Bentley, de 1919 à 1931
L'histoire de Bentley à Cricklewood, entre 1919 à 1931. Ce premier chapitre est suivi sur cette même page d'un second consacré à une présentation de l'ensemble des modèles de la période Naissance de la Bentley Motors Fort de son expérience dans la fabrication et de ses compétences reconnues en ingénierie, WO Bentley décidait de concrétiser une idée qu'il avait eu le temps de mûrir pendant la guerre : concevoir et fabriquer une voiture entièrement nouvelle qui allait porter son nom. Il était assisté dans son projet de Frank Burgess, ancien de Humber, de Harry Varley, ancien de Vauxhall, du colonel et ancien pilote Clive Gallop, et de son frère Hardy M Bentley. Le 20 janvier 1919 était fondée la firme Bentley Motors Ltd à Londres, soit moins de trois mois après la fin de la guerre. La fabrication des pièces de la future voiture fut sous-traitée, après quoi le nouveau moteur de 3 litres fut assemblé et essayé en octobre dans une pièce qui surplombait les anciens ateliers de DFP. Le premier prototype Bentley était présenté en novembre 1919 au salon de Londres. Cette voiture, que son moteur endurant pouvait propulser sur de longs trajets en échange d'un entretien minimum, n'était pas un engin de course, mais une véritable grand tourisme. Concevoir avant de produire WO tenait avant tout à ce que Bentley Motors soit un constructeur automobile indépendant. Ce n’est qu’ainsi, pensait-il, que ses conceptions pourraient aboutir aux voitures qu’il souhaitait fabriquer. Il résista donc aux tentatives des actionnaires de l’époque de faire de la société une agence de conception alors qu’il s’engageait de plus en plus dans les processus de fabrication. La nouvelle compagnie était dirigée par une équipe de trois hommes, WO Bentley lui-même, FT " Monkey " Burgess et Harry Varley. Elle installa son premier pied à terre au 16 Conduit Street à Londres. WO considérait Burgess comme étant un dessinateur de génie. WO Bentley fit sa connaissance durant la guerre alors qu'il avait rejoint les usines de Humber. Ensemble, ils avaient conçu les fameux moteurs BR1 et BR2. Varley avait été recruté chez Vauxhall. Ces hommes, même s'ils avaient conscience de se lancer dans une nouvelle aventure, ne s'imaginaient sans doute pas être à l'origine d'une aussi extraordinaire épopée. WO Bentley voulait que sa voiture soit plus grande qu'une DFP, qu'elle possède un caractère résolument sportif, tant en étant capable de rouler de longues heures sur les routes du continent. WO Bentley faisait alors allusion aux longues lignes droites des routes françaises qu'il connaissait bien. WO acheta un terrain à Cricklewood, au nord de Londres. La zone n’était pas encore urbanisée. Un bâtiment en briques était bientôt érigé sur ce site et l'ensemble de la société emménageait dans les locaux. Avec moins de 20 employés, ce fut un groupe uni qui fabriqua les deuxième, troisième et quatrième Bentley 3 litres expérimentales. Ces voitures étaient destinées à résoudre les problèmes de conception en vue de sa production en série. Cette procédure dura près de deux ans, une période déjà caractérisée par les problèmes financiers.
L'usine de Cricklewood En 1920, les premiers ateliers d'assemblage furent construits. Il s’agissait de bâtiments à charpente métallique et murs en parpaings, érigés rapidement et à peu de frais. Ils ont cependant duré plus de soixante ans et furent occupés après 1931 par une autre société, Smiths Industries. Cricklewood, usine d'assemblage En 1921, Bentley Motors demeurait davantage une entreprise de conception, d’assemblage et d’essais qu’un véritable constructeur automobile. Bentley faisait appel à un grand nombre de fournisseurs. Les pièces moulées et matricées étaient achetées et tout le travail d’usinage confié à des prestataires. Les châssis étaient fabriqués par la société Mechans de Glasgow et acheminés à Cricklewood. A la différence des véhicules concurrents assemblés à partir de pièces existantes de fabricants externes, Bentley concevait tous les éléments de ses véhicules, n’achetant que les instruments, les équipements électriques et (après 1926) les arbres de transmission. A Cricklewood, des sections différenciées au sein des ateliers assemblaient les principaux ensembles : essieux, boîtes de vitesses et colonnes de direction. L’atelier d’assemblage du moteur constituait le coeur de la société. Chaque moteur était fabriqué par un monteur et son assistant, puis envoyé à l’atelier d'essais moteur. Une certaine rivalité s’établissait entre les monteurs pour savoir lequel d’entre eux pourrait fabriquer le moteur le plus puissant. Les moteurs et les autres ensembles étaient acheminés vers l’atelier châssis, où la totalité du châssis roulant était assemblé par un autre monteur et son assistant.
L'atelier de montage des moteurs à Cricklewood. Une fois cette étape terminée, le câblage était intégré par les électriciens et le châssis roulant transféré à l’atelier d’essais. Les jantes et les pneus étaient alors montés, un tablier et un siège avant provisoires mis en place et le châssis testé par l’un des essayeurs Toutes les anomalies étaient notées pour être résolues. Le châssis était ensuite rectifié puis envoyé chez un carrossier. Bentley qui ne disposait donc pas de moyens de fabrication était totalement tributaire de ses sous traitants. Les retards dans les livraisons de ces fournisseurs empêchaient régulièrement l'usine de tenir ses engagements en terme de délai auprès de ses clients.
