LaSalle, entre Buick et Cadillac
LaSalle était une marque automobile américaine du groupe GM fondée en 1927. Positionnée entre Buick et Cadillac, LaSalle sera durement concurrencée par les Packard les moins chères. Elle sera abandonnée en 1940. La naissance d'une marque Robert Cavelier de LaSalle voit le jour en France à Rouen en 1643. Aventurier dans l'âme, il embarque pour le Canada en 1667. Après avoir exploré plusieurs régions du nouveau continent, il prend possession de la Louisiane en 1682 au nom de Louis XIV. LaSalle meurt en 1687, assassiné par un de ses hommes, exaspéré par sa dureté. Durant la seconde moitié des années 20, l'industrie automobile américaine tourne à plein régime et nage dans le bonheur. La société voit éclore une nouvelle classe sociale " moyenne supérieure " qui a les moyens de s'offrir une automobile moins basique qu'une Chevrolet ou une Ford. Le développement économique semble pour le moment sans limite. Au même moment, le nouveau patron de la toute puissante General Motors, Alfred P. Sloan, insuffle une nouvelle dynamique à un groupe qui a frôlé le dépôt de bilan lors de la récession de 1918/1921. Son ambition est tout simplement de faire de la GM le numéro un mondial de l'automobile. Mais Sloan fait un constat : les marques existantes ne permettent pas de répondre à toutes les attentes du marché. Au début des années 20, parmi les grands noms du haut de gamme, une d'entre elles surclasse toutes les autres : Cadillac. Cadillac tient son nom d'Antoine de la Mothe Cadillac, fondateur - lui aussi français, et ce n'est sûrement pas du hasard - de la ville de Détroit. Cette division de la GM est parfaitement à l'aise face aux plus prestigieux constructeurs européens des " années folles ". En Amérique, Cadillac s'offre le luxe de distancer des constructeurs aussi installés et renommés que Peerless, Pierce Arrow ou Marmon ... seuls Packard et Lincoln parviennent à résister avec une certaine efficacité. Mais il existe un vide entre les Cadillac, chères et attachées à leur image de prestige, et les Buick, une autre entité de la GM, qui n'est jamais parvenu à imposer ses grandes voitures de luxe. La solution consiste dès lors à créer en partant d'une feuille blanche une nouvelle marque, rattachée à Cadillac. Lors de la naissance du projet LaSalle, puisque tel est le nom de la nouvelle marque, il est convenu que les nouveaux modèles bénéficient du savoir faire de Cadillac en empruntant leurs mécaniques, mais aussi leur haut degré de finition, mais dans un format moindre. Dans les publicités, les LaSalle ne vont pas se cacher d'être " Manufactured by the Cadillac Motor Car ".
Cette publicité précise que le V8 de la LaSalle a été mis au point par les ingénieurs de Cadillac. 1927 - Le lancement officiel En 1926, le projet LaSalle est enfin sur le point d'aboutir. Jusqu'alors, les voitures américaines étaient lourdes et plutôt massives. Un jeune styliste, repéré pour ses talents par Lawrence P. Fisher, PDG de la division Cadillac, va bouleverser les tendances du moment. Harley J. Earl, appelé à un grand avenir au sein de la General Motors, prend en charge le design des nouvelles LaSalle. Earl va innover, tout en ne cachant pas sa source d'inspiration, les voitures de luxe du Vieux Monde, en particulier celles des productions Hispano Suiza. Son travail ne se limite pas au dessin des carrosseries, puisqu'il intervient aussi sur le nuancier des couleurs, en imaginant une multitudes de combinaisons à deux tons. Le public est immédiatement conquis lors de la présentation officielle des nouvelles LaSalle en mars 1927. Une véritable gamme de carrosseries couvre toutes les demandes. Côté fiabilité mécanique, Les LaSalle bénéficient du savoir faire de Cadillac. Leur moteur V8 ressemblent à celui de la marque soeur, mais avec une cylindrée plus modeste.
Publicités de presse pour les LaSalle de 1927 1928 - Des débuts prometteurs Les tarifs de la nouvelle marque se situent au dessus de ceux des Buick et côtoient les premières tranches des barèmes Cadillac. Les prévisions de ventes sont pulvérisées les deux premières années. Ce succès confirme la pertinence du positionnement marketing initié dès 1923. Pour 1928, la division Cadillac fabrique 56 038 voitures, dont 16 038 LaSalle. En 1929, les LaSalle culminent à 22 961 unités.
Publicités de presse pour les LaSalle de 1928 1929 - La crise Les premiers signes d'essoufflement font leur apparition. L'Amérique vit au dessus de ses moyens en raison d'une folie spéculative. La chute soudaine des cours de bourse le jeudi 24 octobre clôture cette décennie de folie.
