Pérou, du 6 au 22 août 2018
![]() Rennes, le 8 septembre 2018 Tanzanie, Paraguay, Pérou ... jusqu'où Gautier nous conduira t'il ? D'une année sur l'autre, nous parvenons encore à être étonnés par les paysages que nous découvrons, les gens que nous rencontrons, les situations auxquelles nous faisons face. La surprise est toujours là, et c'est tant mieux ! Mais avant de vous embarquer dans ce nouvel épisode, comme dans tout bon récit, il convient de situer le contexte. C'est la raison pour laquelle vous n'échapperez pas encore cette fois à une brève leçon d'histoire géo. Si vous prenez le temps de la lire, elle vous permettra de mieux situer l'environnement dans lequel nous avons réalisé notre périple.
Depuis août 2017, Gautier est " descendu " depuis Asunción au Paraguay jusqu'à Ushuaia en Argentine, puis il a pris la direction du Pérou par la côte ouest de l'Amérique du Sud, souvent à cheval (façon de parler) entre le Chili et l'Argentine. Ceux qui suivent ses aventures savent que son frère Clément l'a rejoint en décembre 2017 en Argentine, et qu'ils ont effectué ensemble à vélo les 1000 derniers kilomètres jusqu'à Ushuaia, ceci au péril de leur existence, dans des conditions parfois rocambolesques, voire carrément dangereuses.
C'est pas le pérou ! Au XVIème siècle, lors de l'une de leurs multiples explorations (ou pillages, c'est selon votre vision des choses), les Espagnols font prisonnier le roi Atahualpa qui règne alors sur le royaume des Incas. Ils conditionnent sa libération au versement d'une très grande quantité d'or et d'argent. Les versements sont effectués mais les Espagnols ne respectent pas leur engagement, puisqu'ils assassinent le souverain par strangulation dans sa prison en 1533. Les métaux précieux sont rapatriés en Espagne. Le Pérou est donc à cette époque pour les peuples européens synonyme de richesse. Le nom " pérou " lui même tombe dans le langage courant pour désigner un trésor ou une fortune. C'est à la fin du XVIIIème siècle qu'apparaît l'expression " c'est le Pérou " pour désigner la richesse, puis sa version contraire " c'est pas le pérou ", plus largement utilisée de nos jours pour désigner une situation de précarité financière. Le Pérou obtient son indépendance vis-à-vis de l'Espagne en 1821. A partir des années 1930, l'histoire du pays se confond avec les variations du cours des matières premières. A chaque chute correspond une nouvelle crise sociale, souvent synonyme de coup d'état militaire. En 1980, le pays accède à un système plus démocratique, même si l'armée y conserve de nombreux privilèges. Les richesses sont pour l'essentiel confisquées par les puissants. D'un côté donc une minorité aisée, de l'autre des pauvres qui restent exploités. Les moins jeunes d'entre nous, ou les férus d'histoire contemporaine ont entendu parler dans les années 80 du " Sentier lumineux ". Cette organisation terroriste d'origine maoïste mena jusqu'en 1995 une guérilla contre les autorités. Son objectif était de renverser l'Etat péruvien. Défendant les plus pauvres, elle gagnait du terrain dans les montagnes, et tentait de s'approcher des villes où elle restait impopulaire. Aux attentats et massacres perpétrés par les guérilleros répondait une répression souvent sanglante et aveugle du pouvoir, celui-ci employant les mêmes méthodes illégales que ses ennemis. Le fondateur et le leader du Sentier Lumineux fut arrêté en 1995. L'actuel président du Pérou qui a été élu en 2016 a basé sa campagne sur des engagements qui reflètent bien les difficultés actuelles du pays : l'accès gratuit à l'eau potable, aux soins et à une éducation de qualité pour tous, la réduction de l'économie informelle qui concerne environ 60 % de la population active (c'est énorme), le développement des infrastructures, et surtout l'élimination de la corruption, véritable poison dans ce pays.
La difficulté de concilier l'économie et l'écologie. Le Pérou vit avant tout de la richesse de son sous-sol, dont seule une maigre partie a été exploitée à ce jour, essentiellement par des compagnies américaines ou chinoises. L'écologie n'est pas une priorité pour l'essentiel de la population, seule une minorité s'en préoccupe. Les zones rurales sont mises sous pression quand sont ouvertes de nouvelles exploitations minières, et apparaissent ici et là des villes champignon construites sans le moindre souci d'urbanisme. Les déchets sont stockés dans des conditions désastreuses à la périphérie des centres urbains. L'agriculture intensive sur les rares terres adaptées (sans trop de relief, et en basse ou moyenne altitude) épuise les sols. Au centre de Cerro de Pasco, ville de plus de 50 000 habitants, perchée à 4330 mètres d'altitude, où se trouve l'un des plus importants gisements d'argent de la planète, nous découvrons avec horreur un lac d'eau noirâtre, conséquence de l'exploitation effrénée des ressources minières.
Dans la forêt amazonienne, ce sont des hectares de forêts que l'on brûle. Le Pérou en perd environ 280 000 hectares par an, soit presque trois fois la surface de Paris.
Un taux de croissance à 4 % et un excédent commercial significatif peuvent faire pâlir d'envie nos élites françaises. Avec une inflation plus que modérée et un taux de chômage moitié moindre qu'en France, le Pérou voit émerger depuis quelques années une classe moyenne importante. L'actualité récente nous apprend aussi que des milliers de Vénézuéliens tentent de quitter leur pays en pleine déconfiture pour rejoindre le Pérou, plus hospitalier. Mais cette richesse apparente ne profite pas au plus grand nombre. Environ 20 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, même si cette proportion a été divisée par trois depuis le début du millénaire. La richesse reste concentrée dans les grandes villes et sur la côte, au détriment des Andes et de l'Amazonie, là même où sont exploitées les richesses. Ces quelques photos illustrent cette situation, même si elle n'est pas propre à ce pays. On découvre d'une part Lima " la riche " , même si certains recoins proches du centre-ville n'inspirent pas l'euphorie, d'autre part une triste banlieue qui s'étale sur des dizaines de kilomètres et de petits villages à l'habitat précaire.
Les routes de l'impossible Voyager en voiture au travers le pays exige une certaine prudence. En fait, souvent, j'ai serré les fesses ! Michelin, éditeur de référence de cartes routières, n'est pas au-dessus des erreurs et imprécisions, faute de mises à jour suffisamment poussées. Sur ses cartes, les routes en rouge sont désignées comme étant des " routes principales revêtues ". C'est exact, si l'on fait abstraction des pans entiers de falaises emportés par l'érosion, qui bien souvent ne laissent plus qu'une seule voie pour le passage, cette voie se transformant en un chemin de terre. Dans les cas extrêmes, la nationale est totalement coupée et une déviation est installée tant bien que mal, quitte à vous faire traverser la rivière voisine les pneus plongés dans vingt centimètres l'eau.
On ne peut pas non plus ignorer les chutes quotidiennes de pierres sur la chaussée. Personne ne semble être très pressé de les enlever. La DDE locale n'a sans doute pas les moyens de patrouiller pour parer à ces dangers réguliers. D'autres fois, sans que l'on comprenne très bien pourquoi, quelques centaines de mètres ne sont tout simplement pas revêtus d'asphalte. Manque-t-il quelque argent au budget pour terminer le travail ? Donc prudence sur les routes dites principales. Chacun se débrouille comme il peut, tout en prenant garde à ne pas chuter avec son auto en contrebas. Dans les virages, il est prudent et d'usage de " klaxonner " pour ne pas se laisser surprendre par un véhicule qui arriverait en face à toute vitesse. Au mieux, si la place manque, le moins engagé fait marche arrière au bord de la falaise ou du précipice. Le Pérou est régulièrement soumis à de violents orages, à l'origine de ces effondrements de chaussée ou de la disparition pure et simple de ponts emportés par les courants. Vous avez certainement entendu parler du phénomène El Nino Cette élévation de la température de l'eau des océans d'environ 5° C par rapport à la normale provoque de fortes évaporations qui viennent aussitôt se déverser sur les terres. En 2017 - nos médias nationaux s'en sont fait l'écho - un fermier péruvien a attaqué en justice le géant énergétique allemand RWE, qu'il accuse de contribuer au réchauffement climatique. La déforestation sauvage ne fait qu'aggraver le phénomène, les arbres et la végétation ne freinant plus les torrents d'eau et de boue. Ici, sur cet axe majeur qui conduit à Lima, la circulation semble alternée pour laisser passer les véhicules arrivant d'en face. Mais rien n'est organisé. Chacun se débrouille. Comme la route a été grignotée par la rivière en contrebas, il a été nécessaire de creuser de nouveau la falaise pour permettre le passage des véhicules. Contrairement à l'usage en France (quoique ...), les remerciements à celui qui cède le passage n'ont pas cours ici. On passerait son temps à se saluer toute la journée, tant les obstacles sont nombreux.
