Edsel, chronique d'une désastre annoncé

Edsel est une marque automobile américaine lancée par le groupe Ford en 1957 qui fut supprimée trois ans plus tard, faute de commandes suffisantes. Elle tenta d'épauler les trois autres marques du groupe, la populaire Ford, la moyenne supérieure Mercury et l'élitiste Lincoln. L’Edsel est sans doute le pire échec commercial du groupe Ford.


La création d'une nouvelle marque


La marque automobile Edsel voit le jour fin 1957 au sein du groupe Ford, mais l’idée de concevoir cette nouvelle gamme automobile est née trois ans plus tôt. En 1954, un comité en charge de la prospective rend un rapport clair. Les cadres chargés du dossier préconisent le maintien de Mercury, marque créée de toute pièce en 1939, mais suggère la création d'une marque complémentaire, porteuse d'une image forte, positionnée entre Mercury et Lincoln. Henry Ford II demande à ce que ce projet soit approfondi. Il prend le nom de E-Car pour Experimental Car.

L'enthousiasme est de mise. Le groupe Ford est bien décidé à contrecarrer la stratégie d’hégémonie de son principal challenger, la puissante General Motors. On évoque même un projet de marque sous le nom de Continental, au-dessus de Lincoln. En 1954, la General Motors est constituée de cinq marques, Chevrolet, Oldsmobile, Pontiac, Buick et Cadillac, tandis que le groupe Chrysler lance Imperial en 1955 pour appuyer Plymouth, De Soto, Dodge et Chrysler. Au fur et à mesure de son ascension sociale et de l'évolution de ses revenus, un couple peut ainsi passer dans ces deux groupes d'une marque à l'autre, sans partir à la concurrence.

L’idée de Ford ne manque pas de logique à une époque où l’automobile connaît un boom sans précédent. En 1948, une étude a démontré qu'un propriétaire de Chevrolet quand il change de véhicule pour un modèle supérieur reste fidèle à la General Motors dans 87 % des cas. Ce taux est de 77 % chez Chrysler, mais seulement de 26 % chez Ford.


Se différencier, quitte à surprendre


Le budget accordé à la conception, l'industrialisation et la commercialisation de l'Edsel est le plus important qu'un groupe américain ait jamais investi pour ce type de projet. C'est un budget à rendre jaloux les décideurs de la General Motors. Il représente le quart des investissements du groupe pour la décennie à venir. L'équipe en charge du projet a donc les coudées franches.

L'objectif fixé par Henry Ford II est de concevoir une voiture reconnaissable entre toutes. Le badaud dans la rue devra immédiatement identifier une Edsel. Il confie cette mission à Roy A. Brown (1916-2013). Canadien de naissance, Brown a débuté sa carrière de dessinateur au sein du studio Cadillac sous la tutelle de Bill Mitchell. Puis il s'est orienté vers d'autres secteurs industriels, avant de revenir à l'automobile chez Ford en 1953, en tant qu'assistant au studio Lincoln, dirigé par William Schmidt. C'est ce directeur qui va le recommander pour le projet Edsel.

A 35 ans, le défi qu'il doit relever est énorme. Il s'agit de dessiner une nouvelle gamme automobile pour le deuxième constructeur mondial. Le jeune designer a l’idée d'associer le style des années 30 et celui des années 50. Avec son équipe, il imagine une grille de calandre verticale à une époque où tous les constructeurs ne jurent que par de larges ensembles horizontaux. Brown est loin d'imaginer toutes les polémiques que ce choix iconoclaste va susciter. D'autres se sont essayés à ce motif avant lui en particulier Packard en 1955 et 1956, avec les Request et Predictor. Mais il ne s'agissait que de voitures expérimentales.

Roy A. Brown n'est pas le premier à remettre au goût du jour la calandre verticale sur l'Edsel 1958. La Packard Request a été présentée au Salon de Chicago en 1955, et répondait aux souhaits d'une partie de la clientèle Packard pour un retour à la calandre traditionnelle.

