Sera, moteur Panhard et élégance française


En 1958, l'industriel François Arbel et Jacques Durand se réunissent avec pour objectif de créer une voiture de sport équipée d'une mécanique Panhard. C'est ainsi que naît la Sera. Bien que cette voiture n'ait pas connu un succès commercial retentissant, elle peut se vanter d'être l'une des plus belles sportives de son époque. Sur un marché extrêmement concurrentiel où les grandes marques s'imposent facilement grâce à leur production en série, la petite Sera doit s'incliner dès janvier 1961.


Après avoir fabriqué en petite quantité l'Atla, basée sur la mécanique de la Renault 4 CV ou de la Dauphine, Jacques Durand se lance en 1959, aux côtés de l'industriel François Arbel, dans une nouvelle aventure automobile. Ensemble, ils fondent la Société d'Études et de Réalisations Automobiles (SERA), dont les locaux sont situés Avenue de Villiers, dans le 17ème arrondissement de Paris.

François Arbel, personnage atypique, est issu d'une famille ayant fait fortune dans la production de matériel ferroviaire. Il s'est déjà fait remarquer en 1958 en s'impliquant dans le développement d'une voiture dénommée Symetric, qui a suscité une vive attention médiatique. Ce projet a été initié en 1952 par un groupe d'ingénieurs sous le nom de " Compagnie Normande d'Etudes ". Il était annoncé que trois modes de propulsion seraient disponibles, y compris un moteur fonctionnant à l'énergie nucléaire.

L'Arbel de 1958 se présentait sous la forme d'une élégante berline américaine à six places, s'inspirant notamment de la Rambler de 1956.

Animé par ses ambitions et ses ressources financières, François Arbel fait appel à Jacques Durand pour concevoir un cabriolet convertible deux places. Il connaît les talents exceptionnels de cet homme au coup de crayon assuré. Pour cette nouvelle entreprise, Jacques Durand est épaulé par un jeune ouvrier prometteur, Max Saint Hilaire, qui sera à l'origine des automobiles BSH en 1969, ainsi que par deux autres compagnons dévoués.

Renault ne veut pas fournir de moteurs, préférant concentrer ses efforts sur la relation privilégiée qu'il entretient avec Alpine. Jacques Durand se tourne donc vers les autres constructeurs français capables de proposer une mécanique suffisamment performante. Le choix est vite fait. Seul Panhard accepte de se prêter au jeu et de vendre pour la Sera des moteurs de PL 17. Aucun privilège en termes de prix n'est accordé à Jacques Durand.

Cependant, celui-ci connaît parfaitement les avantages de la mécanique Panhard. Le tout nouveau moteur bicylindre "Tigre" a été présenté il y a quelques mois seulement. Il développe une puissance de 50 ch. Grâce à son poids plume d'environ 550 kg, la Sera se classe parmi les meilleures sportives du moment et atteint une vitesse de près de 160 km/h. Petit et compact, ce deux cylindres à plat permet de réduire le couple moteur de la voiture et d'abaisser son centre de gravité. Comparé à un modèle à moteur arrière, la Sera offre un habitacle plus spacieux, avec un véritable coffre à bagages.

L'inspiration de la Sera est un mélange subtil de style italien et anglais, avec des touches rappelant la Chevrolet Corvette américaine. On peut aussi lui trouver des similitudes avec la fameuse Turbotraction de Spirou et Fantasio.

Les connaisseurs apprécient ce châssis à poutre centrale en acier également utilisé sur les DB. La traction avant offre une tenue de route bien supérieure à celle des Renault à moteur arrière. On reconnaît sur la Sera le pare-brise de la Simca Aronde Océane, et sur la version hard-top la lunette arrière de la Citroën DS 19. Les serrures et poignées proviennent de chez Simca.

