Ford Abeillef
Les origines Il faut rechercher les origines de la Ford Vedette - dont dérive l'utilitaire Abeille - en 1941, année d'entrée en guerre des Etats-Unis. C'est à cette époque qu'Edsel Ford, fils d'Henry, demande à ses équipes d'étudier une voiture légère - à l'échelle du pays - dont il perçoit la nécessité pour le marché américain une fois que le conflit sera terminé. Le décès prématuré d'Edsel en mai 1943 marque un coup d'arrêt à cette étude, son successeur étant moins convaincu du succès de ce type de voiture aux Etats-Unis. Le projet est mis de côté. Au lendemain de la guerre, chez Ford à Détroit, on pense sérieusement à céder la filiale française à un autre constructeur. D'une part, les Américains ont été échaudés par les démêlés judiciaires issus de la séparation avec Emile Mathis (Ford et Mathis avaient fondé Matford en 1934 avant de divorcer dans la douleur), d'autre part on s'inquiète du manque de stabilité du pays sur le plan politique, et de l'arrivée de ministres communistes au sein du gouvernement. Pour l'instant, toute l'énergie de Maurice Dolfus, patron de Ford SAF, est consacrée à relancer la production dans la nouvelle usine de Poissy. Celle-ci a été mise en service début 1940. Dans l'immédiat, seule une 13 CV issue de la gamme Matford d'avant-guerre pourrait faire l'affaire, mais elle paraît déjà bien démodée. Parallèlement, Dolfus se rend aux Etats-Unis pour rassurer ses contacts chez Ford. Non, la France n'est pas dirigée par les communistes. Surtout, il tente de convaincre les Américains de l'aider à lancer dans l'Hexagone une nouvelle voiture.
Début 1946, la production des voitures de tourisme redémarre à Poissy avec la V8-F472, une version modifiée de la Matford 13 CV de 1939 On présente à Dolfus l'étude mise au placard en 1943. Mais ce qui aux Etats-Unis est considéré comme une petite voiture serait vu d'un autre oeil par les Français. Il s'agirait chez nous d'une voiture moyenne supérieure. Dolfus revient à Poissy avec le sourire, avec maintenant la perspective de proposer bientôt en France une toute nouvelle automobile de conception moderne. Le programme clos en 1943 arrive à Poissy durant l'été 1946. Les ingénieurs et techniciens français découvrent avec appétit ce projet. Il reste cependant à mettre l'auto aux normes hexagonales. On se donne deux ans pour terminer l'étude, réaliser les essais et installer la chaîne de production. La Vedette Comme prévu, la Ford Vedette est présentée lors du 35ème salon de Paris en octobre 1948. Le public est curieux. Dans la catégorie des voitures de série de moyenne cylindrée, c'est l'une des rares nouveautés du moment. Les Hotchiss 13 CV, Salmson S4E et Citroën 15 CV sont nées avant-guerre. La Vedette est un peu moins chère que les deux premières citées, mais se situe un cran au-dessus du prix de la Traction.
La Ford Vedette illustrée par Géo Ham en couverture du numéro 49 de l'Automobile de mai 1950 La Vedette dans sa forme initiale n'est proposée que dans une version limousine six glaces deux volumes de 12 CV fiscaux. Si le confort de conduite est unanimement salué, les premiers acheteurs déplorent la mollesse du moteur, sa consommation excessive et la médiocre qualité de la finition. Les responsables de Ford s'attachent à supprimer tant que possible ces défauts. Au Salon de Paris d'octobre 1949, Ford adjoint à la limousine un cabriolet et un coach. Maurice Dolfus, 56 ans, à la tête de Ford SAF depuis sa création en 1930, quitte l'entreprise en décembre 1949. Henry Ford le patriarche est mort en 1947 à l'âge de 83 ans, et Dolfus ne bénéficie pas du même soutient de la part de son petit-fils Henry Ford II, qui a pris la présidence du géant américain à l'automne 1945. François Lehideux remplace Dolfus à compter du 1er janvier 1950. La Vedette poursuit son bonhomme de chemin dans sa forme initiale, avec son dos rond, jusqu'au Salon de Paris d'octobre 1952. Abeille millésime 1952 Ford avait très discrètement présenté au Grand Palais en octobre 1951 une simple version " agricole " de sa Vedette. En juin 1952, quelques mois avant de disparaître sous sa forme initiale, la Vedette accouche plus officiellement d'une version commerciale baptisée Abeille, type F 492 C, caractérisée par une présentation particulièrement dépouillée.