Le 16 août 1955, deux ans avant la commercialisation de l'Edsel, Roy A. Brown, un peu tendu, présente à tout le staff de Ford le fruit de son travail sous la forme d'une maquette. Henry Ford II est bien sûr présent. L'assistance découvre un cabriolet turquoise et blanc, qui regroupe déjà l'ensemble des caractéristiques esthétiques de la future Edsel. Le petit comité semble conquis. Brown peut enfin respirer.


Un nom de baptême controversé


L'agence publicitaire Foote, Cone & Belding produit une liste de 18 000 noms possibles, répondant à un cahier des charges précis. La nom de la nouvelle marque doit être court à prononcer, ne pas comporter plus de trois syllabes, être audible immédiatement lors des nombreux spots TV et radios programmés, et il doit être issu du vocabulaire américain. Les premières propositions retenues serviront à désigner les quatre modèles commercialisés : Ranger, Pacer, Corsair et Citation.

Ernest Breech (1897-1978), président du conseil d'administration de Ford, ne valide aucune des idées émises concernant le nom de la marque en elle-même. Il suggère plutôt de reprendre le prénom d'Edsel Ford, décédé prématurément en 1943 à l'âge de 49 ans. Edsel Ford a dirigé avec son père Henry Ford la compagnie de 1918 à 1943. Il a donné naissance avec succès à la marque Mercury. C'est le père d'Henry Ford II (1917-1987), président puis président-directeur général de Ford de 1945 à 1979. Son nom et son action sont respectés dans le milieu automobile.

Edsel Bryant Ford reste le principal responsable de l'épanouissement de la division Lincoln, souvent contre l'avis de son père qu'y n'y voyait que futilité. Il a aussi donné naissance en 1939 à Mercury. Source : https://fineartamerica.com

Breech se fait fort de persuader la famille Ford de suivre sa proposition. Il saura se montrer convaincant. En effet, en novembre 1956, Henry Ford II annonce par le biais d'un communiqué que la nouvelle marque du groupe portera effectivement de nom d'Edsel. Cette décision est sans appel et personne n'osera la contester, même si certains sont perplexes. Ce nom n'exprime en effet rien de particulier pour l'Américain moyen. Il n'est associé à rien de prestigieux et ne sonne pas très agréablement à l'oreille. Edsel se traduit en français par noble.


L'obsolescence programmée


La marque Edsel va traverser trois millésimes, avec pour chaque année une nouvelle gamme et une nouvelle carrosserie. Ce n'est pas spécifique à l'Edsel ni au groupe Ford, puisque la General Motors et Chrysler opèrent à peu près de la même manière. Ce renouvellement annuel correspond à une volonté affichée des constructeurs de générer une obsolescence des produits la plus rapide possible afin de soutenir les ventes de voitures neuves. Cette stratégie sera progressivement assouplie au cours des années 60 et plus encore dans les années 70, en raison d'un déploiement important des gammes chez tous les constructeurs. Par ailleurs, ce qui peut se concevoir dans un marché très porteur devient plus difficilement soutenable financièrement quand les ventes commencent à stagner ou à baisser.

En outre, cette obsolescence programmée est de plus en plus dénoncée par les associations de consommateurs. Enfin, Ralph Nader s’invite au débat en critiquant les constructeurs américains qui dépensent beaucoup d’argent pour le renouvellement de leurs modèles mais bien peu pour tout ce qui touche à la sécurité. Ce message sera bientôt reçu cinq sur cinq par tous les constructeurs et par l’administration américaine qui va devenir de plus en plus pointilleuse à cet égard.

Depuis les débuts du projet, un jeune cadre dénommé Jack Reith, l'homme qui est parvenu à liquider en douceur la filiale de Ford France à Poissy en la cédant à Simca, a toute l'attention d'Henry Ford II. De retour aux Etats-Unis, ses fonctions l'amènent à prendre part au projet Edsel. Son intervention conduit à gagner une année sur la date de sortie de la voiture. Surtout, le plan de Reith prévoit deux gammes distinctes. L'une utilise des organes Ford et se positionne entre Ford et Mercury, l'autre des éléments Mercury, pour s'inscrire entre Mercury et Lincoln. Les Edsel les plus abordables feront donc face à Dodge et Pontiac, les plus coûteuses à Chrysler et Buick, Mercury restant face à De Soto et Oldsmobile.


