AA. Le numéro 100 d'août 1939 est le dernier pour cette période. Le mensuel rentre alors dans une phase de sommeil, et ne reprendra sa parution qu'en juin 1945.

Trouver une collection de ces magazines d'avant-guerre ne peut être que le fruit du hasard. Imprimés à l'économie, ce ne sont pas de " beaux " magazines qui ont été conservés dans les greniers, comme peuvent l'être des publications comme Omnia ou Automobilia. La série en ma possession a été acquise à un prix raisonnable (100 euros avec les frais) lors d'une vente aux enchères chez Osenat, sans réelle concurrence de la part d'autres acquéreurs. La demande est faible, voire inexistante. Profitez-en !

La somme cumulée d'informations doit retenir l'attention de l'amateur d'histoire automobile, même si pour apprécier le contenu de l'AA, il faut vraiment prendre le temps d'aller en chercher la quintessence. Cela suppose d'y passer un peu de temps. Enfin, la présence assez abondante de publicités, automobiles ou non, constitue un attrait supplémentaire.

Publicité Peugeot 402 dans la numéro spécial salon de l'AA du 1er octobre 1935

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