L'usine de Cricklewood WO Bentley avait souhaité réussir un pari alors impossible. Avant lui, de nombreux constructeurs avaient proposé de petites séries de voitures soit très luxueuses, soit très sportives. Bentley allait parvenir à combiner mieux que n'importe lequel de ses concurrents ces deux tendances à priori antinomiques. Il parvint en effet à produire des automobiles, aussi à l'aise sur un circuit que lorsqu'il s'agit de véhiculer de hautes personnalités dans le plus grand confort. La garantie Bentley de cinq ans était un “ outil de marketing ” très efficace et une importante source de revenus. En effet, la garantie n’était transférée au nouveau propriétaire qu’après une visite au département Service de Bentley Motors où les problèmes du véhicule étaient résolus, aux frais du nouvel acquéreur. La plupart des clients Bentley étaient ravis du service qui leur était offert. Leur prouver que la société avait confiance en ses produits lui a sans aucun doute permis d’accroître ses ventes. WO gérait son affaire à sa manière. Rivers Fletcher dans le livre " Bentley, Past and Present " relatait les faits suivants : WO était souvent dans l'usine, parcourant lentement les ateliers, la pipe à la bouche. Il était toujours impeccablement habillé de façon très classique et affichait une expression très solennelle. On m'a raconté une anecdote amusante au sujet de lui et des apprentis. S'il vous voyait faire mal quelque chose, tel que maltraiter une pièce ou utiliser brutalement un outil, il s'arrêtait et vous dévisageait. Son regard était alors si pénétrant que vous cessiez de grandir. Si votre crime était pire, non seulement WO s'arrêtait, mais il retirait sa pipe de sa bouche en vous glaçant du regard. Et dans ce cas, vous vous sentiez rapetisser jusqu'à devenir nain pour le restant de vos jours. On dit également qu'un jour, il surprit un jeune apprenti en train de poser son gobelet de thé sur la surface d'un bloc moteur. Il s'immobilisa, prit sa pipe à la main et lui dit quelque chose. L'apprenti disparut et on ne le revit jamais. Bentley Motors n’a jamais fabriqué de carrosseries. Tous les châssis étaient envoyés à des sociétés extérieures : Vanden Plas, HJ Mulliner, Park Ward, Gurney Nutting, Freestone & Webb ou Harrison ... Nombre de carrosseries étaient toutefois dénommées “ Carrosserie d’origine Bentley ” car elles répondaient aux critères définis par Bentley Motors.
Le magasin d'exposition de Bentley à Londres au milieu des années 20 Dès les débuts, les Bentley eurent un grand succès, et la demande de la clientèle demeurait très soutenue, dépassant le plus souvent les capacités de montage. Les difficultés financières Pourtant,dès 1924, Bentley Motors rencontrait de sérieuses difficultés financières, et perdait de l'argent. Un apport en capital devenait alors nécessaire. WO Bentley contacta William Morris, le plus important constructeur automobile britannique de l'époque, en lui proposant de prendre des parts dans le capital de son entreprise. Malgré le déplacement de WO Bentley à Crowley, et un essai par Morris de la nouvelle 6 1/2 litre, ce dernier déclina courtoisement l'offre de Bentley. Morris avait le sentiment qu'il serait trop complexe de produire d'une part des automobiles populaires bon marché, d'autre part des objets de prestige. La société vécut au jour le jour jusqu’en mai 1926, ne cessant de se débattre avec ses finances réduites. Cette année là, Woolf Barnato, riche héritier, lui conférait pour la première fois une certaine stabilité par un apport de capitaux. Barnay Barnato, le père de Woolf, était le roi du diamant sud-africain. Il était parfaitement inconcevable que Barnato se contente de signer un chèque permettant à WO Bentley de poursuivre le développement de son affaire comme par le passé. Les actions de la compagnie furent dévalorisées de une Livre à un Shilling, ne laissant plus aucun pouvoir aux anciens actionnaires. WO Bentley prenait le titre de " managing director ", tandis que Barnato devenait président. Ce faisant, WO Bentley devenait le subordonné de Barnato. Barnato y engloutit une grande part de sa fortune, mais eut le plaisir de pouvoir posséder et piloter les plus belles Bentley. Sans son intervention, on peut penser que Bentley aurait cessé ses activités prématurément.
