Les origines

A l'origine du nom Heuliez, l'ancêtre devait être meunier dans un moulin à presser les noix. Il produisait de l'huile, et portait alors le nom de Lhuillier. De Lhuillier, l'orthographe changeait au fil des siècles. Le curé sur ses registres, le greffier chez le notaire, chacun faisait évoluer l'écriture, d'où Lhuilier, Eulier, etc ... pour aboutir à Heulier au milieu du 19ème siècle, mais la calligraphie du secrétaire de mairie, prolongeant le R d'une belle arabesque, conduisait au Z du Heuliez actuel.

C'est à l'aube de ce 19ème siècle que l'on rencontre le premier charron de la famille Heuliez, il se prénommait Louis (1776-1843). Les charrons fabriquaient et réparaient des chars, des charrettes, des tombereaux ou des brouettes, principalement à destination des agriculteurs ... En ce temps-là, les routes praticables étaient encore peu nombreuses, et à part quelques privilégiés propriétaires d'un cheval et d'une charrette, la majorité de la population se déplaçait à pied.

Charrons au travail - Source : https://www.cpauvergne.com

Jean Louis, né en 1820, prenait la suite de son père en 1843. Il décédait en 1871. C'est son fils Louis Marie Adolphe, dit Adolphe (1854-1935) qui assura la succession, à seulement 17 ans. Heureusement, les anciens compagnons de l'atelier l'aidèrent à relever brillamment le défi, et à perpétuer la tradition familiale du métier de charron. Petit à petit, l'atelier adoptait des méthodes de travail plus modernes, plus rationnelles. Le contexte était favorable. Le maillage routier et les échanges économiques se développaient, les besoins en déplacement des marchands et artisans ne cessaient de croître.

Louis Heuliez (1887-1947) prenait la suite de son père Adolphe en 1922 (alors âgé de 68 ans). L'aventure industrielle ne commençait réellement qu'avec Louis. A cette époque, les petits ateliers Heuliez se spécialisèrent, sans pour autant négliger les autres demandes, dans la fabrication de carrioles qui devinrent plus tard l'emblème du groupe. Contrairement à la charrette ou au tombereau qui transportent des marchandises, la carriole est exclusivement réservée au transport de passagers.

Le tombereau est le nom donné au véhicule hippomobile, généralement agricole, destiné à transporter un matériau en vrac : terre, paille, fumier, gravats ...

Ce véhicule léger était fabriqué à Cerizay selon des méthodes semi-industrielles innovantes, ce qui permettait de les produire à un prix de revient compétitif. Heuliez passait dès lors du statut de simple charron à celui de fabricant à part entière. La production des carrioles fut maintenue pendant une dizaine d'années, jusqu'à ce que le succès des autres productions Heuliez obligea l'entreprise à faire des choix.

Deux carrioles Heuliez dans le conservatoire de Cerizay

Avec beaucoup de distinction, le nom du carrossier est gravé sur l'écrou en laiton du moyeu

En 1923, Louis Heuliez mettait au point un procédé inédit de caoutchoutage des roues qui allait rencontrer un vif succès. Il vendait ainsi sa première voiture hippomobile dotée de ce système le 14 septembre lors de la foire de Cerizay, puis six autres au comice agricole de Cholet deux semaines plus tard. Grâce à son génie industriel, Louis Heuliez parvenait à industrialiser la fabrication de ces roues, et abordait la production en série, qui contribua au développement fulgurant de ses ateliers. Les roues caoutchoutées Heuliez étaient bientôt disponibles chez tous les grossistes pour quincaillier de France sous la marque déposée Elastic Rubber Tyres, une dénomination qui ne pouvait qu'impressionner la très conservatrice clientèle rurale.

Le tarif propose six largeurs et quinze diamètres différents, soit quatre vingt dix références.

1920 - Heuliez est implanté à Cerizay, paisible bourgade des Deux Sèvres

Cerizay, à quelques encablures de Bressuire - carte De Dion Bouton, début 20ème siècle

Louis était né à peu près à la même époque que l'automobile à pétrole. Il fut très tôt sensibilisé par ce moyen de transport dont il devina l'énorme potentiel. Il pressentait aussi que l'avenir de la voiture à cheval était compté. C'est ainsi qu'il se tourna naturellement vers l'automobile. Il fabriquait en 1925 un break sur un châssis d'utilitaire Peugeot 177 B. Ce fut le premier break de la marque au lion, et le début d'une longue collaboration. En 1926, encouragé par le succès de son break Peugeot, il réalisait en petite série un modèle de Ford A Boulangère.