La situation est encore plus complexe sur les routes tracées en jaune. Elles sont annoncées " stabilisées et pour tous temps ", et sont en effet tout à fait adaptées aux gros 4 x 4, mais pas aux modestes berlines routières à la garde au sol réduite. Des masses rocheuses surgissent ici et là sans crier gare, du fait de l'érosion des sols. Parfois, cette même érosion est à l'origine de crevasses de plusieurs dizaines de centimètres. D'autres fois, vous vous trouvez face à face à de grandes flaques d'eau. Nous sommes alors contraints de descendre de la voiture pour examiner la dangerosité de l'obstacle sous un autre angle, ou pour deviner la profondeur du trou d'eau en mettant un pied dedans. Dans ce cas, Gautier reste dehors et dirige la manoeuvre. Faire demi-tour n'est en tout cas pas envisageable, à moins de se " coltiner " dans l'autre sens les deux ou trois heures de piste que l'on vient de parcourir. Donc, il faut passer, coûte que coûte, en choisissant la moins mauvaise solution, et en prenant surtout garde de ne pas abîmer notre voiture, ou de rester " assis " les roues en l'air sur une pierre plate. Pour la boue, il convient d'en faire abstraction, faute de quoi il est préférable de rester chez vous confortablement installé dans votre canapé regarder " les routes de l'impossible ". En roulant, le regard des yeux doit se porter toujours à une dizaine de mètres devant soi. A la longue, c'est épuisant, tant cela exige de la concentration. Vous avez là évidemment l'avis d'un novice, que ne partagent sans doute pas les gens du pays qui vous doublent à toute berzingue. Enfin, lors des traversées de villages, il faut bien faire attention à la présence de toutes les bouches d'égout sur la chaussée. j'ai eu à ce sujet quelques frayeurs rétrospectives.
En France, notre Premier ministre tente de nous convaincre qu'il faut respecter les 80 km/h sur les routes nationales. Au Pérou, les pouvoirs publics ont trouvé LA solution, sans que personne ne trouve rien à y redire. Outre un réseau routier à l'état incertain qui vous incite naturellement à la prudence, on voit pousser ici et là ce que nous appelons des gendarmes couchés. Deux types d'obstacles coexistent. Les plus nombreux, normalisés, sont installés dans la traversée des agglomérations et à l'approche des écoles. Rien à redire de ce côté-là, si ce n'est que leur prolifération finit par lasser, et que l'on se laisse parfois surprendre par leur présence. La chose devient moins naturelle quand dans de petits villages aucune norme ne semble respectée. La pente d'accès est trop haute, et le dessous de votre voiture racle inévitablement. Le cantonnier n'a sans doute pas été mis au fait des règles en la matière. Même dans les hameaux de deux ou trois maisons, accessibles par piste uniquement, les gens du coin, par mimétisme sans doute, fabriquent leurs gendarmes couchés " maison " en terre battue. Evidemment, ils ne sont pas annoncés et ne respectent aucune prescription, qu'il s'agisse du dessin de la courbe, de la hauteur ou d'une quelconque annonce préalable par panneau. En dix jours de route, notre Toyota a bien raclé une vingtaine de fois. En parlant de gendarmes, les vrais, ceux qui sont en tenue, sont relativement discrets au Pérou. A bord de leur 4 x 4 blancs Toyota, ils sont moins impressionnants et moins omniprésents qu'au Paraguay, et semblent agir avec plus de bienveillance. Deux fois et demi la France, mais deux fois moins d'habitants Le Pérou est un grand pays. Il couvre environ deux fois et demi la surface de la France. On le divise généralement en trois zones distinctes : la région côtière, la sierra ou cordillère des Andes, et la selva ou forêt amazonienne. Gautier, soucieux de nous faire découvrir ces trois mondes bien différents nous a concocté un parcours adapté. Celui-ci, sous la forme d'un " 8 ", est tracé sur les cartes ci-après. La première permet de constater que malgré les 2100 kilomètres parcourus, nous n'avons exploré qu'une infime partie du Pérou. En partant de Lima puis en y revenant, nous avons découvert la zone côtière. Puis nous avons traversé les Andes dans l'un de ses secteurs les moins larges. Enfin, à l'est, nous avons parcouru une infime partie de l'Amazonie, sans quitter le pays.
33 millions d'habitants peuplent ce beau pays. Près de 80 % vivent en milieu urbain. La côte est évidemment très peuplée, avec 55 % de la population. La forêt amazonienne qui couvre près de 60 % du territoire n'accueille que 10 % de la population. Un peu moins de la moitié des Péruviens sont indigènes. Une autre partie importante, plus d'un tiers, est métisse. Les blancs d'origine espagnole pèsent dans la balance pour à peu près 15 %. Enfin, on note la présence d'environ 1 million d'Afro Péruviens descendant d'esclaves et d'Asiatiques.
C'est dans l'assiette Au Pérou, déjeuner à trois peut vous coûter entre 30 et 50 soles, soit entre 8 et 12 euros environ. A ce prix, on vous apporte d'abord une soupe - tiède le plus souvent - aux saveurs des plus variées. Pour le plat principal, l'offre est plutôt réduite et donc répétitive. Beaucoup de restaurants ne proposent que le sempiternel poulet rôti ou des grillades accompagnées de riz. Cette céréale est omniprésente, au point que j'en ai été dégoûté au bout de quinze jours. Quand un restaurant proposait des frites (il faut savoir assumer sa part de beaufitude), je craquais. Pour un peu plus cher, nous pouvions nous faire plaisir avec quelques spécialités locales. Le Ceviche est l'un des plats emblématiques du pays. Il s'agit de poissons et/ou fruits de mer crus coupés en petits morceaux et marinés dans du jus de citron vert, avec des piments. La fraîcheur du poisson étant primordiale, les meilleurs Ceviche se dégustent à l'heure du déjeuner. Demandez à Frédé, son estomac se souvient encore d'un plat de ce type consommé en fin de journée. Certains restaurants proposent le Cuy (prononcez " couille "). Il s'agit de cochon d'Inde, un plat de luxe très populaire le dimanche. Sa chair délicate rappelle paraît-il celle du poulet et du lapin.
Boire de l'eau ne fait pas partie des usages. Il est d'ailleurs vivement conseillé de ne pas consommer celle du robinet. Dans à peu près tous les restaurants, en particulier ceux proposant des menus économiques, on vous sert avec votre menu et sans supplément de la chicha morada. Cette boisson est préparée à base d'eau de cuisson de maïs violet, que l'on a fait bouillir avec de la peau d'ananas et de la cannelle. Elle est servie froide ou tiède. Pour ma part, j'ai très vite renoncé à ce breuvage, préférant accompagner mes repas d'une bière blonde produite au Pérou. Trois marques principales se partagent le marché : la Cusquena, la Cristal et la Pilsen. Les Péruviens ont le sens du service bien rendu. Quand un restaurant ne propose pas de bière à sa carte, mais que vous en souhaitez une, le serveur fera au besoin un détour par l'épicerie voisine pour s'approvisionner. Peu de restaurants proposent du vin à leur menu. Autre alternative, l'Inca Kola. Ce soda produit depuis 1935 est de couleur jaune fluo. Quand il coule dans votre gorge, c'est frais et agréable. Par contre, il laisse un arrière-goût sucré et médicamenteux. J'ai goûté une fois, on ne m'y reprendra pas. Il s'en boit plus au Pérou que de Coca-Cola. L'Inca Kola est issu d'une plante, l'hierba luisa, que l'on peut aussi consommer en infusion. Coca a réagi à cette invasion localisée en rachetant la moitié des parts de la société Inca Kola. En échange, celle-ci met en bouteille le Coca-Cola péruvien.
Au Pérou, à peu près tous les restaurants disposent d'une ou plusieurs télévisions dont le son est souvent poussé à l'extrême. Parfois, ce sont même deux postes qui diffusent des émissions différentes, le plus souvent de la télé réalité ou des jeux débiles. Dans ce cas, le restaurant devient un lieu peu propice à la conversation. En fait, il faut accepter de payer un peu plus cher dans un restaurant " moins populaire " pour bénéficier d'un environnement plus calme, sans télé. Parenthèse végétale Le Pérou est l'un des pays au monde à posséder la plus grande biodiversité. C'est aussi vrai dans le domaine animal avec 3700 espèces de papillons ou 1800 d'oiseaux, que dans le domaine végétal. C'est bien sûr dans la forêt amazonienne que l'on retrouve le plus grand nombre de plantes inconnues dans nos contrées. Pour le plaisir des yeux, voici un petit florilège d'une vingtaine de photos. Posez-vous, prenez le temps de voir ce que sait encore nous proposer la nature, et qu'il devient urgent de sauvegarder.
