La lumière sur les phares


Au départ, nos automobiles étaient équipées de lanternes identiques à celles des voitures hippomobiles. Vers les années 20, les lanternes à acétylène ont cédé leur place aux phares électriques dont la parabole intérieure était recouverte d'un réflecteur brillant qui concentrait le rayonnement des filaments de la lampe, diffusé à travers une glace équipée de prismes et de stries pour mieux répartir la lumière.

L'évolution fut mesurée entre les véhicules hippomobiles et les automobiles

La puissance de l'éclairage passa longtemps par la surface de la parabole réfléchissante. Plus la voiture était rapide, plus il fallait un éclairage puissant, plus le phare devait être grand. De ce fait, c'est la circonférence des phares qui devint le signe de reconnaissance de la vitesse, et bien évidemment du prix de la voiture. En effet, la puissance de l'ampoule avait été limitée par le code de la route pour éviter l'éblouissement. La législation imposa un éclairage asymétrique dans les années 50 pour le confort des usagers venant en sens inverse.


Peu aérodynamique


Ces gros phares au cuvelage peint ou chromé à verre plat ou bombé perchés en haut des ailes de part et d'autre du radiateur qui reste le principal organe physique d'identification, donnent aux véhicules des années 25/30 un style un peu trop impersonnel. Ils ont le défaut d'être anti-aérodynamiques, et les propriétaires qui participent à des courses automobiles diurnes les enlèvent parfois quand le règlement l'autorise. Pour d'autres raisons, ce fut aussi le cas pour le célèbre possesseur d'une Bugatti Royale, Armand Esders, qui fit habiller sa voiture sans phares. Il avouait ne jamais rouler la nuit.

La Bugatti Royale 1932 appartenant à Armand Esders démunie de phares

Lorsque la mode aérodynamique pointe le bout de son nez au milieu des années 30, les phares sont priés de se faire oublier au sein de la face avant comme sur la fameuse Chrysler Airflow, ou devant le radiateur comme sur les Peugeot 202/302/402 à ligne fuseau, ou plus communément sous un cache transparent en bout d'aile comme sur la Pontiac de 1948 illustrée ici.

Chrysler Airflow

Peugeot 302

Pontiac 1948

En France, à la veille de la guerre, deux tendances s'opposent. Il y a d'une part les voitures traditionnelles qui conservent leurs phares posés sur les ailes comme la Traction, les Simca 5 et 8, les Talbot et autres Hotchkiss, et d'autre part celles qui au contraire adoptent des phares carénés comme la Matford, la Juva 4, la Panhard Dynamic, les dernières Bugatti 57, etc ...

Bugatti 57, 1939

L'apparition de la ligne ponton à ailes intégrées va démoder les voitures qui restent fidèles aux phares en saillie, obligeant leurs constructeurs à les intégrer plus ou moins en les carénant, pour les noyer dans l'aile comme sur la Panhard Dyna de 1949.

En 1949, la Dyna modernise sa face avant avec des phares mieux intégrés (avant et après)

Au début des années 50, la plupart des accessoiristes proposent des carénages de phares pour la 2 CV et surtout pour la Traction, dont les formes sont jugées démodées.


Double projecteur


Jusqu'au milieu des années 50, le phare est le plus souvent bêtement rond, avec une ampoule à deux filaments qui procure l'éclairage code ou route. Quelques constructeurs se démarquent, comme Volkswagen avec ses feux ovales, Panhard avec des éléments rectangulaires sur la Dynamic, ou Pierce Arrow avec ses feux carrés.

Volkswagen

Les Américains dévoilent quelques dream cars qui offrent la particularité de compter quatre phares. En série, c'est la General Motors qui ouvre le feu en dévoilant en 1957 sa luxueuse Cadillac Brougham équipée de quatre projecteurs, une vraie révolution à l'époque.

Cadillac Brougham, 1957

D'après la GM, ce phare à deux optiques n'apporte que des avantages. Il accroît l'éclairage grâce à ses doubles réflecteurs qui travaillent de conserve, il permet d'abaisser le capot et et la ligne de caisse grâce à son diamètre réduit, et autorise ainsi un dessin de la face avant plus innovant. La Cadillac démode d'un seul coup toute la production US. L'année suivante, la concurrence réagit, et toute bonne américaine de standing se doit absolument de compter quatre phares, sinon elle est ridicule. Quasiment tous les constructeurs les adoptent, même Chevrolet sur la Corvette ! Le bon vieux Checker jaune pourtant peut soumis aux contraintes de la mode de par sa fonction doit pourtant s'y soumettre pour séduire les compagnies de taxis.