Kidston & Barnato au Mans en 1930 Grâce à ces nouveaux fonds, Bentley pouvait se permettre d'ouvrir un luxueux magasin d'exposition sur Cork Street à Londres. Parallèlement, HM Bentley, qui avait soutenu son frère WO depuis la fondation de Bentley Motors, quittait la société pour se consacrer à de nouvelles activités de négoce. En dépit de la perte de contrôle de son entreprise et du ressentiment qui peut aller avec cette situation, WO Bentley avait encore de bonnes raisons de voir l'avenir avec optimisme. Le contexte économique était encore favorable, et la compagnie était aux mains d'un homme de confiance, doté de réels moyens financiers. Tout semblait, pour l'instant, aller pour le mieux. Les dirigeants de Bentley savaient bien vivre sur le compte de la compagnie, et bien que ces dépenses puissent paraître insignifiantes au regard du budget global, elles révélaient un certain état d'esprit. Toute société soucieuse de son avenir après avoir connu des moments difficiles devrait commencer par mettre de l'ordre et de la rigueur dans ses propres rangs. Cet façon de faire n'était pas alors de mise chez Bentley. 1929 fut l’année la plus florissante qui enregistra un profit conséquent, qui fut réinvesti dans de nouveaux bâtiments et un atelier d’usinage à la pointe de la technique. Mais le spectre des difficultés financières allait très rapidement refaire surface. Les conseillers financiers de Barnato l'incitèrent à modérer son soutien à Bentley. Il se retirait de l'affaire peu après la crise financière qui ébranla Wall Street. Le 11 juillet 1931, la fabrication des automobiles Bentley fut suspendue, et un liquidateur judiciaire nommé. Rolls-Royce contre Napier Barnato le playboy millionnaire estimait en avoir assez fait, et il n'était plus disposé à dépenser son argent pour une affaire qui s'avérait non viable économiquement. La plus favorable des solutions était désormais de trouver un repreneur à l'affaire. Barnato se tourna dans le plus grand secret vers Rolls-Royce, sans même semble t'il mettre WO Bentley dans la confidence. D'un autre côté, la société Napier, ancien constructeur automobile avant la première guerre, dont les activités étaient désormais orientées vers la construction aéronautique, fut intéressée par le rachat de Bentley. WO Bentley éprouvait un profond respect pour cette firme d'ingénieurs. Le montant à payer pour s'offrir Bentley fut défini. Dans l'intervalle, WO Bentley avait déjà dessiné un moteur pour une future Napier Bentley 6 cylindres. La vente de Bentley à Napier semblait n'être plus qu'une formalité. Toutes les parties étaient d'accord. La transaction devait avoir lieu au tribunal le 17 novembre. Un étranger se présenta, et se signala comme étant un représentant de la " British Equitable Trust ". Il était mandaté pour proposer un montant plus élevé que la proposition de Napier. Ce dernier rétorqua qu'il pouvait s'aligner sur le montant de ce nouveau concurrent au rachat. Le juge, agacé, répondit qu'il n'avait pas vocation à jouer le rôle d'un commissaire priseur. Chacune des parties fut invitée à déposer sous pli une offre. Napier proposa 104 775 £ et la British Equitable Trust 125 275 £. Cette dernière n'était en fait que le représentant de la Rolls-Royce Motor Corporation. Ce rachat permettait à Rolls-Royce de tuer dans l'oeuf un futur concurrent, qui aurait pu réapparaître sur le marché de la voiture de luxe avec l'appui d'un nouveau partenaire financier. Rolls-Royce devenait le nouveau propriétaire de la marque en novembre 1931. La production fut dès lors transférée de Cricklewood à Derby. Le 14 décembre 1931 fut créée la Bentley Motors (1931) Limited, filiale à part entière de Rolls-Royce, qui permettait de maintenir une différenciation entre les deux marques. Cela n'allait pas empêcher les nouvelles Bentley d'être conçues dans le bureau d'étude de Rolls-Royce. La gamme Bentley des années 20 s'articulait autour de deux familles principales, celle des 3 litre et 4 1/2 litre d'une part, puis celle des 6 1/2 litre d'autre part. La 4 1/2 litre s'inscrivait dans le prolongement de la 3 litre. La Blower Bentley en était une extrapolation suralimentée. La 6 1/2 litre se positionnait un cran au dessus, et était proposée avec deux niveaux de puissance, la Big Six et la Speed Six. La 8 litre, un très haut de gamme, fut le chant du cygne de la marque, tandis que la 4 litre fut un modèle imaginé à la hâte pour faire face à la chute de la demande en haut de gamme après la crise de 1929.
WO Bentley au volant du premier prototype (EXP1) de la la 3 litre 1919 - 1929 : Bentley 3 litre Une conception originale Si les Etats Unis connaissaient en ce début des années 20 un début de démocratisation de l'automobile grâce notamment à Henry Ford, la possession d'un tel objet demeurait encore sur le vieux continent réservée à une élite fortunée. Cette élite, du moins chez nos voisins britanniques, ne pouvait pas espérer rouler à plus de 40 mph (environ 64 km/h). WO Bentley avait dès les prémices de son projet décidé de porter la vitesse de croisière de ses voitures à 60 mph (environ 96 km/h), et la vitesse de pointe à 80 mph (environ 128 km/h). Cette vitesse devait pouvoir être maintenue de manière durable sur de longs trajets de manière quotidienne. Outre le moteur en lui même, le châssis et l'ensemble