Merci de présenter votre carte d'embarquement Je vous invite maintenant à partager les moments forts de ce périple d'un peu plus de deux semaines. Nos amis Daniel et Véronique qui habitent à quelques encablures de l'Aéroport de Nantes-Atlantique nous accueillent gentiment le 5 août au soir, avant de nous conduire le lendemain matin à l'aube à l'aéroport pour embarquer à bord d'un vol KLM à destination d'Amsterdam. Les pilotes Air France étant en grève au moment de notre réservation, cela a quelque peu refroidi nos ardeurs à voler français, même si nous restons dans le même groupe. A six heures, l'aéroport grouille déjà de voyageurs. Nous sommes en période estivale. Cela ne fait aucun doute. Direction Schiphol que nous atteignons en une heure et quinze minutes. Les navettes KLM entre les grandes villes européennes sont d'une régularité exemplaire. Nous avons presque l'impression de prendre un bus " aérien ", tant cela paraît facile et cadré. Les formalités d'embarquement sont réduites. Nous connaissons déjà un peu Schiphol, pour y être passé en avril lors d'un bref séjour touristique dans la capitale du royaume des Pays-Bas. Nous avons vu large pour le transit, plus de quatre heures. Un vol au départ de Rennes nous aurait permis d'attraper à cette date une autre correspondance pour Lima. Mais avec seulement une heure pour passer d'un avion à l'autre, nous n'avons voulu prendre aucun risque. Au fur et à mesure du temps qui s'écoule, dans le hall qui jouxte la porte d'embarquement le nombre de passagers s'accroît. Nombre d'entre eux ont le teint mat et sont - comparé aux Européens - d'assez petite taille. Assurément, nous sommes au bon endroit. Notre Boeing 777 aux couleurs de KLM qui assure le vol vers Lima rencontre une difficulté avant le décollage. Une des portes ne ferme pas correctement, ou du moins c'est ce qu'annonce un voyant dans le cockpit. A 10 000 mètres, nous ne pourrions pas survivre à une dépressurisation, il est donc prudent de réparer ! Le temps de trouver l'origine du pépin puis de " rebooter " le système, nous décollons avec près de deux heures de retard. L'impatience gagne certains passagers. Le commandant de bord nous assure qu'il a embarqué plus de carburant pendant l'attente, afin de voler plus vite et de rattraper une partie du temps perdu.
Dans la file d'embarquement, nous avons remarqué la présence d'un curieux personnage. Il a l'aspect d'un américain fort en taille et en gueule, quelque peu bedonnant, cigare vissé au bec. Il passe son temps au téléphone, et s'exprime à voix haute sans aucune gêne et sans tenir compte de la présence d'autrui. Le genre de personnage qu'on préfère ne pas avoir près de soi dans un avion. Quelques minutes plus tard, Bingo ! Il s'assoit juste devant moi, faisant durant le vol des allers et retours incessants je ne sais où dans l'avion, revenant à sa place à chaque fois avec une bouteille d'alcool, préférant plonger dans son fauteuil plutôt que de s'y asseoir comme tout le monde (aïe, mes genoux), passant sans cesse de la position assise à la position couchée, s'engueulant avec sa voisine qui souhaite aller aux toilettes, j'en passe et des meilleures. Une hôtesse doit faire preuve de diplomatie pour que les choses ne tournent pas au vinaigre quand notre Yankee se plaint de divers désagréments et des autres passagers. Vraiment un sale type. Après quatre bons films, un déjeuner et un goûter, plus un petit roupillon (Frédé à eu le sommeil plus lourd que moi), nous arrivons à l'aéroport international Jorge-Chavez de Lima. J'ai remarqué à Nantes que ma valise présente quelques signes de faiblesse. La fermeture perd ses coutures. En mon for intérieur, je redoute un peu les conséquences de son long voyage vers les Amériques. Au transit à Amsterdam, j'aperçois au loin la valise d'un passager qui vient de tomber d'un chariot de transbordement. Mais je m'efforce de rester rationnel. Dans mon bagage, il y a un objet qui conditionne la suite du voyage de Gautier. Une fourche de vélo dégotée auprès d'un de ses amis de Rennes, un voyageur comme lui. Celle du vélo de Gautier présente des traces d'usure marquée après près de 40 000 kilomètres à travers l'Europe, l'Afrique et l'Amérique du Sud. Une réparation mal effectuée en Bolivie dans un petit atelier n'a fait qu'amplifier le problème. Avez-vous déjà vécu l'angoisse du tapis roulant qui n'en finit pas de tourner sans vos bagages, et des voyageurs qui autour de vous s'éparpillent au fur et mesure des minutes qui passent. A la fin il ne reste que vous et le tapis qui continue de tourner ... à vide. Rassurez-vous, ce n'est qu'un cauchemar. Nous récupérons nos deux valises intactes et nous nous dirigeons vers le point d'accueil des passagers. Au loin, une tête blonde aux cheveux longs (celle d'un grand escogriffe, mélange de Julien Doré, Lucky Luke et Jésus-Christ selon un de ses amis) sort du lot. L'émotion des retrouvailles est intacte, même si c'est déjà la troisième fois que nous revivons cette scène. Gautier est accompagné de Franck dont nous reparlerons dans quelques instants.
Notre taxi s'enfonce dans la mégalopole brumeuse vers le centre ville. Nous connaissions la conduite à Ascension au Paraguay, déjà assez sportive. Ce n'est rien comparé à celle de Lima. Cela klaxonne de partout, pour demander d'accélérer ou de laisser passer (à vous de comprendre ...), la notion de priorité n'existe pas, la double ligne jaune en milieu de chaussée est totalement ignorée, c'est à celui qui est le plus hardi, l'usage du clignotant est optionnel, les piétons n'ont aucun droit ... Bienvenido a Lima ! Nous déposons nos affaires à l'hôtel, et partons dîner en ville. Pour nous il est tard, pas pour ceux qui nous accueillent. Nous nous arrêtons à la table d'un petit restaurant populaire. C'est notre première rencontre avec la cuisine locale. Nous ne manquons évidemment pas d'interroger Franck sur ses mésaventures. A ce moment-là, il ne connaît pas encore la nature exacte de ses blessures. Mais il souffre en silence. Pour notre part, nous avons besoin de dormir, et de tenter de recaler notre horloge biologique pour les deux semaines à venir. Quien es Franck ? Franck, notre voisin de Rennes, est depuis ses débuts intéressé, voire admiratif par l'aventure que vit Gautier. Ils se connaissent depuis dix ans, Gautier avait alors 14 ans. Depuis longtemps, il évoque avec nous et Gautier l'idée de le rejoindre. En cette année 2018, il vient de mettre les moyens en adéquation avec ses paroles. Courant juillet, il prend l'avion pour La Paz en Bolivie. Avec Gautier, ils parcourent près de 1000 kilomètres à vélo, entre La Paz et Cuzco au Pérou. C'est un sacré défi pour notre quadragénaire, qu'il va relever avec panache. L'un de ses rêves a toujours été de visiter le Machu Picchu. Gautier qui n'est pas très fan de ce type d'excursion trop touristique à son goût préfère s'abstenir. Le 31 juillet au matin, Franck prend le train qui le mène jusqu'à la fameuse citadelle. En soirée, nous avons des nouvelles par Gautier, quelque peu inquiétantes. Le lendemain matin à 7 h 10, j'écoute RTL dans ma voiture sur le chemin qui me mène au travail.
Dans l'actualité ce matin-là, Yves Calvi annonce une collision par l'arrière entre deux trains touristiques qui se dirigeaient la veille vers le Machu Picchu. Le journaliste fait état de trente-cinq blessés, dont un français ... Sans le nommer, nous savons depuis quelques heures qu'il s'agit de Franck. Ce malheureux accident va quelque peu gâcher la fin des ses vacances. Non seulement il n'a pas assouvi son rêve, mais il est rentré en France avec une côte fêlée, sans pour autant avoir été contraint d'abréger son séjour. Depuis son départ début juillet, nous avions décidé de boire une bonne bière ensemble à Lima. Il a tenu parole. Franck a pour projet de raconter son périple sud-américain en compagnie de Gautier sur une page web ou sur un blog dans les prochaines semaines. Je ne manquerai pas de faire sa publicité le moment venu. Franck, la balle est dans ton camp ! Le 8 août au matin, nous l'accompagnons vers son taxi pour l'aéroport.
Le centre de Lima Notre hôtel est situé au coeur de la ville, près de la place San Martin. L'océan Pacifique est à une dizaine de kilomètres. J'aurais bien aimé le découvrir dès mon arrivée, mais cela sera pour plus tard. Comme déjà remarqué à l'aéroport, nous sommes assez différents des Péruviens " de souche ". En moyenne, nous les dépassons d'une quinzaine de centimètres. Leur peau est bien plus mate que la nôtre. On ne passe donc pas inaperçu dans la foule. Les vendeurs de babioles pour les touristes ne s'y trompent pas. Ces fameux touristes sont relativement peu nombreux à Lima. On ne se sent pas encerclé comme ailleurs. La capitale n'est pas une destination majeure pour les voyageurs. Ceux qui s'y arrêtent entre deux vols ou dans l'attente d'un autocar prennent ensuite majoritairement le chemin de Cuzco et/ou du Machu Picchu, véritable aimant à touristes du monde entier. Dans les artères piétonnes, l'ambiance n'est pas très différente de celle que nous connaissons en Europe. De nombreuses enseignes inconnues chez nous ont pignon sur rue. Mais la " vraie vie " n'est pas là. Pour la découvrir, il faut oser s'enfoncer dans les quartiers, à quelques encablures de l'extrême centre. On y découvre une atmosphère plus authentique, avec de minuscules échoppes, une circulation chaotique, des pousseurs de chariots ... La mendicité n'est pas un usage courant à Lima. Par contre, on reste impressionné par le nombre de personnes, autant d'hommes que de femmes, qui vivent de la vente dans la rue ou sur les grands axes urbains de friandises, fruits frais, parts de gâteau faits maison ou objets les plus insolites les uns que les autres. Ces vendeurs connaissent leur cité, ses ruelles et ses grandes artères. Ils savent se positionner en grappes là où la circulation est naturellement ralentie. Imaginez une volée de vendeurs à la sauvette à 19 h 00 Porte d'Orléans un vendredi soir. C'est comme ça à Lima, tous les jours.