Chevrolet Corvette, 1958


Horizontaux et verticaux


En revanche, en France, les Peugeot, Citroën, Renault est Simca se montrent assez frileux à l'égard du double phare dont la largeur supplémentaire s'intègre mal dans les étroites carrosseries de l'époque. La 403, la Dauphine, l'Aronde conservent leur phare unique. Seul Facel Véga, qui vit essentiellement du marché américain, innove en proposant dès 1958 un double optique vertical sur sa sculpturale HK 500. Cela dit, il convient de préciser que dans ce cas là le phare du bas n'est qu'un antibrouillard et que celui du haut conserve sa classique double fonction.

Facel Vega HK 500, 1958

En Europe, c'est Fiat qui le premier lance la mode des doubles optiques sur son modèle 2100 Spécial de 1959, suivi en 1961 par ses berlines 1300/1500. Ford UK y vient dès 1961 sur la Consul 315 puis sur la Zodiac.

Fiat 2100

Il faut patienter jusqu'en 1963 pour que la France s'y colle avec la Panhard 24 CT qui offre en plus l'originalité d'un carénage de phares, dessin semble-t-il plus dû à Flaminio Bertoni de Citroën qu'à Louis Bionier, le père reconnu de la 24 CT. Panhard est suivi en 1967 par Simca qui ajoute une paire d'optiques sur la face avant de son ancien coupé 1000 Bertone reconverti en 1200 S. Citroën fait de même quelques mois plus tard lorsqu'est redessinée la face avant de la DS.

Simca 1200 S

Certains passages aux doubles optiques sont diversement appréciés. C'est le cas notamment pour la Ferrari 330 GT de 1964 dont l'accueil tiède incite Ferrari à proposer après 1965 une version corrigée avec simplement deux phares. Une partie de la clientèle traditionnelle de Rolls Royce apprécia peu les doubles optiques à la connotation trop américaine installés sur la Silver Clound III présentée en 1963. Pourtant, petit à petit, tous les constructeurs vont se rallier à cette mode : Alfa Romeo avec la berline Giulia en 1962, Lancia avec la Fulvia en 1963, Rover avec la 2000 la même année ... On ne lutte pas contre le progrès.

Rover 2000, 1963

Mais le phare, qu'il soit simple ou double, est toujours rond. En compétition, on a pris l'habitude de recouvrir ce phare d'un globe transparent en plexiglas qui a le mérite d'améliorer l'aérodynamique en épousant le galbe de la carrosserie. C'est certainement ce qui pousse Mercedes ou Facel Véga à proposer des phares verticaux recouverts d'un globe, ce qui améliore le Cx et permet de gagner quelques km/h en vitesse de pointe.

Mercedes 220 SE, 1959

Plus tard, ce procédé donne le jour à l'ensemble phare Mégalux qui équipe les Facel II, III et 6, de même que les René Bonnet Le Mans. De son côté, la marque à l'étoile restera longtemps fidèle aux doubles phares verticaux recouverts d'un verre, du moins sur ses modèles européens, car le carénage des phares qui était interdit aux USA avait contraint Mercedes à développer des doubles éléments séparés pour ses modèles américains, ce qui leur allait d'ailleurs plutôt bien. Ce n'était par contre absolument pas le cas sur les Citroën DS et SM vendues Outre-Atlantique, dont l'absence de carénage d'optiques leur enlevait une grande partie de leur personnalité.

Facel Vega Facel 6


Ovale, rectangulaire, carré


En mars 1961, Citroën étonne avec son Ami 6 équipée de projecteurs oblongs réalisés par Cibié. Ils améliorent non seulement l'éclairage grâce à un flux lumineux plus large, mais surtout ils autorisent un dessin inédit de la face avant.

Citroën Ami 6

En fait, c'est la Ford Taunus 17M de 1961 qui a eu le mérite d'innover sur le principe des phares ovales. Si techniquement, il ne s'agit que d'un gros phare rond au cuvelage écrasé qui n'améliore pas l'éclairage, loin de là, cette forme a le grand mérite de donner un regard doux à cette Taunus aux formes potelées qui ne manque pas de charme.

