Renault Frégate

Renault Frégate par le club des amateurs de Renault Frégate et dérivés
Renault Frégate à travers les objets promotionnels

1. Une grande berline pour compléter la gamme

La Renault 4 CV fut lancée au salon de Paris en 1946. Pierre Lefaucheux, récemment nommé à la tête de la nouvelle Régie Renault, demandait dès 1947 à ses ingénieurs de concevoir une berline de 2 litres, capable de se positionner en face de la Traction de Citroën, qui s'était rapidement imposée sur ce marché. Cette berline, associée à la 4 CV et aux semi utilitaires Colorale dont l'étude venait aussi d'être lancée, devaient être à la base de la nouvelle gamme Renault d'après guerre. Une date butoir fut fixée. La nouvelle 11 CV devait être présentée au salon de Paris en 1951.

2. Une conception trop hâtive

Les études commençaient sous la responsabilité de Fernand Picard, ingénieur en chef. La solution retenue au départ était celle d'une voiture à moteur arrière, mais elle fut abandonnée dès novembre 1949 en raison des nombreuses difficultés techniques rencontrées. Les études repartaient de plus belle, mais la future 11 CV devait désormais avoir son moteur sous le capot avant, tout en conservant l'idée initiale des roues arrières motrices. Là où l'affaire se corsait, c'est que Pierre Lefaucheux ne renonçait pas à son objectif de présenter la voiture deux ans plus tard, à Paris en 1951.

En octobre 1950, Pierre Lefaucheux était informé par le Ministre de la Défense qu'en raison du contexte international tendu en Corée et en Indochine (où les forces françaises étaient mises en difficulté), le développement de tout nouveau modèle risquait d'être interdit à partir du 1er janvier 1951, pour permettre le cas échéant aux industriels de répondre aux besoins du gouvernement. En effet, dans le pire des cas, l'usine de Flins pouvait être réquisitionnée afin de servir l'effort de guerre. Le projet de celle qui allait devenir la Frégate se voyait donc amputé de deux années perdues dès le départ, et d'une année à l'arrivée pour échapper aux risques évoqués par le Ministre de la Défense. Pour simplifier, le service des études et celui de d'industrialisation ne bénéficièrent que d'une année pour développer la nouvelle voiture. Ces circonstances furent à l'origine d'une mise au point laborieuse.

3. Présentation en grande pompe

Le prototype de la Frégate fut finalement exposé dès le 24 novembre 1950 dans le cadre prestigieux au Palais de Chaillot à Paris, en présence de Pierre Lefaucheux. Son nom emprunté au domaine de la marine évoquait la liberté et les grands espaces. Le thème marine allait se perpétuer chez Renault avec la Frégate Amiral puis avec les utilitaires Goélette et Galion. S'agissait t'il d'un clin d'oeil à la Ford Vedette ?

La nouvelle 11 CV Renault fut unanimement saluée lors de sa présentation pour son élégance et l'harmonie de ses formes. Les ingénieurs de la Régie avaient réussi à concilier une ligne aérodynamique et un habitacle généreux. A l'époque, il s'agissait d'une des plus belles voitures du marché. Elle avait été dessinée sous la responsabilité de Robert Barthaud, qui avait puisé son inspiration dans les récentes créations américaines.

5. Il faut parfaire l'étude

Mais une fois les néons éteints, il fallait rapidement se remettre au travail pour parfaire la mise au point de la Frégate qui était loin d'être terminée, et achever l'étude de l'industrialisation de la voiture. Pendant de longs mois, plus aucune information n'émanait de la Régie, où l'on s'activait à peaufiner le produit. Des clients furent sélectionnés pour servir de cobayes, et ils participèrent en contrepartie d'une assistance totale du constructeur à la fiabilisation du nouveau modèle.

6. La voiture de série

La version de série était présentée officiellement au salon de Paris en 1951, et les livraisons débutaient en novembre de la même année. Les premières voitures furent produites à Billancourt, car la construction de l'usine de Flins qui devait accueillir les chaînes de montage de la Frégate ne fut terminée qu'en décembre 1951.

La Frégate était motorisée par un quatre cylindres en ligne de 1996 cm3, qui développait la modeste puissance de 58 ch. Cela la plaçait sensiblement au même niveau que la Traction Citroën (56 ch) conçue avant guerre, mais bien en retrait de son autre concurrente, la Ford Vedette de 66 ch. Ses qualités aérodynamiques remarquables lui permettaient d'atteindre 130 km/h et de ne consommer que 11 litres au 100 km, un chiffre raisonnable pour l'époque.

La voiture était belle et habitable, ses performances dans la moyenne de sa catégorie, sa tenue de route la plaçait au même niveau que la célèbre Traction, son freinage était efficace, son confort de suspension remarquable.