Gautier parle sans aucune difficulté l'espagnol. Déjà 20/20 au Bac ! Il avait alors un correspondant au-delà des Pyrénées, et des séjours dans la région de Madrid lui ont permis de s'accoutumer à la langue de Cervantes. Depuis, il a encore progressé. Il est désormais capable de saisir les nuances entre l'espagnol parlé en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, au Chili, en Bolivie ou au Pérou. Quand il s'adresse à un habitant de l'un de ces pays, ceux-ci le prennent le plus souvent pour un des leurs, avec toutefois un doute sur ses origines, et pour cause ! Frédé assure aussi. Elle comprend assez bien les conversations, mais elle peine à s'exprimer. Me concernant, c'est zéro ou presque. J'ai quand même dû apprendre le minimum, surtout pour être autonome dans les situations les plus délicates. Difficile de commander une bière ou de se faire expliquer où sont les toilettes sans prononcer quelques mots !
Les beaux quartiers de Lima sont propres. Une armée d'employés municipaux sont payés pour ramasser le moindre papier qui traîne au sol. En plein après midi, alors que je suis assis en tailleur sur un banc public, un charmant monsieur vient me demander de décroiser mes jambes. Avec humour, il me déballe toutes les expressions en français qu'il connaît par coeur. Lui aussi il sait demander dans la langue de Voltaire où sont les toilettes. On s'étonne de constater que la capitale possède des rues ou des quartiers marchands " à thème ". On a ainsi découvert la rue des opticiens, celle des instruments de musique, celle des bouquinistes (dans un lieu assez improbable), du matériel pour les handicapés physiques, et même celle des roulements à billes. Evidement, pour des raisons matérielles, le secteur qui intéresse le plus Gautier est celui des cycles et fournitures pour cycles.
Au hasard de nos déambulations, nous rencontrons un groupe de voyageurs à vélo qui vient du Venezuela et qui prend la direction d'Ushuaïa. Gautier en connaisseur observe avec intérêt les bidons découpés qui leur servent de porte bagage. Sur une petite affiche, ils invitent les passants à les aider en échange d'un petit cadeau, en l'occurrence un bracelet réalisé par leurs soins.
On ne s'est jamais senti en danger à Lima ou même dans les régions les plus reculées. Certes la police est présente, mais elle se montre plutôt discrète. On l'aperçoit ici, plutôt décontractée dans son attitude, en surveillance près du palais présidentiel.
En se dirigeant vers le quartier plus populaire de Rimac, on aperçoit au loin sous les brumes une face moins reluisante de la capitale. Sur les contreforts de cette colline sont accrochées des dizaines de maisons faites de bric et de broc. Seul un pont et quelques centaines de mètres séparent le Lima riche et accueillant du Lima pauvre et abandonné. Il y a encore quelques décennies, Rimac était le quartier branché " chic " de la capitale. Les grandes familles y possédaient de beaux immeubles. Mais la richesse s'est déplacée vers d'autres lieux plus à la mode. Même si toutes les anciennes demeures ne sont plus en très bon état, on apprécie les couleurs pastel de leurs murs, dans une charmante harmonie de teintes.
A la terrasse d'un café, nous parlons avec Gautier de choses et d'autres. Nous évoquons notamment ce qui a motivé l'arrêt des mises à jour de son blog. Comme il l'a déjà expliqué " dans un monde de plus en plus connecté, je préfère me connecter au moment présent afin de vivre pleinement chaque expérience et chaque rencontre. Tous les jours apportent son lot d’histoires et d’anecdotes. Mes carnets se remplissent de lignes et mon appareil photo immortalise certains moments. Les récits reprendront donc un moment ou un autre ". Nous sommes bien conscients qu'après avoir passé un mois avec Franck, Gautier aurait pu apprécier de souffler et de retrouver son vélo et sa longue itinérance solitaire. Cela eut été tout à fait respectable. Non, il va encore prendre soin de nous pendant plus de deux semaines.
Notre dernière journée à Lima se termine dans un bar à bières, situé à quelques encablures de notre l'hôtel. Le lieu paraît accueillant. Le barman nous propose pour un montant forfaitaire de goûter à cinq bières différentes. N'étant pas zythologue ni de formation ni par passion, nous laissons à celui-ci le soin de sélectionner pour nous les saveurs de son choix. Il nous propose une sélection qui va de la blonde classique à la brune plus forte, en passant par d'autres variétés plus fruitées. L'ambiance du lieu est détendue. Gautier en profite pour nous raconter quelques anecdotes sur son année passée, et croyez-moi, elles ne font pas défaut. J'adore ces moments-là. Il évoque entre autres l'endurance de Clément face aux vents contraires en Patagonie, et sa ténacité devant l'adversité et la souffrance physique. De la Panaméricaine jusqu'aux sources thermales La Panaméricaine ! Ce nom m'a toujours fait rêver. La Pan American Highway (en anglais) est une route rapide qui part de Buenos Aires en Argentine, qui passe par Lima, puis se poursuit en direction du Mexique. De 1950 à 1954, plusieurs marques de voitures de sport européennes (Ferrari, Porsche, Lancia, Mercedes, ...) s'y sont affrontées dans le cadre d'une compétition qui portait le nom de " Carrera Panamericana ". Aujourd'hui, après Lima, il s'agit d'une banale autoroute qui s'achemine vers le nord du pays. Elle est bordée de zones industrielles à n'en pas finir. C'est franchement moche. C'est cet axe que nous empruntons pour quitter avec soulagement l'atmosphère polluée de Lima. La banlieue est immense, la sortie de cette conurbation semble prendre des heures. Nous espérons secrètement en montant en altitude retrouver le soleil qui se refuse à nous depuis trois jours. Nous avons fait un choix inhabituel pour ce séjour au Pérou. Alors que la plupart des voyageurs prennent vers le sud la direction de Cuzco et des régions autrefois peuplées par les Incas, nous optons pour les routes du nord. Quitte à ne pas visiter les vestiges de cette civilisation lointaine - et cela sera effectivement le cas, nous n'en verrons pas -, nous préférons des terres moins " évidentes ". Nous avons tous les trois cette même envie d'essayer de partager tant que possible la vie quotidienne des gens, mais aussi et surtout de fuir les lieux archi-touristiques, bien que nous soyons nous-même de la tribu desdits touristes. Après Lima, notre prochaine étape est donc Churin, une ville située à 220 kilomètres. Après avoir quitté la Panaméricaine, nous roulons sur des routes en moyenne altitude. Le paysage est étrange, mi-désert, mi-montagne. Ces dernières semblent être constituées de sable. A l'heure du déjeuner, faute de mieux, nous nous arrêtons dans un petit resto sans prétention, au bord d'une route qui conduit vers une voie rapide exclusivement réservée aux poids lourds. Nous nous en rendrons compte plus tard à la barrière de péage d'où nous serons éjectés sans grand ménagement. Churin est planté à un peu plus de 2000 mètres d'altitude. L'endroit est réputé pour son climat doux qui ne connaît pas les saisons.
En soirée, nous dînons dans un restaurant de rue pour moins de six euros. L'ambiance est plaisante, l'atmosphère détendue, les lieux colorés, les gens paraissent heureux ... plus loin un groupe qui se revendique fièrement du troisième âge danse. Je me sens enfin vraiment en vacances ! Une vieille dame tient la gargote avec sa fille. Elle se plie sans caprice à mon souhait de la prendre en photo.
Outre cette charmante personne, c'est à Churin que nous voyons pour la première fois des femmes vêtues de manière traditionnelle. Elles ne le font pas à destination des touristes, peu représentés ici d'ailleurs, C'est semble t'il leur tenue de tours les jours.
Journée andine Cette nouvelle journée andine s'annonce agréable. Elle débute par un petit déjeuner pris dans une échoppe. Ce matin, il est composé de brioches fourrées d'avocat ou d'un oeuf, et d'un très grand verre de jus de fruit, fraise ou ananas. Comme toujours, c'est du " fait maison ", et l'usage est de ne pas lésiner sur les quantités. Puis nous prenons la direction de l'un des sites d'eaux thermales de Churin. Celles-ci sont connues pour leurs vertus curatives. Après avoir payé un droit d'accès, l'amateur de baignade peut se prélasser dans l'un de ces bains à l'air libre. La température de l'eau est variable selon les sources. L'ambiance est joyeuse et familiale. Les Liméniens aiment s'y retrouver en fin de semaine, et le tourisme est donc essentiellement local ou régional.
