Atla, la première automobile de Jacques Durand


La marque Atla est née en 1958 de la volonté d'un homme, Jacques Durand, de concevoir une petite voiture de sport sur base mécanique Renault 4 CV ou Dauphine, en profitant d'une nouvelle technique à la portée de nombreux artisans, la fabrication de carrosseries en polyester. C'est pour notre homme le début d'une belle aventure de constructeur automobile, qui le mènera jusqu'aux années 1970. En effet, de manière plus ou moins engagée, il participera à la naissance et au développement de cinq autres marques automobiles : Sera, Arista, Sovam, Jidé et Scora.


Jacques Durand (1920-2009) passe son enfance à Antony, en région parisienne, et fait ses études secondaires à Sceaux. Ses parents souhaiteraient qu'il se dirige vers la fonction publique, mais cela ne correspond pas du tout aux aspirations du jeune homme, qui préfère travailler de ses mains plutôt que derrière un bureau. À l'âge de 19 ans, il intègre l'École des Ateliers des PTT à Gentilly.

À partir de 1943, pendant l'Occupation, Jacques Durand, titulaire d'un CAP de mécanique de précision, se lance dans la fabrication de moteurs à explosion en miniature, destinés à des modèles réduits d'avions, de bateaux ou d'automobiles, dans le sous-sol d'un pavillon à Garches. Ses petites mécaniques, dont la cylindrée varie de 1,7 à 10 cm3, sont vendues discrètement par un libraire de Besançon... En peu de temps, Jacques Durand se forge une belle réputation dans son domaine. Ses productions portent le nom de Jidé, en référence à ses initiales. À l'échelle de sa petite entreprise, c'est un succès.

En 1949, il abandonne la marque Jidé au profit de Vega. Parallèlement à la production de moteurs, il commence à fabriquer des carrosseries pour de petits bolides automobiles qui évoluent sur des pistes spécialement aménagées à cet effet. Au début, les carrosseries sont en fonte d'aluminium, mais elles sont ensuite réalisées en polyester, un matériau inventé dans les années 40 qui connaît un fort développement dans les années 50.

Publicité Vega. Source : http://jide-scora.fr

Un jour, l'un de ses clients, devenu un ami, qui connaît sa maîtrise du polyester et qui a accidenté son Alpine A 106, lui demande de l'aide pour sa réparation. Mais entre des maquettes et une vraie automobile, il y a une grande différence. Afin de répondre à cette demande particulière, Jacques Durand se rend chez le carrossier Chappe et Gasselin à Saint-Mandé, qui fabrique justement depuis 1955 les coques en polyester des Alpine. Il observe attentivement puis entreprend finalement de réparer la voiture de son ami. Après avoir utilisé une quantité importante de matière, il parvient à un résultat qu'il juge satisfaisant.

Cette expérience lui donne l'envie de construire sa propre voiture. Il décide d'utiliser à son tour le polyester pour habiller une mécanique de grande série. Il lui faut dessiner une carrosserie qu'il va d'abord réaliser sous la forme d'une maquette à l'échelle 1/10. Jacques Durand fait preuve d'un certain talent pour dessiner cette automobile.

Il imagine un coupé à portes papillon, inspiré de la déjà mythique Mercedes 300 SL. Cependant, ces portes vont s'avérer être un véritable défi, tant dans leur réalisation que pour les problèmes d'étanchéité qu'elles vont engendrer. Le fin museau rappelle la Jaguar D victorieuse au Mans. Les phares sont habilement intégrés sous une bulle en plexiglas. Une prise d'air latérale dirige l'air vers le moteur.

A droite, Jacques Durand au début des années 1950. Source : Les créations automobiles de Jacques Durand, par Jean-Luc Fournier.

Pour la première voiture, le moteur, les suspensions et les trains roulants d'une Dauphine sont fournis par un concessionnaire Renault de Garches, un certain Jean Schwab, un autre ami de Jacques Durand et amateur de course automobile. Celui-ci est favorablement impressionné par le projet. Il délègue son sellier-peintre pour assister le jeune entrepreneur dans la finalisation du prototype. Pour le châssis, Jacques Durand se fait aider par une autre de ses connaissances, Charley Cusson, étudiant à l'École Nationale Supérieure des Arts et Métiers à Paris, par ailleurs client de ses petits moteurs, et déjà auteur d'une monoplace artisanale.

Nous sommes en 1957. Cela s'active dans ce sous-sol de pavillon en banlieue parisienne, au point d'inquiéter les voisins alertés par les odeurs qui s'en dégagent, et d'alerter les services du gaz ... Autre anecdote : le jour où il faut sortir la voiture terminée du sous-sol, on s'aperçoit que la porte n'est pas assez grande. Il faut démolir puis reconstruire un mur ! L'Atla voit effectivement le jour en 1958. Ce nom a été trouvé en tirant au sort des lettres déposées dans une boîte à chaussures, et en cherchant l'anagramme le plus agréable. Jacques Durand est confiant, car dans son cercle d'amis, quelques acheteurs se manifestent déjà.

Jean Schwab est assez connu dans le monde des rallyes. Il prend contact avec quelques journalistes automobiles influents parmi ses relations, notamment à l'Automobile et à l'Action Automobile et Touristique (AAT). Fait toute à fait exceptionnel pour un constructeur débutant, l'Atla a les honneurs de la couverture de l'Automobile en juillet 1958.

L'Atla a les honneurs de la couverture du mensuel l'Automobile en juillet 1958, grâce à un cliché très glamour.

Par ailleurs, Franck Dominique parle de l'Atla dans un article de l'AAT paru en avril 1958.