1925, exemple de réalisation Heuliez, un break sur châssis Unic L 11

Ensemble du personnel en 1932 face aux ateliers au centre de Cerizay, devant le premier autocar à armature bois réalisé par Heuliez sur la base d'un châssis Unic. On y retrouve 3 générations de Heuliez : Adolphe (3ème personne assise à partir de la droite de l'image, 78 ans), Louis (1ère personne à gauche, 45 ans), Pierre (7ème personne à partir de la gauche en veste noire, 18 ans) et son frère jumeau Henri (10ème personne à partir de la gauche).

Gros plan sur le 1er autocar Heuliez à armature bois réalisé sur un châssis Unic en 1932, capable de transporter 16 passagers. Heuliez avait déjà le sens du détail dans l'esthétique de ses réalisations.

Autocar Unic pour l'autocariste Menand de Boussay (Loire Atlantique)

Ces deux photos ont été prises Place de la République à Cholet. Il semble s'agir de châssis Unic. Le premier autocar porte les couleurs de E. Lescure à Nueil-sur-Argent dans les Deux-Sèvres (Nueil-les-Aubiers désormais), le second celles de Rouiller à Jallais dans le Maine et Loire.

Louis Heuliez, à l'affût des techniques les plus modernes fut l'un des premiers carrossiers français à réaliser dès 1936 un véhicule à ossature métallique, sous la marque déposée Robustacier, selon une conception née aux Etats Unis parallèlement à la mise au point de la soudure électrique. L'emploi de l'acier ne signait pas pour autant la mort du bois dans la structure des autocars. Les industriels ne savaient pas encore produire des tubes carrés nécessaires à une bonne rigidité. Heuliez inséra donc dans la partie creuse des tubes des baguettes en frêne maintenues par des vis. Les véhicules ainsi produits affichaient sur la lunette arrière la mention " carrosserie métallique extra légère " qui constituait un argument publicitaire majeur. 

La qualité du travail des ateliers Heuliez fut vite reconnue dans la région. L'entreprise était régulièrement sollicitée par plusieurs transporteurs régionaux. La charge de travail était assurée. Les ouvriers parvenaient à sortir en moyenne un véhicule par semaine. L'équipe de Louis Heuliez comptait en 1938 une soixantaine de personnes, aux savoir-faire très variés : charrons, menuisiers, carrossiers, électriciens, peintres, selliers, etc ...

1936, Autocar Matford avec son ossature métallique, dans l'attente d'un habillage

1937, autocar Unic selon le procédé Robustacier

De nombreuses autres créations virent le jour jusqu'à la seconde guerre, que cela soit dans le domaine des véhicules légers ou dans dans celui des poids lourds, avec des camions et des autocars. Heuliez n'avait pas encore totalement renoncé à ses fabrications hippomobiles.

Bétaillère Renault par Heuliez, 1936

Citroën 8 places par Heuliez, 1936

Fourgon publicitaire sur base de Citroën 23, 1938

La guerre allait ralentir durablement les ambitions de développement de Louis Heuliez. Une partie des ouvriers fut contrainte à partir de 1942 de participer au STO - Service de Travail Obligatoire - dans les usines allemandes. Henri Heuliez, l'un des deux fils de Louis, fut de ceux-là. L'entreprise poursuivait ses activités à un rythme réduit, faute de main-d'oeuvre, mais aussi de matières premières difficiles à obtenir. Le manque de carburant incitait de nombreux particuliers et professionnels à faire appel à la traction animale. La fabrication de carrioles prenait un nouvel essor, ainsi que celle des roues et rayons qui étaient expédiés dans toutes les régions de France. Ces pièces étaient nécessaires pour remettre en état de rouler le parc existant qui n'était plus entretenu depuis des années.

Heuliez se consacra aussi à la fabrication de fours pour la carbonisation du bois utilisé sur les nombreux gazogènes alors en service. La SNCF sollicita l'entreprise pour lui fournir des traverses de chemin de fer. Enfin, les autocars et automobiles carrossés chez Heuliez durant les années 20 et 30 venaient se faire entretenir ou réparer dans les ateliers de Cerizay.

La ville a connu les heures sombres de l'occupation allemande. Durant l'été 1944, la situation dégénère. Il semble que les Allemands aient réussi à situer Cerizay comme centre d’action du maquis et comme danger permanent pour leurs convois. C’est vraisemblablement ce soupçon, devenu une quasi-certitude, qui les a fait choisir cette localité le 25 août pour se venger des attaques et sabotages perpétrés contre eux. Ils voulaient en particulier venger la mort de l’officier supérieur tué au Vigneau le 22 août au matin ", rapporte Constant Vaillant dans son livre " Cerizay, ville historique et martyre ". Cinq habitants furent tués, et cent soixante douze maisons brûlées. Miraculeusement, les ateliers Heuliez échappèrent aux bombes. Bientôt, la vie allait reprendre son cours normal dans le petit bourg Deux-Sévrien.

Retour au sommaire - Page suivante