Les années 60

Plan de la page

1. Heuliez s'équipe de presses d'emboutissage
2. Le rôle majeur de Gérard Quéveau
3. Une progression fulgurante
4. La main d'oeuvre portugaise
5. Zoom sur le GT 1000


Publicité parue dans l'Automobile, N° 255, juillet 1967

1. Heuliez s'équipe de presses d'emboutissage

Heuliez qui ne souhaitait pas se cantonner dans les utilitaires, les ambulances et les autocars cherchait de nouvelles orientations. L'entreprise s'équipait de ses premières presses en 1964, et allait désormais faire de l'emboutissage de petites et moyennes séries pour l'automobile et les poids lourds une de ses spécialités.

Heuliez n'achetait pas des machines neuves, mais récupérait du matériel en provenance des grands constructeurs français. Citroën, lors de la fermeture de son usine de Saint Ouen, céda des presses de 100 à 300 tonnes au carrossier. Cette vente s'accompagna d'un contrat pour la fourniture à Citroën de pièces de carrosserie pour le fourgon Type H et la 2 CV Fourgonette.

Une opération similaire eut lieu avec Peugeot, qui renouvelait son parc. Bientôt, ce fut un total de 75 presses qui envahirent les nouveaux locaux de Heuliez, avec une clientèle de plus en plus diversifiée. Le summum fut atteint avec l'arrivée d'une presse Schuller de 1000 tonnes, qui battait la cadence 24 heures sur 24. 

Au début des années 60, Heuliez présente tous les attributs d'une vraie usine

La presse Schuller de 1000 tonnes fut acquise par Peugeot en 1935, puis cédée à Heuliez en 1964

L'usine H2 vers 1962. Sur la remorque des cabines semi avancées conçues pour les Citroën Type 60.

Le transport des types H depuis les ateliers de carrosseries n'était pas sans poser quelques fois de véritables casse-tête. Ici la solution Heuliez - source : Citropolis, N° 4, juin 1997.

Le Type 60 était dérivé du Type 55, mais grâce à sa cabine semi avancée, il avait vu sa charge utile progresser de 5,5 à 6 tonnes. Il côtoyait sur les chaînes les productions pour Berliet.

Heuliez Cabine T 55, T 60, feuillet recto verso, source Denis Biget

Heuliez produisait des cabines pour Berliet, qui étaient ensuite acheminées sur Venissieux.

2. Le rôle majeur de Gérard Quéveau

Gérard Quéveau, ingénieur de formation, Arts et Métiers et EST Aéro, né en 1934, fils de l'épouse d'Henri Heuliez, intégrait l'entreprise en mars 1961 après un service militaire de trente deux mois en Algérie. Avant cette période, il avait suivi une longue formation d'ingénieur stagiaire chez Heuliez depuis 1954.

1964, Fernande Heuliez (femme de Henri), Martine Heuliez (fille de Henri et Fernande), Joseph Moreau (1894-1983, 50 ans d'activité chez Heuliez, apprenti à 13 ans), Henri Heuliez et Gérard Quéveau (fils de Fernande, Henri étant son beau père). L'autre fils de Fernande et Henri, prénommé Jean Pierre, est absent de cette photo.

Comme d'autres grands patrons avant lui (Louis Renault et André Citroën ...), Gérard Quéveau effectua en 1964 un voyage d'étude aux Etats Unis en compagnie de son frère Jean Pierre Heuliez. Il rendit visite à plusieurs grandes entreprises de l'automobile, grâce à l'assistance d'un fournisseur américain de vitrage et de peinture implanté outre Atlantique, qui facilita les contacts sur place. A son retour, Gérard Quéveau avait acquis la certitude que Heuliez se devait de rationaliser ses productions et à terme repenser son organisation, en créant différentes divisions spécialisées.

