On se fait la malle

Nous allons vous raconter l’histoire des longues malles arrière. Pendant longtemps, les automobiles ont été équipées d’un coffre à bagages réduit voir inexistant. Il y avait seulement un porte bagage sur lequel on fixait … ses bagages. Lorsqu’on voyageait, ce qui était rare, on fixait ces derniers à même le toit, parfois sur les marchepieds ou sur une galerie de toit. Avant guerre, les Juva 4 ou Peugeot 202 ne possédaient même pas un couvercle de coffre. Pour charger ou décharger les bagages, il fallait baisser la banquette arrière !

Le coffre de la Peugeot 202

La mode des carrosseries aérodynamiques à l’arrière fuyant n’a pas favorisé, on s’en doute, l’accroissement des volumes de coffre, nécessitant parfois l’usage d’une coquille pour agrandir celui-ci. La naissance des lignes ponton venues des USA vers les années 48/49 va séparer le coffre de l’habitacle et jouer véritablement un rôle social.

Ford 1946 et 1949. Dès la fin des années 40, Ford sépare le coffre du reste de l'habitable, et adopte le style ponton.


2 à 3 volumes


A partir de ces années là, la malle va être traitée comme une véritable entité au même titre que le capot ou la cellule centrale, jouant désormais le rôle de troisième volume par rapport à la précédente carrosserie fastback deux volumes. En fait, si cette mode, esthétiquement inspirée du fuselage des avions est venue d’outre Atlantique, il y a une bonne raison. A cette époque, l’Amérique prônait fort les valeurs de la famille. Avoir une grande malle signifiait que le propriétaire était un bon père de famille nombreuse qui partait en week-end avec, campait au bord du lac ou dans le chalet de montagne. Mais en peu de temps, ce coffre en grandissant dans des proportions assez étonnante sous l’impulsion de la marque Cadillac à partir des années 50/52 va véhiculer d’autres symboles moins naïfs. D’année en année, les voitures US ne vont cesser de s’allonger par le coffre surmonté de grotesques ailerons pointés vers le ciel tels des fusées interplanétaires. La conquête de l’espace était une des obsessions de l’Amérique des fifties, tout comme la sexualité refoulée dans une société très prude aux codes de censure bien présents. Bref, plus le coffre était long, plus la voiture était chère, plus elle était rapide, plus on conducteur était bien assis dans la vie, et plus il était … puissant et viril !

Pontiac Star Chief, 1962, difficile de faire plus probant


Ne plus faire le dos rond


Comme d’habitude, notre vieille Europe va prendre ce train en marche. La Frégate et l’Aronde seront les premières voitures bleues à carrosserie à trois volumes démodant d’un coup le dos rond deux volumes des 203 Peugeot et Ford Vedette. Justement, Ford rajeunira ce modèle en 1953 en redessinant la poupe pour tenter de lui donner un aspect trois volumes un peu … courtaud certes. En effet, en France, à cause des dimensions réduites de nos voitures, il n’était pas question de les affubler d’une malle immense générant un gigantesque porte à faux arrière à l’américaine pas très propice à la tenue de route par ailleurs. Il est vrai que ces années là, l’habitabilité et le volume du coffre étaient de solides arguments de vente par rapport à aujourd’hui. Nous vivions dans une société encore faiblement motorisée et il n’était pas rare de s’entasser à six (enfants, parents, grands parents) dans un 4 CV Renault et à sept ou huit dans une Frégate, d’où l’importance du volume du coffre et de sa longueur, afin de pouvoir avaler tous les bagages des passagers.

En 1956, la 203 passe pour une antiquité face à la modernité de l'Aronde. Appréciez les formes totalement anamorphosées de ces automobiles dessinées.

Dans les catalogues des constructeurs ou sur les publicités les voitures généralement dessinées étaient systématiquement surbaissées, allongées, dotées d’un immense coffre afin de leur donner un aspect plus flatteur et disons le plus américain, qui était la mode référence d’alors. Simca qui n’avait peur de rien, représentait son Aronde tellement défigurée et anamorphosée au niveau des volumes, que beaucoup ne la reconnaissaient plus. Les rares périodiques automobiles vérifiaient soigneusement le volume des coffres souvent crédités de chiffres trop flatteurs pour les constructeurs, calculés à partir de bagages au dessin tourmenté ou même de … billes, procédé qui les agrandissaient notoirement. La malle était considérée comme une véritable résidence secondaire par rapport à l’automobile ! Dans les pubs, il n’était pas rare qu’un mannequin féminin ou des enfants s’assoient dans la malle pour prouver sa capacité … Qui oserait le faire aujourd’hui ?