Publicités de presse pour les LaSalle de 1929 1930/1931 - Un début de décennie en demi-teinte A partir de 1930, les LaSalle perdent progressivement leur look inspiré des Hispano Suiza, pour se rapprocher du style Cadillac. La crise est passée par là. La clientèle de la marque qui a pour une grande partie massivement investi en bourse vit une période de vaches maigres. LaSalle ne vend que 14 986 unités en 1930.
Publicités de presse pour les LaSalle de 1930 Pour 1931, les LaSalle se rapprochent encore plus des plus petites Cadillac, en utilisant le même moteur et le même châssis. La General Motors préfère se concentre sur sa marque Cadillac, et les évolutions des LaSalle deviennent vraiment mineures. 10 103 voitures sont vendues cette année là. 1932/1933 - Les formes s'adoucissent En 1932, les LaSalle disposent de carrosseries entièrement redessinées, plus modernes. Les marchepieds sont arrondis, les flancs perdent leur décrochement, les ailes se font plus enveloppantes, le pare brise s'incline ... Mais rien ne va plus dans un marché qui subit de front la crise, pour cette marque créée de toute pièce sans véritable image, coincée entre Buick et Cadillac. La production chute à 3 390 voitures.
1932 LaSalle Town Coupe Les conséquences de la crise atteignent leur paroxysme en 1933. Toutes les classes sociales sont touchées. Le chômage atteint des sommets. Les constructeurs encore indépendants de voitures de luxe peinent à résister quand ils ne sont pas mis en faillite. Pourquoi la GM s'embarrasse t-elle encore avec ses LaSalle, dont les volumes sont aussi dérisoires qu'en 1932 avec 3 381 voitures fabriquées.
1932 LaSalle 2 doors 1934/1935 - Harley J. Earl au secours de LaSalle La General Motors se doit de réagir. L'arrêt de mort des LaSalle semble signé. Elles vont bientôt rejoindre la cohorte des marques abandonnées, à moins que ... Apprenant la disparition programmée des LaSalle, Harley J. Earl réagit promptement en invitant le comité de direction à examiner la maquette de son projet pour l'année 1934. Grâce à l'enthousiasme de Earl, la marque semble sauvée de justesse. Mais elle subit un déclassement au sein de la GM, en se rapprochant des Buick et Oldsmobile, et en s'éloignant de Cadillac, dont les LaSalle abandonnent les mécaniques. Le style des LaSalle 1934 se caractérise par des ailes profilées en forme de goutte d'eau, un habitacle caréné, une grille de calandre haute et étroite, des phares en forme d'obus reliés aux flancs. Les LaSalle ont trouvé une nouvelle personnalité qui va leur permettre de prolonger leur carrière. La production 1934 est largement supérieure à celle de l'année précédente avec 7 128 voitures, mais le niveau des ventes est inférieur au tiers de celui de la meilleure année, 1932.
1935, brochure LaSalle Sauf quelques modifications esthétiques (pare-chocs simplifiés, nouveau pare-brise) et techniques, les LaSalle de 1935 sont identiques à celles de 1934. 8 653 unités sont fabriquées. Malgré (ou à cause) des prix encore en baisse, la marque piétine. 1936 - Une double concurrence avec Packard et Cadillac Face à une LaSalle, l'acquéreur d'une Packard achète une vraie carrosserie Packard et le prestige encore intact d'une marque au passé glorieux, à un tarif inférieur. Avec des prix de vente encore en baisse, LaSalle parvient à écouler près de 13 000 voitures en 1936, mais c'était bien peu au regard des 55 000 Packard de la série 120. Il convient de préciser que Packard a pris un risque majeur avec cette nouvelle série économique : écorner à jamais son prestige passé. Le groupe Ford, pour sa part, vient de lancer un modèle le luxe adapté à cette période de fin de crise, la Lincoln Zephyr. Les 15 842 Zephyr vendues en 1936 sont autant de voitures qui ne figurent pas sur les carnets de commandes de LaSalle. LaSalle qui souffre face à Packard et Lincoln ne peut pas non plus compter sur la marque soeur Cadillac. La série 60 de 1936, un dérivé des Buick, particulièrement économique pour une Cadillac, est un succès. Cette dernière empiète sur le créneau habituellement réservé à LaSalle.
Extraits du catalogue LaSalle 1936 1937 - Revirement de situation Pour Alfred Sloan, PDG de la GM, il n'est plus question de céder à l'offensive de la concurrence sans se battre. Un changement de stratégie est décidé. LaSalle doit reprendre son rang, tout en s'alignant sur les tarifs de Packard. Pour cela, la marque abandonne les mécaniques Oldsmobile, et adopte le dernier V8 des Cadillac Série 60, ce qui lui permet dès lors de battre en performances ses challengers. Les aménagements intérieurs profitent des améliorations qui s'imposaient pour séduire la clientèle visée. Grâce à l'utilisation d'un nouveau châssis, l'habitabilité progresse. Le style n'est pas en reste avec des ailes plus enveloppantes, des flancs lisses et un coffre intégré à la ligne générale. Cerise sur le gâteau, une prestigieuse version cabriolet à quatre portes est disponible. L'année 1937 est la meilleure pour la marque depuis sa naissance dix ans plus tôt, avec 32 005 voitures produites. Alfred Sloan a eu raison d'insister. Packard à son tour refuse de se laisser battre par la GM, quitte à écorner encore un peu plus son image de prestige, et propose au cours de l'année 1937 la série 115, vendue au prix d'une Oldsmobile ou d'une De Soto. LaSalle est monté en gamme, Packard a suivi le raisonnement inverse.