" La plupart d'entre vous, amis lecteurs, connaissent Jacques Durand, grand spécialiste des modèles réduits que nous vous avons présenté à plusieurs reprises, mais qui n'avait plus fait parler de lui depuis quelques mois sur les pistes et dans les concours ... si Jacques Durand avait disparu, depuis quelque temps, c'est qu'il s'était enfermé dans sa cave, à Antony, pour réaliser lui-même, après des centaines de modèles réduits, sa première " vraie " voiture ... S'étant habitué à façonner le plastique pour ses maquettes, il pensa qu'il ne devait pas être tellement plus compliqué de voir plus grand et, sans hésiter, il se mit au travail. Sur quatre roues, un volant et un pare-brise réunis par un squelette en bois, Durand et ses aides coulèrent du plâtre par dizaines, puis par centaines de kilos, au fur et à mesure que l'auteur corrigeait la forme qui naissait ... Après que le modèle ait été amoureusement fini, peint et poli, on passa au moulage en matière plastique, pour obtenir la forme définitive servant à la fabrication de la, ou des vraies voitures : la coque était née. Entre temps, un ami de Durand, Charley Cusson, avait préparé un châssis tubulaire, sur lequel Jean Schwab, dynamique agent Renault, de Garches, avait monté un mécanique Dauphine ... bien peu croyaient à l'achèvement de cette réalisation lorsque Durand en lança l'idée ... mais une fois de plus, la fortune sourit aux audacieux. En effet, la ligne est si réussie, et sa conception si originale qu'une association vient de naître, groupant nos amis auxquels s'est joint l'ingénieur Madelena, et une petite usine s'équipe actuellement pour sortir cette voiture en petite série ... Quoi qu'il en soit, la grande leçon de cette histoire est ... que même à notre époque atomique et mécanisée un jeune possédant la foi, l'enthousiasme et la patience, peut réussir seul à créer de toutes pièces " sa " voiture, à faire ce qu'on ne croyait plus possible depuis les débuts héroïques de l'automobile. "

Extrait de l'AAT, avril 1958

Jacques Durand est optimiste. Cette vaste campagne de presse à moindres frais devrait lui attirer d'autres commandes. Il embauche quelques apprentis pour fabriquer les coques. Le client a le choix entre différentes formules. La plus simple ne comprend que le châssis tubulaire, la carrosserie en plastique, les deux portes, les capots avant et arrière et le tableau de bord. Elle coûte 250 000 francs. Une formule intermédiaire est facturée 650 000 francs. La finition reste à la charge de l'acheteur.

Pour ceux qui ne sont pas à l'aise avec la mécanique ou avec l'idée d'assembler les pièces, il est possible d'acheter une voiture entièrement assemblée. Pour obtenir une voiture équipée d'un ensemble moteur-boîte emprunté à la Renault 4 CV, type 1062, monté à l'arrière, il faut débourser 850 000 francs. Si l'on opte pour une Atla avec le moteur 1090 de la Dauphine, et certains équipements empruntés à ce modèle, le prix atteint 950 000 francs. Pour comparer, à la même époque, une Ariane 8 coûte 870 000 francs, une ID 19 s'élève à 894 000 francs et une Renault Frégate est vendue à 929 000 francs.

Il est envisageable d'installer une mécanique Panhard à l'avant, moyennant quelques modifications au niveau du capot moteur et des prises d'air latérales. La liste des options disponibles peut faire augmenter la facture, notamment avec des équipements provenant de chez Ferry ou Autobleu, conçus pour améliorer les performances. Il reste que faire l'acquisition d'une Atla, c'est accepter un accès à bord malaisé, surtout pour les personnes de grande taille, une position de conduite allongée avec les cuisses à plat sur le plancher, et une finition plutôt basique, orientée vers la performance.

L'Atla est une voiture montée à la main, avec peu de moyens. C'est de l'artisanat dans son expression la plus noble.

Comme c'est souvent le cas avec les productions artisanales, les coûts dépassent largement les estimations initiales. Les tarifs annoncés lors du lancement ne peuvent pas être maintenus. Par conséquent, l'Atla perd son attrait sur un marché déjà restreint, porté essentiellement par des marques plus prestigieuses.

Par ailleurs, Renault rechigne à jouer les fournisseurs de tous ces petits constructeurs sans patente. Le constructeur estime probablement avec raison que le financement de l'opération est trop incertain. Il est peut-être aussi influencé par Jean Rédélé, qui souhaite conserver l'exclusivité des moteurs de la Régie pour son Alpine. A côté de Jacques Durand, Jean Rédélé passe pour un grand constructeur ...

La petite équipe parvient à survivre grâce aux acomptes versés par les clients, mais faute d'un nombre suffisant d'acheteurs, Jacques Durand finit par se désintéresser de sa création. Il a déjà un autre projet en tête, qui prendra le nom de Sera. L'Atla disparaît du paysage automobile à la fin de l'année 1958, de manière plus discrète qu'elle n'était apparue.

En réalité, chaque voiture est unique et fabriquée selon les souhaits de l'acheteur. On estime que douze exemplaires ont été produits en 1958 et 1959. Cette information diverge selon les sources consultées. Dans tous les cas, cela reste un nombre limité, et l'Atla a surtout permis à Jacques Durand de parfaire son expérience, qu'il saura mettre à profit pour ses futures créations. D'ailleurs, dès 1959, on le retrouvera aux portes du Grand Palais avec la Sera.

Texte : André Le Roux / Jean-Michel Prillieux
Ne pas reproduire, merci

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