Pegaso, le grand tourisme ibérique
Le constructeur espagnol de camions Pegaso tente en 1951 une incursion dans l’automobile de Grand Tourisme. Ses voitures, concurrentes des Ferrari et Aston Martin sont produites jusqu'en 1957. Après seulement sept années d’activité, la marque Pegaso cesse de produire des voitures et revient à sa mission initiale, la fabrication de camions. INI / ENESA L'Espagne de la fin des années 40 présente un contexte peu favorable à toute forme d'aventure industrielle individuelle. Il s'agit d'un pays replié sur lui-même, épuisé par une guerre civile fratricide de 1936 à 1939. C'est devenu une dictature militaire dirigée par le général Francisco Franco. La population subsiste dans les conditions d'un pays sous-développé. Le pays est tenu à l'écart de l'Europe, elle-même dans une situation laborieuse. Ses rares échanges économiques se font avec le Portugal et l'Amérique du Sud. Les infrastructures routières de qualité sont quasi inexistantes, et les seules routes utilisables le sont par des camions, des autobus, et quelques rares automobiles hors d'âge. l'INI (Instituto Nacional de Industria) est une structure de l'Etat espagnol créée en 1941 pour promouvoir le développement industriel et l'autonomie nationale. Elle est à l'initiative de nombreux groupes qui sont devenus des acteurs majeurs de l'économie du pays, en gagnant pour la plupart d'entre eux leur indépendance financière. Grâce à l'INI, dans le secteur automobile, la ENASA (Empresa Nacional de Autocamiones SA) est fondée en 1946 et SEAT (Sociedad Española de Automóviles de Turismo) en 1950. En 1946, le marché espagnol des automobiles et poids lourds est convoité par quatre firmes, le suisse Saurer, les italiens Fiat et Alfa Romeo et Hispano Suiza. Pour des raisons essentiellement politiques, c'est l'option nationale soutenue par Hispano-Suiza qui est retenue. Sur les tables à dessin du bureau d'études de l'usine Hispano-Suiza de Barcelone, sous le regard attentif de Mark Birkigt, cofondateur de la marque, naissent les plans d'un camion de 6 tonnes à moteur 6 cylindres. Des prototypes sont exposés à la Foire de Barcelone en 1945. Il ne manque ni machine ni main-d'oeuvre pour mener à bien ce projet.
Pegaso Type II Diesel, vers 1951. La ENESA jette les bases d'une industrie automobile nationale dans un pays isolé politiquement et économiquement du reste de l'Europe. Il s'agit de répondre aux besoins primaires, en particulier la fabrication de camions et autocars. Le premier véhicule sort en 1946. En 1946, l'usine de Barcelone ne produit que 38 véhicules industriels, d'abord sous la marque Hispano-Suiza, puis Pegaso. Ce nombre progresse au fil des années, pour atteindre 450 unités en 1952 et 5 703 en 1963. Pegaso reste un petit constructeur à l'échelle européenne. En 1963, les sites de Barcelone et de Madrid - ce dernier est sorti de terre au début des années 50 - comptent près de 7 000 salariés. La ENASA met un point d'honneur à produire des matériels de haute qualité comme le faisait Hispano-Suiza, avec des essais poussés avant industrialisation et des contrôles de production sévères. Les camions sont vendus par la filiale " Commercial Pegaso SA ". Wifredo Ricart Wifredo Pelayo Francisco de Borja Ricart Medina (1897/1974), plus connu sous le nom de Wifredo Ricart, est né dans une famille de tradition maritime. Après des études d'ingénieur, il occupe son premier emploi au sein d'une concession Hispano-Suiza à Barcelone. En 1920, en association avec Francisco Perez de Olaguer, il fonde la société Ricart-Perez qui fabrique des moteurs de marque REX à usage industriel. Dès 1921, ils produisent leur propre voiture de course, la Ricart-Perez à moteur 4 cylindres 1500 cm3 à 2 ACT qui se taille une belle renommée sur les courses internationales. En raison de divergences avec son associé, Ricart prend son indépendance en 1926 et fonde " Motores y Automoviles Ricart SA ". La même année au Salon de Paris, il présente la Ricart 226, une six cylindres qui file à 140 km/h. Des difficultés financières l'amènent à s'associer avec Felipe Baillé, constructeur des Espana. Ainsi naît la marque Ricart-Espana à l'existence éphémère. Fuyant la guerre d'Espagne, il est engagé en juillet 1936 chez Alfa Romeo. Chef des études spéciales, ses premiers travaux vont vers la conception de moteurs diesel pour avions, avant de s'orienter vers l'automobile. L'écurie Alfa Corse est formée début 1938. Le régime fasciste souhaite mettre Alfa Romeo et la Scuderia Ferrari qui est l'écurie officielle d'Alfa Romeo en compétition depuis 1929 au service de sa politique étrangère, afin de contrer la suprématie grandissante des groupes allemands soutenus par le régime nazi, en l'occurrence Mercedes et Auto-Union. Alfa Romeo, pour contrôler au plus près cette activité, rachète 80 % des parts de la Scuderia Ferrari. Le grand Enzo perd son autonomie, pire il doit travailler sous l'autorité de Wifredo Ricart. Les deux hommes ne s'apprécient guère. Surtout, Enzo Ferrari ne supporte pas sa perte d'indépendance. Faute de pouvoir utiliser son nom en raison d'une clause de non-concurrence, il s'en va fonder l'Auto Avio Costruzioni en septembre 1939.