des accessoires devaient pouvoir soutenir de telles cadences. Ainsi, et cela était nouveau à l'époque, le propriétaire d'une Bentley pouvait envisager de longs périples en toute confiance, sans que la mécanique ne s'épuise et ne tombe en panne régulièrement. Le premier prototype Concevoir une voiture était une chose. La produire en série en était une autre. Le retour à la paix après les années de guerre fut à l'origine d'un boom économique, ce qui facilita la tâche confiée à HM Bentley de revendre l'affaire DFP, une chance pour les frères Bentley, le constructeur français faisait en effet faillite peu de temps après. WO Bentley, à l'opposé, cherchait des sous traitants capables de produire les éléments nécessaires à l'assemblage de son premier prototype. Tous les industriels avaient leur carnet de commande plein, et se préoccupaient peu des élucubrations d'un seul homme, au demeurant un quasi inconnu, dont le souci était de construire un premier prototype. La présentation officielle Les visiteurs découvraient la 3 litre, dotée d'un 4 cylindres, au salon automobile de Londres en novembre 1919. Cette présentation tenait quasiment du miracle. Sans la foie sans borne de WO Bentley, un tel évènement n'aurait jamais eu lieu. A cette époque, les véhicules étaient systématiquement désignés par leur puissance fiscale, mais WO Bentley refusait de se plier à un système de calcul qui aurait mis en avant l'alésage moyen de son moteur et non sa course exceptionnelle. La désignation “ Bentley 16 CV ” aurait été peu flatteuse ! Ainsi, de la 3 litre d’origine datant de 1921 à la 4 1/4 litre de 1936, les Bentley portaient systématiquement le nom de leur cylindrée. La Bentley 3 litre était impressionnante et résolument extraordinaire pour l'époque. Elle correspondait aux désirs de la jeunesse dorée de l'après guerre. Rapide comme une voiture de course, elle devait être la voiture idéale pour emmener ses passagers à un thé dansant dans les plus beaux quartiers de Londres. Le succès lors du show londonien fut considérable. Nombreux furent les visiteurs à se porter candidat à l'achat de la voiture. Mais WO Bentley, avec une certaine prudence, savait qu'aucun véhicule ne pourrait être livré avant le début de l'année 1921. Le magazine Autocar réalisait un janvier 1920 un essai particulièrement flatteur. Celui ci contribua à crédibiliser le fruit du travail de WO Bentley, et à attiser l'intérêt des acheteurs potentiels. Les difficultés de trésorerie, déjà ! WO Bentley devait déjà jongler avec les problèmes de financement et de trésorerie. Pendant de longs mois, il ne faisait que dépenser son capital pour terminer l'étude de la voiture et préparer son industrialisation. Il n'y avait en parallèle aucune rentrée d'argent. WO Bentley avait précautionneusement refusé toute forme d'arrhe après le salon de Londres. Du retard sur le calendrier Les locaux de New Street Mews (ancien locaux DFP) ne pouvant pas accueillir une usine d'assemblage, un terrain fut acheté à Cricklewood, au nord de Londres, pour y construire les futures Bentley. La production de la 3 litre débutait à Cricklewood au milieu de 1921. Un magasin d'exposition était installé à Hanover Street à Londres. Par rapport au calendrier initial, la commercialisation avait pris du retard. Bentley se trouvait dans l'impossibilité de profiter du boom économique qui suivit la fin de la guerre. Celui ci allait hélas s'estomper après 1920. Mais la Bentley avait suffisamment de qualités pour s'imposer. Une réussite technique Avec la 3 litre, WO
Bentley avait fait preuve d'indépendance d'esprit. Il ne s'était pas
soucié de la concurrence ni d'ailleurs vraiment des besoins ou désirs
de ses clients potentiels. Sans état d'âme, il était intimement
persuadé que sa voiture ne pouvait que plaire. Elle jeta les bases de
toutes les autres Bentley. La 3 litre répondait aux engagements
initiaux de WO Bentley. Elle était une voiture puissante, rapide,
souple, docile, fiable et robuste, qui tenait bien la route et pouvait
soutenir des vitesses élevées sur de longs trajets. Le moteur était
assemblé en totalité par un ajusteur et son apprenti.
Bentley 3 litre carrossée par Vanden Plas Les intuitions de WO furent les bonnes. Cela est particulièrement remarquable quand on sait le temps de développement court de l'auto. Trois prototypes seulement furent utilisés : EXP1 exposé en 1919, EXP2 que le pilote Franck Clément fit courir à Brooklands et EXP3 quasiment identique au modèle de série. Les moyens techniques de la fin des années 10 et du début des années 20 ne permettaient pas de se lancer dans de savantes simulations. Le premier client Le premier client de Bentley s'appelait Noel Van Raalte. Croire qu'il s'agissait du premier acheteur à se présenter à WO Bentley serait mal connaître le " boss ". WO Bentley, qui avait mieux que quiconque un sens inné de la publicité gratuite, avait choisi en effet avec un soin particulier celui qui allait pendre livraison de la première Bentley le 21 septembre 1921. Noel Van Raalte n'était pas seulement très fortuné. Il était aussi un pilote reconnu et un homme d'affaires renommé. WO Bentley faisait le pari qu'un tel personnage serait en mesure après avoir apprécié les performances de la Bentley, d'attirer vers la marque d'autres clients capables financièrement de