7. La Frégate n'est pas au point

Mais l'ensemble de ces  qualités ne devait pas faire oublier que malgré la commercialisation effective, la mise au point restait à parfaire, tant au niveau du silence de fonctionnement, que de la fiabilité de la boîte de vitesse ou du confort de la direction par exemple. 1952 était la première année pleine de présence de la Frégate sur le marché.
La nouvelle Renault était fortement attendue par le réseau. Nous étions encore à une époque où les premiers clients, quelque soit la marque de l'automobile, prenaient le risque d'essuyer les plâtres d'une mise au point insuffisante.

Avec la Frégate, cela allait encore plus loin. Les nouveaux propriétaires étaient la proie de problèmes sans fin. Jusqu'au début des années 50, ce type de désagrément se serait soldé par une prise en charge par le réseau des mises au point, avec l'appui du constructeur, sans que la presse ne s'y intéresse.

8. L'Auto Journal s'en mêle

C'était cependant sans compter sur la naissance d'un nouveau titre de la presse automobile : l'Auto Journal. La jeune équipe qui animait ce magazine ne se privait pas, au contraire de ses confrères habitués depuis des lustres à taire ce type d'information, à communiquer abondamment sur le sujet, jusqu'à irriter la Régie et nuire à l'image de la Frégate. Outre sa fiabilité perfectible, le moteur était critiqué pour sa faible puissance, son manque de souplesse, son niveau sonore élevé, et la présence de vibrations. Le mal était fait. La réputation de la Frégate fut rapidement entachée.

9. Un seul objectif, fiabiliser la Frégate et le faire savoir

Pierre Lefaucheux entendait bien ne pas se laisser déstabiliser par ces débuts difficiles. La poursuite de la fiabilisation de la Frégate était menée tambour battant. A partir de 1953, dès que la voiture fut définitivement débarrassée de ses principales maladies de jeunesse, la Régie accentuait ses offensives promotionnelles. Les campagnes de communication mettaient en avant ses qualités de comportement routier et de confort, son élégance naturelle et ses tarifs compétitifs, tous en s'abstenant d'évoquer la question mécanique qui prêtait encore à la critique. Cette démarché était inhabituelle pour le constructeur national peu habitué à défendre ses produits. Depuis la fin du conflit, ses voitures se vendaient sans effort de promotion. La production passait de 10 342 Frégate en 1952 à 27 878 en 1953 puis 27 441 en 1954.

Renault était désormais bien au fait des conséquences commerciales du lancement d'une voiture pas vraiment au point. Les concessionnaires et agents avaient assuré intégralement l'ensemble des opérations d'après vente. Mais cela avait coûté une petite fortune à l'entreprise nationale. Renault persévérait dans ses grandes opérations de relations publiques. La voiture dorénavant parfaitement fiable était sur les rails du succès. Il en fut fabriqué 50 590 exemplaires en 1955.

10. Les croisières Vérités

L'une de ces opérations de relations publiques fut baptisée " Les croisières vérités ". Pendant un mois, du 15 décembre 1953 au 19 janvier 1954, dix " Frégate Affaire " parcoururent la France dans tous les sens, couvrant un total de 104 339 kilomètres. Ces voitures étaient confiées chaque jour à des équipages différents, tirés au sort parmi les personnes qui s'étaient fait inscrire chez les Agents Renault. Ces conducteurs bénévoles et inconnus choisissaient librement leur parcours. 840 participants ainsi désignés par le sort, parmi les 41 855 candidats inscrits, conduisirent eux-mêmes la Frégate, en plein hiver, alors que le verglas, la neige et le brouillard compliquaient leur tâche. Chacun de ces conducteurs était prié de dire au retour ce qu'il pensait de la voiture en remplissant un questionnaire aussitôt adressé à un huissier. La Régie Renault s'était engagée par avance à publier les résultats de ce référendum, aux conclusions assez naturellement favorables à la Frégate.  

11. Une triste fin de carrière

A partir de 1956, le succès aidant, Renault relâchait un peu la pression sur sa Frégate. L'heure était au lancement de la nouvelle Dauphine. Mais la Régie devait rester vigilante, car les autres constructeurs français n'étaient pas restés les bras croisés. Citroën proposait maintenant la DS, Peugeot la 403 et Simca la Vedette. La production chutait ainsi à 20 482 voitures en 1958. Retour à la case départ !

Le nouveau PDG, Pierre Dreyfus (Pierre Lefaucheux s'était tué en voiture en février 1955) refusait d'investir de nouveau sur la Frégate. Selon lui, l'avenir de Renault était ailleurs que sur un modèle forcément en fin de vie. La Dauphine et l'ouverture à l'internationalisation devenaient les axes prioritaires de développement de la Régie. La Frégate était abandonnée à son triste sort, et totalement marginalisée au sein de la gamme. Un dernier sursaut intervint lors de la présentation de la version Transfluide fin 1957. La grande berline quittait définitivement les chaînes de montage en avril 1960. La succession ne fut assurée qu'au salon de Genève cinq ans plus tard, avec la présentation de Renault 16 autrement plus innovante, et au palmarès commercial d'un autre ordre. Il fut produit 180 463 Frégate.


La Grand Pavois de 1958 (en haut) en impose comparé à une version plus basique (en bas)

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