A l'issue de ses études au début des années 20, Wifredo Ricart tente une première fois de lancer sa propre marque automobile à Barcelone, sa ville de naissance. C'est en Italie chez Alfa Romeo dans les années 30 qu'il perfectionne son savoir, aux côtés d'un certain Enzo Ferrari. La relation est tumultueuse entre ces deux fortes personnalités. Après avoir refusé au lendemain de la guerre une proposition de Studebaker, Wifredo Ricart parvient à imposer une nouvelle marque automobile de Grand Tourisme en Espagne : Pegaso. Wifredo Ricart poursuit sa collaboration avec Alfa Romeo jusqu'à l'issue de son contrat en 1945. Sa fidélité au régime fasciste italien lui fait craindre pour sa sécurité, et il choisit alors de rejoindre l'Espagne. De retour dans son pays, son ambition est de construire sa propre voiture de sport, à l’instar de Ferrari qui vient d’ouvrir un atelier de fabrication à Maranello. Wifredo Ricart est l'un des acteurs majeurs de la naissance de la ENASA en octobre 1946. Hispano-Suiza apporte l'usine, les projets et licences de véhicules industriels. En plus de ses compétences, Wifredo Ricart fait venir d'Italie de nombreux techniciens qui vont l'assister dans ses projets. Mais les camions seuls ne peuvent nourrir la passion d'un homme de sa trempe. Wifredo Ricard convainc la direction de la ENASA d’investir dans la production en petite série d’automobiles de prestige. Il persuade les décideurs - essentiellement des militaires - qu'une voiture de ce type ne peut être que bénéfique pour l'image de Pegaso, et qu'elle permettra de montrer au monde entier le haut niveau de savoir-faire atteint par l'industrie espagnole, comme ont su l'exposer aux yeux de tous Mercedes et Auto-Union avant-guerre. L'industrie espagnole, en s'appuyant sur la tradition d'Hispano-Suiza, serait en position de force pour concurrencer les Aston Martin, Jaguar, Ferrari, Alfa Romeo ou Maserati. Ultime argument, la production d'automobiles de sport permet de créer une certaine dynamique au sein de la ENASA, dont les ingénieurs sont plus habitués à concevoir des poids lourds, activité en soi peu exaltante. Wifredo Ricart, en fin politique, obtient les généreux crédits tant espérés à partir de 1948. L'époque est pourtant singulière. L'automobile de prestige connaît une période de transition, qui voit d'un côté mourir les grandes marques d'avant-guerre, en particulier françaises, et de l'autre éclore une nouvelle école italienne extrêmement prolifique. La Z102 fait discrètement ses premiers tours de roues en 1950. Elle est équipée d’une mécanique exceptionnelle pour l’époque. Le V8 en alliage fait appel à des soupapes d'échappement au sodium pour un meilleur refroidissement, à des pistons en aluminium forgés et à une lubrification par carter sec, autant de techniques issues de la compétition. Rares sont à cette époque les voitures qui peuvent prétendre avoir été dessinées à partir d'une feuille blanche, avec si peu de contraintes techniques ou budgétaires.