 Millésime 1958 : La première génération de l’Edsel


La production débute le 15 juillet 1957. L'agence Foote, Cone & Belding en charge de promouvoir l'Edsel lance une campagne de presse pour annoncer l'arrivée imminente d'une quatrième marque dans le groupe Ford. Des films sont tournés pour vanter " The New Edsel Line " à un public que l'on pense impatient de s'offrir pareille merveille. On sait que les Américains aiment ceux qui savent dépenser. Ford n'hésite pas à annoncer que 250 millions de dollars ont été investis dans ce projet.

Enfin, le grand jour arrive. L'Edsel est officiellement présentée chez les distributeurs (dealers aux USA) le 4 septembre 1957. La presse salue dans son ensemble la nouvelle venue, certains journalistes allant jusqu'à lui prédire un avenir resplendissant. Un réseau de distribution conséquent a été mis en place. Sur les 1 398 concessionnaires agréés, environ 67 % vendent aussi des Mercury et des Lincoln, 21 % des Mercury, 3 % des Lincoln, et les 9 % restant sont des concessionnaires exclusifs Edsel.

La première génération de l’Edsel est lancée le 4 septembre 1957 pour le millésime 1958. Chez les distributeurs, ce n'est pas le raz-de-marée tant attendu, les acheteurs se font désirer.

La gamme est divisée en quatre niveaux de finition : Ranger, Pacer, Corsair et Citation. Les Ranger et Pacer sont équipées d'un V8 Ford de 5956 cm3 (un 5,7 litres réalésé) et 303 ch, et elles reprennent un châssis Ford de trois mètres d'empattement. Les Corsair et Citation héritent d'un V8 6765 cm3 de 345 ch emprunté à la division Lincoln, sur un châssis de 3,15 mètres d'empattement d'origine Mercury. Plusieurs carrosseries figurent au catalogue : berline deux et quatre portes, hard-top deux et quatre portes, station wagon deux et quatre portes, et convertible.

Selon les souhaits de ses concepteurs, l'Edsel est reconnaissable entre mille, grâce à sa partie avant traitée dans un style baroque qui lui vaudra de nombreux quolibets.

Différents types de transmissions sont proposés : manuelle à trois rapports, overdrive, automatique à trois rapports. Mais l'offre la plus originale, également automatique à trois vitesses, est baptisée Teletouch Control. Elle fonctionne à partir de cinq boutons-poussoir positionnés au centre du volant. Amusante dans son principe, la manipulation de cette transmission exige un certain entraînement et nécessite de quitter la route des yeux pendant un court instant.

L'Edsel Convertible est disponible dans les séries Pacer et Citation. En 1958, elle est produite à respectivement 914 et 1571 exemplaires.

Les ailes plates à l'arrière qui surplombent des feux très fins en forme de boomerang, les flancs franchement incurvés qui autorisent un bicolorisme à la mode et les chromes gracieusement distribués procurent une touche spécifique à l'Edsel. Celle-ci provoque son monde, et semble faire un bras d'honneur aux idées développées par Harley J. Earl à la General Motors et Virgil Exner chez Chrysler, notamment en se privant d'ailerons arrière. Hélas pour Ford, ce sont Earl et Exner eux qui sont à la mode en 1958.

Lors d'une visite scolaire chez Ford à Deaborn à l'approche des fêtes de Noël 1957, ces enfants découvrent une berline hard-top Edsel Citation peinte en " Snow White " pour la carrosserie et en " Jet Black " pour la découpe latérale.

Mais ce qui assurément caractérise l'Edsel, c'est sa calandre verticale. On ne voit qu'elle, béante et majestueusement incongrue. D'ailleurs, la calandre de l’Edsel n’en est pas vraiment une, car au lieu d’une pièce pleine et striée, on a affaire à un ensemble creux inspiré des réacteurs d’avion, doublé d’une structure chromée. Cet élément nécessite une certaine acclimatation du regard. Plus d'un acheteur potentiel est dérouté. Depuis de nombreuses années, les voitures américaines qui mesurent près de deux mètres de large imposent des calandres horizontales plus agréables à l'oeil.