L'Abeille peut emporter 200 briques pleine ... c'est écrit ! André Costa dans l'Auto Journal numéro 66 du 15 novembre 1952 explique ainsi les origines de l'Abeille : " Lorsqu'au début de l'année, les ventes de la Vedette commencèrent à baisser dangereusement, la Ford SAF appliqua derechef un plan de réforme soigneusement mûri. Il s'agissait de faire " éclater la Vedette ", et de prendre l'offensive sur deux fronts jusqu'alors totalement dédaignés par Poissy : celui de la voiture de sport et celui du véhicule utilitaire. Dans le premier cas, la Comète devait, dans l'esprit de ses auteurs, parvenir au firmament de l'automobile française ; dans le second cas, l'Abeille, humble besogneuse, devait faire vivre ses pères en offrant ses services comme portefaix "
Non, il ne s'agit pas d'une commande militaire mais de l'Abeille dans son éclatante nudité de 1952 !
La ligne de la Comète préfigure le style des Facel Vega créées par Jean Daninos L'Abeille semble délibérément vouée à l'austérité. Si la ligne générale n'est pas modifiée par rapport à la Vedette, tous les chromes ou presque (cercle des projecteurs, poignées de portes et écusson de capot) sont supprimés et remplacés par une peinture gris foncé, gris bleu ou gris vert résolument sévère. La calandre adopte un simple grillage. L'arrière s'ouvre par deux hayons amovibles. Celui du haut peut occuper trois positions et celui du bas peut être maintenu horizontal par des chaînes. La banquette avant a été remplacée par deux sièges séparés, celui du conducteur n'étant pas situé exactement dans l'axe du volant ! La banquette arrière est celle de la Vedette, mais elle est amovible et un faux plancher peut prendre sa place et transformer ainsi une surface appréciable en une unique plateforme de chargement. Les garnitures intérieures mêlent plus ou moins harmonieusement simili cuir et carton. Afin de bien marquer le caractère utilitaire de l'Abeille, on a masqué de l'intérieur les vitres de custode qui restent en place, ce qui a pour effet de réduire la visibilité. On peut se demander où se trouve l'économie. Le tout est d'une tristesse infinie.
L'économie à son paroxysme : la seule source lumineuse à l'AR est fixée à gauche de la plaque d'immatriculation
La voiture des agriculteurs, entrepreneurs, artisans, commerçants et représentants de commerce La charge utile de cette travailleuse infatigable (d'où son nom ?) est de 500 kg. Ses suspensions ont été adaptées pour supporter un tel poids. Le châssis est celui de la Vedette. Le moteur est également le même mais des modifications ont été apportées à la tubulure et au carburateur afin de limiter la puissance et la consommation en carburant, et d'accroître en même temps sa longévité. L'Abeille est tarifé 845 000 francs, soit 80 000 de moins que la Vedette traditionnelle, ce qui constitue un écart relativement faible.