La Sera est exposée en octobre 1959, non pas au Grand Palais, mais à l'extérieur près des marches, où elle suscite une réelle curiosité. Jacques Durand n'a pas eu le temps de s'assurer de la réservation d'un stand. Une autre version démentie pas Jacques Durand lui-même a longtemps circulé. René Bonnet, qui s'apprêtait à lancer son cabriolet " Le Mans ", aurait vu d'un mauvais oeil l'arrivée d'un concurrent inattendu. Il serait intervenu auprès des organisateurs du Salon, et obtenu grâce à ses relations que la Sera ne puisse pas disposer d'un stand.

Un prix est annoncé : 1 300 000 francs. Sur le marché, la Sera affronte la nouvelle Renault Floride, toute aussi élégante, mais vendue 950 380 francs en version cabriolet, grâce à une production en série. Le cabriolet Simca Océane vaut 1 274 125 francs, tandis qu'Alpine offre déjà une vaste gamme, avec des prix compris entre 933 675 francs et 1 918 200 francs. Les premières Sera sont assemblées Avenue de Villiers à Paris.

François Arbel, emballé par le succès auprès du public, décide d'aménager dans une véritable usine à Bordeaux. Il trouve son bonheur dans les anciens ateliers du constructeur Motobloc, qui ne produit plus d'automobiles depuis 1932, et qui s'était depuis reconverti dans la fabrication de moteurs et avait poursuivi la production de munitions. Motobloc vient de fermer en 1961. Jacques Durand s'installe lui aussi avec toute sa famille à Bordeaux.

François Arbel se donne les moyens pour réussir, et aménage les anciens locaux du constructeur automobile bordelais Motobloc.

Proposée initialement en cabriolet, la Sera est très vite disponible avec un hard-top, qu'il est possible de ranger dans le coffre. Dans ce cas, la roue de secours migre à l'avant, sur le moteur. Une quinzaine de voitures sont assemblées en Gironde jusqu'au début de 1961. Au total, 18 Sera auraient vu le jour, pour l'essentiel livrées en coupé hard-top. Une autre source fait état de 17 voitures vendues toutes montées, et de 5 vendues en kit. Une troisième source mentionne 25 voitures livrées, dont 4 cabriolets et 21 hard-top.

Hélas les deux associés en affaires se font rattraper par les difficultés financières. Une ouverture vers l'Espagne est alors envisagée. En effet, après une exposition de la Sera à la Foire de Barcelone, un industriel local a manifesté son souhait d'assembler la voiture à Taragone. Le moteur Panhard serait alors remplacé par un bloc allemand DKW.

Jacques Durand lui-même déménage en Espagne, où il est embauché par l'industriel en question comme ingénieur. Mais les complexités administratives sous le régime franquiste ne permettent pas d'obtenir la licence de fabrication. L'affaire ne peut donc pas réellement démarrer. Seules deux voitures sont fabriquées, l'une à moteur DKW, l'autre à moteur Fiat.

Pour Jacques Durand, la vie sur place avec son épouse Denise et ses deux enfants est agréable. Les Durand sont bien installés. La famille décide de rester deux ans en Espagne. Jacques Durand s'est reconverti dans la production de cuves pour huile d'olive, de coques de bateaux et de volants sports en polyester. Cependant, un retour en France doit être envisagé, afin d'assurer les meilleures conditions possibles pour les études de leurs enfants.

Les volants fabriqués en Espagne sont présentés à René Bonnet, installé à Champigny. Pas rancunier contre Jacques Durand après son projet de Sera qui aurait concurrencé ses propres modèles, il passe commande à celui-ci de volants sports pour ses modèles Le Mans et Missile. En 1962, voilà Jacques Durand de retour dans le pavillon de banlieue de ses parents à Antony. C'est dans l'entresol de l'habitation qu'il fabrique ses volants.

Le démon de la production automobile ne va pas tarder à le rattraper. Sa troisième aventure s'appellera Arista.

La compacité du flat-twin a permis de dessiner une carrosserie profilée et élégante, offrant un vrai coffre à bagages. A n'en pas douter, Jacques Durand a signé là une des plus belles réalisations de la décennie sur base Panhard.

Texte : André Le Roux / Jean-Michel Prillieux
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