Le magazine Motor Trend d'octobre 1957 ne peut pas manquer l'un des événements majeurs de cette fin d'année 1957. On peut sourire à la vue de cette mise en scène, avec des techniciens en blouse blanche et un ensemble châssis + mécanique immaculé. L'essayeur du mensuel se montre séduit par les performances et le comportement de l'Edsel.

Parmi les qualités de l'Edsel, il faut noter un confort hors du commun, une vaste habitabilité, une bonne finition et un équipement conséquent. Cela en fait l'une des voitures du marché les plus aptes à de longs trajets. Pour la tenue de route, il faudra encore attendre quelques années avant que cela ne devienne une préoccupation des constructeurs sous l'influence notamment de Ralph Nader.


La spirale infernale est enclenchée


Jusqu'en 1957, la clientèle a réclamé de puissants V8, des gadgets, du chrome et des couleurs vives. Mais l'époque de l’euphorie est révolue. Au quatrième trimestre 1957, l'économie américaine subit une de ces crises cycliques dont elle est coutumière, qui débute par une chute brutale des valeurs boursières, juste au moment de la commercialisation de l'Edsel.

C'est tout le secteur automobile qui est impacté. D'une année sur l'autre, les ventes de De Soto plongent de 54 %, celles de Mercury de 48 %, celles de Dodge de 47 %, celles de Buick de 33 %, celles de Pontiac de 28 %, celles d'Oldsmobile de 18 %. On est passé de 7,9 millions de voitures vendues aux Etats Unis en 1955 à 4,5 millions en 1958. Les immenses paquebots bardés de chromes que proposent les Big Three depuis des années ne séduisent plus autant. La clientèle est en quête de voitures plus compactes, la Volkswagen et la Renault Dauphine font un tabac sur le sol américain. Dans ce contexte particulier, l’Edsel tombe au pire moment.

Immédiatement, le manque d'intérêt du public pour l'Edsel est perceptible. La classe moyenne ne se rend pas chez les dealers, et ceux-ci se retrouvent avec des stocks énormes. De fait, les usines ralentissent les cadences. La presse commence à se faire l'écho de la situation, ce qui ne fait qu'amplifier le phénomène. Pire encore, du jour au lendemain, l'Edsel devient la cible des journalistes et des farceurs, presque un objet de ridicule national. Des dessinateurs satiriques n'hésitent pas à dresser de subtils parallèles sexuels, certains esprits malveillants la comparent à un collier de cheval ou à un siège de WC. Les premiers propriétaires entendent régulièrement des blagues du type " et vous, où avez vous gagné la vôtre ? ".

Quatre types de station wagon Edsel sont proposés en 1958. Par ordre de prix la Roundup deux portes, la Villager quatre portes six ou neuf places, et la Bermuda quatre portes six places.

En 1958, la publicité mentionne : " Once you've seen it, you'll never forget it. Once you've owned it, you'll never want to change ". Il est vrai que la voiture restera inoubliable mais pour d’autres raisons que celles imaginées par ses concepteurs … Ford avait tablé sur un minimum de 100 000 ventes, et les prévisions les plus optimistes visaient le double. Fin 1958, à l'heure du bilan, c'est la douche froide. Durant ce premier millésime, il ne s'est vendu que 63 110 Edsel, ce qui classe la marque pour sa première année d'exploitation à la quatorzième place des seize marques encore en activité.

Si l'Edsel n'est pas parvenu à ses objectifs, elle affiche tout de même des scores équivalents à ceux de marques bien établies comme De Soto ou Studebaker. Mais Edsel est loin d'avoir acquis le statut de grande marque comme Pontiac, Buick ou Oldsmobile. Surtout, le nombre d'automobiles vendues au regard de l'investissement colossal est ridicule. Henry Ford tente de rassurer tant bien que mal ses troupes et son réseau, en expliquant que l'Edsel est prévue pour durer.


