Mauvais penchants


Nous allons vous raconter l'histoire vraie des véhicules à lunette arrière inversée, baptisée par certains ligne Z. Cette mode a été plutôt éphémère puisqu'elle n'a vécu qu'une petite dizaine d'années sans susciter un fabuleux succès. Nous allons voir le pourquoi du comment.

Au début, lorsque Dieu a créé la terre le premier jour, l'homme le deuxième, puis l'automobile, celle-ci, issue des véhicules hippomobiles, possédait un pare-brise et une lunette arrière droits comme un I. Puis, avec la vitesse accrue qui a entraîné l'aérodynamisme, ils se sont peu à peu inclinés selon un certain angle. C'st en 1953 que le designer Richard Teague, s'inspirant d'une idée de Gabriel Voisin, proposa, sur une Packard, un prototype de salon, une lunette arrière inversée dans le sens contraire. Elle formait de profil une sorte de parallèle assez esthétique avec l'inclinaison du pare-brise. Cette inclinaison inhabituelle donnait au pavillon une joli forme en parallélépipède assez équilibrée.

Packard Balboa-X, 1953

Jusqu'en 1958, on vit apparaître ici ou là, dans quelques salons, des voitures de rêve reprenant le principe de la lunette arrière inversée (Packard Predictor 1957, Ford La Galaxie 1958 ...), avant que Ford USA ne la propose en série, disons en petite série, sur la luxueuses Lincoln Mark III de 1958, voiture de prestige du groupe.

Ford La Galaxie, 1958

Lincoln Continental Mark III, 1959

Cette ligne baptisée " Breezeway " (chemin du vent) sera conservée sur ce modèle assez exclusif jusqu'en 1961, puis la Mercury Monterey en héritera pendant trois ans, jusqu'en 1965. Contrairement à ce que l'on croit, la ligne Z est née aux Etats Unis.

Mercury Monterey, 1964


Rien que des avantages


Ford Dagenham, la filiale anglaise, va adopter le pavillon inversé sur sa nouvelle Anglia qui pointera son nez au Salon de Londres de 1959. A l'époque, personne ne trouva à redire sur sa silhouette originale baptisée " Scotch " par Ford Angleterre. On reprocha plutôt à cette sympathique petite 1000 cm3 l'étroitesse de sa carrosserie que le dessin osé de la custode, qui lui donnait un air pas comme les autres.

Ford Anglia

D'autant que, d'après ses concepteurs, la lunette arrière inversée n'apportait que des avantages. D'abord elle permettait d'accroître l'habitabilité, notamment le volume accordé aux têtes des passagers arrière sans réduire la longueur de la malle qui jouait un rôle social très important autrefois. Il fallait que la malle soit étirée. Malgré ses petits 3,90 mètres, l'Anglia faisait dégagée autour des oreilles.

Autre point fort, la lunette arrière ne se salissait pas, évitait les reflets des phares et, ce qui ne gâchait rien, coûtait certainement moins cher à fabriquer à cause de sa surface plane. En revanche, petit défaut, elle supprimait la plage arrière très pratique à l'époque pour ranger le guide Michelin, et la boîte de lampe Norma de secours. L'Anglia prit donc un bon départ dans ce monde cruel d'autant que, mi-61, l'apparition de la Citroën Ami 6 conforta la percée européenne de cette inclinaison jugée contre nature.

Citroën Ami 6, 1961

Dessinée par le génial Flamino Bertoni, déjà auteur de la Traction et de la DS, l'Ami 6 innovait par sa carrosserie beaucoup plus originale, où la lunette arrière inversée selon un angle plus fermé s'harmonisait avec l'inclinaison prononcée des montants de porte, trait qui en 1961 était très inhabituel. Ce profil générait une silhouette beaucoup plus dynamique grâce au pavillon incliné vers l'arrière. L'Ami 6, malgré son prix excessif, fut très favorablement accueillie, ce qui entraîna bientôt des délais de livraison pas possibles.