dépenser un budget conséquent pour cette automobile hors du commun. Le succès commercial Le bouche à oreille fut efficace. Durant les derniers mois de 1921, pas moins d'une douzaine de Bentley furent construites et livrées. Le rêve de WO Bentley devenait réalité, même si la santé financière de l'entreprise était toujours précaire. Mais petit à petit, WO Bentley, qui ne se prenait absolument pas pour un " businessman ", voyait le bout du tunnel. En 1922, la première année pleine de production, environ 150 châssis furent vendus. Les Bentley des années 20 étaient habillées individuellement, à la demande de leur propriétaire. Le client qui achetait un châssis chez Bentley choisissait sa carrosserie à la carte, chez un des nombreux artisans de l'époque. Les plus connus et les plus importants (Vanden Plas, Hooper, Park Ward ...) proposaient des carrosseries " de série ". Au final, par le jeu des choix de carrosseries, d'équipements, d'habillages ... aucune Bentley n'était strictement identique à une autre. WO Bentley tenait avec la 3 litre une bonne voiture largement appréciée par la clientèle aisée. Il pouvait la vendre à un prix élevé. Le fait que ce seul modèle ait représenté plus de la moitié des voitures produites à Cricklewood confirme cette position. Naturellement avec le temps une érosion des ventes se fit sentir, limitant d'autant les rentrées d'argent. Paradoxalement, et sans doute en raison d'un manque d'engagement de WO Bentley dans la gestion financière de son affaire, la 3 litre ne permit jamais à son constructeur de gagner de l'argent. Ce modèle fut produit jusqu'en 1929 à 1619 exemplaires. Des améliorations régulières Selon une politique d'amélioration continue initiée par WO Bentley, les caractéristiques de la 3 litre évoluèrent d'une année sur l'autre. En 1923 par exemple, Bentley proposait en série le freinage sur les quatre roues, et non plus seulement sur les roues arrière. C'était un parfait exemple d'une amélioration issue de l'expérience en compétition. En effet, cette année là, la Bentley du pilote John Duff éprouva quelques difficultés avec son système de freinage. L'appliquer aux quatre roues lui permettait de remporter en 1924 une première victoire sur le circuit du Mans. WO Bentley avait délibérément orienté le développement de sa 3 litre dans un esprit " voiture de sport ". Mais une large frange de la clientèle ne l'entendait pas ainsi. Elle souhaitait certes profiter de la réserve de puissance de la Bentley, mais tenait aussi à s'assurer un maximum de confort. La version châssis long disponible à partir de 1923 remportait un succès inattendu, et nombreux furent les carrossiers sollicités pour transformer la 3 litre en une somptueuse limousine, ce qui n'était pas vraiment la vocation initiale de l'auto. Même s'il achetait une part de rêve en pensant aux exploits réalisés par d'autres dans la Sarthe, le propriétaire d'une berline 3 litre lourdement carrossée pouvait difficilement se croire sur le circuit des 24 heures. L'alourdissement des voitures avait évidemment des conséquences sur le niveau des performances. Lors de la présentation de la 4 1/2 en 1927, la 3 litre commençait nettement à faire figure d'ancien modèle. L'heure de la relève allait bientôt sonner . Deux versions spéciales En 1923 était commercialisée la 3 litre Speed Model plus puissante, capable d'atteindre une vitesse de pointe de 90 mph, contre 80 pour le modèle standard. Celle ci se reconnaissait à son badge rouge (red label) sur la grille du radiateur, par opposition au badge bleu apposé sur le modèle standard. Cette dénomination red label désignait il y a peu encore les versions de l'Arnage équipées du V8 Bentley. Au sommet de la gamme 3 litre, Bentley proposait de 1925 à 1927 la très rare (18 exemplaires produits) Supersports, surnommée la " 100 mph 3 litre ". Visuellement, cette version se distinguait notamment grâce à son badge vert (green label), certainement le badge le plus rare de cette période Vintage. La 3 litre sur les circuits Dans l'Angleterre d'après guerre, un seul circuit avait grâce aux yeux de WO Bentley, celui de Brooklands dans le Surrey. C'est sur ce circuit mythique que Franck Clément s'élançait pour la première fois le 28 mars 1921 sur la Bentley EXP2, second prototype de la Bentley 3 litre. La première victoire fut acquise le 7 mai 1921 dans une course mineure, la Whitsun Junior Sprint. Ce modeste palmarès permettait à WO Bentley d'annoncer à ses prospects qu'il vendait des voitures déjà victorieuses en compétition. Les Bentley ne tardèrent pas à faire leurs preuves sur d'autres pistes dès 1922. Des voitures de la marque remportaient les 2ème, 4ème et 5ème place au British Tourist Trophy. Au début des années 20, comme cela était déjà le cas à l'époque où WO Bentley vendait des DFP, financer une équipe de course était bien moins coûteux que de faire connaître ses produits par l'intermédiaire d'encarts publicitaires. Si le succès était au rendez vous, et WO Bentley avait une foie inébranlable en ses automobiles, c'était le jackpot assuré. Mais même si ce n'était pas le cas, le pilote avait pour mission de terminer la course afin d'en tirer le maximum d'enseignements. Même un programme soutenu était moins onéreux qu'une voiture neuve de haut de gamme de la marque de Cricklewood. Pour autant, WO Bentley ne dépensait pas son argent les yeux fermés. Ses engagements à Brooklands puis bientôt au Mans ne se faisait qu'avec la quasi certitude de remporter la victoire. Si de nos jours on peut légitimement douter de l'influence qu'a une voiture de Formule 1 sur une petite berline citadine, ce n'était pas le cas durant les années 20. La course servait réellement de test d'endurance. Elle mettait en exergue les failles de l'auto. La voiture de course n'était alors qu'une voiture de série légèrement modifiée. Les constructeurs gommaient les défauts de leurs modèles de série en tirant profit des problèmes rencontrés sur les circuits. 