Dans ma mémoire d'écolier, les Andes évoquent les exploits de Jean Mermoz à la fin des années vingt. Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry n'est pas très loin. Il s'agissait en 1929 de trouver une voie aérienne qui permettent d'acheminer le courrier entre la côte est et la côte ouest, entre Buenos Aires et Santiago. Lors de l'un de ses périples, Jean Mermoz, cerné par des vents violents à haute altitude, fut contraint d'atterrir sur un plateau neigeux. Le choc abîma son train d'atterrissage. Après trois jours et deux nuits passées sous des températures négatives, il parvint à réparer son avion avec les moyens du bord et à décoller pour retrouver la civilisation. Son retour constituait un miracle, surtout aux yeux des aviateurs des forces aériennes chiliennes qui s'apprêtaient à partir à sa recherche. Notre objectif du jour est de rejoindre Yanahuanca, ville située à l'est de la zone andine que nous allons traverser. Comme d'habitude, on ignore totalement de quoi sera faite notre route. Dans le cas présent, la cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau vont se transformer en une balade d'une centaine de kilomètres sur piste, ponctuée par des dizaines, voire des centaines de virages en épingle.
Bref, après un vain espoir de rouler sur du billard, nous voici de nouveau confronté aux pistes impitoyables. Cette difficulté est compensée par la beauté des paysages. Les premiers lamas et alpaga que nous rencontrons nous ignorent royalement. Non sans une certaine fierté, nous atteignons - en automobile - l'altitude de 4737 mètres. Il y fait frais, vous vous en doutez. On perçoit rapidement qu'au moindre effort nous respirons de plus en plus fort pour compenser le manque d'oxygène. Nous aurons la chance durant ce voyage de ne pas vraiment souffrir du mal d'altitude, alias soroche, provoqué justement par ce manque d'oxygène. Il est reconnu que celui-ci peut intervenir vers 2500 mètres. Les effets sont déplaisants : maux de tête, souffle court, nausées, vision momentanément brouillée (quoique que j'ai ressenti ce symptôme, mais sans vraiment en souffrir), saignement de nez, etc ... Je vous propose une nouvelle séquence d'une trentaine de photos prises au cours de cette traversée des Andes, à partir de Churin.
En redescendant, la piste devient de plus en plus difficile, et carrément boueuse à l'arrivée dans Yanahuanca. Comparé à ce que nous venons de vivre dans les derniers kilomètres, la ville est d'un aspect soigné, la chaussée et les trottoirs sont impeccables, l'endroit s'anime autour d'une grande place centrale rectangulaire fleurie. Les anciens discutent entre eux, les enfants jouent, le conducteur d'une voiture équipée de haut-parleurs vante à tue-tête les mérites d'un candidat politique. Nous sommes au Pérou.
Elle en aura vu du paysage notre Yaris de location. Récupérée au coeur de Lima, elle est pimpante dans sa jolie teinte noire. La procédure administrative pour l'enlever paraît interminable. Tout est vérifié dans le détail, notre réservation par internet, mon identité, l'assurance prise en France, mon permis de conduire (le mien, daté de 1980, est encore sous la forme d'un dépliant rose à trois volets, et il n'est plus très frais), et bien évidemment l'état de la voiture. Sans la parfaite maîtrise de Gautier de la langue espagnole, nous y serions encore. Quelques-unes de nos questions ne trouvent pas de réponse. La notion de constat à l'amiable semble méconnue au Pérou. On essaye poliment de nous vendre une assurance complémentaire, trois fois plus chère que celle déjà prise en France. C'est " l'embrouille totale " pour un non expert. Je comprends surtout que dans les dix prochains jours, j'ai tout intérêt à ne pas subir le moindre accrochage. Le temps de m'acclimater à la boîte auto, je n'ai qu'une hâte, c'est de sortir de Lima. Après quelques dizaines de kilomètres dans la poussière, notre Toyota perd de son brillant. Dès lors, elle passe totalement inaperçue dans la circulation. Heureusement, nous sommes en plaques péruviennes, c'est plus discret. Mais dès que nous abordons les premiers kilomètres de pistes, la boue commence à maculer la carrosserie. Après une semaine d'utilisation, j'ai presque honte de me présenter à son bord dans l'un des luxueux lodges que nous avons sélectionné. Alors que ce n'est pas vraiment dans les usages, nous décidons qu'il serait honnête de la laver avant de la rendre au loueur. Deux employés d'une station-service vont s'y employer pendant quarante minutes. Un quart d'heure sera nécessaire pour dégager les kilos de boue qui se sont accumulés à l'intérieur des passages de roues. Je tente pour ma part de dégrossir l'épaisse couche de poussière qui s'est installée sur le tableau de bord, sur les sièges, dans tous les recoins ... Le loueur semble avoir apprécié notre démarche, et le retour de l'auto s'effectue lui en quelques minutes.
Un entre deux En début de cette nouvelle journée, nous sommes encore sur les hauts plateaux des Andes. Le paysage est moins heurté. Il a été plus facile d'y construire de vraies routes bitumées. C'est moins spectaculaire, mais plus confortable. Au cours de l'après-midi, les kilomètres défilent. Alors que nous roulons sur une interminable ligne droite, nous voyons surgir au loin des vigognes qui franchissent en troupeau la nationale. Elles n'ont visiblement aucune notion du danger qu'elles encourent à traverser ainsi sans précaution. Les automobilistes ont aussi intérêt à être sur leurs gardes. La vigogne est une espèce de mammifère que l'on ne trouve que sur les plateaux de la cordillère des Andes. Sa laine est utilisée pour fabriquer des vêtements de luxe, tout comme l'est celle de l'alpaga, plus connu. Chassée, elle a bien failli disparaître au milieu des années 60. L'espèce est désormais protégée contre les agressions des hommes.
A quelques kilomètres de Cerro de Pasco, ville industrielle déjà évoquée, nous apercevons au bord de la route une femme d'une soixantaine d'années qui fait de l'auto-stop à la manière locale. Placée bien en retrait de la chaussée, quand elle voit une voiture à l'horizon, elle fait un petit signe discret de la main pour indiquer qu'elle souhaite être véhiculée. Parfois, ce sont des familles entières qui cherchent à se déplacer. La femme en question n'est pas plus désappointée que cela quand elle prend place à bord, et qu'elle constate notre origine étrangère. Elle va passer l'essentiel de son trajet à discuter avec Gautier. Un jeune homme chevelu dans une voiture avec des quinquas, cela fait penser à un Tanguy en vacances avec ses parents. Epatée par les explications de Gautier sur le pourquoi de notre curieux équipage (son tour du monde ...), la conversation est animée. Elle lui demande s'il lit la Bible. C'est un vrai moulin à paroles. Devant, Frédé tente de me traduire une partie de ses propos. Conformément à son souhait, nous la laissons aux portes de la ville. Elle nous demande combien elle nous doit. C'est en effet un usage local. Quand on fait de l'auto-stop au Pérou, on rétribue le propriétaire de l'auto, ce qui n'est pas sans poser quelques malentendus pour les backpakers étrangers (les voyageurs équipés d'un sac sur le dos). Pour notre sexagénaire, le voyage sera gratuit ... évidemment. Dès la sortie de Lima, et jusque dans les lieux les plus reculés au cœur des Andes ou de l’Amazonie, là où la densité de population est l'une des plus faibles au monde, nous avons été étonnés par la présence de publicités murales à vocation électorale sur les façades des maisons, sur les glissières de sécurité en béton ou sur les roches aux surfaces lisses en bord de route. Le message est souvent simple. Il rappelle le nom du candidat, sans plus. Des habitations sont même peintes sur leurs quatre faces, ce qui en dit long sur l'engagement politique de leurs occupants, à moins que ceux-ci n'aient été rémunérés pour l’occupation de cette surface disponible ! Ce n'est pas vraiment joli, mais on comprend vite que cela fait partie du décor. J'ai fini par m'y habituer, moins Frédé et Gautier.
Connaissez- vous Ar Furlukin (le fou du roi en Français) à Rennes ? C'est sous cette désignation qu'un artiste local fait connaître ses œuvres sur le thème du radis dans la capitale bretonne et dans ses environs. Il y peu encore, notre habitation avait le privilège de supporter un de ces radis (pas un vrai par nature périssable, mais un en polystyrène de plus grande taille). Un mystérieux commando s'en est emparé, nous laissant totalement désemparé devant tant de sottise. Un lointain cousin péruvien a emprunté un thème proche, si l'on en juge par ce légume racine aperçu lors de la traversée d'un village. De retour en France, je me suis pressé d'adresser quelques photos à Ar Furlukin pour bien lui montrer qu'il n'est pas seul au monde à s'intéresser aux brassicacées. « Cette découverte tend à prouver que nos racines sont universelles » m’a-t-il aimablement répondu.