Le logo de la marque Pegaso représente un cheval lippizan, une race originaire de Slovénie, culturellement liée à la célèbre École espagnole d'équitation de Vienne en Autriche. La ENASA a pris cet étalon espagnol comme emblème, en lui donnant le nom du cheval ailé de la mythologie grecque Pégase. On peut penser que le V en arrière-plan symbolise à la fois la victoire et la vitesse. Pegaso Z102, 1950/1957 Un premier prototype est assemblé en 1950, puis en 1951 ce sont quatre autres voitures de pré-série qui sont construites et carrossées artisanalement dans les murs de la ENASA. C'est au Salon de Paris en octobre 1951 que la Z102 effectue ses débuts en public. La presse est élogieuse, qu'il s'agisse de l'avant-garde menée par Jean Bernardet pour " l'Automobile " ou de la vieille école encore représentée par Charles Faroux dans " La Vie Automobile ".
L'habillage des Pegaso a toujours été réalisé avec soin. Au début, c'est l'usine qui s'en charge. Les premières Pegaso sont comme plaquées au sol, présentent des flancs lisses, un long capot et une calandre béante. Selon ses goûts, on les trouve franchement pataudes, ou au contraire très personnelles. La Z102 n'est pourtant pas encore au point, et avant d'envisager une production plus soutenue, il convient de remédier aux nombreux défauts de jeunesse, tant dans la mise au point du moteur que concernant la tenue de route. Parallèlement, durant cette année 1952, Wifredo Ricart fait appel à deux des plus grands carrossiers de l’époque, Touring et Saoutchik afin de produire des voitures encore plus raffinées, plus élégantes et plus légères.
Wifredot Ricard apprécie le procédé Superleggera mis au point par Touring dans les années 30. Lorsqu'il rencontre Bianchi Anderloni, il lui précise que la ENESA a décidé de renforcer son image et que pour cela, il n'est pas question de proposer une voiture de tourisme comme tant d'autres, soumises à des contraintes de prix. Pour mener à bien son oeuvre, il lui faut un carrossier qui soit à la hauteur des ses exigences, et seul Touring correspond à ses critères. Saoutchik est nommé importateur exclusif pour la France. Ses propositions arborent des lignes plus baroques, qui ne font manifestement pas l'unanimité. Il demeure le carrossier de l'outrance, de la disproportion des formes et de la surabondance de matière. Les premières Z102 n'y échappent pas.
Les ailes avant de cette Pegaso par Saoutchik débordent jusque sous les portières. Les ailes arrière sont si enveloppantes que la voie semble exagérément rétrécie. Le tout compose un profil bâtard qui hésite entre le style ponton que sont en train d'imposer les Italiens et les Américains, et le classicisme français des années 30 désormais démodé. Certaines des réalisations de Touring et Saoutchik sont dûment référencées au catalogue Pegaso. Ce n'est qu'en 1953 que les premières voitures entrent réellement en production. Vingt exemplaires sont assemblés, mais hélas et on l'ignore encore, plus jamais ce volume ne sera atteint. A grands frais, Pegaso est présent sur les principaux salons européens, lors des concours d'élégance ou des records de vitesse. La firme espagnole organise même une tournée de promotion aux Etats-Unis avec six voitures. Un importateur est nommé à Long Island. Si le show accompagné de personnalités et de pin-up locales fait son effet, cela reste de la poudre aux yeux, et ne permet pas de remplir le carnet de commandes.
L'une des deux Pegaso Capula réalisées par l'usine fait partie de la tournée américaine de 1953. Elle est vendue au général Rafael Leonidas Trujillo, dictateur de la République Dominicaine. L'autre est exposée à Paris en 1952. La production tombe à 19 automobiles en 1954. C'est aussi cette année-là que sont assemblés les derniers moteurs de Z102. Désormais, l'usine va vivre sur ses stocks. Les dirigeants de la ENASA sont lassés de financer la danseuse de Wifredo Ricart. Il n'est plus question de payer les coûteux déplacements à travers l'Europe ou aux Etats-Unis. Seule une présence au Salon de Paris sera maintenue, et les Pegaso que l'on verra ailleurs en Europe ne seront présentées que grâce à l'initiative de Touring. En Espagne, les Z102 continuent de s'afficher à côté des camions Pegaso lors d'expositions, mais uniquement comme faire-valoir.