La firme américaine Kaiser commercialise dès 1949 la Traveler, une berline munie de deux ouvrants, dans un esprit qui s'apparente à celui de la Ford Abeille. André Costa conclut ainsi le banc d'essai qu'il consacre à l'Abeille : " On peut donc, à juste titre, considérer l'Abeille comme un véhicule composite. Rapide, nerveuse et manquant de ce fait nettement de sobriété (16,5 litres aux 100 km de moyenne en charge durant l'essai routier), d'un volume utile moyen malgré ses 2 m3 réels, dotée d'une suspension typiquement " tourisme ", elle ne peut être considérée comme un véhicule utilitaire 100 %, tandis que d'une finition primitive et très bruyante, elle n'est qu'un succédané de voiture de tourisme. Cependant, l'Abeille peut satisfaire une clientèle aux moyens limités qui trouvera en elle une voiture à tout faire, utilisable aussi bien pour les travaux journaliers que pour les promenades des week-ends "
La Ford Abeille, en page de couverture du numéro 75 de l'Automobile de juillet 1952 Abeille millésime 1953 Les responsables de Poissy qui voient les ventes de la Vedette décliner doucement ne souhaitent pas pour autant s'engager dans des modifications trop coûteuses. Ils savent qu'une toute nouvelle voiture est à l'étude et qu'elle doit voir le jour dans moins de deux ans (la Vedette de seconde génération qui sera finalement fabriquée par Simca).
La Ford Vedette 1953 arbore un nouveau profil trois volumes, En attendant, une version revue et corrigée est proposée au Salon de Paris en octobre 1952. Le dos rond est remplacé par une carrosserie trois volumes, le pare-brise est d'une seule pièce, la calandre est chromée et des moulures allègent le profil. Différentes améliorations sont apportées sur le plan mécanique : refroidissement, nouvel embiellage, tambours de freins agrandis ... Ford propose par ailleurs une version encore plus proche de l'idée que l'on peut se faire d'une voiture américaine, en dotant sa Vedette d'un moteur de 22 CV fiscaux emprunté à son camion Cargo. La Vedette devient alors Vendôme.
Les dimensions intérieures de l'Abeille lui permettent d'embarquer 36 cageots de tomates, ou 20 caisses de dix bouteilles de vin. La version commerciale de la Vedette, l'Abeille, ne bénéficie pas de toutes ces améliorations. Elle poursuit en effet sa carrière avec la carrosserie initiale à dos rond. Quelques chromes ici et là lui apportent tout de même un peu de gaîté. Le pare-chocs AV peint de la première Abeille est remplacé par une lame chromée munie de butoirs. Le grillage façon garde-manger est encore de service. Courant 1953, Ford imagine une Abeille plus pratique, dont le pied-milieu peut être enlevé pour accéder au volume intérieur. Il s'agit d'une option. Cet aménagement intéresse particulièrement les ambulanciers, car il permet d'installer plus facilement un malade couché sur son brancard. Abeille millésime 1954 Dans sa dernière année, l'Abeille hérite de la calandre de sa grande soeur la Vedette. Exit donc le grillage rébarbatif. Ford ose aussi quelques teintes plus chatoyantes, qui n'ont plus rien à voir avec la grisaille de 1952 et 1953. Pour autant, rien n'est fait pour l'habitacle, tout aussi triste, même s'il s'agit pour l'essentiel d'un véhicule à usage professionnel. L'insonorisation reste réduite à l'essentiel. Les dernières Abeille, en dehors de leur clientèle habituelle des professionnels, disposent enfin de quelques atouts pour séduire quelques familles aux besoins limités, qui peuvent apprécier la douceur d'un V8 US pour un prix d'achat modeste.
L'absence de pied milieu caractérise les dernières Abeilles Epilogue Les résultats de Ford France ne sont pas suffisants vus d'Amérique. Le marché français apparaît trop limité pour les confortables voitures d'inspiration américaine de Poissy. François Lehideux est remplacé au début du printemps 1953 par son second, François G. Reith, " l'homme des américains ". Au plus haut niveau, on décide d'abandonner le terrain avec un minimum de dégât, et de céder l'entreprise à un autre constructeur. Simca reprend le site de Poissy et le nouveau modèle dont Ford vient de terminer l'étude, et qu'il s'apprête à commercialiser. Si la nouvelle Vedette porte le même nom, il s'agit d'une voiture totalement différente, sans version commerciale.
La nouvelle Vedette telle qu'elle sera commercialisée par Simca |