Millésime 1959 : Il s'agit de raccrocher les wagons


Un plan de redressement est élaboré, mais il ne peut s'agir que d'un replâtrage réalisé avec les moyens du bord. On va surtout se débarrasser de tout ce qui fait l'originalité de l'Edsel. Cette deuxième génération présentée le 31 octobre 1958 est dotée de doubles phares comme en 1958, mais ils sont intégrés à la grille horizontale entourant la calandre, qui reste verticale, mais dont le style est plus consensuel. Les lignes générales sont plus rectilignes que l’année précédente, suivant une tendance notable chez tous les constructeurs. Le profil reçoit un jeu de baguettes des plus banals. Le pare-brise monte plus haut et s’inspire de ce qui se fait alors chez Ford et Mercury.

Alors que certains dirigeants de Ford tablaient sur 200 000 ventes, on sait désormais que l'Edsel est un échec majeur. Henry Ford II refuse de baisser les bras. Les évolutions esthétiques sont nombreuses pour 1959, même si on a décidé de conserver la calandre en collier de cheval.

Sur le plan industriel, alors que l'année précédente cinq usines oeuvraient à la production de l'Edsel, en 1959 seul le site de Louisville dans le Kentucky reste concerné par cette marque. On s'interroge déjà sur l'avenir de cette division, qui tire le groupe Ford vers le bas, à un moment où Mercury et Lincoln peinent à faire la différence avec leurs rivaux de chez Chrysler et General Motors. En février 1959, Henry Ford II confirme sa position. Il s'est engagé envers son réseau à ne pas baisser les bras, et il espère toujours un sursaut des ventes. Cela n'empêche pas quelques franchisés débauchés chez Chrysler ou au sein de la General Motors d'abandonner le navire face au naufrage annoncé.

Il ne reste que deux séries au programme, la Ranger et la Corsair, sur un empattement unique de 3,05 mètres. Un six cylindres d'entrée de gamme de 3657 cm3 dit " Economy Six " est proposé sur la Ranger, mais cette version de 145 ch ne suscite guère plus d'intérêt que les V8. L'Edsel 1959 rebute moins, mais en contrepartie elle attire aussi moins d'acheteurs. Pourquoi acheter une Edsel sujette à moquerie, alors que Ford ou Dodge offrent des produits similaires sans histoire. C'est la dégringolade, seules 44 891 Edsel trouvent preneur, soit 0,8 % de part de marché.

Le style des voitures du millésime 1959 est adouci par rapport à l'année précédente. Mais c’est déjà trop tard, la voiture ne trouve que 44 891 acheteurs.

Si l'Edsel 1959 était sortie un an plus tôt avec ses formes moins outrancières, elle aurait peut-être eu plus de chance d'être acceptée par l'opinion publique, et elle serait alors passée sous les radars des humoristes.


Millésime 1960 : Une fin misérable


Conformément à l'engagement d'Henry Ford II, le groupe présente une troisième génération d'Edsel, que le public découvre le 15 octobre 1959. La voiture perd toute personnalité. On passe d'un extrême à l'autre. L'Edsel 1960 - dont aucun modèle ne sera fabriqué en 1960 - n'est qu'une Ford Galaxie à peine enjolivée. Elle désavoue complètement le concept stylistique de départ. Le pare-brise n’est plus panoramique, c’est-à-dire qu’il ne forme plus un angle empiétant sur les portières avant. La calandre verticale est complètement abandonnée et fait place à un ensemble qui évoque la face avant des Pontiac 1959 avec une partie centrale qui sépare deux grilles latérales. Cette particularité sera la signature des Pontiac pendant une bonne dizaine d’années.

En 1960, il est très facile de confondre une Edsel (en haut) avec une Ford Galaxie du même millésime (au milieu). La nouvelle calandre de l'Edsel semble par ailleurs très inspirée par la face avant des Pontiac 1959 (en bas).