Ford Taunus 17M

Petit à petit, d'autres constructeurs se mettent aux phares oblongs : NSU dès 1963 avec sa Prinz 1000, après que Charles Deutsch les ait choisis pour son coach CD, phares empruntés à l'utilitaire Renault Goélette. Maserati a suivi cette tendance sur sa grande berline Quattoporte, de même que Glas sur sa 2600. Il convient de préciser que dans les deux cas l'initiative revenait à Touring, auteur de ces deux carrosseries. A leur tour, Peugeot et Renault s'y collèrent avec la 204 et la R 16.

Renault 16

A cette époque, on observe une tendance : le phare est souvent simple sur la version bas de gamme (Taunus 12 M, Escort 1100, Renault 8) et rectangulaire sur le haut (Taunus 15 M, Escort 1300 GT) ou double (R8 Gordini). Les phares peuvent être horizontaux (Fiat 1300), verticaux (Facel Véga) ou en biais comme sur la Triumph Vitesse ou les Chrysler de 1961.

Triumph Vitesse


Phares occultables


Les phares qui peuvent s'occulter sous un trappe furent très répandus à partir de la fin des années 60 sur les voitures sportives. Ce procédé permet d'offrir une ligne très affinée, tout en respectant lorsque qu'ils sont en position ouverte la hauteur minium imposée par le code de la route. En France, René Bonnet a été le premier à proposer des phares de ce type sur la BD HBR5 de 1955. Mais Bonnet a abandonné ce système coûteux et complexe dès 1958 lorsque la réglementation a été assouplie. Cela a permis à Jean Rédélé de dessiner l'avant de la Berlinette en adoptant des phares protégés par une simple bulle moins onéreuse.

DB HBR 5, en couverture du magazine l'Automobile, février 1958

Pendant longtemps, ces phares escamotables ont été synonymes de voitures sportives. Rappelez-vous des Matra 530, Bagheera et Murena, de la Lamborghini Miura, des Corvette à partir de 1963, de la De Tomaso Pantera, de la Ferrari 308 GTB, etc ... Même la Ford Thunderbird cacha ses feux dans la calandre de 1967 à 1969

Ford Thunberbird, 1968

Ce phare occultable, outre son prix de revient élevé, présentait le défaut d'avoir un faisceau tremblant sur mauvais revêtement, à cause des axes de rotation montés de façon assez souple. Opel a l'idée de proposer un basculement longitudinal et non transversal comme de coutume sur son coupé GT de 1969. Voir une Opel GT sortir ses phares en semblant rouler des yeux a enthousiasmé une génération d'enfants.

Opel GT, 1969


Phares sans fard


A la fin des sixties, nous vivions en pleine époque vroom vroom. Il fallait voir et être vu. Il était de bon ton d'empiler à l'avant des longues portées et autres anti-brouillard qui vous donnaient l'image d'un pilote rapide, dévoreur de kilomètres par tous les temps, de jour comme de nuit, à l'image des rallymen. On rajoutait des gros Oscar Cibié, des iodes extra plats, au prix d'une aérodynamique détruite. Qu'importe, c'était la mode ! Surtout pour réduire le coût de la 530, Matra proposa à la place des phares rétractables quatre gros bols posés comme ça sur le capot plongeant, procurant à l'ensemble un aspect très " compète ". Evidemment, le Cx prenait un gros coup. Le phare devait être pluriel, voyant. Plus il y avait de phares, plus on était un homme fort.

Matra 530 SX

Bien entendu, il y avait quelques évolutions vers des formes plus carrées, comme sur la Fiat 125 ou la Peugeot 604. Peugeot toujours innova avec des feux trapézoïdaux sur les 504 et 304. On évoquait à leur sujet le regard de Sophia Loren.

Peugeot 504

Mais la mode évoluait. Au début des années 80, le phare n'est plus un signe de puissance, car la mode aérodynamique est devenue l'argumentaire fort de la vitesse. Les faces avant inclinées avec une calandre réduite à de simples lames et les capots plongeants obligent à constituer des ensembles phares clignotants moins encombrants. De nombreuses voitures adoptent des optiques de plus en plus écrasés, comme la Citroën XM. On évoque même à la fin des années 90 la disparition du phare qui serait remplacé à court terme par des lames lumineuses !

Citroën XM


Texte original : Patrice Vergès, 1999 - Adaptation 2014 / Carcatalog
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