Gérard Quéveau s'entoura d'ingénieurs de talent. L'un d'entre eux exerça une influence particulière dans le développement de l'entreprise Cerizéenne : Christian Chéron. Gérard Quéveau en fit son bras droit, et les deux hommes, aidés de Jean Pierre Heuliez, firent passer l'entreprise du stade de la PME à celui d'un groupe composé de plusieurs activités distinctes. La pondération de Christian Chéron tranchait avec l'imagination débordante de Gérard Quéveau. Mais le binôme fonctionnait à merveille.  

Gérard Quéveau, 1970

Christian Chéron et Jean Pierre Heuliez en 1970

Extrait d'un dépliant, environ 1964

Extrait d'un dépliant, environ 1964 - Il est cruel de constater que les effectifs 2009 sont de nouveau sensiblement similaires à ceux du début des années 60.

3. Une progression fulgurante

Chiffrée en valeur, la production annuelle de Heuliez qui se situait à 4 millions de francs en 1945, passait à 76 millions en 1950, 420 millions en 1955, 1,69 milliard en 1960 et 3 milliards en 1962. Au début des années 60, la production quotidienne de Heuliez était équivalente à l'activité totale de l'année 1947.

En 1965, Heuliez créait sa première usine en dehors de Cerizay. Le site de Bressuire produisait alors des encadrements de portes pour la Peugeot 404, ainsi que des sièges et le plancher pour la 2 CV Citroën Enac. L'activité de mobilier scolaire Robustacier était transférée en 1969 à Bressuire.

Heuliez produisait des pièces spécifiques pour la 2 CV Mixte, fabriquée par Enac et commercialisée par Citroën. Cette version née en 1962 était dotée d'un hayon et s'ouvrait sur un long plancher plat. 

A partir de 1968, Heuliez travaillait aussi pour Simca : production de soubassements pour les 1301 et 1501, puis plus tard hayons arrière de la 1100, etc ...

1968, unité de production des soubassements des Simca 1301 et 1501

Les premiers prototypes automobiles firent leur apparition. Après trois projets sans suite sur base Citroën (DS Cabriolet, Ami 6 Break et Dyane tout  chemin), Heuliez exposait au salon de Paris 1968 un cabriolet Simca 1100 et un coupé Simca 1501. La longue lignée des prototypes de salon débutait avec ces deux voitures.

4. La main d'oeuvre portugaise

La croissance d'Heuliez durant les années 60 ne fut pas sans causer quelques soucis de recrutement pour le directeur du personnel de l'époque. La main d'oeuvre volontaire pour travailler en usine commençait à faire défaut dans la campagne des Deux Sèvres et de la Vendée voisine. Les paysans rechignaient à laisser leurs progénitures aller travailler à l'usine.

Des contacts furent alors noués avec le Portugal, terre à forte domination catholique comme en Deux Sèvres, mais soumise à la rude dictature de Salazar. Ce pays était susceptible de fournir une main d'oeuvre certes sans qualification mais rude à la tâche et motivée. Le travail en usine n'était pas une sinécure, et il fallait être capable de supporter des horaires de nuit contraignants, le bruit, une atmosphère polluée ...

Une vaste organisation logistique fut mise en place pour faire venir cette population à Cerizay, et l'accueillir dans les meilleures conditions possibles, même si les premiers mois le logement se faisait dans des baraquements collectifs offerts gracieusement par l'usine. L'industriel descendait directement jusqu'à la frontière pour sélectionner ses futurs salariés. Les épouses qui les rejoignaient étaient recrutées en tant qu'ouvrières dans les entreprises familiales de confection, nombreuses dans la région. Des familles complètes avec enfants s'installaient à Cerizay. Le paroxysme de ce mouvement migratoire fut atteint entre 1968 et 1970, avec l'arrivée de plus de 300 Portugais durant cette période.

Cette nouvelle population se mit en quête de vieux bâtiments de fermes sans confort, délaissés par leurs propriétaires. D'autres furent logés dans de nouveaux quartiers HLM construits pour la circonstance. De nos jours, la population d'origine portugaise représente encore près de 20 % des 5000 habitants de Cerizay, même si ce mouvement migratoire a cessé depuis 1974.