L'Edsel n'est plus disponible qu'en version Ranger, avec sept carrosseries. Le piège se referme, et l'on se demande si une voiture portant un nom désormais dévalorisé a encore des chances de séduire quelques acheteurs. Plus personne ne croit au miracle, et en effet il n'aura pas lieu. L'ultime modèle, une Ranger Convertible produite cette année-là à 76 exemplaires sort de l'usine de Louisville le 30 novembre 1959, onze jours après qu'Henry Ford II ait enfin consenti à mettre fin au supplice. Le millésime 1960 écourté a vu naître 2 846 voitures.

Le style des Edsel du millésime 1960 est tellement adouci qu’il devient passe-partout. La calandre s’inspire même des Pontiac contemporaines.


La disparition d'Edsel


Le groupe Ford récupère les installations pour la sortie de la nouvelle Mercury Comet millésime 1960, version luxueuse de la Ford Falcon. On pense un temps commercialiser cette nouvelle compacte sous le nom d'Edsel Comet, via le réseau Lincoln Mercury. Mais le nom d'Edsel est tellement dévalorisé que Ford y renonce.

Mercury Comet 1960. Le projet de la quatrième génération de l'Edsel va se muer en un modèle distribué par le réseau Lincoln Mercury pour le millésime 1960, la Mercury Comet.


Epilogue


Les résultats commerciaux de la marque Edsel sont très éloignés des espérances des responsables de Ford, puisque seulement 110 847 voitures ont été vendues sur trois millésimes. C'est l'un des plus grands ratages dans l’histoire de l’automobile. Edsel est même depuis devenu synonyme d’échec, ce qui constitue une réelle injustice vis-à-vis d’Edsel Ford à qui la firme doit tant.

Nombreux sont les experts à s'être penchés sur les raisons de cet échec. La contraction économique de fin 1957 déjà évoquée y est certainement pour quelque chose. Elle a mis à mal toutes les prévisions triomphantes établies en 1954. Edsel ne sera pas la seule marque à souffrir du contexte. Packard et De Soto disparaîtront respectivement à l'issue des millésimes 1958 et 1961.

Roy A. Brown a quitté Ford USA pour rejoindre la division britannique de la marque. On a confié à son assistant Bud Kaufman le soin d'étudier une alternative stylistique pour le millésime 1960. Kaufman qui a du respect pour le travail de son ami et prédécesseur tente de conserver le motif central vertical, sans succès.

Mais l'origine du malaise trouve plus certainement sa source dans la plastique de l'Edsel. On l'aime ou on la déteste franchement. Les consommateurs se sont pour la plupart inscrits dans la seconde catégorie. Au même moment, les délires esthétiques sont aussi de mise chez Chrysler ou au sein de la General Motors, mais ils semblent faire l'objet d'une meilleure acceptation. Un autre facteur est la qualité de fabrication. Les usines du groupe poussent les cadences en 1958, et les ouvriers sur les chaînes de montage n'ont plus les moyens d'apporter le même soin à leur travail. Cela se ressent sur le produit final. Pour preuve, le stock des voitures en attente de retouche en sortie de chaîne bat régulièrement des records sur le site de Louisville. Enfin au sein même de l'état-major de la firme, des dissensions apparaissent, entre ceux qui croient au produit, comme Francis Reith ou Henry Ford II, et ses détracteurs, comme Rober McNamara, président de la division Ford. 

Au moment de l’arrêt de l’Edsel, le groupe Ford se concentre sur la sortie des nouvelle compactes Ford Falcon et Mercury Comet qui connaissent un succès fulgurant. Les gammes " standard " - Custom, Fairlane et Galaxie chez Ford, et Monterey, Montclair et Park Lane chez Mercury - poursuivent leur carrière sans encombre. Cette actualité plus heureuse permet de minimiser l'échec de l'Edsel, que l'on va s'empresser d'oublier. Ainsi prend fin le rêve d'Henry Ford II de se constituer une structure multi marque comme au sein de la General Motors et du groupe Chrysler.

Texte : Jean-Michel Prillieux / André Le Roux
Reproduction interdite, merci.
 

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