Renault Caravelle, 1959


3 mètres et 3 volumes


En effet, comme aux USA, la malle arrière générait une image valorisante et même les petites voitures se devaient d’offrir trois volumes et un vrai coffre, comme sur une grande. Mesurant pourtant moins de 3 mètres, la Vespa 400 arborait trois volumes tout comme la Neckar 500 dérivée de la Fiat 500, l’Autobianchi Bianchina ou la NSU Prinz. Même les coupés sportifs faisaient peu appel à la forme fastback préférant le style tri corps.

Même la minuscule Autobianchi Bianchina de 1962 offrait trois volumes

En fait, le dos rond était jugé démodé, utilisé seulement sur les vieillissantes 203 Peugeot, la Coccinelle ou la Volvo 544. S’il était accepté sur une Aston, certaines Ferrari, Alfa et Porsche, cela n’empêchait pas les constructeurs de proposer des versions trois volumes. Ainsi, Porsche vendait notamment une 356 cabriolet équipée d’un hardtop fixe. Esthétiquement proche d’une trois volumes, ce modèle se vendit surtout aux USA, pays qui au début des années 60 tomba dans un gigantisme fou puisque les coffres dépassaient parfois les 1,50 mètre de longueur.

La Porsche 356, dans sa version deux et trois volumes

En France, il était de bon ton que lorsqu’un constructeur restylait sa voiture, il allonge systématiquement la malle, justement pour donner un aspect plus évocateur, puisque c’est sa longueur qui donnait toute son opulence à la voiture. Simca l’allongea en 1956 puis en 1959 sur l’Aronde, de même sur la Beaulieu en 1958, plus longue de 20 cm par rapport à la Versailles. Fiat utilisera la même recette sur la 1100 TV, comme Morris sur sa 1100 ou Alfa Romeo sur la Giulietta. Un peu plus tard, en 1963, Jaguar redessinera le dos rond de sa Jaguar Mk2 jugée bien démodée, rajoutant un troisième volume pas très réussi sur la version 3,8 litres S rebaptisée plus tard 420.

L'étirement des carrosseries n'a pas toujours été bénéfique aux Jaguar, Mk II puis S Type

Evidemment, les constructeurs américano européens comme Ford, Opel et Vauxhall vont jouer à fond cet effet stylistique. Les Opel Rekord génération 63/66 annonçaient un coffre plus long que le capot avant, surtout sur le coupé, mode qu’on peut juger esthétiquement parfaitement ridicule aujourd’hui. A l’époque, cette voiture se voulait un imitation à échelle réduite des Chevrolet US.

Opel Rekord Coupé, 1963


Coffre égal voyage


Chargé, cet interminable coffre déséquilibrait les aptitudes dynamiques des voitures qui n’avaient pas forcément besoin de cela. Etre nanti d’un coffre géant signifiait qu’on pouvait entasser beaucoup de bagages pour voyager. Pendant les vacances, la famille partait visiter la Bretagne, le Jura, l’Auvergne. Avoir une voiture à grande malle annonçait implicitement qu’on avait aussi les moyens financiers de voyager. Justement, pour bien le faire savoir, on avait le mauvais goût d’affubler la lunette arrière de décalcomanies ou de drapeaux aux armoiries des régions visitées, ce qui laissait entendre aux autres, les voisins, les doubleurs, les doublés, que " nous on voyage ! " .

Il y a aussi le cas des voitures à l’arrière allongé. Rappelez vous de la 304, une 204 revisitée, de la R10, une R8 inutilement plus longue puisqu’elle offrait un espace vide entre le radiateur et la jupe arrière. Simca dont la 1500 était trop compacte (4,25 m) pour jouer dans la même catégorie que la 404 (4,41 m) prolongea son coffre de près de 20 cm sur la 1501, ce qui boosta sa carrière et ne déplut pas aux possesseurs de la 1301 jugée très flatteuse pour seulement une 1300 cm3.

Aujourd’hui, une berline de cette catégorie inutilement aussi vaste serait critiquée. Mais c’était la mode, même si la capacité du coffre revêtait moins d’importance que dix ans plus tôt car l’automobile s’était bien démocratisée au milieu des années 60. Ce thème a déjà été longuement abordé dans cette rubrique dans un chapitre consacré aux voitures qui s'allongent.