En fin de journée, nous amorçons une descente si brutale vers San Remon que Gautier est pris d'un sérieux bourdonnement et de douleurs aiguës. dans les oreilles. En une heure, nous sommes en effet passés de 4000 à 800 mètres d’altitude. Même les plus coriaces d’entre nous ont leurs limites. Faisant fi de cette difficulté passagère, il est parvenu à nous guider jusqu’à notre prochaine demeure. C’est vrai que depuis son départ il a acquis toutes les astuces pour se diriger en terres inconnues. Les nombreuses applications d'internet sont d’un grand secours. « Prend à gauche, fait 300 mètres, puis tourne à la première à droite. Là, c'est le portail ". C'est ainsi que tout naturellement il nous guide vers un lodge dénommé El Réfugio, situé au fin fond d'une rue anonyme. En éclaireur, comme tous les soirs, il va se renseigner pour voir s'il reste de la place. Quelques minutes plus tard, il revient vers nous le pouce levé. « Vous allez adorer » nous dit-il. Et en effet, ce lieu est magique. Pendant 48 heures, nous allons apprécier l'accueil, la disponibilité du personnel, la propreté des lieux, le chant des oiseaux exotiques, l'environnement verdoyant, la piscine pour nous tout seul à quelques mètres de notre suite de plain-pied, tout cet ensemble de petits plaisirs pour un prix très raisonnable (équivalent tout de même à plus de deux semaines du salaire moyen péruvien). Nous sommes en semaine, hors saison, et sur la vingtaine d'appartements, seuls deux ou trois autres semblent occupés. Ce paradis sur terre, loin de tout, nous l'apprécions à sa juste valeur après des kilomètres et des kilomètres de routes et de pistes, et plusieurs nuits dans des hôtels au confort sommaire.
Ce matin, Gautier a passé l’essentiel de sa matinée à fabriquer une sacoche pour son vélo, ceci à partir d'un morceau de bâche de semi-remorque qu'il a acheté chez un professionnel dans la zone industrielle de Cuzco. Il a longtemps pensé la conception de son modèle, puis il l'a tranquillement confectionnée avec une paire de ciseaux, une aiguille, du fil, de la colle super-forte et beaucoup de patience. Les échanges d'informations sont monnaie courant entre les tourdemondistes et autres cyclistes au long cours. Encore une fois internet a totalement changé la donne dans ce domaine. Connectés en permanence, ils forment une sorte de communauté. Ils se partagent les bons tuyaux, s’informent des choses à faire ou ne pas faire. Parfois ils correspondent entre eux durant des semaines sans se rencontrer, puis au hasard de la route, ils se rejoignent ou se croisent. Il leur arrive de parcourir un bout de chemin ensemble. Gautier me montre le message d'un voyageur finlandais avec qui il échange régulièrement. Ils discutent au sujet de la sacoche que Gautier vient de terminer. Une abréviation m'interpelle dans son message : DIY. Elle correspond à " do it yourself " (faite le vous-même). On ne peut pas mieux définir l’état d’esprit de ces voyageurs, qui ont le sens de la débrouille à tous les instants.
Sur les conseils des propriétaires du lodge, avant de quitter San Remon, nous décidons de visiter une chute d'eau qui se trouve non loin de là. Plutôt que de prendre la voiture, nous optons pour un moyen de transport plus local, le tuk-tuk, espèce de tricycle motorisé très répandu dans les petites villes et les campagnes. Celui-ci nous mène en passant par des routes bondissantes au début du sentier qui conduit lui-même à la cascade.
Nous découvrirons d'autres cascades durant notre séjour. Pour l'une d'entre elles, la distance à parcourir depuis la route est incertaine, le parcours dans la forêt est périlleux, sous une chaleur étouffante et sur un sol humide, dans un environnement hostile où les insectes de tous genres pullulent, les sangles de mes sandalettes me font mal. Que suis-je venu faire dans cette galère ? A chaque fois, dès que nous arrivons sur le lieu convoité, le jeu de Gautier est de défier le torrent d'eau qui jaillit des hauteurs en se glissant sous puis derrière la cascade. D'autres fois, il choisit de se baigner dans l'une des fosses environnantes. De retour à la voiture, je me rend compte que mes jambes sont couvertes de piqûres. Avec le temps, leurs traces se sont heureusement estompées. Mais j'ai mesuré là une partie de mon inconséquence. Un vrai pantalon et des chaussures de marches auraient certainement été plus adaptés.
Au milieu de nulle part Notre objectif depuis Lima est de rejoindre l'Amazonie. Nous ignorons totalement la nature du trajet que nous allons parcourir aujourd'hui. Sur la carte, les choses semblent relativement simples. En effet, durant les premiers kilomètres, tout va bien. La route qui va de San Ramon à Villa Ricca est roulante, et les paysages sont toujours majestueux.
A l'entrée d'une ville, nous sommes freinés par une course cycliste. Celle-ci a lieu sur route ouverte, et les coureurs s'intègrent tant bien que mal dans le flot de la circulation. Dans une côte un peu raide, Gautier en ouvrant grand sa fenêtre propose des biscuits à un coureur lâché par le peloton. Celui-ci décline l'offre, et préfère s'accrocher quelques instants à notre voiture. Nous déjeunons à Villa Ricca, et avant de reprendre la route, Gautier nous suggère de boire un café dans une cafétéria. Rien à voir avec la cafétéria de votre Flunch habituel. Ici l'expresso est fait maison, avec du café en provenance directe de la plantation du propriétaire des lieux. Jamais je n'ai bu de ma vie un expresso aussi serré. Je n'ai évidemment pas eu le mauvais goût d'y ajouter du sucre. Le contenu est ridicule par rapport au contenant, deux ou trois centilitres tout au plus. Même le capuccino de Frédé est corsé.
Passé Villa Ricca, la situation se complique singulièrement. En fait, nous ne savons plus exactement où nous sommes. Nous suivons une piste zigzagante dans la jungle amazonienne, qui si l'on en croit l'emplacement du soleil à cette heure-là, nous mène vers le nord. Nous roulons depuis trois heures sans discontinuer, et je passe l'essentiel de mon temps à éviter les obstacles. Pour ne pas paraître ridicule, et ne pas emm ... les gens du pays dans leurs gros 4 x 4, je prends le parti de me laisser systématiquement doubler dès que j'aperçois un véhicule dans le rétroviseur. J'assume pleinement mon statut de " gringo " inexpérimenté. Vers seize heures, alors que nous roulons en pleine forêt, nous arrivons sur une zone de travaux. La piste est en réfection. Des employés essayent de colmater les trous les plus importants avec de la terre, assistés par un modeste tractopelle et un rouleau compresseur ... L'attente devant un panneau " PARE " s'éternise, plus de vingt minutes, d'autant que la nuit s'annonce dans deux heures environ. Devant nous, un pick-up patiente. Plusieurs personnes sont installées dans sa benne. C'est d'usage courant au Pérou. La sono est à fond, comme si les haut-parleurs étaient sur le toit. C'est de la musique locale, joyeuse. Toute la jungle en profite.
Notre inquiétude en cette fin de journée, même si nous ne l'exprimons pas clairement entre nous, est de savoir où nous allons passer la nuit. Comme cela se présente, cela pourrait être dans la voiture, non loin des jaguars et pumas qui peuplent la région. C'est aux dires même de Gautier assez peu recommandable. Imaginez une envie pressante au milieu de la nuit ! La piste est déjà si difficile et incertaine de jour qu'il n'est pas question d'y rouler de nuit. Par bonheur, sans vraiment savoir où nous sommes, après un enchaînement sans fin de virages, le relief s'aplanit. Au fond d'une longue ligne droite, nous apercevons ce qui ressemble à un village. Notre secret espoir est d'y trouver un hôtel. Nous avons de la chance, trois établissements s'offrent à nous. L'atmosphère des lieux me fait penser au décor d'un western, même si les 4 x 4 ont remplacé les chevaux et l'autobus qui passe par là les diligences.
L'hôtel que nous avons choisi ne dispose que d'un confort spartiate. Nous partageons les sanitaires avec le seul autre client qui semble lui aussi avoir échoué là pour la nuit. On ne fait pas les difficiles, c'est assez propre et toujours plus commode qu'un siège de voiture. Nous payons trente soles, soit environ huit euros pour deux chambres. Assurément, le lieu n'a rien de touristique. Un peu usés par ces heures de piste, nous aspirons à une boisson rafraîchissante que l'on pourrait boire en terrasse. Ce n'est visiblement pas dans les usages locaux. Nous demandons donc la permission de sortir les chaises et de nous installer sur le trottoir. Je choisis une bière bien fraîche, tandis que Frédé et Gautier succombent au plaisir d'un jus de papaye, fait maison évidemment. Dans les deux cas, nous sommes servis au format XXL. La vie est calme autour de nous, les gens prennent leur temps. Rien de presse à l'écart du monde. Curieusement, cet hôtel possède un certain charme. Cela tient certainement à l'aspect désordonné de l'endroit. Vrai désordre du quotidien ou déco extérieure savamment négligée avec la présence d'une multitude de plantes vertes dans des pots, du linge de famille qui sèche, des poules dans leur cage ... ! Nous penchons naturellement pour la première hypothèse. Me concernant, la nuit sera interminable, avec un temps de sommeil réduit à sa plus simple expression, entre les aboiements incessants des chiens et le chant du coq dès quatre heures du matin.