5. Zoom sur le GT 1000

Un autocar en particulier marqua les esprits dans cette seconde moitié des années soixante. Il ne résume pas à lui seul l'activité de Heuliez dans ce domaine durant cette période, mais il est révélateur de l'état d'esprit créatif de Henri Heuliez et Gérard Quéveau. Son nom, le GT 1000. Son histoire ...

Le Heuliez GT 1000 dans sa version de 1967

Henri Heuliez n'avait pas perdu l'espoir de revenir sur le marché des grands autocars de luxe, abandonné au milieu de la décennie précédente. La rencontre avec l'un de ses clients en 1966, l'autocariste Constant Gonnet, allait redonner à Heuliez l'envie de renouer avec l'ancienne tradition maison du haut de gamme. Constant Gonnet souhaitait doter sa flotte d'un autocar de prestige, mais en se passant du service des constructeurs allemands, pays envers lequel il gardait une certaine aversion depuis la guerre. En partant d'une feuille blanche, Henri  Heuliez et Constant Gonnet imaginèrent un autocar de rêve. Il se devait d'être le plus beau du marché. Sur les  instructions de son beau père, Gérard Quéveau entreprit avec les ingénieurs du bureau d'étude de concevoir cet engin extraordinaire. L'équipe était enthousiaste. Cela lui permettait de dessiner autre chose que des bétaillères !

Henri Heuliez avait toutes les raisons de croire à une nouvelle ouverture du marché vers les autocars de luxe. En Allemagne, les carrossiers traditionnels avaient survécu à l'arrivée des Mercedes, Setra ou Neoplan. Pourquoi n'en serait il pas ainsi en France. Qui plus est, nos constructeurs nationaux étudiaient à ce moment là une nouvelle génération de cars à moteur arrière, une base idéale ... Enfin, la France, première destination touristique mondiale, était bien plus pauvre que ses pays voisins en matière de tourisme en autocar. Autant de raisons d'espérer ...

D'un point de vue promotionnel, la démarche de Heuliez était similaire à celle des grands carrossiers italiens de l'automobile comme Bertone ou Pininfarina. Il s'agissait d'attirer l'attention des visiteurs, mais aussi des médias, sur son stand lors de la 18ème semaine du car de 1967 à Nice. Ainsi, le GT 1000, bâti sur un châssis Saviem et destiné à faire connaître le savoir faire de Heuliez, fut étudié sans budget arrêté comme cela aurait été le cas pour un modèle de série. La presse fut surprise par cet engin. Le profil, la pureté des lignes séduisaient les journalistes. Le luxe régnait à bord, avec trente cinq fauteuils inclinables, un cabinet de toilette, un bar, un coin salon, un vestiaire, une télévision, etc ... Le GT 1000, remportait le premier prix du Concours International de Carrosseries d'Autocars en 1967.

Après le salon, de retour à la réalité, l'autocar fut réaménagé pour assurer un service plus régulier. Il fut surtout nécessaire de l'alléger en supprimant certains équipements (bar, télévision ...). Le GT 1000 assura des excursions jusqu'en 1980, avant de servir de car scolaire jusqu'en 1989. Un second exemplaire fut produit, mais de facture plus classique, avec notamment une face avant plus banale et un pare brise moins incliné. Il fut exposé au salon de l'Automobile en 1968.

Cette autre version du GT 1000 était plus banale d'aspect

Heuliez avait eu avec le GT 1000 le secret espoir d'attirer l'attention des dirigeants de Saviem. Mais ceux ci furent insensibles aux appels du pied du carrossier. La partie n'était pas pour autant totalement perdue. En 1969, c'est finalement avec Berliet que Heuliez allait conclure un partenariat, et se remettre à construire des autocars de grand tourisme. Quelques idées développées sur le GT 1000 furent reprises sur le Berliet dans sa version " grandes lignes ".

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