1926 - 1930 : Bentley 6 1/2 litre Une marche en avant forcée Le jeune entrepreneur était déjà assailli par ses actionnaires inquiets. Il croulait sous les hypothèques. L'installation à Cricklewood, les salaires, le règlement des fournisseurs, la participation aux salons automobiles, les coûts de développement, etc ... mettaient déjà à mal les finances de l'entreprise. Quoi qu'il en soit, WO Bentley allait de l'avant. Elargir l'offre Le quatre cylindres de la 3 litre ne pouvait pas se prévaloir du confort d'un véritable six cylindres, moins sensible aux vibrations. Constatant par ailleurs que de nombreux propriétaires fixaient des carrosseries plus lourdes que celles pour lesquelles le châssis de la 3 litre avait été conçu à l'origine, et souhaitant profiter à plein de l'étroit mais fort rentable segment du très grand luxe, l'équipe de WO Bentley étudia une version six cylindres. Un six cylindres pouvait offrir de nombreuses possibilités de développement, et correspondait mieux à l'image de prestige que Bentley tendait à promouvoir. Les Bentley lourdement carrossées n'étaient plus de véritables sportives. Elles ne pouvaient pas non plus s'afficher au sommet de la catégorie des voitures de prestige en raison de leur taille compacte. La course contre une Rolls-Royce Le premier prototype de la nouvelle voiture était achevé en 1925. Sa cylindrée n'était alors que de 4 1/4 litre. La légende raconte que lors d'essais en France, WO Bentley, au volant de sa nouvelle six cylindres, fit la rencontre d'une Rolls-Royce Phantom I de 7668 cm3, le nouveau modèle que son concurrent direct s'apprêtait à commercialiser quelques mois plus tard. La course improvisée qui s'ensuivit finit par convaincre WO Bentley qu'il lui était nécessaire d'accroître la cylindrée de son futur haut de gamme. La Bentley ne fut nullement humiliée par la Rolls-Royce. Mais il paraissait inconcevable à WO Bentley que sa voiture ne soit pas significativement plus rapide que la voiture de Derby. Au lieu de modifier le moteur de 4 1/4 litre pour gagner en puissance, ce qui aurait pu remettre en cause la fiabilité mécanique, WO Bentley repartait d'une feuille blanche pour concevoir sa 6 1/2 litre, en conservant tout de même l'architecture générale. Le pas franchi était énorme, la cylindrée était plus de deux fois supérieure à celle de la 3 litre. Un nouveau positionnement commercial L'usine commercialisait à partir de 1926 la " Big Six " de 6 1/2 litre, toujours sous formes de châssis. Ce modèle était spécialement construit pour être doté de luxueuses carrosseries de type limousine exigées par un nombre toujours croissant de clients. Ainsi, Bentley attaquait directement le marché protégé de Rolls-Royce. La 6 1/2 litre n'avait pas la prétention d'être une voiture de sport, et ne fut en effet pas conçue dans cet esprit. WO Bentley préférait diriger les clients à la recherche d'une sportive vers la 3 litre, plus légère et plus appropriée à cet usage. Mais en terme de confort et de raffinement, mais aussi d'aspect pratique, la 6 1/2 litre reléguait la 3 litre dans les profondeurs du classement.
La ligne de production de la 6 1/2 litre à Cricklewood. La 6 1/2 litre était plutôt une automobile que les britanniques désignaient sous le terme de " tourer ", dotée d'une mécanique moins sollicitée que celle de la 3 litre. D'ailleurs, en fonction du type de carrosserie choisie, une 6 1/2 litre pouvait peser plus du double d'une 3 litre carrossée sportivement. Malheureusement, la clientèle aisée ne répondit pas très favorablement à ce nouveau produit, proposé par une entreprise déjà aux abois. Les coûts de développement avaient épuisé les dernières ressources financières de Bentley. Une voiture de carrossier Les plus grands carrossiers, tels que Vanden Plas, HJ Mulliner, Park Ward ou Hooper ne furent jamais surpris par les caractéristiques des Bentley. Par contre, nombre de petits artisans étaient confrontés à des problèmes très basiques : manque de place pour que les suspensions puissent se débattre, direction bloquée, etc ... La brochure publicitaire éditée lors de la commercialisation de la 6 1/2 litre contenait l'avertissement suivant : " Les acheteurs d'un châssis Bentley qui désirent le faire carrosser sans avoir recours à la compagnie devront vérifier que leur carrossier respecte strictement les instructions détaillées qui accompagnent chaque châssis livré par la compagnie. En effet, par le passé, un certain nombre d'inconvénients, tant pour le propriétaire que pour la compagnie, se sont révélés être liés à des négligences dans ce domaine ". Ce modèle qui arborait un badge bleu (blue label) fut fabriqué en 363 exemplaires jusqu'en 1930.