Les réalisations de la ENESA, de Saoutchik et de Touring permettent de proposer une vraie gamme de modèles, et la collaboration de deux grandes maisons de la carrosserie automobile - et non des moindres - renforce la crédibilité de Pegaso. La Z102 par le détail Plusieurs évolutions différentes du V8 en aluminium sont proposées, avec des cylindrées et des niveaux de puissance différents : 2 472 cm3 (165 ch), 2 816 cm3 (170 ch) et 3 178 cm3 (195 ch). Avec le compresseur optionnel sur les versions Z102 B, les puissances ressortent à 225, 250 et 280 ch. Wifredo Ricart ne s'est jamais vraiment soucié de l'insonorisation de ses automobiles, faisant entièrement confiance dans les capacités d'endurance de ses clients qui pense t'il savent communier avec la mécanique. La direction dépourvue d'assistance, les gros tambours bruts de fonderie et la boîte de vitesses ferme complètent la parfaite panoplie de ce que l'on appelle alors avec justesse une voiture de sport.
Les productions de Touring ont toujours été plus inspirées que celle de Saoutchik. Les ouvertures pratiquées sur le capot moteur de ce spider Tibidabo semblent faire référence aux nasaux des taureaux de corrida. Cet exemplaire est exposé au Salon de Paris en octobre 1952. La Pegaso devient très vite un must en matière automobile, capable d'atteindre des vitesses dépassant largement les 200 km/h. Pour autant, aucune Pegaso ne s'illustre particulièrement en compétition de haut niveau. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. Il y a certes un manque de moyens et de structure au sein de la ENESA, mais il s'agit surtout de mécaniques à la mise au point encore fragile. Engagées au Mans en 1952, les Pegaso déclarent forfait avant même le départ, tandis que l'année suivante c'est un incendie qui détruit les voitures trois semaines avant l'épreuve. Pour y remédier, deux spiders déjà testés en courses de côte sont inscrits, mais un accident durant les essais met un terme à cette nouvelle tentative. A défaut de présence au Mans, Pegaso se signale par plusieurs records de vitesse. Un semblant de service compétition est mis en place, ce qui permet aux voitures espagnoles de figurer honorablement dans plusieurs courses de côte, en rallyes et sur circuit. Un engagement sur la Panaméricaine conduit même une Pegaso à la quatrième place au classement général face aux Lancia, Ferrari et autres grandes marques US, avant que la voiture ne sorte définitivement de la route.
Le coupé Zagato Z102 dit Berlinetta Thrill (frisson) produit en un seul exemplaire est présenté au Salon de Turin 1953. Son style tourmenté et avant-gardiste est signé Touring. Son profil de break de chasse étonne, avec une partie arrière constituée d'une importante bulle vitrée. On s’accorde à trouver chez Pegaso une qualité de fabrication supérieure à celle de ses homologues italiennes ou britanniques, ce qui n’est pas un mince compliment. Un soin extrême est apporté à l'aménagement extérieur : garnitures anti-chocs, commandes sans aspérité, poignées de maintien, ceintures de sécurité, climatisation, etc ... Chaque Pegaso est unique, et répond aux désirs et besoins d'un client. Cette qualité inégalée est réservée à quelques très rares privilégiés, souvent étrangers, capables de dompter une voiture somme toute assez délicate à conduire.
Saoutchik construit des berlinettes et des cabriolets Pegaso, aux lignes particulièrement tourmentées, mais fidèles aux usages du carrossier de Neuilly-sur-Seine. Les dernières versions sont débarrassées des formes trop complexes, et adoptent enfin un profil plus pur. Notez la présence d'un minuscule pare-brise sur ce modèle. 1956 : Pegaso Z103 Dans le prolongement de la Z102, la Z103 est présentée au Salon de Paris en 1956 sous la forme d'un spider habillé par le carrossier barcelonais Serra et d'un coupé Touring. Intrinsèquement, la voiture reste la même que la Z102, mais le moteur est bien moins sophistiqué, afin d'abaisser le coût de fabrication. Wifredo Ricart est plus que jamais isolé, en raison du désengagement de la ENASA.