La Renault 10, simplement une Renault 8 rallongée

Cela dit, il a fallu du courage à Renault pour oser présenter sa R 16 deux volumes en 1965. Après l’horrible Austin 1800 qui a été un terrible échec en partie mérité, c’était la première fois qu’un constructeur osait présenter une voiture moyenne sans la fameuse malle arrière, toujours porteuse d’image positive. Cela dit, beaucoup n‘ont pas aimé la R 16 lui trouvant un aspect trop utilitaire et se sont tournés justement vers la Simca 1301/1501 et surtout vers la 504 Peugeot plus conventionnelle. " Ca ne marchera jamais " ont ricané les sceptiques qui ont eu tort.

Le styliste Philippe Charbonneaux, il est vrai très en verve, dévoilera même une R 16 à trois volumes, destinée à ceux qui étaient choqués par l’absence de coffre classqiue. Mais fort heureusement, cette R 16 à l’habitacle trop court et à l’arrière démesuré restera sans suite.

La Renault 16 de Philippe Charbonneaux, puis l'originale


Le coffre se fait la malle


Mais l’automobile évoluait. Notre mode de vie changeait et on ne s’entassait plus à cinq ou six dans une voiture, ce qui provoqua l’apparition des sièges avant séparés et du levier de vitesses au plancher. L’auto ne va plus être seulement une machine à voyager mais un objet à vivre, utile pour aller au travail et faire son marché. L’éclosion des hypermarchés vers le milieu des années 60, à l’origine d’un accroissement notoire du volume des achats va favoriser la mode du break jusqu’alors jugé trop utilitaire, et surtout le développement du hayon, un bon compromis.

Le hayon de la Renault 16 est bien pratique au supermarché en cette fin des années 60. Les berlines conventionnelles constituent pourtant encore  l'essentiel du parc automobile.

Le succès de la Mini, de la R4, de la Primula, l’apparition de la Simca 1100 vont démoder peu à peu la notion de troisième volume. Mais c’est toujours Oncle Sam qui décide. Le succès de la Mustang fastback à deux volumes n’est pas étranger au retour de cette mode oubliée depuis la fin des années 40, d'’abord sur les sportives de Chrysler ou d'AMC, puis sur les coupés européens, comme l’Opel Rekord 67/71, la Volkswagen 1600 TL ou la Taunus 1971 . Même Citroën adoptera l’arrière fastback sur son Ami 8 en 1969 ! Au début des années 70, le coffre se faisait vraiment la malle.

Cette AMC Matador de 1975 renoue avec le profil fastback


2 ou 3 volumes


A partir de ces années là, les voitures vont se scinder en deux grandes familles : les deux volumes à hayon et les trois volumes, ou si vous préférez les tri corps à malle séparée. Citroën par exemple restera un fidèle inconditionnel du style fastback pour sa GS, CX et même pour la XM, à l’instar de Renault sur ses R 20/R 30 puis R 25 et Safrane. Il en fut de même pour Lancia avec ses Beta et Gamma. D’autres, comme Peugeot au contraire resteront adeptes du tri corps utilisé sur les 504, 604, 505 et 605, de même que Opel ou BMW.

Lancia Gamma Berlina

Dans l’hexagone on n’aime pas trop les grosses voitures bi corps, alors que le hayon ne dérange pas sur une citadine. C’est un goût essentiellement lié aux pays du Nord. Ceux du Sud comme l’Espagne, le Portugal, l’Afrique et l’Amérique du Sud préfèrent le concept de la malle arrière séparée jugée toujours plus flatteuses à l’œil. Pour bien vendre sa R 5 en Espagne, Fasa Renault a dû développer une R5 à trois volumes rebaptisée Siete. Tous les constructeurs ont proposé des versions « sac à dos « de leurs deux volumes pour ces marchés où elles sont généralement plus appréciées, passant il est vrai souvent du statut de deuxième voiture en France à celui de première voiture.

Renault Siete, une Renault 5 trois volumes

Opel qui avait développé une version tri corps et pas très réussie de sa première Corsa n’avait pas récidivé en 1993 pour sa deuxième mouture. Mais pour les pays du Mercosur, Brésil et Argentine notamment, il a été contraint d’y revenir avec davantage de réussite. Enfin, pour la Chine, Citroën a été obligé d’ajouter un troisième volume à sa ZX pour concurrencer la vieille VW Santana, ex-Passat qui séduit les chinois justement parce qu’elle est créditée d’une malle très longue.

La Santana a permis au géant de Wolfsburg de s'implanter en Chine dès le début des années 80

Voyez que l’histoire bégaie … C’est vrai aussi que les voitures tri corps sont créditées d’un coffre beaucoup plus court que naguère mais beaucoup plus épais, pour générer un sentiment de robustesse cette fois.

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