Bentley 6 1/2 litre La Speed Six Afin de répondre à la demande des fidèles de la marque souhaitant une version plus affûtée de la 6 1/2 litre, il fut décidé de développer à partir de la Big Six standard une Speed Six plus performante. Le rapport de compression de la Speed Six était plus élevé, et le moteur était équipé de deux carburateurs au lieu d'un. Ce modèle était principalement destiné aux propriétaires qui conduisaient eux-mêmes leur Bentley. Il fut présenté au salon de Londres en 1928. La Speed Six était chère au coeur de WO Bentley, qui en avait supervisé le développement. A ses yeux, elle rassemblait en effet toutes les qualités primordiales d'un haut de gamme. Elle était rapide, douce, silencieuse et indestructible. Dans son principe, elle était même l'antithèse de la Blower Bentley (voir ci-après). Pourtant, le défi au départ était le même : gagner en puissance sur la base d'un modèle existant. Mais la manière d'y parvenir était ici plus noble en se passant de la suralimentation. En fonction du travail
effectué sur la 6 1/2 litre, la puissance évoluait de 140 à 160 bhp,
voir à 180 bhp sur la version la plus performante. Les voitures
utilisées sur circuits étaient dotées d'un taux de compression plus
élevé, ce qui leur permettait de développer jusqu'à 200 bhp. Ce fut
durant cette période Vintage le modèle le plus titré de la marque. 1927 - 1931 : Bentley 4 1/2 litre Pourquoi la 4 1/2 litre La concurrence progressait à grand pas. Il n'était pas question pour Bentley de se laisser distancer. La cylindrée mesurée de la 3 litre ne permettait pas de développement conséquent sur cette base. La nouvelle 4 1/2 litre (cylindrée exacte de 4398 cm3) répondait à l'attente des clients pour lesquels une Bentley était avant tout une voiture de sport, une voiture capable de procurer le " coup de pied " si caractéristique des premières voitures de la marque. Si son architecture était assez semblable à celle de la 3 litre, la cylindrée plus conséquente lui garantissait une compétitivité supérieure. Par rapport à la 3 litre, la 4 1/2 gagnait 20 ch. La vitesse maximale atteignait désormais 148 km/h, voir 160 km/h avec un rapport de pont plus long.
Bentley 4 1/2 par HJ Mulliner La Bentley 4 1/2 litre était disponible en version courte (empattement de 2,98 mètres) ou longue (3,30 mètres). La plupart des 4 1/2 litre reçurent des carrosseries de berline ou de limousine. Ainsi carrossée, la 4 1/2 litre constituait un excellent compromis pour les clients passionnés qui n'avaient pas les moyens financiers d'acquérir une 6 1/2 litre, ou qui pouvaient être effrayés à l'idée de piloter celle-ci, très lourde, très grande et forcément moins maniable qu'une 4 1/2 litre. Versions " Semi Le Mans " & " Le Mans Replica " Les versions " Semi Le Mans " ou " Le Mans Replica " étaient des packs optionnels, et incluaient un bouchon de réservoir à ouverture rapide, un réservoir de plus grande contenance, un pare pierre devant le radiateur, un compte-tours de grand diamètre, des suspensions plus raides et une finition " Bentley Racing Green ". Niveau des ventes en demi teinte La 4 1/2 litre fut commercialisée jusqu'en 1931, année de la reprise de Bentley par Rolls-Royce. Mais si l'on se réfère aux 665 voitures vendues, chiffre à comparer aux 1613 modèles de la 3 litre, on comprend bien comment il était devenu difficile de vendre des automobiles de luxe après le crack boursier de Wall Street de 1929. La crise allait avoir des conséquences dramatiques en Europe, même si les effets sur le comportement de la clientèle aisée ne furent pas aussi brutaux qu'en Amérique. Mentionnons enfin que six dernières 4 1/2 litre furent produites sous l'ère Rolls-Royce à partir de pièces qui avaient survécu à la transition.
Bentley 4 1/2 Open Tourer par Weymann La Blower Bentley Bentley présentait un 1929 la Blower Bentley, une 4 1/2 litre dotée d'un compresseur volumétrique de marque Amherst Villiers. WO Bentley ne soutenait pas vraiment le projet de cette version suralimentée, craignant pour la fiabilité, l'endurance et la tenue de route d'un tel modèle. L'idée en revenait au pilote Tim Birkin qui parvint à convaincre Woolf Barnato, actionnaire et nouveau président de Bentley, de l'intérêt d'une telle solution. Ce type de voiture devait aux yeux de Birkin faire des merveilles au Mans. Le compresseur permettait un gain de puissance de plus de 50 % (175 bhp au lieu de 110, un bhp vaut 1,0139 ch Din). Selon WO Bentley, la suralimentation revenait à pervertir l'idée originale qui prévalait à la conception même des voitures de la marque, et à obtenir de la puissance sans aucune noblesse. WO Bentley a toujours privilégié la fiabilité, la douceur de conduite et le raffinement de la mécanique, autant de critères dont la Blower Bentley ne pouvait s'enorgueillir. Mais il se laissa finalement convaincre par ses Bentley Boys. Avant même qu'elle ne pénètre sur un circuit, la Blower Bentley fit parler d'elle, bien plus que toutes les Bentley de course avant elle. La voiture se révéla à l'usage effectivement complexe à piloter. Elle surchauffait dans la circulation quotidienne, et encore plus sur circuit. Sa première participation à une compétition eut lieu à Brooklands en juin 1929. Elle fonçait plus vite que n'importe quelle autre voiture concurrente, mais fut malheureusement contrainte à l'abandon. Une Speed Six plus ancienne de conception tourna régulièrement, et gagna la course. Bentley n'eut pas plus de chance au Mans en 1930 avec ce modèle. La Bentley suralimentée de Birkin abandonna lors de l'édition 1930 de la course mancelle. WO Bentley regretta longtemps cet écart, qui à ses yeux contribua partiellement à la mort de son entreprise, en dévoyant les principes qui l'avaient vu naître. 55 voitures de ce type furent fabriquées au final. Le règlement des 24 heures du Mans imposait de construire un minimum de 50 exemplaires. Elle furent les seules Bentley de l'époque Vintage à porter le " black label "..