Le modeste carrossier Pedro Serra accède à la notoriété en habillant les dernières Pegaso. Cette entreprise de carrosserie va poursuivre ses activités de modification de voitures pour des clients fortunés jusqu'aux années 70. La Z103 est proposée avec trois niveaux de cylindrée : 3 900 cm3, 4 480 cm3 ou 4 681 cm3. Une augmentation de puissance sur ces différentes cylindrées peut être obtenue par un accroissement du taux de compression, ou par l'adoption de deux, quatre ou huit carburateurs Weber. La brochure de la Z103 précise que la Pegaso s'adresse " à une clientèle n'ayant pas d'intérêt à ce qu'on limite la cylindrée du moteur, et libre de toutes préoccupations fiscales, ou de tous règlements sportifs ". A cette époque, Wifredo Ricart faisant fi du désintérêt de la ENESA qui n'accorde plus des fonds qu'au compte-goutte, passe un accord avec Touring, prévoyant que celui-ci installe un atelier de montage de ses carrosseries dans l'usine ENESA de Madrid. Mais les dirigeants de la ENESA bloquent le projet. Douze Z102 sont encore produites à Barcelone en 1955, puis encore douze autres en cumul sur 1956 et 1957, mais à Madrid. Les derniers moteurs sont vendus en tant que pièces, et certaines caisses sans mécanique se verront affublées d'un moteur Alfa Romeo ... On reste en famille. La présence de Pegaso au Salon de Paris 1956 peut surprendre dans ce contexte, mais la ENASA n'a aucun état d'âme à exploiter l'image des automobiles Pegaso pour mieux vendre ses camions. Elle a payé pour ça.
Ce coupé Z103 date de 1956. C’est un des tout derniers modèles de Grand Tourisme produits par Pegaso et carrossés par Touring. Le carrossier italien assure à lui seul plus de la moitié de la production Pegaso. On remarque la présence d'un pare-brise panoramique. L'aspect général évoque les Maserati contemporaines. Une fin sans gloire L'aventure Pegaso se termine en 1957, du moins dans le domaine automobile. Au total, ce sont moins d'une centaine d'automobiles qui auraient été produites, dont seulement trois ou quatre du type Z103. Malgré les ambitions et les moyens mis en place, c'est un échec. Pour soutenir les ventes, il aurait fallu un vrai service de compétition, et une organisation commerciale digne de ce nom. La production des voitures ressemblait surtout à un savant bricolage avec des automobiles assemblées à la main au département expérimental, parfois par des apprentis. Wifredo Ricart lui-même n'a jamais fait preuve d'une grande linéarité dans ses décisions, n'hésitant pas à défaire et refaire en fonction de ses humeurs et coups de cœur. Il est apparu très vite que la production des automobiles Pegaso ne tenait que grâce à son entêtement et à une certaine complaisance du régime politique, mais certainement à l'encontre de toute rentabilité économique. Aux yeux des nouveaux technocrates qui avaient pris le pouvoir au sein de la ENASA, le divertissement avait assez duré. Wifredo Ricart était destitué de ses fonctions. Dans les années 60, tout ce qu'il restait dans l'usine de Madrid des Z102 et Z103 fut conduit à la casse, sans aucun état d'âme. Malgré la vie éphémère des automobiles Pegaso, ces voitures de grand tourisme rares en nombre, sont devenues de grandes classiques très recherchées, dignes héritières des Hispano-Suiza d’avant-guerre. La marque Pegaso a poursuivi la fabrication de ses camions et autocars, et a été absorbée par le groupe Iveco dans les années 90. Le nom commercial Pegaso a disparu définitivement en 1994. Une fois l'aventure automobile Pegaso terminée, Wifredo Ricart est demeuré membre du CETA (Centro de Estudios Tecnicos de Automocion), autre organisme issu de l'INI. Il y a joué un rôle très important dans le développement de la SEAT, qui a mis enfin l'Espagne sur roues. Puis il a occupé différentes responsabilités au sein du groupe Ducellier-Bendix-Lockheed. En France, il a été membre de la SIA, la Société des Ingénieurs de l'Automobile. Il est décédé en 1974. Epilogue En 1992, à l'initiative du gouvernement espagnol et à l'occasion des Jeux olympiques, avec l'appui de financiers espagnols, le studio IAD (International Automotive Design) se voit confier la tâche de donner une nouvelle vie à l'une des dernières Pegaso construites, la Z103 du carrossier Pedro Serra. La voiture dotée d'une véritable carrosserie en acier répond à toutes les contraintes légales du moment. IAD y installe un V8 Rover de 3,9 litres entièrement en aluminium développant 170 ch, accouplé à une boîte-pont d’Alfa Romeo 75. Une dizaine d'exemplaires auraient été assemblés.
Plus réplique que revival, IAD s'est inspiré en 1992 de l'une des dernières Pegaso produites, le temps de rappeler aux foules que l'industrie espagnole a su produire de très belles automobiles.
Texte : André Le Roux / Jean-Michel Prillieux |
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