Paradis zéro en Amazonie, j'me balade à minuit, Amazoniaque A l'aube, nous retrouvons au petit déjeuner la jeune fille qui nous a servi la veille. Elle ne respire pas vraiment la joie de vivre, semblant se morfondre dans ce village loin de tout. Nous avons tout de même le droit à un timide " buen dias " et à l'esquisse voilée d'un sourire. Mais que cela a l'air difficile. Nonobstant ce cas, d'une manière générale, nous avons trouvé l'accueil des Péruviens plutôt discret. Pas sympathique, pas antipathique, simplement discret. Est-ce une forme d'indifférence, ou s'agit t'il d'une crainte de l'étranger, accentuée par la barrière de la langue. Il est important de prendre des forces. Après avoir obtenu quelques renseignements, nous savons qu'il y a au moins trois heures de piste à venir avant d'atteindre le prochain patelin. Vu mon inexpérience évidente et les quelques arrêts obligatoires pour mettre en boîte les décors enchanteurs que nous traversons, ce sont au moins quatre heures qui nous seront nécessaires. Notre objectif est d'atteindre l'une des villes qui longe la piste (puis la route) qui va jusqu'à Von Humbold. Nous quittons ce village au nom qui nous restera inconnu à jamais. Cette halte restera l'un de mes souvenirs les plus marquants de ce road trip péruvien.
Nous voici de nouveau sur les routes de l'impossible en pleine forêt amazonienne. Nous effectuons la pause-déjeuner à Puerto Bermudez dans un restaurant au coeur du village. Il borde une bande en terre, large d'une cinquantaine de mètres, qui devait servir encore il y a peu de piste d'atterrissage pour les avions. La route à parcourir ce jour est encore longue, et nous ne nous attardons pas. A la sortie du village, nous sommes heureux de retrouver une route bitumée, du moins par moments ! Nous atteignons en effet un énorme chantier de plus d'une cinquantaine de kilomètres. Ici, on construit une route rapide. Faute d'alternative, la circulation des gens du pays s'effectue en parallèle du chantier. Nous côtoyons ainsi les bulldozers, excavateurs, niveleuses et autres engins dans des conditions parfois assez périlleuses. Vers 16 heures, arrivés à Puerto Pachitea, nous pensons mériter une pause rafraîchissement. Frédé se laisser tenter pas un jus de guanabana servi dans un verre immense. Des écolières passent devant nous. Tous les enfants scolarisés que nous croisons depuis notre arrivée au Pérou sont en tenue.
Sur la route du retour Arrivés en fin d'après-midi à Von Humboldt, nous nous mettons en quête d'un hôtel dans ce gros bourg sans charme. Le nom de cet endroit fait référence à Alexander Von Humboldt, naturaliste, géographe et explorateur allemand, ayant vécu entre 1769 et 1859. Nous imaginons avoir l'embarras du choix dans cette ville au carrefour de deux axes routiers majeurs, mais nous déchantons assez vite. C'est finalement un hôtel " para los turistas " vers lequel nous nous rabattons, faute de mieux. Les exigences des touristes ne sont évidemment pas les mêmes au Pérou qu'en Europe. Mais nous en avons désormais l'habitude. Le lendemain matin, nous quittons les lieux sans nous attarder, allant même jusqu'à faire l'impasse sur le petit-déjeuner. A Von Humboldt, nous atteignons le point le plus au nord de notre expédition péruvienne. Un coup d'oeil sur la carte, malgré les presque 1600 kilomètres au compteur depuis Lima, nous permet de constater que nous n'avons découvert qu'une infime partie du Pérou, tant le pays est immense.
Ce 15 août ne sera pas la meilleure journée de notre voyage. Il faut désormais penser au retour vers Lima, où nous devons rendre la voiture dans deux jours. Mais depuis une pleine semaine, nos yeux et notre cerveau ont accumulé tant d'images, de sensations, d'émotions qu'on peut leur accorder un répit. Nous acceptons sans mot dire cette contrainte de la route forcément inhérente au voyage. Gautier et Frédé ont repéré un autre lodge à Tinto Maria. L'objectif à atteindre ce jour est donc clairement défini, et nous savons que ce soir, quoi qu'il en soit, nous devrions dormir sereinement et confortablement. Le trajet du jour s'effectue sur une nationale interminable au relief escarpé. Nous passons de longues minutes derrière les poids lourds surchargés qui grimpent difficilement des côtes interminables à moins de 30 km/h. Ces conditions particulières imposent de reconsidérer ma stratégie habituelle de conduite. Au lieu de dépasser avec une visibilité de plusieurs centaines de mètres, je me lance avec un horizon bien plus limité. C'est cela ou passer sa journée derrière les gaz d'échappement des camions. Il suffit de me convaincre que mon dernier moment (et celui de mes passagers) n'est pas encore venu. Tous les conducteurs du cru agissent de la sorte, en prenant parfois plus de risques. Il n'est pas rare qu'en dépassant un camion, une voiture se retrouve en tenaille sur la double ligne jaune d'interdiction de doubler entre le poids lourd qu'elle dépasse et l'auto qui arrive en face. Quand la route n'est pas assez large, cela se joue à l'intimidation. En général, les voitures de tourisme cèdent face aux camions et aux 4 x 4. En fin de séjour, Gautier salue avec un rien d'ironie ma capacité d'adaptation aux usages péruviens. Encore deux semaines sur place, et selon lui, on ne verrait plus la différence entre ma conduite et celle d'un local. Dans le lodge Jennifer de Tinto Maria, un coup d'oeil sur le registre nous permet de constater que la plupart des voyageurs sont ici d'origine péruvienne. Une majorité quitte Lima le week-end pour venir s'aérer sur les hauteurs. Il y a bien sûr quelques touristes étrangers. En deux mois, nous sommes le quatrième groupe de Français à faire escale dans ce lieu. Hors week-end et hors saison, très peu de logements sont occupés. Ce matin, nous assurons avec un petit déjeuner " continental ". Au programme, jus d'orange, brioches, oeufs brouillés, beurre et confiture. La prise de risque est minimum. A d'autres occasions, Gautier et Frédé se sont aventurés à choisir des " jugos " (jus de fruit) aux noms exotiques, sans vraiment savoir ce qu'ils prenaient. Ce fut l'occasion de quelques bonnes surprises, mais aussi de déconvenues.
En quittant Tingo Maria, nous nous exposons de nouveau à la circulation intense des tuk-tuk qui se faufilent entre les voitures. Ici, ce sont les rois du macadam. L'air est pollué, comme à Lima. La seule différence, c'est que l'on échappe à cet enfer en seulement quelques minutes pour retrouver un environnement plus verdoyant. On ne peut que s'interroger sur l'immense chemin qu'il reste à parcourir en Afrique, en Asie ou en Amerique du Sud pour sauver notre planète du désastre. En Europe, la prise de conscience semble réelle et des efforts sont déjà entrepris. Mais sur ces continents, la faiblesse du niveau de vie d'une majorité a pour effet de rejeter au dernier rang ou presque la préoccupation écologique. C'est à la fois humain et inquiétant. Notre dernière journée doit nous conduire d'Ambo à Lima. Nos principales villes étapes sont Cerro de Pasco, Huallay, Canta. Gautier nous suggère d'emprunter un axe en jaune sur la carte Michelin. En passant par les routes plus importantes (en rouge), le trajet serait plus long d'environ une centaine de kilomètres. A l'unanimité, nous jugeons l'idée excellente, d'autant que les trente premiers kilomètres jusqu'à Huallay sont bitumés. La route a la forme de longues lignes droites, nous sommes sur de hauts plateaux. Il n'y a pas mieux pour rouler.
Parallèlement à la route, on aperçoit la voie ferrée qui vient depuis Lima en direction de Huancayo. Cette ligne a un temps été mise en sommeil. Dans les années 80 et 90, c'était en effet une cible de choix pour l'organisation terroriste des Sentiers lumineux. Remise en service depuis, elle reste la ligne de chemin de fer la plus haute du monde. Elle est peu utilisée, et transporte essentiellement des touristes deux ou trois fois par semaine. Six heures d'ascension permettent de passer du niveau de la mer aux paysages reculés des Andes, après avoir franchi 59 ponts, 66 tunnels et longé de véritables falaises. La mauvaise surprise arrive après Huallay. De nouveau, nous rejoignons une piste en très mauvais état. Un moment, nous pensons nous être totalement fourvoyé en prenant un chemin de terre qui conduit aux champs des agriculteurs. Il faut se rendre à l'évidence, nous sommes dans la bonne direction. Au programme, juste après l'affreuse décharge à ciel ouvert on ne peut plus visible, nous retrouvons la boue, les virages abrupts gravillonnés et les nids de poule (ou nids d'autruche vu leur taille !). Nous croisons même un convoi exceptionnel là où un seul véhicule est supposé passer. D'entrée, Gautier m'annonce la couleur. Nous avons potentiellement devant nous 108 kilomètres de pistes. Cette distance sera finalement réduite à 85 kilomètres, car nous retrouvons un peu de bitume en fin de parcours. Sans vraiment nous en rendre compte, nous avons roulé à environ 4000 mètres d'altitude pendant près de quatre heures. C'est à la fois infernal de beauté et de galère.