Bentley 4 1/2 litre Blower Bentley, avec son compresseur visible juste au dessus de la plaque minéralogique. Cette voiture a couru au Mans avec Birkin en 1930. 1930 : Bentley 8 litre La 8 litre, carrossée le plus souvent en limousine, fut commercialisée en 1930, ceci malgré un manque certain de fonds et les nuages menaçants de la récession. Elle était dotée d'une mécanique 6 cylindres de 7983 cm3 et 220 ch, construite à partir du moteur de la 6 1/2 litre. WO Bentley et Wollf Barnato firent preuve d'audace en proposant cette automobile au plus fort des retombées de la crise économique. Mais les deux compères avaient confiance en leur voiture, et étaient persuadés que les effets du crack de Wall Street allaient bientôt s'estomper. Après l'arrivée de Barnato aux commandes de Bentley, et avant que les conséquence de la crise ne se fasse ressentir en Europe, la compagnie n'avait pas su ou pas ressenti le besoin de " serrer les boulons ". Barnato pilotait l'entreprise comme si tout allait pour le mieux sans prendre suffisamment de recul ou sans se remettre en question. A titre personnel, il possédait trois exemplaires de la puissante 8 litre. Les mauvaises langues affirmèrent qu'il achetait des voitures de sa propre compagnie afin de maintenir le niveau d'activité et de payer ses salariés. WO Bentley lui même ne négligeait pas son train de vie, et voyageait régulièrement et à grand frais sur le continent pour tester ses voitures.
Bentley 8 litre, par Mulliner Si la 8 litre ne pu prétendre au prestige de la Speed Six durement acquis en compétition (elle n'en eu pas le temps), il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait de la plus puissante, de la plus rapide et de la plus raffinée des Bentley jamais produite à Cricklewood. C'était aussi à son époque la plus grosse motorisation sur le marché britannique. La 8 litre était considérée par beaucoup comme une meilleure voiture que les Rolls-Royce Phantom. Elle était rapide (un vrai 160 km/h dans sa version la plus lourde, la limousine qui pesait jusqu'à 3 tonnes) et facile à conduire Elle ne fut pas conçue comme un véhicule de sport, et de ce fait n'aborda jamais la compétition de manière officielle. Mais elle mariait comme aucune autre la vitesse et le grand luxe pour le transport des élites fortunées. La 8 litre fut produite à cent exemplaires environ, soit sur châssis court (3,50 mètres), soit sur châssis long (3,95 mètres). WO Bentley commentait ainsi la 8 litre : " J'ai toujours voulu construire une voiture capable d'atteindre 100 mph dans un silence de cathédrale, mainte-nant, je pense avoir réussi ". De nombreuses personnes la considéraient comme la " pièce de résistance " de WO Bentley. Ce fut surtout la dernière grande Bentley de l'âge d'or de la marque. Le " blue label " ornait son capot. 1931 : Bentley 4 litre Dans un dernier sursaut, mais sans doute trop tard, il fut mis à l'étude un petit moteur de 4 litre, moins coûteux, plus économique, adapté au châssis de la grosse 8 litre. La Bentley 4 litre fut étudiée dans l'urgence comme une réponse à un marché qui se désintéressait totalement des prestigieuses mais dispendieuses 8 litre. Bentley et Barnato espéraient sans doute intéresser une clientèle moins fortunée avec une voiture de moindre taille. Ce modèle " low cost " était aussi supposé répondre à l'attente de la clientèle en période de crise, et permettre à l'entreprise de se tenir à flot. Dans l'histoire de la marque, cette voiture est connue pour avoir été la seule Bentley de l'ère Cricklewood dont le moteur ne fut pas conçu par WO Bentley. Avec cette nouvelle petite Bentley, son constructeur s'était malheureusement éloigné des attentes d'une large part de sa clientèle, avide de mécaniques pointues. La 4 litre, voiture de crise, n'était pas aux yeux des fidèles une automobile digne d'un quintuple vainqueur au Mans. Le succès ne fut pas au rendez vous. Parce que mise en chantier trop tardivement, les coûts de développement de la 4 litre contribuèrent largement à terrasser pour de bon les finances de la compagnie. Non pas que le moteur de la 4 litre fut mauvais - il était d'ailleurs plus puissant que celui de la 4 1/2 litre -, mais il faisait vraiment pâle figure sur l'imposant châssis de la 8 litre. La 4 litre était à la peine avec un rapport poids puissance indigne d'une Bentley. Son manque de couple était un autre de ses défauts. Une cinquantaine d'exemplaires furent tout de même construits. Epilogue WO Bentley était un homme doté de nombreux talents. Néanmoins, bien qu'il fut loin d'être inculte en la matière, les préoccupations financières n'étaient pas son principal souci. Sa priorité était de réaliser les objectifs qu'il se fixait, trop souvent sans tenir suffisamment compte des contraintes financières. Ainsi, il n'hésitait pas à produire à grand frais de nombreux composants dans son usine, ou à faire appel aux meilleurs fournisseurs. Mais ces coûts s'avéraient difficiles à répercuter sur les prix de vente. Avec le recul, cette façon de faire contribua certainement à forger la légende Bentley. Peut être le constructeur aurait il pu conserver son indépendance s'il avait su mieux gérer ses finances, ou du moins faire de cette contrainte financière une donnée majeure à prendre en compte dans la gestion quotidienne. Mais dans ce cas, les Bentley auraient elles été des Bentley telles que nous les avons connu durant les années 20, ou une marque de voitures de sport et de prestige parmi tant d'autres. La 8 litre et la 4 litre marquèrent la fin de la première période de l'histoire de Bentley, de 1919 à 1931. |