L'échec de la Consul 315


C'est justement à cette époque que Ford Dagenham lança la Consul 315, grande soeur de l'Anglia, qui s'inspirait du même style. Hélas, le designer de la 315, Colin Neal, s'était pris les pieds dans le tapis. Si le pavillon offrait de nombreuses similitudes avec celui de l'Anglia, en revanche, le reste manquait de grâce avec ses amorces d'ailerons déjà ringards en 1962, une face avant boursouflée, le tout présentant un manque total d'homogénéité entre la partie supérieure et inférieure. Ajoutez à cela des qualités routières moyennes avec, cerise sur le pudding, un 1340 cm3 issu du bloc Anglia pas réellement au point.

Ford Consul 315

Malgré un prix de vente canon et quelques aménagements positifs, la Consul 315 rentra vraiment de mauvais pied dans la vie ce qui, implicitement, condamna la lunette arrière inversée, désormais synonyme d'échec commercial.

Pourtant, on avait vu naître un petit peu partout quelques " mauvais penchants " : en Afrique du sud avec le coupé GSM Dart d'origine britannique, au Japon où Suzuki qui venait de se lancer dans les quatre roues avait présenté un prototype 360 à glace arrière inversée qui resta sans suite. Et puis, il y a eu la ravissante petite Mazda Carol, mini Anglia à moteur arrière de 360 cm3 produite jusqu'en 1970, qui peut être considérée comme la doyenne des lunettes inversées avec la Bond anglaise à trois roues qui, elle, reprenait carrément le toit de l'Anglia. Enfin, on peut dire  que l'Autobianchi Bianchina dérivée de la Fiat 500 s'en inspira tout de même, avec une glace arrière quasi verticale toujours pour accroître l'habitabilité.

Mazda Carol

Bond 250 G

Autobianchi Bianchina


Une Anglia classique pour l'Italie


Cependant, cette mode va s'effondrer. Pourquoi ? De par leur personnalité, les voitures à pavillon inversé laissent apparaître un défaut insupportable. Seules, elles débordent d'originalité. A deux, elles se ressemblent énormément, ce qui annule leur personnalité. Citroën qui avait beaucoup misé sur l'originalité esthétique de son Ami 6 trouvait fort de café que celle-ci soit régulièrement confondue à ses débuts avec l'Anglia vraiment conformiste hormis sa lunette. Ajoutez l'échec de la Consul 315 vite remplacée par la Cortina à la ligne volontairement transparente, et vous comprendrez la brutale descente aux enfers de ces voitures à qui tout réussissait il y a peu.

Fin 1964, Citroën porta le coup de grâce en dévoilant son break Ami 6 qui rencontra rapidement un succès supérieur à celui de la berline dont la ligne sembla du coup incroyablement torturée par comparaison à la sienne, plus classique avec son grand hayon vitré. C'est évident, la lunette arrière inversée était condamnée. A partir de là, les deux voitures européennes qui l'avaient adoptée ne firent que vivoter, passées de mode. L'Anglia perdurera jusqu'en 1968 avant d'être remplacée par l'Escort aux lignes follement banales. Les Anglia italiennes n'arboraient pas la lunette arrière inversée. Ford Italie avait fait redessiner la voiture par Michelotti avec une lunette arrière traditionnelle. Montée en petite série chez Osi, cette Anglia était rebaptisée ... Torino.

Ford Anglia Torino

Comme il n'y a de nouveau que ce qui a été oublié, les américains firent une tentative autour de la custode arrière quasi verticale sur les modèles des années 80, sans succès.

Mercury Cougar, 1985

Aujourd'hui, on est revenu à des lunettes arrière hyper inclinées qui mangent sur la longueur du coffre. Celui-ci trouve sa virilité, non plus dans sa longueur, mais dans son épaisseur signe de robustesse et de force. L'inclinaison a le défaut de chauffer beaucoup les têtes des passagers arrière, imposant souvent le store. Pourquoi ne pas monter une visière arrière ? Parce que ce n'est pas à la mode. La mode doit mourir jeune, c'est son destin.


Texte : Patrice Vergès, 1996
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