Extraits du catalogue LaSalle 1937 1938/1939 - Un sursaut de faible durée Les LaSalle de 1938 ne reçoivent que des modifications mineures, en suivant les évolutions esthétiques des Cadillac. Mais sur ce segment de marché, les Packard continuent de mener la vie dure aux LaSalle. La production est divisée par deux par rapport à 1937 avec 15 575 unités.
Publicité magazine pour LaSalle, 1938 En 1939, les LaSalle évoluent encore avec des carrosseries restylées. Ce sont de nouveau 23 028 LaSalle qui trouvent un acquéreur. En septembre, l'Europe entre en guerre. C'est bientôt le monde entier qui va s'embraser. Le gouvernement américain lance un programme de production de matériel de guerre. Dès 1939, Cadillac fabrique des moteurs pour avions. 1940 - The end Malgré leurs qualités indéniables et leur excellent rapport qualité / prix, Les LaSalle ne sont jamais parvenues à fidéliser une clientèle, faute d'image auprès du public. Il a toujours été plus valorisant d'acquérir une Packard, une Lincoln ou une Cadillac. Celui qui s'achetait une LaSalle passait trop souvent pour un minable qui n'avait pas les moyens de s'offrir une vraie voiture de prestige. 1940 est la dernière année pour la marque. LaSalle aura vécu 14 ans. 24 113 voitures sont encore fabriquées cette dernière année. Bien que des modèles 1941 soient étudiés, leurs plans restent dans les cartons. Pour les dirigeants de GM, lassés de voir cette marque vivoter, c'en est de trop. Un total de 205 179 LaSalle ont été produites entre 1927 et 1940. Désormais, c'est la série 61, gamme " basse " de Cadillac, qui assure une présence dans le segment de prix jusqu'alors occupé par LaSalle. Et le succès de ces Cadillac ne se fait pas attendre, avec des ventes qui atteignent le double de celles des LaSalle de 1940, preuve supplémentaire que le nom LaSalle était à bout de souffle. LaSalle a été évacuée sans ménagement ... 1955 - Une brève renaissance Avec LaSalle, les américains ont été les premiers à faire revivre une marque du passé, Soutenu par quelques responsables de la General Motors, le nom de LaSalle fait son retour sur le devant de la scène en 1955 par le biais de deux concept-cars, dessinés par Carl Renner sous la direction de l'inamovible Harley J. Earl. LaSalle a changé de catégorie, avec des voitures plus légères, plus basses et plus compactes que par le passé. Les carrosseries épousent les formes du moment, mais certains détails rappellent les dernières LaSalle, notamment la calandre avec six fentes verticales et les phares obus semi intégrés. Les roues sont apparentes dans des dégagements fortement évidés. Construites en polyester, les LaSalle II, un roadster et une berline hardtop à quatre portes, sont exhibées lors du Motorama, avant de disparaître aussi vite qu'elles sont apparues.
Roadster LaSalle II, 1955
Berline LaSalle II, 1955 1960 - Un nouveau retour avorté La Ford Thunderbird connaît un succès fulgurant depuis qu'elle s'est embourgeoisée à la fin des années 50 . Elle a largement contribué à la naissance d'un nouveau segment de marché, celui des " personnal luxury cars ". La GM ne peut pas rester sans réagir. Un modèle non affecté à une marque particulière est à l'étude. Certains suggèrent de lui attribuer le nom de LaSalle. Mais d'autres au sein de la division Cadillac ne comprennent pas que l'on puisse faire revivre une marque qui au final n'a jamais été synonyme de réussite commerciale. Par ailleurs, Cadillac a d'autres chats à fouetter, peinant déjà à assouvir les besoins du marché pour ses propres modèles. La division Buick, alors pas vraiment au meilleur de sa forme, va être plus accueillante. Les prototypes d'études changent d'écusson. La nouvelle LaSalle devient une Buick. La mythique Riviera de 1963 vient de voir le jour.
Buick Riviera, 1963 1975 - Séville contre LaSalle Cadillac présente en 1975 une nouvelle berline compacte au regard des autres modèles de la gamme : la Séville. Quelques cadres bien attentionnés souhaitent la baptiser du nom de LaSalle. La direction de la GM rejette cette proposition, bien que la nouvelle Séville corresponde dans son positionnement à une philosophie assez proche des LaSalle des années 30.
Cadillac Séville, 1976
Texte : André Le Roux / Jean-Michel Prillieux |
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