Après Canta, la chaussée qui vient d'être refaite est lisse comme sur un billard. Nous rejoignons la proche banlieue de Lima et trouvons tant bien que mal un hôtel où loger. Vu son type de tarification horaire, Gautier qualifie ce type d'établissement de " love hôtel ". Faut-il vous faire un dessin ? Le lendemain, la matinée s'annonce chargée. La location de la Yaris se termine à midi et le nombre de tâches à réaliser en trois heures est impressionnant : changer de l'argent, faire plusieurs achats à différents endroits de la ville, remplir le réservoir de l'auto, déposer nos bagages dans notre nouveau logement et enfin faire laver la voiture. Celle-ci est dans un état lamentable après dix jours d'aventure. Les stations de lavage automatiques à la brosse comme nous les connaissons en Europe ne semblent pas exister au Pérou. Il convient de passer dans une station-service où de petits box sont dédiés à cette activité. Deux employés consciencieux bichonnent notre Japonaise pendant 45 minutes. Je suis impressionné par les kilos de boues qui sortent des passages de roues. Dans une ville de taille moyenne, toutes ces activités auraient pu se faire sereinement. Dans les embarras - restons poli - de la circulation de Lima, c'est forcément une autre affaire. Alors que j'exprime à voix haute une certaine forme d'anxiété face à la situation, Frédé et Gautier semblent plus confiants. Ils auront raison. Quinze minutes avant l'heure, nous rendons l'auto. Soyons franc : une voiture de location apporte de la liberté et du confort durant le voyage, mais vous avez toujours - ou du moins j'ai toujours - l'angoisse du pépin, du choc, de la rayure et des galères qui vont avec. L'auto rendue, je ressens comme une nouvelle forme de bien-être, avec une responsabilité en moins à supporter. Frédé, émue, la prend en photo.
Barranco Le changement de décor est total à Barranco, district intégré au fil du développement urbain à Lima. Au XIXème siècle est née ici une station balnéaire pour les Liméniens aisés et les étrangers. Ils y ont construit de grandes villas dans le style de ce qui se faisait alors en Europe. Barranco était relié au coeur de Lima par un tramway dont les restes sont visibles sur l'avenue Pedro de Osma.
Incontestablement, c'est le quartier " bobo " de la capitale. Nous y avons réservé une location dans le B & B d'Osma. Le propriétaire des lieux qui nous n'aurons pas l'honneur de rencontrer emploie des jeunes femmes, sans doute des étudiantes. Elles se chargent de l'accueil et de tout ce qui contribue au bien-être des voyageurs. Cinq chambres sont disponibles. C'est très propre, confortable et même chaleureux, avec une décoration de bon goût. On se sentirait presque chez soi.
La vie à Barranco n'a rien à voir avec celle du centre-ville de Lima. La circulation y est moins dense, la vie plus apaisée, l'environnement franchement agréable, entre allées piétonnes, places arborées, murs peints et balade le long de l'océan. Mais ne rêvons pas. Ici, point de sable, mais une plage de galets que longe une autoroute urbaine. Mais nous apercevons enfin, et pour la première fois, le Pacifique.
Les rues sont animées tant en journée qu'en soirée. Une manifestation commerciale est organisée, et rassemble à ciel ouvert une quinzaine de restaurateurs. On a l'embarra du choix. On ne compte pas le nombre de cafés, restaurants et boîtes de nuit. Des artistes de rue font le spectacle. Les enfants jouent sur la place centrale pendant que les parents discutent entre eux. Par chance, pour ce retour sur Lima, le soleil est de la partie. Nous découvrons un quartier débarrassé temporairement de son manteau gris.
Barranco est coloré, on y découvre de superbes façades, qu'il s'agisse des maisons elles-mêmes ou des innombrables murs peints. On ne connaît pas évidemment les artistes qui s'exposent, ni leur histoire, et encore moins ce qui les a poussé à créer telle ou telle oeuvre. Vu leur multitude, il faudrait consacrer des heures pour étudier la question. Alors faute de mieux, chacun peut laisser travailler son imagination.
La compilation qui suit vous est proposée pas Frédé. Alors que Gautier et moi-même vaquons à nos occupations, Frédé a pris le temps de parcourir les ruelles de Barranco à la recherche de ces oeuvres de " street art ". Si l'on en croit les ouvrages spécialisés, cette forme d'art s'est popularisée à partir des années soixante " quand les premiers artistes de ce nouveau genre ont souhaité déplacer l'objet spécialisé en galerie vers l'environnement urbain réel " .
Comme aime à le rappeler Gautier, le quartier de Barranco n'est pas le Pérou. Ne peut vivre ici qu'une minorité aisée de la population. Tout y est plus cher qu'ailleurs. Là où l'on nous regardait avec de grands yeux étonnés dans les petits villages de province, ici avec notre peau blanche et notre grande taille, nous sommes totalement intégrés au décor : au moins deux tiers des gens que nous croisons sont du type européen. Un coucher de soleil reste magnifique, quel que soit l'endroit au monde où vous le prenez en photo.
Nous partageons avec les Péruviens la même lune. Mais en Amérique du Sud, son croissant n'est pas visible sous le même angle. C'est tantôt la partie supérieure, tantôt la partie inférieure qui est cachée. En Europe, c'est celle de droite ou de gauche.
Toutes les bonnes choses ont une fin. Notre avion est programmé en soirée. En quittant le B & B, nous faisons taxi commun avec Gautier. Notre première étape est la gare routière. Gautier doit y prendre le bus pour Cuzco, là où il a laissé son vélo. Ce sont plus de 24 heures d'autocar qui l'attendent. Le taxi diffuse une émission uniquement consacrée aux Beatles. Quand Gautier nous quitte, le titre " Yesterday " passe sur les ondes. Bonjour le cafard ! Délesté de notre fils, le chauffeur nous conduit ensuite jusqu'à l'aéroport. Le vol KLM doit nous ramener sur Amsterdam. A bord du Boeing, notre voisin est un jeune homme d'une trentaine d'années au crâne rasé et aux bras entièrement tatoués. Pas très engageant de prime abord. Contre toute attente, la conversation se noue avec facilité. Il est Suisse, et vient de passer quelques semaines avec sa " fiancée " péruvienne. La nuit sera blanche pour moi. Le service à bord du 777 est impeccable. Les hôtesses sont aux petits soins avec les passagers, même en classe économique. N'ayant pas vraiment envie d'un café après le repas du soir, on me propose un cognac qui est le bienvenu ! Au petit matin, alors que l'éclairage tamisé de la nuit cède sa place à une lumière un peu plus vive, j'aperçois un visage qui ne m'est pas inconnu. L'humoriste François Damiens rentre comme nous de Lima. A Nantes, notre amie Armelle nous récupère à la sortie de l'aéroport. Nous retrouvons la France et les Français, qui oublient trop facilement qu'ils vivent dans un pays riche. Nous retrouvons aussi les amis que nous aimons. Christine et Thomas, de retour de vacances en Bretagne, font une escale de deux jours à la maison. Nous n'avons pas le temps de nous apitoyer sur notre sort. Et nous avons tant de chose à raconter. Il reste maintenant à absorber le décalage horaire.
Epilogue Le Pérou est un très beau pays, nous pouvons vous le confirmer. Sa géographie est exceptionnelle, la richesse de son patrimoine incommensurable, et pourtant nous n'en avons découvert qu'une partie infime, en décidant qui plus est d'aller à contre-courant des usages. En tant qu'étranger et en si peu de temps, nous pouvons regretter ne pas avoir pu nous imprégner suffisamment des usages et de la culture du pays. Comme en Tanzanie et au Paraguay, le Pérou reste un pays majoritairement pauvre. Le salaire moyen y est de 370 euros. Mais sa richesse est ailleurs : la beauté des paysages des Andes, le bruit et les couleurs de l'Amazonie, la douceur de vivre dans les petits villages ... Nous devons rester humbles. Pour la troisième fois depuis 2015, nous quittons Gautier. Mais comme il le dit lui-même, il n'y a pas de retrouvailles sans départ. Plus que jamais, Gautier a la tête sur les épaules. Il nous impressionne par sa capacité et sa sérénité à gérer les difficultés de tous ordres qu'il peut rencontrer. Il prend le temps de vivre, de penser, de réfléchir, d'imaginer. La théologie, la philosophie, l'ésotérisme sont des domaines auxquels il s'intéresse. Nous ne nous inquiétons pas, s'il a effectivement la tête sur les épaules, il au aussi assurément les pieds sur terre.
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